DAVID HUME
(1711-1776)

HAYAGRIVA: Les objets abstraits, les relations, l’espace, le temps et la matière : Hume les considère tous comme des perceptions tributaires du mental. Pour lui, seules les perceptions ou impressions existent. Rejetant la religion révélée qu’il considère comme dogmatique, il lui préfère la « religion naturelle », où l’existence de Dieu peut être prouvée, voire démontrée être vraisemblable par l’argumentation et la raison. Selon Hume, nous ne savons vraiment rien de Dieu; nous ne pouvons tout au plus que connaître les idées que s’en font les gens. Et ce ne sont là que des perceptions.

SRILA PRABHUPADA: En quoi consiste cette religion naturelle ?

HAYAGRIVA: Hume écrit : « Le cours entier de la Nature chante un hymne de louange à son Créateur. Ayant découvert une Divinité, ma quête s’arrête ici. Que les plus sages ou entreprenants s’aventurent plus loin. »

SRILA PRABHUPADA: Il admet que les sens sont imparfaits et, dans un même temps, que Dieu existe. Mais si les sens sont imparfaits, comment pouvons-nous imaginer que Dieu soit comme ceci ou cela ? Si Dieu Se définit Lui-même, pourquoi ne pas accepter Sa version ?

HAYAGRIVA: Dans son livre, Dialogues sur la religion naturelle, Hume s’oppose à la quête de Dieu dans le monde idéal : « Pourquoi ne pas s’en tenir à l’Univers matériel ? Comment se satisfaire sans poursuivre ad infinitum ?… Si le monde de matière repose sur un monde idéal similaire, ce dernier doit reposer sur un autre, et ainsi de suite sans fin. Mieux vaudrait ainsi ne jamais chercher au-delà de l’actuel monde matériel. En supposant qu’il contient en soi le principe de son ordre, nous affirmons en réalité qu’il est Dieu; et le plus tôt nous arriverons à l’être divin, mieux ça vaudra. En faisant un pas au-delà du système du monde temporel, on ne peut qu’exciter une curiosité qu’on ne pourra jamais satisfaire. »

SRILA PRABHUPADA: L’Univers matériel est par définition riche en souffrance; les âmes évoluées cherchent donc un autre monde où celle-ci brille par son absence. Tous sont en quête d’un monde aussi heureux que permanent et cette quête n’est pas anormale. Puisqu’un tel monde existe, pourquoi n’y aspirerait-on pas ? En regardant le monde d’un œil objectif, nous pouvons voir que personne n’y est heureux – c.à-d. à moins d’être un animal. Les animaux n’ont aucune notion de bonheur ou de malheur : ils demeurent satisfaits en toutes circonstances. L’être humain ressent cependant la souffrance de façon plus intense.

HAYAGRIVA: Hume estime que le plus tôt nous trouverons Dieu, mieux ça vaudra. Aussi s’oppose-t-il à ce qu’on Le cherche au-delà du système du monde temporel.

SRILA PRABHUPADA: On ne peut pas trouver Dieu dans notre état conditionné actuel. On peut entrevoir le fait que Dieu existe, mais la spéculation ne nous permettra pas de comprendre Ses Formes et Divertissements. Aussi la révélation existe-t-elle pour les âmes fortunées qui cherchent sérieusement Dieu. Le Seigneur vit en nous et Se révèle lorsque nous sommes sérieux dans notre quête. On peut également apprendre à Le connaître directement auprès d’une personne qui connaît Dieu. La Bhagavad-Gîtâ incarne une révélation directe du Seigneur; en cherchant à la comprendre, on pourra appréhender Dieu.

SYAMASUNDAR: Hume soutient que tout ce que nous sommes, tout ce que nous savons – tout ça n’est qu’un enchaînement d’idées.

SRILA PRABHUPADA: Mais derrière les idées doit exister quelque fait. Sinon, d’où viennent les idées ?

SYAMASUNDAR: Hume sépare les faits des idées. À titre d’exemple, je peux penser que la table est rouge et me tromper : elle pourrait être brune.

SRILA PRABHUPADA: Ton idée peut être fausse, mais la table possède bel et bien une couleur, qu’elle soit rouge, jaune ou autre. Si vous êtes daltonien, vous ne pouvez pas en déterminer la couleur, mais toute personne qui ne souffre pas de daltonisme pourra le faire pour vous. Parce que nos yeux sont malades et que nous sommes inaptes à voir correctement, nous devons recevoir le savoir auprès de qui n’est pas malade. Hume a tort de dire qu’il serait impossible d’accéder au bon savoir.

SYAMASUNDAR: Hume admet que le monde extérieur est riche en objets concrets. Mais il nous compte au nombre de ceux-ci parce que le soi « n’est qu’un agrégat ou ensemble de perceptions différentes, se succédant à un rythme inconcevable dans un flux et mouvement perpétuels. » Notre conscience ne serait ainsi formée que de nos seules observations de la Nature matérielle.

SRILA PRABHUPADA: C’est vrai en ce qui concerne la perception directe, mais la perception indirecte s’avère différente. On peut l’acquérir auprès d’autorités.

SYAMASUNDAR: Hume se méfie de toute autorité. Pour lui, la seule certitude réside dans les preuves mathématiques et la perception sensible immédiate. Nous percevons l’existence du temps et de l’espace. Voilà le seul savoir qu’il admet.

SRILA PRABHUPADA: Et au-delà du temps et de l’espace ?

SYAMASUNDAR: Nous ne pouvons rien savoir.

SRILA PRABHUPADA: Peut-être que vous ne le pouvez pas, mais il existe une façon de savoir. On ne saurait dire qu’au-delà du mental n’existe ni temps ni perception. Certains insectes naissent le soir et meurent le matin venu; durant ce court laps de temps, ils font l’expérience de toute une vie. Pour l’être humain, il s’agit là de seulement douze heures de sa vie, mais l’insecte ne peut vivre au-delà de cette période. La Bhagavad-Gîtâ (8:17) nous fait comprendre que Brahmâ vit plusieurs millénaires; comparés à lui, nous ressemblons à des insectes. Tout est relatif : longévité, savoir et perception. Ce qui nous est impossible ne l’est pas nécessairement pour d’autres. Hume parle d’un point de vue relatif.

SYAMASUNDAR: Hume croit que les objets sont seulement relatifs; ce n’est pas qu’il existe quelque absolu.

SRILA PRABHUPADA: Mais dès qu’il parle de relatif, il postule l’existence de l’absolu. En l’absence d’absolu, comment concevoir qu’un objet soit relatif ?

SYAMASUNDAR: Hume croit qu’une chose n’existe que relativement à une autre.

SRILA PRABHUPADA: Quelle serait alors la relation suprême ?

SYAMASUNDAR: Il n’en admet aucune.

SRILA PRABHUPADA: La logique veut qu’au bout de toutes les vérités relatives, se trouve la Vérité Absolue, le summum. Mais en reniant la substance, Hume perd toute notion du summum, l’ultime substance.

SYAMASUNDAR: Hume dit qu’un objet comme la pomme ne consiste qu’en certaines qualités sensibles, dont sa couleur et son goût sucré, et que l’individu ne consiste qu’en une suite d’activités mentales, et non d’une âme à même de créer des expériences.

SRILA PRABHUPADA: Les objets inertes possèdent certaines qualités, mais l’être vivant est doté de sens grâce auxquels il peut apprécier ces qualités. Il se révèle ainsi supérieur à la matière inerte. Doté d’organes des sens, l’être peut apprécier les objets des sens. Nous possédons des yeux à l’aide desquels nous pouvons voir la couleur et percevoir la beauté.

SYAMASUNDAR: Hume est reconnu pour son scepticisme. Rejetant les Écritures révélées, il leur préfère la science.

SRILA PRABHUPADA: S’il prêche le scepticisme, pourquoi serions-nous obligés de croire ce qu’il dit ? S’il ne croit pas aux propos d’autrui, pourquoi autrui devrait-il accepter ce qu’il dit ?

SYAMASUNDAR: Hume postule trois lois grâce auxquelles les perceptions sont associées ou reliées entre elles.
1- Selon le principe de la ressemblance, une image – à titre d’exemple – nous fait penser à l’original.
2- Selon le principe de la contiguïté, le fait de mentionner une chambre dans ce bâtiment me fera automatiquement penser à d’autres chambres.
3- Selon le principe de cause à effet, en pensant à une blessure, la douleur me vient automatiquement à l’esprit.
Ainsi suggère-t-il que tout notre être consiste en un tel flot d’idées et d’associations, qui se succèdent perpétuellement.

SRILA PRABHUPADA: Telle est la nature du monde relatif. On ne peut comprendre ce qu’est un père sans comprendre ce qu’est un fils. On ne peut concevoir de mari sans épouse.

SYAMASUNDAR: Hume nie l’existence d’une réalité ultime, affirmant que seuls les phénomènes sensibles existent.

SRILA PRABHUPADA: Mais d’où procèdent ces phénomènes ? Qui dit phénomène dit noumène.

SYAMASUNDAR: Hume avance la possibilité que le monde ait existé de toute éternité; par conséquent, aucune cause première n’est requise.

SRILA PRABHUPADA: Mais qu’en est-il de la manifestation du passé, du présent et du futur ? Pourquoi la mort survient-elle s’il n’existe aucune cause ?

SYAMASUNDAR: Le corps ressemble à une machine qui naît puis meurt.

SRILA PRABHUPADA: En disant machine, tu présupposes automatiquement que celle-ci a eu un commencement. En d’autres mots, la machine doit avoir un créateur.

SYAMASUNDAR: Les machines pourraient être pareilles aux saisons qui vont et viennent.

SRILA PRABHUPADA: En effet, elles peuvent aller et venir, puis revenir. Mais à quoi cela rime-t-il ?

SYAMASUNDAR: Elles pourraient représenter des faits existant éternellement sans cause ni créateur. Hume dit que nous pouvons croire en un Créateur si nous voulons, mais que cela repose sur une simple probabilité, et non sur le savoir. Libre à nous de penser comme il nous plaira.

SRILA PRABHUPADA: Il dit certes ce qui lui plaît. En d’autres mots, vous pouvez dire toutes sortes de bêtises, et moi de même. Vous avez raison, j’ai raison, et tout est bien.

SYAMASUNDAR: Hume partage l’entendement humain en deux catégories : les relations d’idées et les relations de faits. La première concerne les mathématiques. Deux plus deux font quatre que cela désigne ou non quelque élément de la Nature. Selon les relations de faits, voilà un savoir qu’il faut admettre en se basant sur l’expérience sensible. Selon l’information acquise à partir de perceptions sensibles, nous croyons que le soleil se lèvera demain. Il demeure cependant possible que la fin du monde survienne et que le soleil ne se lève plus.

SRILA PRABHUPADA: Pourquoi en est-il ainsi ? Qui rend cela possible ou impossible ? Le soleil peut se lever ou non. Est-ce fortuit ou conforme à quelque volonté ?

SYAMASUNDAR: Hume dirait que c’est fortuit.

SRILA PRABHUPADA: Rien n’est accidentel; tout est symétrique. Selon Krishna dans la Bhagavad-Gîtâ (9:10), la totalité de la Nature agit sous Sa direction. Le soleil se lève parce que Dieu l’a décrété. Sinon, l’astre du jour ne se lèverait point. Il n’y a donc là rien d’accidentel.

SYAMASUNDAR: Hume nie la relation de cause à effet. Nous associons la friction à la chaleur, mais lui dit qu’on a tort d’assumer que la friction provoque la chaleur. Pour lui, il ne s’agit ici que de la répétition de deux incidents. L’effet peut habituellement accompagner la cause, mais n’en est pas nécessairement la conséquence. Il s’agit seulement ici d’association, et non de relation de cause à effet.

SRILA PRABHUPADA: Mais qui a créé la loi d’association des idées ? L’association peut être fortuite, mais toute friction s’accompagne de chaleur. Ce qui signifie qu’une loi systématique régit la Nature.

SYAMASUNDAR: Hume dirait que cette loi n’incarne pas l’ultime réalité, mais une simple probabilité.

SRILA PRABHUPADA: Néanmoins, il existe des lois de la physique. L’enchaînement de celles-ci peut différer, car elles furent instaurées par un législateur qui peut les modifier. Un corps législatif peut s’assembler aujourd’hui pour passer une loi, mais se rassembler demain pour l’abolir. Dans un même ordre d’idées, une volonté suprême décrète les lois de la physique et peut également les abolir ou les modifier. En ce qui nous concerne, qui dit friction dit chaleur. Nous ne pouvons pas nous frotter les mains sans éprouver une sensation de chaleur. Ce qui signifie que nous sommes soumis à la volonté suprême. Dieu nous permet de dire des bêtises à l’infini, mais Il pourrait tout aussi bien nous faire taire sur-le-champ. À tout instant, nous pouvons mourir en effet. La volonté suprême nous laisse libres de dire ceci ou cela et d’élaborer des philosophes de toutes sortes. Mais elle peut à tout instant mettre un terme à tout cela. Ainsi cette volonté absolue représente-t-elle l’ultime cause de toutes les causes.

SYAMASUNDAR: Hume rejette l’idée de matière absolue et la conception de l’âme comme substance. Il conteste aussi l’utilité des lois scientifiques et des principes moraux en tant que réalités objectives. Il prétend que toute idée religieuse est relative, soutenant qu’il n’y a guère de certitude en ce qui concerne la religion.

SRILA PRABHUPADA: La religion est synonyme d’amour de Dieu, et il existe différentes voies religieuses. En développant en fin de compte notre amour pour Dieu, nous réalisons le premier et le plus important facteur dans le domaine de la religion. En l’absence de cet amour pour le Seigneur, ce qu’on appelle religion n’est qu’un simulacre.

SYAMASUNDAR: Hume déclare que même l’idée de Dieu n’est que probable et non certaine.

SRILA PRABHUPADA: Nous ne sommes pas d’accord. Dès qu’on parle d’autorité, on postule l’existence d’une autorité suprême : Dieu.

SYAMASUNDAR: Hume dirait qu’il faut accepter l’autorité de nos sens.

SRILA PRABHUPADA: Les sens sont imparfaits et Dieu Se trouve au-delà de leur portée. Nous ne pouvons ni Le voir, ni Le toucher ni L’entendre à cause de leur imperfection. Un homme aux sens imparfaits dira que Dieu n’existe pas; mais quiconque a purifié ses sens peut Le voir, Le toucher et Lui parler.

SYAMASUNDAR: Hume nie l’existence des miracles.

SRILA PRABHUPADA: Ce qui semble un miracle aux yeux d’une personne peut ne pas l’être pour autrui. Un ventilateur électrique peut paraître miraculeux à l’enfant, mais non à son père. Notre conception du miracle s’avère donc relative elle aussi.

HAYAGRIVA: Hume écrit à ce sujet : « Toutes les nouvelles découvertes en astronomie, qui démontrent l’immense grandeur et magnificence des œuvres de la Nature, sont autant d’arguments additionnels en faveur de la Divinité, selon le véritable théisme. » Ainsi Hume rejette-t-il la nécessité ou le caractère désirable des miracles ainsi que du concept d’un Dieu qui transcende Sa Création. Il affirme que ce n’est pas l’existence de Dieu qui est mise en doute, mais bien Sa nature qu’on ne saurait déterminer par l’étude de l’Univers en soi. Toutefois, si l’Univers ne peut qu’être étudié à l’aide de sens imparfaits, que vaudraient nos conclusions ? Comment pourrions-nous jamais connaître la nature de Dieu ?

SRILA PRABHUPADA: Notre philosophie védique veut que la nature de Dieu soit expliquée par Lui-même. Dans la Bhagavad-Gîtâ (7:7), Krishna dit à Arjuna :

mattah parataram nânyat kiñcid asti dhanañjaya
mayi sarvam idam protam sûtre mani-ganâ iva

« Nulle vérité ne M’est supérieure, ô conquérant des richesses. Tout sur Moi repose, comme des perles sur un fil. » Nous admettons qu’il en est ainsi, car il s’avère impossible pour quiconque d’être supérieur à Dieu. La nature de Dieu veut qu’Il soit suprême dans tous les domaines : richesse, renom, puissance, beauté, savoir et renoncement. Comme Krishna possède tous ces attributs, nous reconnaissons en Lui le Seigneur Suprême.

HAYAGRIVA: Dans Dialogues sur la religion naturelle, Hume écrit : « Reconnaissons que tous les systèmes religieux sont confrontés à des difficultés aussi énormes qu’insurmontables. Chacune des parties en litige triomphe tour à tour, menant une guerre offensive et exposant les absurdités, les atrocités et les doctrines pernicieuses de ses adversaires. Mais tous, dans l’ensemble, réservent un triomphe absolu au sceptique, qui leur dit qu’aucun système ne doit jamais être embrassé… Notre seul recours raisonnable : éviter de se prononcer. »

SRILA PRABHUPADA: Nous ne sommes pas d’accord. Notre philosophie veut qu’on apprenne à connaître Dieu de Sa bouche même. Par religion, on entend les principes donnés par le Seigneur. En l’absence de directives reçues de Dieu, il ne saurait être question de religion. La religion n’est pas une sorte de foi aveugle; elle est fondée puisque transmise par Dieu Lui-même. Si vous connaissez Dieu et suivez Ses instructions, vous êtes religieux.

HAYAGRIVA: Hume croit que la religion est nécessaire. Il dit que même corrompue, on doit la préférer à son absence totale.

SRILA PRABHUPADA: Nous sommes d’accord. Mais la religion sans logique ni philosophie n’est que sentiment. Ce qui ne saurait nous aider. La vraie religion est définie comme suit par Sri Krishna :

man-manâ bhava mad-bhakto mad-yâjî mâm namaskuru
mâm evaisyasi yuktvaivam âtmânam mat-parâyanah

« Emplis toujours de Moi tes pensées, deviens Mon dévot, offre-Moi ton hommage et voue-Moi ton adoration. Entièrement absorbé en Moi, certes tu viendras à Moi. » (Gîtâ 9:34) En pensant toujours à Dieu, nous serons purifiés. La religion est synonyme de méditation sur Dieu, de pensées remplies de Lui. Aussi l’adoration dans le temple est-elle requise pour favoriser notre méditation constante sur Dieu. Mais si nous ne connaissons pas Sa forme, comment pourrions-nous L’adorer ? Comment penser à Lui ? Il nous faut alors fonder une pseudo-religion, ce qui ne nous sera d’aucun secours.

HAYAGRIVA: Hume conçoit la religion d’un point de vue utilitaire et social. Il écrit : « La fonction légitime de la religion consiste à régler le cœur humain, humaniser le comportement de l’homme, infuser l’esprit de modération, d’ordre et d’obéissance… »

SRILA PRABHUPADA: Ajoutons que la religion représente la plus grande œuvre humanitaire qui soit. À titre d’exemple, elle interdit la sexualité illicite qui, lorsqu’on s’y adonne, rend la société chaotique. Et en continuant de manger de la viande, on se révolte contre la volonté divine puisque Dieu est le Père de tous les êtres vivants. Quand d’autres aliments sont disponibles, pourquoi tuer des animaux afin de manger de la viande ? En présence d’une épouse, pourquoi vivre une sexualité illicite ? Les âmes religieuses font nécessairement preuve d’un caractère exemplaire. Toutes les vertus se manifestent naturellement en l’âme consciente de Dieu. Le dévot du Seigneur peut sacrifier ses intérêts personnels de par sa dévotion. Ce que d’autres ne peuvent pas faire.

HAYAGRIVA: Hume estime qu’il faut d’abord être un sceptique philosophe avant d’admettre les vérités révélées de la religion. En dernière analyse, il insiste que l’acceptation de ces vérités ne peut que reposer sur la foi, et non sur la raison ou l’expérience.

SRILA PRABHUPADA: Pourquoi pas sur la raison ? Nous pouvons avoir recours à la raison pour considérer que toute chose a un propriétaire et qu’il serait donc raisonnable que le vaste Univers en ait aussi un. Cette logique serait-elle fautive ? Bien sûr, les astronomes déclarent désormais qu’au commencement, il y eut une masse énorme de matière. Mais d’où venait celle-ci ? Et les gaz ? Et le feu ? Il existe un propriétaire, décrit dans la Bhagavad-Gîtâ (9:10) : mayâdhyaksena prakrtih. Il serait tout à fait illogique de croire qu’il n’existe aucun possesseur universel.

HAYAGRIVA: Hume, semble-t-il, n’avait personnellement ni religion ni foi en Dieu, fût-ce celui des chrétiens ou tout autre. Il rejette également l’assertion voulant que la raison et l’argumentation puissent justifier la foi. Sceptique, il nie la possibilité d’acquérir une certitude en dehors d’un simple enchaînement d’idées ou de perceptions.

SRILA PRABHUPADA: En d’autres mots, il faudrait rejeter tout énoncé sauf les siens.

HAYAGRIVA: Hume prétend que l’être humain ne peut pas connaître l’ultime réalité ou posséder quelque connaissance au-delà d’une simple prise de conscience des images sensibles ou phénoménales.

SRILA PRABHUPADA: Si l’être humain ne peut pas posséder le savoir, pourquoi accepter celui de Hume ? Mieux vaut mettre définitivement un terme à la quête du savoir, non ? Pourquoi Hume se donne-t-il la peine d’écrire tant de livres ? Il cherche simplement à établir la suprématie de sa propre méthode. Mais le sceptique est privé de tout fondement.

SYAMASUNDAR: Hume dit que nous sommes libres d’attribuer l’ordre et la conception de l’Univers à un architecte, mais qu’en ce qui le concerne, il n’existe aucune preuve de l’existence d’un architecte supérieur.

SRILA PRABHUPADA: En présence d’une œuvre aussi artistique que systématique, il nous faut admettre qu’une intelligence l’a créée. Nous savons par expérience que rien ne fonctionne bien sans quelque cerveau directeur. Constatant que la manifestation cosmique s’avère systématique, nous devons reconnaître la présence d’une intelligence directrice.

SYAMASUNDAR: Hume estime que si cet architecte existe, il est responsable du mal inhérent à la Nature. Il en conclut donc que Dieu serait limité ou imparfait. Car s’Il était parfait, le mal n’existerait pas; s’Il était tout-puissant, il pourrait l’enrayer.

SRILA PRABHUPADA: Dieu étant absolu, le mal n’existe pas pour Lui, seulement le bien. Sinon, on ne pourrait Le qualifier d’absolu. Ce que nous pensons être mal est bien à Ses yeux. Le père peut gifler son enfant, qui fondra en larmes. L’enfant y voit le mal, mais non le père qui pense : « J’ai bien agi, car bien qu’il pleure, l’enfant ne commettra plus jamais cette erreur. » Le châtiment peut parfois sembler être un mal, mais cela dépend de notre position. Quelle opinion faut-il accepter ?

SYAMASUNDAR: Hume dirait que cela signifie que Dieu est limité.

SRILA PRABHUPADA: Ne soyons pas absurdes ! S’Il était limité, Il ne pourrait pas être Dieu.

SYAMASUNDAR: La logique derrière cet argument veut que Dieu soit limité dans Sa bonté pour permettre au mal d’exister.

SRILA PRABHUPADA: Dieu est infiniment bon.

SYAMASUNDAR: Il doit donc jouir d’une puissance limitée puisqu’Il ne peut pas enrayer le mal.

SRILA PRABHUPADA: Non. Le mal opère sous Sa direction. Dieu régit et le bien et le mal; d’où Son titre de maître absolu. Rien ne saurait Le limiter. Le terme sanskrit exact serait ananta : l’Infini. Dieu est advaitam acyutam anantam – au-delà de toute dualité et aussi infaillible qu’infini.

SYAMASUNDAR: Concernant la moralité, Hume soutient qu’elle consiste en valeurs formulées par l’individu pour soi en tant qu’opinion personnelle. Chacun peut agir selon ce que sa conscience lui dicte.

SRILA PRABHUPADA: L’un dira que sa conscience lui dicte ceci, alors que l’autre dira que la sienne lui dicte cela. Il y aura donc désaccord.

SYAMASUNDAR: Hume dirait toutefois que les valeurs morales de la société sont fonction de l’opinion publique.

SRILA PRABHUPADA: Il faut donc accepter l’opinion de la majorité. Ainsi le veut la démocratie.

SYAMASUNDAR: Pourtant, Hume admet qu’il revient à chacun d’accepter ou de rejeter l’opinion publique. Même si la loi existe et que la société l’accepte, il n’en revient pas moins à chacun de la respecter ou non.

SRILA PRABHUPADA: Si vous ne la respectez pas, l’État vous punira. Conclusion: la libre pensée n’est pas absolue mais relative elle aussi.

SYAMASUNDAR: Hume dirait que ce n’est pas la logique ou la raison qui détermine la moralité, mais bien le sentiment.

SRILA PRABHUPADA: Nous ne saurions décider de ce qui moral ou immoral. Cela revient en exclusivité à la volonté suprême.

SYAMASUNDAR: C’est le sentiment chez chacun qui décide. Chacun doit agir selon ce qu’il ressent à l’instant, selon son opinion personnelle.

SRILA PRABHUPADA: Votre opinion personnelle peut vous satisfaire, mais si les autres membres de la société ne l’approuvent pas, vous vous bercez d’illusions.

SYAMASUNDAR: Le remède à ceci s’avère social. Essayons de changer les lois ou opinions de l’État afin qu’elles se conforment à une certaine forme de moralité. Si je crois qu’une chose est bien, mais que l’État prétend le contraire, je devrais entreprendre quelque action politique pour modifier la situation.

SRILA PRABHUPADA: Mais ni l’opinion publique ni l’opinion personnelle ne sont définitives. Au-dessus d’elles se trouve la volonté suprême de Krishna; c’est elle qui détermine ce qui est moral ou immoral en dernière analyse.

SYAMASUNDAR: Hume croit que la sensibilité morale rehausse le bien social, tandis que les attitudes immorales se révèlent aussi égotistes qu’antisociales.

SRILA PRABHUPADA: De toute façon, il considère le corps social comme faisant autorité. En dernière analyse, il nous faut dépendre de quelque autorité pour toute approbation. Nous avançons que Krishna incarne l’autorité suprême : tout ce qu’Il sanctionne est moral, tout ce qu’Il ne sanctionne pas s’avère immoral. Arjuna pensait qu’il était moral d’être non violent sur le champ de bataille de Kurukshetra, mais Krishna affirmait le contraire. Au lieu de dépendre du corps social, politique ou communautaire pour déterminer en quoi consiste la moralité, dépendons plutôt de la volonté suprême de l’autorité suprême. Nous soutenons que toute moralité est fonction de l’approbation de Krishna.
Tuer est considéré comme un acte immoral, mais puisque Krishna ordonna à Arjuna de combattre, il n’était pas immoral pour celui-ci de donner la mort à ses ennemis. Quand nos actions sont approuvées par l’autorité suprême, nous sommes des âmes morales; si elles ne le sont pas, nous devenons alors des âmes immorales. La moralité et l’immoralité ne sont pas immuables. Est moral ce que Krishna approuve. Ainsi, ce qui est jugé moral peut en réalité être immoral et vice versa, selon le désir ou les directives de Krishna. En temps de guerre, un soldat pourra tuer plusieurs êtres humains et se voir décorer de plusieurs médailles; mais s’il tue une seule personne à son retour, on le dira immoral et il sera pendu. Même sur le plan matériel, moralité et immoralité dépendent de l’approbation de l’État qui décrète : « Il serait moral de donner la mort à cet homme, car c’est un ennemi » ou « si vous tuez, vous serez condamné à la peine de mort. » Ainsi accepte-t-on l’autorité. Tout dans l’Univers repose sur la volonté, sur l’autorité de Krishna qui, aux premiers chapitres de la Bhagavad-Gîtâ (4:8), dit apparaître en ce monde pour rétablir les principes de la religion. En guise de conclusion, Il déclare cependant qu’on doit rejeter tous ces principes et s’abandonner simplement à Lui. Voilà l’enseignement secret de la Gîtâ (18:66). De toute façon, Krishna incarne l’autorité ultime et l’abandon à Sa Personne, l’ultime principe religieux.

SYAMASUNDAR: Hume prépare le terrain au laxisme dans la société moderne, car il laisse chacun libre de choisir une attitude éthique spécifique. En d’autres mots, d’agir comme bon lui semble.

SRILA PRABHUPADA: Ce qui est impossible puisque personne ne peut agir ainsi. La vie place plusieurs pierres d’achoppement sur notre route. Une personne pourra proposer une certaine action, mais sa proposition peut s’avérer difficilement applicable. Impossible de n’en faire qu’à sa guise. Sinon, on ferait régner le chaos. Il doit exister quelque autorité.