Treizième.
La prakri, le purusa et la concience.
VERSET 1-2
sri-bhagavan uvaca TRADUCTION
Arjuna dit: TENEUR ET PORTEE Arjuna s'interroge ici sur la prakrti (la nature), le purusa (celui qui en a jouissance), le ksetra (le champ), le ksetrajna (le connaissant du champ), le savoir et l'objet du savoir. En réponse à ses questions sur le champ et le connaissant du champ, Krsna les lui décrit respectivement comme le corps et le connaissant du corps. Le corps est le champ d'action de l'âme conditionnée. Celle-ci, prisonnière de l'existence matérielle, s'efforce de dominer la nature matérielle, de tirer le maximum de plaisir de ses sens; et son champ d'action, c'est-à-dire le corps qu'elle obtient, constitué par les organes des sens, est déterminé par le caractère de son désir de domination et de plaisir. Le ksetrajna, le connaissant du champ, est celui qui réside dans le corps, le champ d'action (ksetra). Il n'est guère difficile de saisir la différence qui existe entre le champ, le corps, et son connaissant. N'importe qui peut constater que le corps passe de l'enfance à la vieillesse en subissant plusieurs changements, mais que la personne, elle, demeure la même. Il y a donc une différence entre le connaissant du champ d'action et le champ d'action proprement dit. Ainsi, l'âme conditionnée peut comprendre qu'elle est bien distincte de son corps, comme l'expliquaient déjà les premiers versets de la Bhagavad-gita: l'être vit à l'intérieur du corps, qui passe de l'enfance à l'adolescence, puis à l'âge mûr et à la vieillesse, et celui qui possède le corps le sait en perpétuel changement. Le possesseur du champ est distinctement le ksetrajna: "Je suis heureux", "Je suis en colère", "Je suis une femme", "Je suis un chien", "Je suis un chat": c'est toujours le connaissant du champ qui parle, différent de ce champ. Nous savons sans peine que nous sommes distincts de nos vêtements, comme de tous les objets que nous utilisons; de même, il n'est pas besoin d'aller bien loin pour comprendre que nous sommes également distincts du corps que nous revêtons. Les six premiers chapitres ont décrit ce connaissant du champ, l'être distinct, et les conditions par quoi il peut connaître Dieu, l'Etre Suprême. Les six chapitres moyens ont à leur tour décrit le Seigneur et, en regard du service de dévotion, la relation unissant l'âme distincte à l'Ame Suprême. La suprématie de Dieu et la position subordonnée de l'être distinct y furent aussi clairement établies: l'âme infinitésimale est toujours subordonnée à l'Ame Suprême, mais l'oubli de sa position engendre la souffrance. Toutefois, éclairée par des actes vertueux, elle peut se ranger auprès de ceux qui, tel qu'expliqué, s'abandonnent au Seigneur -les malheureux, les curieux, ceux qui poursuivent la richesse et ceux qui aspirent à la connaissance. Tout cela appartient aux chapitres précédents. A partir du présent chapitre, nous trouverons décrits la cause du contact de l'être distinct avec la matière, et les moyens à travers quoi il s'en trouve libéré par le Seigneur, soit l'action intéressée, le développement de la connaissance et le service de dévotion. Et nous trouverons également expliqué comment l'âme, bien qu'entièrement distincte du corps, devient, d'une façon ou d'une autre, liée à ce corps.
VERSET 3
TRADUCTION Comprends, ô descendant de Bharata, que dans tous les corps, le connaissant, Je le suis aussi. Et connaître le corps, connaître le possesseur du corps, voilà le savoir. Telle est Ma pensée. TENEUR ET PORTEE De ces questions concernant le corps et son possesseur, que sont l'âme et l'Ame Suprême, ressortent trois sujets d'étude: le Seigneur, l'être distinct et la matière. En chaque corps, en chaque champ d'action, se trouvent deux âmes: l'âme distincte et l'Ame Suprême. Cette dernière étant une émanation plénière du Seigneur, de Krsna, Celui-ci dit à bon droit: "Je suis également le connaissant du champ, mais non pas son possesseur individuel. J'en suis le connaissant suprême, présent dans tous les corps en tant que le Paramatma, l'Ame Suprême." L'être distinct n'est le connaissant que de son propre corps, et d'aucun autre, alors que le Seigneur Suprême, présent en chacun sous la forme de l'Ame Suprême, connaît tout ce qui a trait à tous les corps, dans toutes les espèces vivantes. Un paysan peut connaître tout ce qui concerne son lopin de terre, mais le roi, outre son propre domaine, connaît ce que possèdent tous ses sujets. Ainsi, le roi est le maître premier du royaume, ses sujets n'étant que des maîtres secondaires. De même, on peut être le possesseur d'un corps particulier, mais le Seigneur est le possesseur suprême, maître premier de tous les corps. En s'appuyant sur la Bhagavad-gita et en analysant avec minutie ce qui se rapporte au champ d'action et à son connaissant, on peut atteindre le savoir. Le corps est constitué par les "sens", c'est-à-dire par les organes des sens. Or, on nomme le Seigneur "Hrsikesa", le maître de tous les sens. En effet, comme le roi est le régisseur ultime de toutes les activités de son royaume, ses sujets ne jouissant que de pouvoirs secondaires, le Seigneur Suprême est le maître originel des sens. Et lorsqu'il dit: "Dans tous les corps, le connaissant, Je le suis aussi", cela signifie qu'Il est le connaissant suprême, quand l'âme distincte ne connaît que son propre corps. Les Vedas le confirment: "On appelle ksetra le corps, à l'intérieur duquel vit son possesseur, mais aussi le Seigneur Suprême, qui sait tout et du corps et de son possesseur. Aussi dit-on de Celui-ci qu'Il est le connaissant de tous les champs d'action." La connaissance parfaite de la nature respective du champ d'action, de l'auteur des actes et du maître ultime des actes -le corps, l'âme distincte et l'Ame Suprême- porte, dans les Ecrits védiques, le nom de "jnana". Savoir ce qui distingue le champ d'action du connaissant de ce champ, savoir que l'âme et l'Ame Suprême sont simultanément Une et différentes, tel est, selon l'opinion de Krsna, le parfait savoir. Il faut connaître la position de la prakrti, la nature, du purusa, celui qui en a jouissance, et de l'isvara, le connaissant qui domine à la fois la nature et l'âme distincte. La grande erreur serait de les confondre, tout comme on ne saurait confondre l'artiste, la toile et le chevalet. La nature, le champ d'action, c'est le monde matériel; celui qui a jouissance de la nature est l'être distinct; et au-dessus d'eux se trouve le maître suprême, la Personne Divine. Les Textes védiques ajoutent qu'il existe trois différents concepts de brahman: la prakrti est brahman en tant que champ d'action, et le jiva, l'être distinct, est aussi brahman, en tant que celui qui cherche à dominer la nature matérielle, mais le Brahman Suprême est leur maître à tous deux, le maître absolu. Ce chapitre expliquera ensuite que des deux connaissants du corps, l'un est faillible et l'autre non, l'un est maître et l'autre subordonné. On ne peut affirmer que les deux connaissants ne font qu'Un sans contredire le Seigneur Suprême, qui, en personne, dit clairement dans ce verset: "Dans tous les corps, le connaissant, Je le suis aussi." Ne confondons pas un serpent et une corde. Il existe divers corps, tous représentant la manifestation des divers désirs et capacités qu'a l'âme distincte de dominer la nature matérielle, et aussi divers possesseurs de ces corps; mais l'Etre Suprême est également présent en chacun d'eux, et en est le vrai maître. Notre verset contient un mot important, le mot ca, qui, selon Srila Baladeva Vidyabhusana, se rapporte à l'ensemble des corps: Krsna est l'Ame Suprême, présent en même temps que l'âme distincte à l'intérieur de chacun des corps. Et ici, Krsna explique clairement que l'Ame Suprême domine à la fois le champ d'action et son bénéficiaire infime.
VERSET 4
TRADUCTION Ecoute à présent, Je t'en prie: en peu de mots Je décrirai le champ d'action, comment il est constitué, ses métamorphoses, sa source, de même que le connaissant de ce champ et son influence. TENEUR ET PORTEE Le Seigneur va décrire la nature respective du champ d'action et du connaissant de ce champ. Il faut savoir comment est composé le corps, quels sont les éléments qui le constituent et les transformations qu'il subit, enfin ses causes, ses raisons d'être, et celui qui le dirige, ainsi que la forme originelle de l'âme distincte, et le but ultime qu'elle poursuit. Il est également nécessaire de savoir distinguer l'Ame Suprême de cette âme distincte, de connaître leurs influences et leurs possibilités respectives, etc. Il suffit d'ailleurs, pour acquérir ce savoir, de comprendre l'enseignement de la Bhagavad-gita, tel qu'il est donné par le Seigneur Lui-même. Mais prenons toujours garde de ne pas identifier Dieu, la Personne Suprême, présent en chaque corps, en chaque jiva, ou âme distincte, à ce jiva même, ce qui reviendrait à mettre sur le même plan le puissant et l'impuissant.
VERSET 5
TRADUCTION Ce savoir, du champ d'action et de son connaissant, divers sages l'ont exposé, en divers Ecrits védiques -notamment le Vedanta-sutra oú causes et effets sont présentés avec force raison. TENEUR ET PORTEE Krsna, Dieu, la Personne Suprême, est le plus haut maître qui soit en cette science. Pourtant, Il Se réfère aux textes reconnus, comme ceux du Vedanta, pour expliquer le point controversé de la dualité et de la non-dualité de l'âme distincte et de l'Ame Suprême. Car, cela va de soi, même les grands sages et érudits appuient leurs assertions sur les dires d'autorités. Krsna, donc, parle selon les grands sages, parmi lesquels Vyasadeva, l'auteur du Vedanta-sutra, qui traite parfaitement de la dualité, et son père, Parasara, qui écrivait dans ses traités religieux: "Nous tous -vous, moi et les divers êtres- bien que prisonniers de corps matériels, sommes purement spirituels, au-delà de la matière. Nous sommes maintenant tombés sous l'emprise des trois gunas, chacun selon notre karma; ainsi, certains sont élevés et d'autres abaissés. Cependant, toutes ces conditions, en quoi se manifeste l'infinie variété des espèces vivantes, ne sont dues qu'à l'ignorance. Au contraire, l'Ame Suprême, infaillible, demeure spirituelle et absolue, non contaminée par les trois gunas." Les Vedas originels, et plus particulièrement la Katha Upanisad, établissent une distinction entre l'âme, l'Ame Suprême et le corps. A diverses manifestations de l'énergie du Seigneur correspondent différents degrés de réalisation de l'Absolu. A un premier stade, où l'on dépend entièrement de sa nourriture, sur quoi est alors centrée l'existence, se trouve une réalisation matérialiste de l'Absolu, dite annamaya. Après cette réalisation vient une seconde, où l'on perçoit la Vérité Suprême et Absolue à travers les signes et les formes de la vie; on l'appelle pranamaya. Jnanamaya désigne celle où, au niveau de la conscience, signe de la vie, se développent les fonctions de penser, sentir et vouloir, et vijnanamaya correspond à la réalisation du brahman, où le mental et les signes de la vie sont perçus comme distincts de l'être lui-même. Et, finalement, l'anandamaya, où se réalise l'aspect de félicité qui est la nature de l'Absolu. Tels sont les cinq degrés de la réalisation du Brahman Suprême, ou brahma puccha. Les trois premiers -annamaya, pranamaya et jnanamaya - s'attachent aux champs d'action des êtres distincts; mais au-delà de tous ces champs Se trouve le Seigneur Suprême, qu'on nomme anandamaya, que le Vedanta-sutra décrit également comme anandamaya 'bhyasat. Dieu, la Personne Suprême, est par nature débordant de félicité, et pour goûter cette félicité, Il Se déploie en vijnanamaya, jnanamaya, pranamaya et annamaya. L'être distinct est considéré comme le bénéficiaire du champ d'action matériel, celui qui en a jouissance, mais distinct de lui est l'anandamaya. Or, dans son désir de jouissance, si l'être distinct s'unit à l'anandamaya, il atteint la perfection. Voilà donc décrites avec précision les positions respectives du Seigneur Suprême (le connaissant suprême du champ) et de l'être distinct (le connaissant subordonné), de même que la nature du champ d'action.
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