SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 6
CHAPITRE 1

La vie d'Ajamila.

VERSET 46

yatheha deva-pravaras
trai-vidhyam upalabhyate
bhutesu guna-vaicitryat
tathanyatranumiyate

TRADUCTION

O vous, les meilleurs des devas, nous dénombrons trois types d'existences, selon l'influence exercée par les différents gunas. Ainsi les êtres vivants peuvent-ils être classés comme paisibles, fébriles et étourdis, ou comme heureux, malheureux et entre les deux, ou encore comme vertueux, impies et à moitié religieux. Nous pouvons en déduire que, dans la prochaine vie, ces trois sortes d'influences matérielles continueront d'agir de façon analogue.

TENEUR ET PORTEE

L'influence des trois gunas et ses conséquences sont visibles en cette vie. A titre d'exemple, certains se sentent très heureux, d'autres très malheureux, et d'autres encore entre les deux; or, c'est là le résultat d'un contact passé avec les trois gunas (la vertu, la passion et l'ignorance). Etant donné que ces différences sont manifestes au cours de cette vie, nous pouvons supposer qu'en fonction de leurs rapports avec les différents gunas, les êtres vivants seront également heureux, malheureux ou entre les deux lors de leur prochaine vie. Le mieux sera donc de se dissocier des trois attributs de la nature matérielle et de transcender pour toujours leur influence contaminante. Toutefois ceci n'est possible que lorsqu'on se voue entièrement au service de dévotion offert à Dieu. C'est ce que confirme Krsna Lui-même dans la Bhagavad-gita (XIV.26):

mam ca yo vyabhicarena
bhakti-yogena sevate
sa gunan samatityaitan
brahma-bhuyaya kalpate

"Celui qui tout entier s'absorbe dans le service de dévotion, sans jamais faillir, transcende dès lors les trois gunas et atteint par là le niveau spirituel." A moins d'être pleinement absorbé dans le service du Seigneur, on reste exposé à la souillure des trois attributs de la nature matérielle, de telle sorte qu'on doit subir les souffrances liées au malheur ou à un mélange de bonheur et de malheur.

VERSET 47

vartamano nyayoh kalo
gunabhijnapako yatha
evam janmanyayor etad
dharmadharma-nidarsanam

TRADUCTION

Tout comme le printemps nous donne une idée de la nature des printemps passés et futurs, une vie de bonheur, de malheur ou de sentiments mixtes permet de déterminer la proportion des actes vertueux et impies des vies passées et futures.

TENEUR ET PORTEE

Il n'est pas très difficile de connaître son passé et son avenir, car le temps reflète la contamination des trois gunas. A titre d'exemple, dès qu'arrive le printemps, ses manifestations habituelles, sous forme de fleurs et de fruits, ne manquent pas de l'accompagner, ce qui nous permet d'en déduire que les printemps passés se sont déroulés de la même façon et qu'il en sera de même à l'avenir. Nos naissances et nos morts se succèdent également dans le temps, et selon l'influence des gunas, nous recevons divers corps et nous sommes soumis à diverses conditions.

VERSET 48

manasaiva pure devah
purva-rupam vipasyati
anumimamsate purvam
manasa bhagavan ajah

TRADUCTION

Le tout-puissant Yamaraja vaut tout autant que Brahma, car de son royaume, ou du coeur de chaque être —comme le Paramatma—, il observe mentalement les actes passés d'un individu et comprend ainsi comment il agira dans les vies à venir.

TENEUR ET PORTEE

Il ne faut pas considérer Yamaraja comme un être ordinaire. Il est l'égal de Brahma, et bénéficie de l'entière coopération du Seigneur Suprême, présent dans le coeur de chaque être; c'est ainsi que, par la grâce de l'Ame Suprême, il peut, de l'intérieur, percevoir le passé, le présent et l'avenir de tous les êtres vivants. Le mot anumimamsate signifie précisément qu'il est en mesure de prononcer un jugement après consultation de l'Ame Suprême —le préfixe anu ayant le sens de "suivant". Les décisions concernant les vies futures d'un individu donné sont en réalité prises par l'Ame Suprême, et mises à exécution par Yamaraja.

VERSET 49

yathajnas tamasa yukta
upaste vyaktam eva hi
na veda purvam aparam
nasta-janma-smrtis tatha

TRADUCTION

De même qu'une personne agit dans son sommeil en fonction du corps qu'elle revêt au cours de son rêve et qu'elle considère comme son être propre, chacun s'identifie à son corps présent, fruit de ses actes passés vertueux ou impies, et demeure incapable de connaître ses vies passées ou futures.

TENEUR ET PORTEE

L'homme se livre au péché car il ignore les actes de sa vie passée qui lui ont valu sa condition présente, dans un corps matériel exposé aux trois formes de souffrances. Rsabhadeva enseigne dans le Srimad-Bhagavatam (5.5.4): nunam pramattah kurute vikarma —l'homme qui est pris d'un besoin éperdu de plaisirs matériels n'hésite pas à pécher. Yad indriya-pritaya aprnoti: il commet des actes répréhensibles à seule fin de satisfaire ses sens. Na sadhu manye: mais cela n'a rien de bon. Yata atmano yam asann api klesada asa dehah: du fait de ses péchés, il devra recevoir un autre corps dans lequel il souffrira tout comme il souffre maintenant par suite de ses fautes passées.

Il faut bien comprendre qu'une personne privée du savoir védique agit constamment dans l'ignorance de ce qu'elle a pu faire par le passé, de ce qu'elle fait maintenant et de la façon dont elle souffrira à l'avenir; elle est plongée dans les ténèbres. C'est pourquoi les Vedas prescrivent: tamasi ma —"Ne restez pas dans les ténèbres"; jyotir gama —"Efforcez-vous de rejoindre la lumière." Cette lumière, c'est le savoir védique, que l'on peut comprendre une fois que l'on a atteint le niveau de la vertu, ou lorsqu'on transcende la vertu en adoptant la pratique du service de dévotion offert au maître spirituel et au Seigneur Suprême. C'est ce qu'explique la Svetasvatara Upanisad (6.23):

yasya deve para bhaktir
yatha deve tatha gurau
tasyaite kathita hy arthah
prakasante mahatmanah

"Le sens et la portée du savoir védique ne se révèlent dans toute leur plénitude, et d'un coup, qu'aux grandes âmes douées de foi sans réserve en Dieu et en le maître spirituel." Les Vedas nous enjoignent en outre: tat-vijna-nartham sa gurum evabhigacchet —il faut approcher un maître spirituel qui connaît parfaitement les Vedas et se laisser guider par lui avec foi de manière à devenir un dévot du Seigneur; la connaissance des Vedas nous sera alors révélée. Une fois éclairés par ce savoir, nous n'aurons plus à demeurer prisonniers des ténèbres de la nature matérielle.

Selon sa relation avec les attributs de la nature matérielle (la vertu, la passion et l'ignorance), l'être incarné obtient un type de corps particulier. Ainsi, un brahmana digne de ce nom est l'exemple d'une personne vivant dans la vertu. Il connaît le passé, le présent et l'avenir, car il consulte les Textes védiques et voit par les yeux des sastras (sastra-caksuh). Il peut comprendre ce qu'était sa vie passée, pourquoi il se trouve dans son corps présent, et comment il peut se libérer de l'emprise de maya pour ne plus avoir à revêtir d'autres corps matériels. Tout cela est possible lorsqu'on s'établit dans la vertu. Néanmoins, la généralité des êtres reste profondément ancrée dans la passion et l'ignorance.

Dans tous les cas, c'est selon le jugement de Dieu, sous la forme du Paramatma, que nous recevons des corps de nature inférieure ou supérieure. Reprenons le verset précédent:

manasaiva pure devah
purva-rupam vipasyati
anumimamsate purvam
manasa bhagavan ajah

Tout dépend de bhagavan, de l'ajah, le Non-né. Pourquoi donc ne pas satisfaire Bhagavan en vue de recevoir un meilleur corps, sinon par ignorance profonde (ajnas tamasa)? Quiconque est plongé dans l'obscurité totale ne peut savoir ce qu'était sa vie passée ni ce que sera sa vie prochaine; il ne s'intéresse qu'à son corps actuel. Même s'il possède une forme humaine, celui qui subit l'influence de l'ignorance et qui n'est concerné que par son corps matériel ne vaut guère mieux qu'un animal; en effet, l'animal, prisonnier de l'ignorance, croit que le plus grand bonheur et le but ultime de la vie consistent à manger autant que possible. L'homme doit être instruit de telle sorte qu'il comprenne quelle fut sa vie passée et comment il peut améliorer sa condition future. Il existe même un ouvrage, appelé Bhrgu-samhita, qui nous donne des informations sur nos vies passées, présente et futures en fonction de calculs astrologiques. D'une façon ou d'une autre, chacun doit être éclairé quant à son passé, son présent et son avenir. Celui qui ne s'intéresse qu'à son corps actuel et qui cherche à jouir de ses sens autant que faire se peut révèle ainsi qu'il est submergé par l'influence de l'ignorance, et son avenir est des plus sombres. De fait, l'avenir est toujours sombre pour ceux qui sont la proie de l'ignorance grossière. Tout particulièrement au cours de l'ère où nous vivons, la société subit l'influence de l'ignorance, de telle sorte que chacun considère son corps actuel comme la seule chose importante, sans considération aucune du passé ou de l'avenir.

VERSET 50

pancabhih kurute svarthan
panca vedatha pancabhih
ekas tu sodasena trin
svayam saptadaso snute

TRADUCTION

Au-delà des cinq organes de perception, des cinq organes d'action et des cinq objets des sens se trouve le mental, qui représente le seizième élément. Mais au-delà du mental s'en trouve un dix-septième, l'être vivant lui-même, l'âme, qui, en collaboration avec les seize autres, jouit seul de l'univers matériel. Il connaît ainsi trois sortes de situations —le bonheur, le malheur et un mélange des deux.

TENEUR ET PORTEE

Chacun agit avec ses mains, ses jambes et ses autres organes d'action à seule fin d'atteindre un certain but, qui est l'aboutissement de ses conceptions personnelles. L'homme essaie ainsi de jouir des cinq objets des sens —les formes, les sons, les saveurs, les odeurs et les corps touchés, ignorant tout du but réel de l'existence qui consiste à agir pour la satisfaction du Seigneur Suprême. Pour avoir désobéi à Dieu, il se voit plongé dans des conditions d'existence matérielles, après quoi il s'efforce d'améliorer sa situation, mais toujours selon ses propres conceptions arbitraires, sans aucun désir d'obéir aux instructions du Seigneur Souverain. Néanmoins, Celui-ci est tellement bienveillant qu'Il vient personnellement en ce monde instruire les âmes égarées sur la manière d'agir en accord avec Sa volonté pour ainsi retourner peu à peu dans le monde spirituel, leur demeure originelle, où elles jouiront de la vie éternelle, toute de connaissance, de paix et de félicité.

L'être conditionné possède un corps, qui est un mélange très complexe d'éléments matériels, et dans ce corps il lutte seul, comme l'indiquent dans ce verset les mots ekas tu. Prenons l'exemple d'un homme se débattant pour survivre dans l'océan; il ne peut compter sur personne et doit nager seul, par lui-même. Même si de nombreux autres hommes et animaux aquatiques se trouvent également dans l'océan, il doit s'occuper de lui-même, car personne ne lui viendra en aide. Voilà pourquoi notre verset souligne que le dix-septième élément, l'âme, doit agir seul. En dépit de ses efforts pour créer des liens sociaux, des amitiés et des amours en ce monde, nul ne peut l'aider sinon Krsna, le Seigneur Suprême. Sa seule préoccupation devrait donc être d'agir pour la satisfaction de Krsna. C'est d'ailleurs là le désir du Seigneur: sarva dharman parityajya mam ekam saranam vraja. Les hommes illusionnés par les conditions matérielles auxquelles ils sont soumis cherchent à s'unir, mais toutes leurs tentatives en vue de rassembler hommes et nations se révèlent futiles. Pour mener sa vie, chacun doit lutter seul contre les éléments de la nature. Ainsi que Krsna le recommande, notre seul espoir réside donc dans l'abandon à Sa Personne, car Lui peut nous aider à sortir de l'océan de l'ignorance. C'est pourquoi Sri Caitanya Mahaprabhu priait ainsi:

ayi nanda-tanuja kinkaram
patitam mam visame bhavambudhau
krpaya tava pada-pankaja-
sthita-dhuli-sadrsam vicintaya

"Je suis Ton serviteur éternel, ô Krsna, fils chéri de Nanda Maharaja, et cependant, pour quelque raison me voilà tombé dans cet océan de l'existence matérielle. Malgré mes efforts acharnés, je ne peux me sauver moi-même; je ne serai sauvé que si Tu m'arraches à ces vagues de morts et de renaissances pour me changer en un atome de poussière sous Tes pieds pareils-au-lotus." (Siksastaka,V). Et d'une manière analogue, Bhaktivinoda Thakura disait:

anadi karama-phale, padi bhavarnava-jale,
taribare na dekhi upaya

"Seigneur bien-aimé, je ne peux me rappeler à quel moment j'ai sombré dans cet océan d'ignorance, et maintenant je ne vois pas comment je peux me tirer tout seul de cette situation." Nous devons nous rappeler que chaque individu est responsable de sa propre vie, et que seul celui qui devient un pur dévot de Krsna est alors libéré de l'océan de l'ignorance.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare