SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 6 CHAPITRE 1 La vie d'Ajamila.
sri-badarayanir uvaca
karmana karma-nirharo na hy atyantika isyate avidvad-adhikaritvat prayascittam vimarsanam
O roi, puisque les actions destinées à neutraliser les péchés sont également de nature intéressée, elles ne peuvent délivrer leur auteur de sa tendance à vouloir jouir du fruit de ses actes. Aussi, ceux qui se soumettent aux règles de l'expiation se montrent dépourvus de toute intelligence; pour tout dire, ils sont plongés dans l'ignorance. A moins d'être libéré de ces ténèbres, tout effort destiné à neutraliser une action au moyen d'une autre restera vain, car on ne peut extirper ses désirs de la sorte. Par suite, même un homme apparemment vertueux aura sans aucun doute tendance à commettre des actes impies. C'est pourquoi la véritable expiation réside dans l'illumination que confère le parfait savoir, le Vedanta, par lequel on peut comprendre la Vérité Suprême et Absolue.
Sukadeva Gosvami, le guru, a mis à l'épreuve Pariksit Maharaja, et il est manifeste que le roi a réussi la première partie de l'examen en rejetant la voie de l'expiation, car elle relève de l'action intéressée. Maintenant, Sukadeva Gosvami suggère de recourir à la connaissance spéculative; s'élevant du niveau du karma-kanda à celui du jnana-kanda, il déclare que la véritable expiation réside dans la connaissance parfaite (prayascittam vimarsanam). Le mot vimarsana indique le développement du savoir spéculatif. Dans la Bhagavad-gita (VII.15), Krsna compare les karmis, qui sont dénués de savoir, à des ânes.
nasnatah pathyam evannam
vyadhayo bhibhavanti hi evam niyamakrd rajan sanaih ksemaya kalpate
On se purifie peu à peu par le développement du savoir, même spéculatif, et par l'observance stricte des principes régulateurs prescrits par les sastras et expliqués dans le verset suivant. En conséquence, le niveau du jnana, ou du savoir spéculatif, est plus élevé que celui du karma, ou de l'action intéressée. Au niveau du karma, on a toutes les chances de déchoir jusqu'à sombrer dans des conditions de vie infernales, tandis que le jnani, lui, échappe à cet enfer, mais sans pour autant être totalement guéri de l'infection matérielle. La difficulté réside dans le fait qu'au niveau du jnana on se croit libéré et devenu Narayana, ou Bhagavan, ce qui est une autre phase de l'ignorance.
tapasa brahmacaryena
samena ca damena ca tyagena satya-saucabhyam yamena niyamena va
deha-vag-buddhijam dhira
Le Smrti-sastra explique comme suit le mot tapah: manasas cendriyanam ca aikagryam paramam tapah —"La parfaite maîtrise du mental et des sens, ainsi que leur totale concentration sur un type d'activité donné, constitue ce qu'on appelle le tapah." Or, notre Mouvement pour la Conscience de Krsna enseigne à tous la manière de concentrer son mental sur le service de dévotion. Telle est la plus haute forme de tapah. Le brahmacarya, ou célibat, comporte huit aspects: ne pas penser aux femmes, ne pas parler d'activités sexuelles, ne pas s'attarder auprès des femmes, ne pas les regarder avec concupiscence, ne pas échanger de propos intimes avec elles, ne pas envisager de se livrer à l'acte sexuel, ne pas chercher à avoir de relations sexuelles avec les femmes, et enfin, ne pas se livrer à proprement parler à l'union charnelle. Il ne faut même pas penser aux femmes ou les regarder, et encore moins leur parler; voilà ce qu'est le brahmacarya de premier ordre. Si un brahmacari ou un sannyasi échangent des propos avec une femme en un lieu solitaire, ils auront la possibilité d'avoir des rapports sexuels sans que personne n'en ait connaissance. C'est pourquoi un véritable brahmacari adopte un comportement radicalement opposé. Le parfait brahmacari peut très facilement être maître de son mental et de ses sens, faire des dons charitables, dire la vérité, et ainsi de suite. Toutefois il faut commencer par acquérir la maîtrise de la langue et réglementer l'absorption de nourriture. Celui qui adopte la voie du service de dévotion, ou bhakti-marga, doit strictement en observer les règles en restant tout d'abord maître de sa langue (sevon-mukhe hi jihvadau svayam eva sphuraty adah). Cette maîtrise de la langue (jihva) peut être obtenue en récitant le maha-mantra Hare Krsna, en ne parlant d'aucun sujet autre que ceux qui concernent Krsna, et en ne prenant aucune nourriture qui n'a pas d'abord été offerte à Krsna. Si l'on parvient à maîtriser ainsi sa langue, le brahmacarya, de même que les autres principes de purification, suivront automatiquement. Le prochain verset explique que la voie du service de dévotion est parfaite en tout point, et donc supérieure à celles de l'action intéressée et du développement de la connaissance. Citant les Vedas, Srila Viraraghava Acarya explique que l'austérité implique l'observance de jeûnes aussi complets que possible (tapasanasakena). Srila Rupa Gosvami a d'ailleurs également enseigné que l'atyahara, c'est-à-dire, le fait de trop manger, représente un obstacle sur la voie du progrès spirituel. Krsna Lui-même n'affirme-t-Il pas dans la Bhagavad-gita (VI.17):
Dans le quatorzième verset, le mot dhirah, signifiant "ceux qui ne sont troublés en aucune circonstance", est particulièrement important. Krsna enseigne en effet à Arjuna dans la Bhagavad-gita (II.14):
kecit kevalaya bhaktya
vasudeva-parayanah agham dhunvanti kartsnyena niharam iva bhaskarah
Dans le verset précédent, Sukadeva Gosvami utilise comme élément de comparaison les plantes au feuillage desséché qui poussent au pied des bambous: même si elles sont complètement réduites en cendres, elles risquent de repousser du fait que leurs racines se trouvent encore dans le sol. De même, parce que la racine des désirs pécheurs n'est pas encore détruite dans le coeur de celui qui poursuit la connaissance sans avoir d'attirance pour le service de dévotion, il est fort possible que ces désirs impurs se manifestent à nouveau. Comme l'enseigne le Srimad-Bhagavatam (10.14.4):
Du fait que Maharaja Pariksit était un grand bhakta, les réponses de son guru, Sukadeva Gosvami, à propos du karma-kanda et du jnana-kanda ne pouvaient le satisfaire. C'est pourquoi Sukadeva Gosvami, connaissant très bien le coeur de son disciple, finit par lui parler de la félicité spirituelle et absolue qui s'attache au service de dévotion. Le mot kecit, utilisé dans le présent verset, signifie "quelques personnes, mais pas toutes". En effet, tout le monde ne peut pas devenir conscient de Krsna. Comme l'explique Krsna Lui-même dans la Bhagavad-gita (VII.3):
Pour souligner la pureté de la bhakti, du service de dévotion, Srila Rupa Gosvami écrit dans son Bhakti-rasamrta-sindhu (1.1.11):
Les abhaktas doivent subir diverses tribulations matérielles du fait de leur tendance à commettre des actes intéressés répréhensibles. Sous l'influence de l'ignorance, le désir de pécher persiste dans leur coeur. Ces actes pécheurs peuvent être divisés en trois catégories: pataka, maha-pataka et atipataka, ou encore en deux groupes: prarabdha et aprarabdha. Le premier groupe (prarabdha) désigne les fautes pour lesquelles nous souffrons à l'heure actuelle, alors que le second (aprarabdha) se rapporte à celles pour lesquelles nous devrons souffrir plus tard. Ainsi, lorsque la semence (bija) des conséquences de nos fautes n'a pas encore fructifié, elles sont dites aprarabdha. Ces graines du péché demeurent imperceptibles, mais elles sont innombrables, et nul ne peut déterminer à quand remonte leur apparition. C'est à cause de ces semences impures ayant déjà fructifié (prarabdha) qu'une personne naît au sein d'une famille de basse condition ou endure divers autres maux. Cependant, lorsqu'on adopte le service de dévotion, toutes les phases de la vie pécheresse —prarabdha, aprarabdha et bija— sont anéanties. Dans le Srimad-Bhagavatam (11.14.19), Sri Krsna dit à Uddhava:
De son côté, le Padma Purana enseigne que ceux dont le coeur reste constamment attaché au service de dévotion offert à Visnu se voient aussitôt affranchis de toutes les conséquences de leur vie pécheresse. Ces réactions se manifestent généralement en quatre phases; certaines sont prêtes à porter leurs fruits, d'autres affectent la forme de semence, d'autres sont encore non manifestées, et les dernières ont déjà cours. Or, le service de dévotion réduit aussitôt à néant toutes ces réactions dues à nos fautes. Lorsque le service de dévotion habite le coeur d'une personne, aucun désir d'agir de façon répréhensible n'y a plus sa place. La vie pécheresse résulte de l'ignorance, c'est-à-dire de l'oubli de notre position naturelle et éternelle de serviteur de Dieu; mais dès qu'une personne devient pleinement consciente de Krsna, elle réalise qu'elle est l'éternel serviteur de Krsna. A cet égard, Srila Jiva Gosvami fait observer que la bhakti comporte deux divisions: celle du service de dévotion qui se poursuit de façon ininterrompue avec foi et amour (santata), et celle du service de dévotion qui n'est pas continu et ne se manifeste que par intervalles (kadacitki). Le premier (santata) se subdivise à son tour en deux catégories: le service accompli avec un léger attachement, et le service de dévotion spontané. Le second (kadacitki), se subdivise encore en trois catégories: le service de dévotion où l'on a presque de l'attachement (ragabhasamayi), le service de dévotion dénué d'amour spontané mais marqué d'un goût pour l'activité naturelle qui consiste à servir (ragabhasa-sunya-svarupa-bhuta), et le service de dévotion à peine manifesté (abhasa-rupa). Or, en ce qui concerne l'expiation (prayascitta), une légère manifestation du service de dévotion suffit à en faire disparaître le besoin. Par suite, l'expiation est certes inutile pour qui a réussi à manifester une affection spontanée pour le Seigneur, et même de l'attachement et de l'amour pour Lui —autant de signes de progrès sur la voie du kadacitki. Même au niveau de l'abhasa-rupa bhakti, toutes les suites de nos fautes sont extirpées et réduites à néant. Selon Srila Jiva Gosvami, le mot kartsnyena signifie que même si l'on a le désir de commettre des actions répréhensibles, les racines de ce désir sont détruites par la simple apparition de l'abhasa-rupa bhakti. L'exemple du soleil (bhaskara) est tout à fait approprié à cet égard. L'aspect abhasa de la bhakti peut être comparé aux premières lueurs de l'aube et l'amas de nos actes pécheurs au brouillard. Puisque le brouillard ne s'étend pas sur l'ensemble du ciel, le soleil n'a qu'à montrer ses premiers rayons pour qu'aussitôt celui-ci se dissipe. Dans le même ordre d'idée, celui qui a ne serait-ce qu'un faible contact avec le service de dévotion voit aussitôt disparaître tout le brouillard de sa vie pécheresse.
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