THOMAS HOBBES
(1588-1679)

SYAMASUNDAR: Hobbes déclare : « Tout ce qui existe est matière, et tout ce qui change est mouvement. » Pour lui, les entités mentales ou spirituelles ne sont pas des réalités en elles-mêmes, mais plutôt des dérivés de la matière. L’âme et le mental périssent lorsque la base matérielle est détruite.

SRILA PRABHUPADA: L’âme n’est pas une combinaison de conditions matérielles. Sinon, pourquoi ne combinerait-on pas des éléments matériels de façon à produire des âmes ou des formes vivantes ?

HAYAGRIVA: Hobbes croit qu’une « substance incorporelle » serait contradictoire, car il n’existe que des corps dans le monde. Il définit ainsi Dieu comme « un esprit corporel infiniment pur, simple et invisible ».

SRILA PRABHUPADA: Pourquoi invisible ? Quand Krishna apparut sur la Terre, Il était certes visible puisque Arjuna Lui parlait face à face. Qu’Il soit visible ou invisible, cela dépend de Son bon vouloir. Il est visible à qui s’avère parfait ou digne de Le voir. Non seulement Arjouna Le voyait-il, le Seigneur répondit également à ses questions. Si nous devenons aussi qualifiés qu’Arjuna, nous pourrons alors voir Dieu et Lui parler. Et Il nous donnera directement Ses instructions. Dieu demeure invisible aux yeux des personnes imparfaites tandis qu’Il est certes visible aux âmes parfaites.

SYAMASUNDAR: Les empiristes soutiennent que nous n’avons que le témoignage des sens comme seule preuve qu’une chose existe.

SRILA PRABHUPADA: Nous leur répondons que les sens étant imparfaits, toute croyance reposant sur le témoignage des sens ne peut qu’être imparfaite. C’est très simple. Quand le Soleil se lève le matin, l’astre se trouve à une distance de plusieurs millions de kilomètres. Comment un enfant pourrait-il évaluer cette distance ? Qui pourrait vraiment dire à quelle distance se trouve le Soleil ?

SYAMASUNDAR: Ils ont inventé certains instruments pour évaluer les distances.

SRILA PRABHUPADA: Incapables d’y parvenir à l’aide de leurs sens, ils se sont tournés vers des instruments. Ceux-ci sont donc devenus leur autorité, leur source de savoir. Mais on doit plutôt accepter l’aide de Sri Krishna, l’expert manipulateur d’instruments. Que valent nos sens imparfaits ?

SYAMASUNDAR: L’âme ou le mental ne serait donc pas qu’un simple système physiologique ?

SRILA PRABHUPADA: L’âme incarne une énergie différente. Chaleur et lumière émanent d’une même source : le feu. Néanmoins, la chaleur n’est pas lumière ni la lumière chaleur. Parfois, on ressent de la chaleur, mais cela n’implique pas pour autant la présence d’une lumière. Parfois, il y a de la lumière même en l’absence de toute chaleur. Il n’en demeure pas moins que lumière et chaleur émanent d’une même source.

SYAMASUNDAR: En quoi l’âme et le mental diffèrent-ils du corps ?

SRILA PRABHUPADA: Ils ne sont pas différents, mais ils se manifestent selon diverses phases. À l’instant, nous jouissons du soleil dont nous ressentons la chaleur; mais si nous étions plus près de l’astre, sa chaleur serait plus intense pour nous. En s’en approchant trop, nous serions désintégrés.

SYAMASUNDAR: Mais comment se fait-il que l’âme ne soit pas produite par le corps ? Comment savoir qu’elle n’en est pas un dérivé ?

SRILA PRABHUPADA: À l’heure de la mort, toutes les parties physiques du corps sont là. Pourquoi alors le défunt est-il mort ? Que manque-t-il  ? Son cœur a beau être là, pourquoi ne bat-il pas ? Toutes les parties du corps sont là, pourtant on constate que le corps ne vit plus. Que manque-t-il  ?

SYAMASUNDAR: Le cerveau a cessé d’envoyer des impulsions au cœur.

SRILA PRABHUPADA: Mais pourquoi le cerveau ne fonctionne-t-il plus ? Sa structure est pourtant intacte. Que manque-t-il  ? Pourquoi ne pas remplacer l’élément manquant ? Si vous êtes mécanicien et qu’un appareil cesse de fonctionner, vous devriez être capable de trouver ce qui fait défaut et de le réparer aussitôt. Or, personne n’a réussi à en faire autant avec le corps, fût-ce un savant ou un philosophe. Nul n’est capable de relever un tel défi.

HAYAGRIVA: Hobbes est surtout connu en tant que philosophe politique; dans son ouvrage le plus célèbre, Le Léviathan, il expose ses théories socio-politiques, à l’instar de Machiavel dans Le Prince. Le Léviathan, qui serait au-dessus des lois, incarnait aux yeux de Hobbes le corps dirigeant ou monarque – le « dieu mortel » soumis au Dieu immortel. Mais dans la tradition védique, le roi ou chef d’État est-il au-dessus des lois ?

SRILA PRABHUPADA: Non. Grâce à la Bhagavad-Gîtâ, nous comprenons que Sri Krishna transmit Ses lois au déva du Soleil. Puisque celui-ci a observé ces lois, en comparaison de l’homme moyen il est un être suprêmement élevé. Le roi est censé représenter Dieu au sein de l’État; sa perfection réside dans le respect des lois de Krishna. Si le roi suit les directives de Krishna, ses ordres seront irrévocables. Dans la Bhagavad-Gîtâ (4:1-2), Krishna dit qu’Il transmit à l’origine les lois de la Gîtâ à Vivasvân, le déva du Soleil, qui les donna à Manou – le père de l’humanité – lequel à son tour les enseigna à Ikshvâkou. Ainsi la Bhagavad-Gîtâ fut reçue à travers une succession disciplique et transmise aux saints rois, ou râjarshis. Si le roi règne selon la Gîtâ, il ne saurait être soumis à quelque autre loi. En adoptant les lois divines, le roi est au-dessus des lois et conventions terrestres.

HAYAGRIVA: Hobbes compare l’homme à une machine façonnée en fin de compte par Dieu. Il croit toutefois que cette machine ne serait pas directement conduite par Dieu, mais par le Léviathan, le roi ou dirigeant.

SRILA PRABHUPADA: Non. Dieu réside dans le cœur de chacun, témoin de chaque instant des actions de l’âme. Connaissant les désirs de l’âme, Il voit comment celle-ci manie la machine qu’est le corps. Ce qu’explique clairement la Bhagavad-Gîtâ (18:61) :

îsvarah sarva-bhûtânâm hrd-dese ’rjuna tisthati
bhrâmayan sarva-bhûtâni yantrârûdhâni mâyayâ

« Le Seigneur Suprême, ô Arjuna, Se tient dans le cœur de tous les êtres, qui sont en quelque sorte placés dans une machine faite d’énergie matérielle. Ainsi dirige-t-Il leurs errances à tous. » Lorsqu’une personne désire jouir de l’Univers matériel en tant qu’humain, Dieu lui en donne l’occasion; si elle veut en jouir comme le chien, le Seigneur lui offre un tel corps. Tout cela représente la grâce de Dieu. Tant que l’être distinct aspire à tirer jouissance de la matière, Dieu lui offre toutes facilités à travers un corps particulier. Cette machine formée d’éléments matériels est fournie par la Nature matérielle, prakriti, selon les directives de Krishna en vue de la jouissance de l’être. L’être, ou jîva, se déplace dans cette machine au même titre qu’une personne se servant d’une auto. Il se voit confier une machine spécifique au sein d’une espèce parmi les huit millions qui peuplent les innombrables planètes de l’Univers.
De par son contact avec la Nature matérielle, l’être vivant nourrit tant de désirs; Dieu est si miséricordieux qu’Il lui accorde toutes facilités. Dans un même temps, le Seigneur demeure l’ami de tous et quand le jîva se montre prêt à comprendre en quoi consiste l’ultime bonheur, Il lui dit : « Renonce à tous tes projets absurdes et abandonne-toi à Moi. » Cet abandon incarne la perfection pour l’être. À moins d’en arriver là, ce dernier nourrira constamment d’innombrables désirs. Dieu lui procurera donc des myriades de machines pour qu’il puisse errer çà et là dans l’Univers. Il pourra alors s’élever vers les formes de vie supérieures ou se dégrader et renaître au sein de quelque espèce inférieure. Les dévas comme Indra et Brahmâ font partie des espèces supérieures. On compte différentes formes de vie dont certaines ont une longévité de plusieurs millions d’années, alors que d’autres ne vivent que quelques instants. Quoi qu’il en soit, toutes facilités sont accordées par le Seigneur Suprême, en Sa qualité de maître absolu. L’homme propose et Dieu dispose. Tant que nous voudrons proposer ceci ou cela, nous ne pourrons pas être heureux. Nous ne le serons qu’en acceptant de se conformer aux plans du Seigneur.

HAYAGRIVA: Hobbes dit que puisque la guerre se perpétuerait tout comme la lutte pour la survie, le Léviathan s’avère nécessaire. C’est la peur de la mort qui pousse les hommes à concluer un contrat social et c’est le Léviathan qui place tout sous une puissance et une autorité commune. Ce Léviathan serait en quelque sorte le représentant ou lieutenant de Dieu, régnant sous Lui.

SRILA PRABHUPADA: Telle est la perfection de la monarchie. D’où vient que l’on qualifie le roi de nripadéva, ou naradéva, c.-à-d. Dieu sous forme humaine.

SYAMASUNDAR: Pour Hobbes, le Léviathan doit être assez puissant pour faire appliquer le contrat social, la loi. C’est lui qui punit quiconque ne respecte pas sa part du marché. Ainsi seraient préservées et la paix et la société.

SRILA PRABHUPADA: Mais qui sera l’homme de la situation ? Comment serait-ce possible puisque tous les hommes sont imparfaits ? Il faudrait donc accepter un homme ou une autorité infaillible, au-dessus de tout soupçon.

SYAMASUNDAR: Aussi Hobbes dit-il qu’un tel homme doit être pour ainsi dire un dieu mortel. En son absence, il faudrait instituer un gouvernement.

SRILA PRABHUPADA: Un tel homme doit être le représentant direct de Dieu. Non seulement doit-il comprendre le message des Écritures, il doit en suivre les instructions. Telle est la position prestigieuse du maître spirituel authentique.

sâksâd-dharitvena samasta-sâstrair uktas tathâ bhâvyata eva sadbhih
kintu prabhor yah priya eva tasya vande guroh srî-caranâravindam

« Le maître spirituel doit être honoré au même titre que le Seigneur Suprême, car il en est le serviteur le plus intime; c’est ce que confirment toutes les Écritures, ce que reconnaissent toutes les autorités en matière spirituelle. Je rends donc mon hommage respectueux aux pieds pareils-au-lotus d’un tel maître spirituel, représentant authentique de Sri Hari [Krishna]. » (Sri Gurv-astaka 7) Le gourou, ou maître spirituel, est le représentant direct de Krishna, car il en est le serviteur le plus intime. De sorte que sa position vaut tout autant que celle de Krishna. Il rend le service le plus intime en s’efforçant d’amener tout un chacun à la conscience de Krishna. À moins d’en arriver là, nous ne serons jamais heureux. Hobbes dit qu’il nous faut trouver un dieu mortel, mais une telle personne doit connaître Dieu en vérité. Il faut reconnaître les qualifications du gourou authentique telles qu’on les trouve décrites dans les Védas. Il s’agit ensuite d’approcher le gourou avec soumission. Expert en science védique spirituelle, celui-ci s’est entièrement abandonné à Krishna. Tout ce qui est matériel ne peut le troubler désormais. Pleinement établi dans la réalisation du Brahman, il est libre de toute contamination matérielle. Voilà quelques-unes des qualifications préliminaires d’un homme de Dieu. Mais comme Hobbes ne connaissait pas celles-ci, il n’aurait jamais pu trouver une telle personne. Même lorsque Krishna était présent sur cette planète, tous ne pouvaient pas comprendre qu’Il était Dieu, la Personne Suprême. Comment trouver un homme de Dieu à moins de savoir ce qu’on entend par Dieu et par homme de Dieu ? Afin de le découvrir, il faut consulter la Bhagavad-Gîtâ sinon notre savoir ne pourra que demeurer imparfait.

SYAMASUNDAR: En ce qui concerne Hobbes, l’homme de Dieu n’est requis que pour préserver la paix.

SRILA PRABHUPADA: Mais comme on ne trouve pas de tels hommes, la paix ne peut être préservée longtemps. Les contrats sociaux ne sont jamais absolus vu la nature constamment changeante des choses. Une certaine situation sociale peut prévaloir pendant quelque temps, mais cinquante ans plus tard, la situation sera complètement différente. Comment conclure un contrat social qui ne changerait jamais ? C’est chose impossible dans l’Univers matériel. À Vaikountha, le monde spirituel, la situation sociale ne change jamais puisqu’elle est éternelle. Les habitants sont heureux d’être avec Krishna et de danser, manger, jouer et vivre en Sa compagnie. Cette situation éternelle prend le nom de nitya-siddha. Toujours présent, Krishna y prend soin des vaches sourabhi, jouant sans cesse de Sa flûte et dansant avec Ses amies, les gopîs. Notre devoir consiste à obtenir accès à ce divertissement éternel; telle est la voie de la conscience de Krishna.

HAYAGRIVA: Hobbes déclare que le Léviathan ne se limite pas à une seule personne; il pourrait aussi s’agir d’un groupe de personnes.

SRILA PRABHUPADA: Un groupe pourrait en effet assumer le gouvernement à condition qu’il soit formé de dévots du Seigneur. Mais s’il est constitué d’escrocs et de mécréants, il ne saurait représenter Dieu. Les représentants du Seigneur respectent Ses lois.

dharmam tu sâksâd bhagavat-pranîtam na vai vidur rsayo nâpi devâh
na siddha-mukhyâ asurâ manusyâh kuto nu vidyâdhara-câranâdayah

« Les véritables principes de la religion sont définis par Dieu, la Personne Suprême, car ni les grands rishis habitant les planètes les plus élevées et parfaitement établis dans la Vertu, ni les dévas, ni les dirigeants de Siddhaloka, et encore moins les asuras, les hommes ordinaires, les Vidyâdharas ou les Châranas ne sauraient le faire. » (Bhâgavatam 6.3.19) La véritable loi, ou religion, est constituée des paroles mêmes de Dieu. Si nous élaborons nos propres lois, sans se référer aux desseins de Dieu, nous échouerons en dernière analyse.

HAYAGRIVA: Hobbes écrit dans Le Léviathan : « Pour désobéir à leur souverain, certains ont pris prétexte d’un covenant, conclu non avec les hommes mais avec Dieu, ce qui s’avère également injuste; car il n’y a pas de covenant avec Dieu sauf par la médiation de quelqu’un qui Le représente, ce que nul ne fait excepté le lieutenant de Dieu, qui règne sous Lui. » Cet argument du droit divin ne pourrait-il pas servir au tyran pour décourager ses sujets de lui désobéir ? Qu’est-ce qui pourrait nous protéger d’un tel danger ?

SRILA PRABHUPADA: Tout repose sur l’acceptation des instructions absolues de Dieu par le roi. Dans la civilisation védique, le roi suit absolument les préceptes du Seigneur. Les activités du roi étaient d’abord confirmées par les saints et les sages avant d’être accomplies. Ce n’est pas que le roi agissait selon son caprice. Un comité consultatif formé de personnes saintes, versés dans les Védas, guidait le monarque qui incarnait donc le comité directeur absolu. Les ministres l’assistaient, mais le roi était éduqué par les instructions directes de Dieu. À titre d’exemple, Krishna donna de telles instructions au déva du soleil (Gîtâ 4:1) Selon la tradition védique, il existerait deux dynasties kshatriya (administrative) : l’une émane du déva du soleil (soûrya-vamsha), l’autre du déva de la lune (chandra-vamsha). Sûrya, le déva solaire, est le kshatriya originel; de lui est venu Vaivasvata Manou. Nous vivons présentement dans l’ère de ce Manou, dont le fils s’appelle Ikshvâkou. La Bhagavad-Gîtâ contient les instructions explicites de Krishna. Si les gouvernements du monde entier les adoptent, paix et bonheur régneront. Ce qui créera un monde parfait. Krishna a donné des instructions dans toutes les sphères d’activité; mais les gens sont si sots du fait de leurs inclinations démoniaques qu’ils cherchent à fabriquer de toutes pièces leurs propres standards. Si les chefs d’État sont individuellement ou collectivement dégradés, comment pourrait-on avoir un bon gouvernement ?

SYAMASUNDAR: Hobbes prétend qu’à l’état naturel, l’homme est pareil à tous les autres animaux. La force prime le droit et le plus fort l’emporte toujours. Il est donc nécessaire que les hommes concluent un contrat social et se proposent de restreindre les libertés naturelles en vue de l’autoconservation.

SRILA PRABHUPADA: Il ne s’agit pas ici de liberté naturelle, mais plutôt de liberté fantôme. Plusieurs sont possédés, et dans cette condition peu naturelle, ils pensent à tort : « Je suis Dieu. » Alors qu’il serait naturel de penser : « Je suis le serviteur de Dieu. » Toute condition dénuée de conscience de Krishna s’avère contre nature. Krishna est l’Être Suprême, auquel je suis subordonné. Mon devoir consiste ainsi à Le servir. Voilà notre position naturelle.

SYAMASUNDAR: Pourtant, quand des hommes se regroupent dans une société pour leur autoconservation, ils concluent un contrat selon lequel ils ne s’entre-tueront pas.

SRILA PRABHUPADA: Et pourquoi pas un troupeau d’ânes ? À quoi servirait-il ? Dois-je comprendre que si des ânes se rassemblent, il s’ensuivra quelque bien ? Ces fourbes concluent toujours des contrats à la suite d’une grande guerre. À la fin de la Première Guerre mondiale, ils ont conclu un contrat à travers la Société des Nations, mais en vain. Vint ensuite la Deuxième Guerre mondiale; ils ont alors formé les Nations Unies et conclu d’autres contrats. Tout cela disparaîtra avec le temps. Ces contrats et compromis peuvent servir quelques fins temporaires, mais ils n’en sont pas moins inutiles en dernière analyse.

SYAMASUNDAR: Les membres de la société proposent volontiers : « Je ne te tuerai pas et ne volerai pas tes biens, si tu ne me tues et ne me voles point. »

SRILA PRABHUPADA: Voilà un contrat de voleurs. Mais si, somme toute, vous demeurez un voleur, où est l’amélioration ? Des voleurs peuvent s’emparer d’objets précieux, puis se retrouver et dire : « Partageons ce butin de façon honnête. » Ce sont tous des voleurs, même s’ils parlent d’honnêteté entre eux.  À l’origine, tous ont immigré en Amérique dont ils ont volé toutes les terres aux Amérindiens. Maintenant, ces voleurs ont formé un gouvernement qui ne permet pas aux étrangers d’entrer dans ce pays sans visa, passeport, ... Voilà en quoi consiste leur moralité.

SYAMASUNDAR: Le contrat social de Hobbes s’apparente à l’inverse de la règle d’or : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent. »

SRILA PRABHUPADA: Telle était également la théorie du Bouddha. Celui-ci fit valoir que si quelqu’un nous blesse, nous en souffrons. Pourquoi dès lors blesser autrui ? Les êtres de troisième et de quatrième ordre doivent être instruits ainsi, bien sûr. Alors que dans la Bhagavad-Gîtâ, Krishna dit à Arjuna : « Tue-les! » La position de Krishna s’en trouve-t-elle dévalorisée pour autant ? C’est une question d’intelligence de la part des personnes impliquées.

SYAMASUNDAR: Hobbes cherche à déterminer comment la société pourrait vivre en paix.

SRILA PRABHUPADA: Plusieurs ont essayé, mais toujours en vain. La paix s’avère impossible en cet Univers matériel. Krishna dit clairement :

âbrahma-bhuvanâl lokâh punar âvartino ’rjuna
mâm upetya tu kaunteya punar janma na vidyate

«  Ô fils de Kountî, toutes les planètes de l’Univers, de la plus évoluée à la plus basse, sont des lieux de souffrance où se succèdent la naissance et la mort. Mais il n’est plus de renaissance pour l’âme qui atteint Mon royaume. » (Gîtâ 8:16) Puisque cet Univers est un lieu de souffrance, comment pourrions-nous y instaurer la paix ? Impossible. L’Univers matériel est ainsi structuré que la paix y est possible. Comme le dit si bien Srîla Vishvanâth Chakravartî Thâkour : samsara-dâvânala-lîdha-loka (Sri Gurv-astaka 1); l’Univers matériel est tout à fait comparable à un feu de forêt. Personne ne veut voir brûler la forêt, mais elle s’enflamme naturellement. Personne ne désire se battre, mais des combats éclatent néanmoins. Comment un contrat changerait-il quoi que ce soit ? Nous pensons qu’il fait bon vivre en l’Univers matériel, mais c’est comme l’homme qui croit que les excréments ne sont plus nauséabonds lorsqu’ils ont séché au soleil. Mais il s’agit toujours d’excréments. Padam padam yad vipadâm na tesâm (Bhâgavatam 10.14.58) On s’expose au danger à chaque pas en ce monde. À travers l’Histoire, les gens ont cherché à conclure des contrats de paix. Mais cela demeure impossible. On peut refuser de s’abandonenr à Krishna, mais la Nature ne le tolère pas. Si nous refusons de nous soumettre à Lui, la Nature nous châtira de façon à nous y contraindre finalement. Ainsi le veut la loi naturelle. C’est dans notre intérêt de s’abandonner volontiers à Krishna; sinon, les lois de la Nature sont si rigoureuses que nous ne connaîtrons jamais la moindre paix. À la fin, nous n’aurons d’autre choix que d’accepter cette vérité : vâsudevah sarvam iti – « Vâsoudeva – Krishna – est tout. » (Gîtâ 7:19) S’il nous faut, après plusieurs vies de lutte, arriver à cette conclusion, pourquoi perdre notre temps ? Pourquoi ne pas s’abandonner immédiatement à Krishna ? Autrement, nous devrons souffrir selon la loi de la Nature.

SYAMASUNDAR: On qualifie Hobbes d’utilitariste, car il n’accepte une chose que si elle se révèle utile ou pragmatique.

SRILA PRABHUPADA: C’est relatif. L’enfant est satisfait lorsqu’on lui offre cinq roupies; mais si on en donne autant à son père, celui-ci pensera : « À quoi pourrait bien me servir ces quelques pièces ? » L’utilité d’une telle somme s’avère donc relative. Hobbes n’a pas la même conception de l’utilité que Krishna. Arjuna croyait parler en érudit, mais Krishna lui dit aussitôt qu’il n’en était rien (Gîtâ 2:11). Tout cela est relatif. Le porc pense vivre dans le confort et manger somptueusement, alors qu’il vit dans les immondices et se nourrit d’excréments. Les corbeaux croient une chose et les cygnes croient autre chose. Un homme aussi imparfait que Hobbes peut croire qu’une chose est pragmatique, tandis qu’une âme parfaite jugera que le contraire l’est.

SYAMASUNDAR: Hobbes n’accepte la religion qu’en tant qu’instrument pratique. Il la dit sans valeur réelle comme science, mais qu’elle peut aider l’État à apaiser les gens ou les maintenir dans la confusion.

SRILA PRABHUPADA: Ce qui signifie qu’il ignore en quoi consiste la religion. De toute évidence, certains ont fait de la religion une sorte de foi, alors qu’en réalité la religion est synonyme de caractéristique inhérente. La religion est à l’être vivant ce que le goût sucré est au sucre : une caractéristique inhérente qui ne peut être séparée de son objet. Tout être vivant en sert un autre. Chacun est subordonné à autrui ou encore à ses sens. C’est un trait caractéristique de l’être vivant que d’être subordonné et de servir. Dans la Bhagavad-Gîtâ (18:66), Krishna dit : « Abandonne-toi à Moi. » Voilà notre premier devoir. Or, nous sommes trop occupés à chercher à devenir Krishna. Aussi disons-nous : « Je suis Dieu », ou « tu es Dieu », ou encore « nous sommes tous Dieu. » L’être distinct n’est pas le Dieu Suprême, mais il s’amuse à l’être. Quand l’homme est possédé par quelque fantôme, il profère tant d’inepties. L’être sous l’emprise de l’énergie matérielle en fait autant.

SYAMASUNDAR: Que penser alors de cette notion d’utilité ? Que pensez-vous de l’idée d’accepter une chose seulement si elle se révèle utile ?

SRILA PRABHUPADA: C’est par sottise que nous acceptons ce qui n’est utile que de façon temporaire. Nous devons plutôt aspirer à la vie éternelle. Nous désirons ce qui s’avère utile de toute éternité, mais l’Univers matériel nous frustre toujours. Nous voulons vivre ici en permanence, mais la Nature ne le permet pas. Même si aucune guerre ne vient nous troubler, nous ne pourrons pas pour autant demeurer en ce monde.

SYAMASUNDAR: L’utilitariste dirait qu’une chose doit seulement être utilisée en autant qu’elle s’avère utile. Puis, on pourra la remplacer et ainsi ajuster les circonstances en notre faveur indéfiniment.

SRILA PRABHUPADA: Mais de surcroît, personne ne veut accepter quelque changement que ce soit. Pourquoi ? On aspire à la permanence parce qu’on est en quête de notre nature éternelle, spirituelle.

SYAMASUNDAR: Hobbes dirait que même si on recherche l’éternel, on peut se servir de choses temporaires tant qu’elles sont utiles.

SRILA PRABHUPADA: Il faut d’abord savoir en quoi consiste notre vie éternelle; alors pourrons-nous chercher à employer tout ce qui servirait cette fin. Krishna incarne le but ultime et tout ce qui favoriserait notre progrès dans Sa direction doit être accepté. Voilà en quoi consiste le véritable utilitarisme. À titre d’exemple, Arjouna disait : « Dois-je tuer ou non ? Krishna veut que je donne la mort. D’accord. »

SYAMASUNDAR: Pour Hobbes, le but serait une société paisible.

SRILA PRABHUPADA: Ce qui est impossible. Le but doit être le développement de la conscience de Krishna. La paix s’ensuivra automatiquement.

SYAMASUNDAR: L’utilitarisme de Hobbes signifie accepter tout ce qui favoriserait la préservation de la société.

SRILA PRABHUPADA: De toute façon, la société ne pourra pas être préservée indéfiniment. Tant de sociétés sont apparues pour ensuite disparaître : l’empire britannique, l’empire romain, l’empire grec. Seule la société de Krishna se révèle éternelle. Savoir cela est synonyme d’intelligence. Nitya-lîlâ pravishta : « Il fait désormais partie de l’éternelle société de Krishna. » Voilà ce qu’on dit quand notre gourou quitte ce monde. Nous acceptons Krishna comme l’Être Suprême et nous Le glorifions ici-bas sur la Terre. Nous en ferons autant là-haut dans le monde spirituel, séjour de Krishna. Mais tout se déroulera dans la perfection. Alors qu’en ce monde, nous nous entraînons simplement.