Premier chapitre.
Sur le champ de bataille de Kuruksetra.
VERSET 39
kula-ksaye pranasyanti kula-dharmah sanatanah dharme naste kulam krtsnam adharmo ’bhibhavaty uta
TRADUCTION La destruction d'une famille entraîne l'effondrement des traditions éternelles; ses derniers représentants sombrent alors dans l'irréligion.
TENEUR ET PORTEE
Le varnasrama-dharma comprend maints principes moraux dont le rôle est de permettre aux membres d'une famille de grandir en force et en sagesse d'assimiler graduellement, tout au long de leur existence, les valeurs spiriuelles. Ce sont les anciens qui, dans leur famille, ont la responsabilité de veiller à l'application de ces principes. Leur trépas risque donc de marquer l'interruption de ces pratiques, ce qui conduirait leur descendance à tomber ans l'irréligion, à perdre ainsi toute possibilité de libération spirituelle. Faire périr les anciens est, par suite, une faute capitale.
VERSET 40
TRADUCTION Lorsque l'impiété, ô Krsna, règne dans une famille, les femmes se corrompent, et de leur dégradation, ô descendant de Vrsni, naît une progéniture indésirable.
TENEUR ET PORTEE Une population saine est le principe fondamental de la paix, de la prospérité et du progrès spirituel dans la société des hommes. Les principes moraux du varnasrama-dharma furent donc conçus de façon à diriger la société tout entière vers le progrès spirituel en y assurant le maintien de la vertu. La pureté d'une population dépend de la chasteté et de la fidélité des femmes. Or, de même qu'un enfant se laisse facilement abuser, une femme a tendance à se laisser corrompre. Pour cette raison, tous deux ont besoin de la protection des aînés de la famille. Selon Cânakya Pandita, l'intelligence des femmes est généralement de moindre vigueur, aussi est-il difficile de leur donner pleine confiance. Mais si leur chasteté et leur dévotion sont sauvegardées grâce à divers actes de piété et au respect des traditions familiales, elles ne se laisseront pas entraîner dans l'adultère et engendreront une descendance vertueuse, capable de participer au varnasrama-dharma. Au contraire, que ce système social ne soit pas respecté, et le commerce assidu entre hommes et femmes conduit à l'adultère, avec le risque d'engendrer une population indésirable. Par la faute d'hommes irresponsables, des enfants souillés, indésirés, envahissent la société, d'où viennent ensuite guerres et épidémies.
VERSET 41
TRADUCTION L'accroissement du nombre de ces indésirables engendre pour la famille, et pour ceux qui en ont détruit les traditions, une vie d'enfer. Les ancêtres sont oubliés, on cesse de leur offrir les oblations d'eau et de nourriture.
TENEUR ET PORTEE Les traditions védiques concernant la poursuite des bienfaits matériels veulent que l'on offre régulièrement des oblations d'eau et de nourriture aux ancêtres de la famille. On offre d'abord cette nourriture à Visnu, puis on en présente aux ancêtres les restes sanctifiés appelés "prasada". En effet, les aliments d'abord offerts à Visnu ont le pouvoir de délivrer un homme des conséquences de tous ses actes coupables. Il se peut que nos ancêtres souffrent encore des conséquences de leurs péchés, qu'ils ne puissent même obtenir un corps physique et soient obligés de demeurer dans leur corps subtil, à l'état d'esprits. Leur offrir ce prasada, c'est leur permettre d'échapper aux conditions misérables où ils peuvent se trouver. Ce service est une tradition familiale; tous ceux qui ne se vouent pas au service direct de Dieu en sont tenus d'exécuter ces rites. Le bhakta n'a pas ce devoir, car il lui est donné, par la seule grâce de ses actes dévotionnels, de libérer des milliers d'ancêtres. Le Srimad-Bhagavatam dit à ce propos:
"Quiconque a pris refuge aux pieds pareils-au-lotus* de Mukunda, le pourvoyeur de la libération, quiconque s'est défait de tout lien et s'est sérieusement engagé sur la voie de la dévotion, n'a plus ni devoirs ni obligations envers les devas, les sages, sa famille, ses ancêtres, l'humanité et les êtres en général."(1) Le bhakta remplit d'un coup toutes ces obligations par le fait qu'il sert Dieu, la Personne Suprême.
VERSET 42
TRADUCTION Ceux qui, par leurs actes irresponsables, brisent la tradition du lignage, ceux-là provoquent l'abandon des principes grâce auxquels prospérité et harmonie règnent au sein de la famille et de la nation.
TENEUR ET PORTEE Les principes qui, dans le varasrama-dharma (aussi appelé sanatana-dharma), régissent la famille et la société, ont pour but de permettre aux hommes d'atteindre l'ultime salut. Lorsque des chefs d'Etat irresponsables brisent ces traditions, la confusion qui en résulte fait oublier à la société que le but de toute existence est Visnu, Krsna. Ceux qui suivent ces dirigeants aveugles sont certains d'aboutir au chaos.
VERSET 43
TRADUCTION Je le tiens de source autorisée, ô Krsna: ceux qui détruisent les traditions familiales vivent à jamais en enfer.
TENEUR ET PORTEE
Les arguments d'Arjuna ne viennent pas d'une expérience personnelle, mais de ce qu'il a entendu des lèvres de ceux qui transmettent la connaissance sans l'altérer. La vraie connaissance s'acquiert de cette façon; on ne peut l'obtenir sans l'aide d'un maître qui la possède déjà parfaitement. Selon le varnasrama-dharma, l'homme doit procéder, avant la mort, à une cérémonie d'ablution (prayascitta), destinée à le purifier de tous ses actes coupables. S'il y manque, ses actions déméritoires le forceront à renaître sur des planètes infernales*, où il mènera une vie des plus misérables.
VERSET 44
aho bata mahat papam kartum vyavasita vayam yad rajya-sukha-lobhena hantum sva-janam udyatah
TRADUCTION Hélas, par soif des plaisirs de la royauté, n'est-il pas étrange que nous nous apprêtions maintenant à commettre de si grands crimes?
TENEUR ET PORTEE Des motifs égolistes peuvent pousser l'homme à commettre de grands péchés, comme le meurtre d'un membre de sa famille. L'histoire du monde en offre de nombreux exemples. Mais Arjuna est un bhakta, toujours conscient des principes moraux; aussi prend-il soin d'éviter de tels actes.
VERSET 45
TRADUCTION Mieux vaut mourir de la main des fils de Dhrtaràstra, sans armes et sans faire de résistance, que de lutter contre eux.
TENEUR ET PORTEE Les principes militaires du ksatriya lui ordonnent de ne pas attaquer un ennemi désarmé, ou qui refuse la lutte. Sans tenir compte de l'immense désir de lutte animant l'ennemi, Arjuna se refuse au combat, même s'il est attaqué. Son attitude résulte d'une grande bonté, signe de son ardente dévotion pour le Seigneur.
VERSET 46
TRADUCTION
Sanjaya dit:
TENEUR ET PORTEE Arjuna se tenait debout sur son char tant qu'il observait l'armée ennemie. Mais une telle détresse l'accable maintenant devant ce qu'il a vu qu'il se sied, posant à côté de lui son arc et ses flèches. Seul celui qui, voué au Signeur, possède la grandeur d'âme et la tendresse de coeur d'Arjuna, est digne de recevoir la connaissance spirituelle. Ainsi s'achèvent les enseignements de Bhaktivedanta sur le premier chapitre de la Srîmad-Bhagavad-gîtâ, intitulé: "Sur le champ de bataille de Kuruksetra". |