Seizième Chapitre.

Natures divines et démoniaques.




VERSET 18

ahankaram balam darpam
kamam krodham ca samsritah
mam atma-para-dehesu
pradvisanto ’bhyasuyakah

Ayant cherché son refuge dans le faux ego, dans la puissance, l'orgueil, la concupiscence et la colère, le démoniaque blasphème la vraie religion et M'envie, Moi le Seigneur Suprême, qui réside en son corps même, comme en celui des autres.

TENEUR ET PORTEE

L'homme démoniaque, parce que toujours hostile à la suprématie de Dieu, répugne à croire en les Ecritures. Il est envieux des Ecritures et de l'existence de Dieu, la Personne Suprême. Tels sont les fruits de son pseudo prestige, de sa richesse et de sa puissance. Il ignore que sa vie présente en prépare une autre. Par suite, il éprouve de l'envie à l'égard de lui-même, comme à l'égard d'autrui. Sur son propre corps et sur le corps d'autrui, il se livre à des actes de violence. Dépourvu de savoir, il fait fi du contrôle souverain de la Personne Suprême. Jaloux des Ecritures et de Dieu, la Personne Suprême, il produit de fausses thèses pour nier toute existence divine; il "réfute" l'autorité des Ecritures. Dans chacun de ses actes, il se croit indépendant et tout-puissant. Il s'imagine que puisque nul ne l'égale en force, en pouvoir ou richesse, il peut agir comme bon lui semble, sans que nul ne puisse l'en empêcher. Qu'il ait alors un ennemi, susceptible de le freiner dans sa quête du plaisir des sens, et il élaborera toutes sortes de projets pour le rabaisser en manifestant sa propre puissance.

VERSET 19

tan aham dvisatah kruran
samsaresu naradhaman
ksipamy ajasram asubhan
asurisv eva yonisu

TRADUCTION

Les envieux et malfaisants, les derniers des hommes, Je les plonge dans l'océan de l'existence matérielle sous les diverses formes de la vie démoniaque.

TENEUR ET PORTEE

Ce verset indique clairement que la fonction de placer telle âme distincte dans tel corps de matière est le privilège de la volonté suprême. L'homme démoniaque peut ne pas consentir à reconnaître la suprématie du Seigneur Suprême et agir selon ses caprices; mais les circonstances de sa prochaine vie, c'est le Seigneur qui en décidera, pas lui.

Le Srimad-Bhagavatam, au troisième Chant, enseigne que l'âme incarnée est mise, après la mort du corps, dans la matrice d'une mère, où, sous la direction d'une puissance supérieure, elle revêt un nouveau corps, bien déterminé. Ainsi voyons-nous évoluer, au coeur de l'existence matérielle, d'innombrables formes de vie -bêtes, insectes, hommes... -, qui toutes sont pensées par cette puissance supérieure. Elle ne sont évidemment pas dues au hasard. Quant aux êtres démoniaques, il apparaît clairement ici que sans cesse ils sont contraints de renaître dans le sein d'asuras; ils conserveront ainsi leur nature envieuse, demeureront les derniers des hommes. Toujours pleins de concupiscence, toujours haineux et violents, toujours malsains, ils évoquent les bêtes de la jungle.

VERSET 20

asurim yonim apanna
mudha janmani janmani
mam aprapyaiva kaunteya
tato yanty adhamam gatim

TRADUCTION

Ceux-là, renaissant vie après vie au sein des espèces démoniaques, jamais ne peuvent M'approcher, ô fils de Kunti. Peu à peu, ils sombrent dans la condition la plus sinistre.

TENEUR ET PORTEE

Chacun sait que Dieu manifeste une miséricorde infinie. Nous apprenons toutefois, dans ce verset, qu'Il ne la fait jamais paraître aux hommes démoniaques. Notre verset, en effet, l'enseigne clairement: ces hommes sont contraints, vie après vie, d'entrer dans le sein d'êtres tout aussi démoniaques; ainsi privés de la miséricorde du Seigneur, ils sombrent toujours plus, pour finir dans des corps de chien, de chat, de porc... Il est donc clairement établi que ces hommes démoniaques n'ont pratiquement aucune chance de recevoir, dans le présent comme dans le futur, la miséricorde de Dieu. Les Vedas indiquent également que de tels êtres se dégradent peu à peu jusqu'à devenir des chiens et des porcs. On objectera peut-être que Dieu ne devrait pas être tenu pour infiniment miséricordieux s'Il refuse Sa grâce aux êtres démoniaques. En réponse, le Vedanta-sutra nous apprend que le Seigneur Suprême n'a de haine pour personne. L'acte de placer les asuras dans les formes de vie les plus basses ne représente en fait qu'un autre aspect de Sa miséricorde. Il arrive parfois que les asuras soient tués par le Seigneur; mais un tel acte leur est bénéfique, car, comme l'enseignent les Textes védiques, quiconque est mis à mort par le Seigneur atteint la libération. On trouve, dans l'histoire, de nombreux exemples d'asuras, tels Ravana, Kamsa, Hiranyakasipu, devant qui le Seigneur apparut, en des Formes diverses, à seule fin de les anéantir. La miséricorde de Dieu se trouve donc également manifestée aux asuras, s'ils ont la fortune d'être par Lui tués.

VERSET 21

tri-vidham narakasyedam
dvaram nasanam atmanah
kamah krodhas tatha lobhas
tasmad etat trayam tyajet

TRADUCTION

Trois portes ouvrent sur cet enfer: la concupiscence, la colère et l'avidité. Que tout homme sain d'esprit les referme, car elles conduisent l'âme à sa perte.

TENEUR ET PORTEE

Ce verset décrit les origines de la vie démoniaque. L'homme cherche à satisfaire sa concupiscence; s'il n'y parvient pas, alors surviennent colère et avidité. C'est pourquoi l'homme sain, qui ne veut pas choir dans les espèces démoniaques, doit essayer de se défaire de ces trois ennemis, capables de "tuer", d'étouffer l'âme, au point de lui ôter toute chance de s'affranchir des rets de l'existence matérielle.

VERSET 22

etair vimuktah kaunteya
tamo-dvarais tribhir narah
acaraty atmanah sreyas
tato yati param gatim

TRADUCTION

O fils de Kunti, l'homme qui a su éviter ces trois portes de l'enfer voue son existence à des actes qui engagent dans la réalisation spirituelle. Il atteint ainsi peu à peu le but suprême.

TENEUR ET PORTEE

Il faut bien se garder contre ces trois ennemis de la vie humaine: la concupiscence, la colère et l'avidité. Plus l'homme s'en affranchit, et plus son existence est purifiée. Il peut alors observer les règles et principes des Ecritures védiques. En suivant ainsi les principes régulateurs de la vie humaine, il s'élève graduellement au niveau de la réalisation spirituelle. Et si, en observant ces principes, il se trouve encore assez heureux pour parvenir à la conscience de Krsna, dès lors pour lui la réussite est assurée.

Les Textes védiques recommandent les voies d'action intéressée par quoi l'homme pourra parvenir à l'étape de purification. L'essentiel est qu'il s'affranchisse de la concupiscence, de la colère et de l'avidité. Par la connaissance ainsi acquise, il pourra ensuite s'élever au plus haut niveau de réalisation spirituelle, qui trouve sa perfection dans le service de dévotion. Dans ce service de dévotion, la libération de l'âme conditionnée est sûre. Voilà pourquoi le système védique respecte l'institution du varnasrama, ou la division de la société en quatre varnas et asramas, qui constituent respectivement les groupes de travail et les étapes de la vie spirituelle. En chacun de ces varnas et asramas, il existe certains principes, certaines règles, et celui qui peut les observer s'élèvera tout naturellement au plus haut niveau de réalisation spirituelle. Là, sa libération ne fera plus de doute.

VERSET 23

yah shastra-vidhim utsrjya
vartate kama-karatah
na sa siddhim avapnoti
na sukham na param gatim

TRADUCTION

Celui, en revanche, qui rejette les préceptes des Ecritures pour agir selon son caprice, celui-là n'atteint ni la perfection, ni le bonheur, ni le but suprême.

TENEUR ET PORTEE

Comme nous l'avons déjà vu, la direction des sastras, ou sastra-vidhi, est spécifique pour chaque varna et asrama. Ces principes et règles des sastras doivent être suivis de tous. Celui qui ne les observe pas et agit selon son caprice, poussé par la concupiscence, la colère et l'avidité, jamais ne peut espérer connaître la perfection. Autrement dit, quelqu'un peut toujours avoir une connaissance théorique de ces principes, mais s'il ne les applique pas dans sa propre vie, on doit le tenir pour le dernier d'entre les hommes. Une fois parvenu à la forme humaine, l'être vivant est censé devenir sain d'esprit et capable de suivre les principes qui lui sont donnés pour s'élever à la position la plus haute; mais qu'il néglige leur observance et il se retrouvera dégradé. Toutefois, si, même en suivant ces règles et principes moraux, il ne parvient pas, en dernier lieu, à connaître le Seigneur Suprême, toute la connaissance qu'il aura pu acquérir se trouvera frappée de vanité. Il lui faut donc s'élever graduellement au niveau de la conscience de Krsna, du service de dévotion; là, et là seulement, il pourra atteindre la plus haute perfection.

Arrêtons-nous sur les mots kama-karatah. Ils nous apprennent qu'un homme qui viole sciemment les règles agit poussé par la concupiscence. Il sait bien que tel acte est interdit, mais s'y livre pourtant, ou que tel acte doit être accompli, mais s'en abstient pourtant. Voilà ce qu'on entend par agir selon son caprice. Ces hommes-là sont voués à connaître la condamnation du Seigneur Suprême. Ils ne peuvent atteindre la perfection à quoi est destinée la forme humaine. La forme humaine, en effet, a pour but la purification de l'existence, et celui qui refuse d'en observer les règles et les principes ne peut se purifier, ni trouver le bonheur véritable.

VERSET 24

tasmac chastram pramanam te
karyakarya-vyavasthitau
jnatva shastra-vidhanoktam
karma kartum iharhasi

TRADUCTION

Ce qu'est ton devoir et ce qu'il n'est pas, sache donc le déterminer à la lumière des principes que donnent les Ecritures. Connaissant ces lois, agis de manière à graduellement t'élever.

TENEUR ET PORTEE

Comme l'enseignait le quinzième chapitre, toutes les règles et restrictions des Vedas ont pour seul but de nous faire connaître Krsna. Celui qui, à la lumière de la Bhagavad-gita, comprend la nature de Krsna et s'établit dans la conscience de Krsna en s'engageant dans le service de dévotion, celui-là a déjà atteint la plus haute perfection du savoir offert par les Ecritures védiques. Cette méthode, Sri Caitanya Mahaprabhu, nul autre que le Seigneur, en a rendu l'accès facile: Il demandait à tous de simplement chanter:

hare krsna hare krsna krsna krsna hare hare
hare rama hare rama rama rama hare hare
de servir le Seigneur avec amour et dévotion et de goûter aux reliefs de l'offrande de nourriture présentée à la murti. On doit voir en celui qui s'engage dans ces activités dévotionnelles quelqu'un qui a déjà étudié tous les Textes védiques, qui en est arrivé à la parfaite conclusion. Bien entendu, l'homme non établi dans la conscience de Krsna, dans le service de dévotion, doit apprendre, à partir des préceptes des Vedas, ce qu'il faut faire et ne pas faire. Il doit agir selon ces préceptes, sans discuter. Voilà ce que signifie observer les principes des sastras, des Ecritures. Les sastras sont libres des quatre imperfections propres à l'âme conditionnée: des sens imparfaits, la certitude d'être sujet à l'illusion, celle de commettre des erreurs, et la tendance à tromper autrui. Ces quatre imperfections font que l'être conditionné ne peut créer de lui-même ni règles ni principes. Voilà pourquoi les règles et principes donnés dans les sastras, qui transcendent ces imperfections, sont acceptés tels quels par tous les grands saints, acaryas et mahatmas.

On trouve, en Inde, plusieurs écoles de philosophie spirituelle, qui se classent généralement en deux groupes: impersonnaliste et personnaliste. Néanmoins, leurs adeptes à tous deux règlent leur vie selon les principes des Vedas. A défaut, il devient impossible de s'élever à la perfection. Pour cette raison, celui qui saisit vraiment la teneur des sastras se voit considéré comme grandement fortuné.

L'aversion pour les principes qui mènent à connaître Dieu, la Personne Suprême, constitue, dans la société humaine, la cause de toutes les chutes. Et en cette aversion réside la pire des offenses que puisse commettre l'être humain. Comme suite à cette offense, maya, l'énergie matérielle du Seigneur Suprême, impose sans cesse aux âmes conditionnées, sous la forme des trois sortes de souffrances, d'innombrables déboires. Cette énergie matérielle se compose des trois gunas, et l'on doit s'élever au moins jusqu'à la vertu avant d'accéder à la voie vers la connaissance du Seigneur Suprême. Sinon, il faudra demeurer dans la passion et l'ignorance, les deux gunas se trouvant à la source de l'existence démoniaque. Les hommes que dominent passion et ignorance dénigrent les Ecritures, dénigrent les sadhus, ou saints hommes, dénigrent l'attitude même nécessaire à la compréhension de l'enseignement du maître spirituel, et négligent les règles des sastras. Même s'ils entendent parler des gloires du service de dévotion, ils n'éprouvent à leur endroit aucune attraction. Ils préfèrent suivre la "voie d'élévation" qu'ils ont eux-mêmes concoctée. Tels sont donc certains des défauts qui marquent la société humaine et la mènent au mode d'existence démoniaque. Celui, cependant, qui peut recevoir la direction d'un maître spirituel authentique, capable de le conduire à la voie de l'élévation, au niveau supérieur, celui-là verra sa vie couronnée de succès.

Ainsi s'achèvent les enseignements de Bhaktivedanta sur le seizième chapitre de la Srimad-Bhagavad-gita, intitulé: "Natures divine et démoniaque".


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare