Deuxième chapitre.

Aperçu de la Bhagavad-gita.




VERSET 21

vedavinasinam nityam
ya enam ajam avyayam
katham sa purushah partha
kam ghatayati hanti kam

TRADUCTION

Comment, ô Partha, "celui qui sait l'âme non née, immuable, éternelle et indestructible, pourrait-il tuer ou faire tuer?

TENEUR ET PORTEE

Chaque chose a son utilité propre. L'homme doué de la connaissance parfaite sait où et comment utiliser chaque objet selon l'usage qui lui correspond. Ainsi de la violence: celui qui possède le savoir sait comment l'appliquer. Lorsqu'un juge condamne à la peine capitale un homme coupable de meurtre, nul ne peut le blâmer, car l'usage qu'il fait de la violence est conforme au code judiciaire. La Manu-samhita, le Livre des lois de l'humanité, édicte qu'un meurtrier soit condamné à mort pour ne pas avoir à subir dans sa vie prochaine les conséquences misérables de son crime. Condamner à mort est, dans ce cas, un acte charitable. Comprenons que lorsque Krsna donne l'ordre d'user de la violence, c'est dans le but de servir la justice suprême. Arjuna doit donc Lui obéir, sachant bien que l'homme, ou mieux, l'âme, n'est pas sujette à la mort, et que la violence au service de Krsna n'est pas, à proprement parler, de la violence. Il est permis, dans l'exercice de la justice, d'appliquer cette violence. Une opération chirurgicale, dont le but est non de tuer le patient, mais bien de le guérir, nécessite l'usage de la "violence". De même, Arjuna, combattant sur l'ordre de Krsna et en pleine conscience, ne commettra nul péché, ne subira nulle conséquence fâcheuse.

VERSET 22

vasamsi jirnani yatha vihaya
navani grhnati naro ’parani
tatha sarirani vihaya jirnany
anyani samyati navani dehi

TRADUCTION

A l'instant de la mort, l'âme revêt un corps nouveau, l'ancien devenu inutile, de même qu'on se défait de vêtements usés pour en revêtir de neufs.

TENEUR ET PORTEE

Que l'âme distincte change de corps est un fait d'évidence, partout accepté. Même la science moderne, qui ne croit pas en l'existence de l'âme, mais qui, en même temps, ne peut expliquer d'où provient l'énergie émanant du coeur, doit reconnaître les transformations continuelles du corps: son passage de l'enfance à l'adolescence, puis à la maturité, et enfin, à la vieillesse. Lorsque, finalement, le corps atteint la dernière étape, l'âme qui l'habitait passe dans un autre corps. Les versets précédents ont d'ailleurs déjà expliqué ces notions.

C'est la grâce de l'Ame Suprême qui permet à l'âme distincte, infime, d'être ainsi transportée dans un autre corps; comme on satisfait ceux d'un ami, Elle comble les souhaits de la petite âme qui Lui est subordonnée. Les Vedas, les Upanisads, comparent ces deux âmes à deux oiseaux liés d'amitié, et perchés sur un même arbre. Tandis que l'un deux (l'âme infinitésimale) goûte les fruits de l'arbre, l'Autre (Krsna, l'Ame Suprême) l'observe simplement. Ces deux oiseaux participent de la même nature, et pourtant, l'un d'eux est captivé par les fruits de l'arbre matériel, tandis que l'Autre observe simplement les mouvements de Son ami. Krsna est cet oiseau "témoin", et Arjuna l'oiseau "mangeur". Ce sont deux amis, mais l'Un est le maître et l'autre Son serviteur. Par son oubli du lien qui l'unit à l'Ame Suprême, l'âme infinitésimale (le jiva) doit voleter d'un arbre à l'autre, d'un corps à un autre. Le jiva, perché sur l'arbre du corps engage un dur combat, mais il échappera à tout danger et cessera de souffrir dès qu'il reconnaîtra en l'Autre le maître spirituel suprême. Ce que fit Arjuna, qui, volontairement, s'abandonna au Seigneur en Lui demandant de l'éclairer. La Katha et la Svetavatara Upanisads disent littéralement:

"Les deux oiseaux vivent sur le même arbre, et pourtant, seul celui qui en goûte les fruits sombre dans la tristesse et l'angoisse. Mais si, par bonheur, il se tourne vers le Seigneur, son ami, et en vient à connaître Ses gloires, il cesse de souffrir, il échappe à toute angoisse."
Arjuna s'est maintenant tourné vers Krsna, son ami éternel, et, guidé par Lui, pénètre la sagesse de la Bhagavad-gita. Ecoutant les paroles de Krsna, il pourra comprendre Ses gloires et voir ses chagrins s'évanouir.

Le Seigneur conseille à Arjuna de ne pas s'attrister du changement de corps qu'auront à subir son grand-père et maître. Il devrait au contraire être heureux de détruire leur corps dans ce juste combat, car cet acte les purifiera aussitôt des suites de leurs actions passées. En effet, celui qui meurt sur l'autel du sacrifice ou sur le champ de bataille où l'on combat pour une juste cause, échappe d'un coup à toutes les conséquences de ses actes, et obtient, dans sa future existence, de meilleures conditions de vie. Pour Arjuna, il n'est donc aucune raison véritable de se lamenter.

VERSET 23

nainam chindanti shastrani
nainam dahati pavakah
na cainam kledayanty apo
na sosayati marutah

TRADUCTION

Aucune arme ne peut fendre l'âme, ni le feu la brûler; l'eau ne peut la mouiller, ni le vent la dessécher.

TENEUR ET PORTEE

Rien ne peut détruire l'âme, ni le feu, ni la pluie, ni la tornade, ni aucune arme... Outre nos armes à feu modernes, ce verset indique qu'à l'époque d'Arjuna, il existait une grande variété d'armes, à base de terre, d'eau, d'air, d'éther et de bien d'autres éléments. Les bombes nucléaires d'aujourd'hui sont considérées comme des "armes à feu". Or, pour riposter aux "armes à feu", on se servait, en ces temps, d'armes dont la science moderne n'a aucune idée, utilisant l'eau comme élément actif. Il y avait aussi des "armes-tornades", par exemple, dont la science ignore également tout. Et pourtant, malgré toutes ces armes et tous les raffinements de la science actuelle en matière d'engins destructifs, rien ne peut anéantir l'âme.

Il est en outre impossible de défaire le lien qui unit l'âme distincte à l'Ame originelle. Les mayavadis sont toutefois incapables d'expliquer comment l'âme distincte a pu se dégrader jusqu'à choir dans l'ignorance présente, et comment la matière, énergie illusoire, a pu la recouvrir. Parce que l'âme distincte est éternellement infinitésimale, elle est encline à tomber sous le voile de l'illusion (Maya), et c'est ainsi qu'elle s'éloigne du Seigneur, comme l'étincelle, qui, bien que de même nature que le feu, s'éteint dès qu'elle en jaillit.

Le Varaha Purana démontre, comme la Bhagavad-gita, que les êtres vivants sont toujours parties intégrantes du Seigneur, mais distincts de Lui. Krsna indique clairement, dans Ses enseignements à Arjuna, que même libérée du joug de maya, l'âme garde son individualité. Arjuna atteignit la libération après avoir reçu les enseignements de Krsna, mais jamais il ne se fondit en Lui.

VERSET 24

acchedyo ’yam adahyo ’yam
akledyo ’sosya eva ca
nityah sarva-gatah sthanur
acalo ’yam sanatanah

TRADUCTION

L'âme est indivisible et insoluble; le feu ne l'atteint pas, elle ne peut être desséchée. Elle est immortelle et éternelle, omniprésente, inaltérable et fixe.

TENEUR ET PORTEE

Ces divers qualificatifs de l'âme prouvent de façon définitive qu'elle ne subit aucune altération, et que, tout en gardant son individualité propre, elle demeure éternellement une particule infime du Tout spirituel. De plus, ils réfutent implicitement la théorie moniste, qui envisage entre l'âme distincte et le Tout spirituel une union si étroite, qu'ils finiraient par ne plus faire qu'Un. En réalité, après la libération, l'âme infinitésimale peut choisir de vivre comme une étincelle dans l'éclat irradiant du Corps de Dieu, ou, faisant preuve d'une intelligence supérieure, de se rendre sur l'une des planètes spirituelles pour y vivre auprès de la Personne Suprême.

Les mots sarva-gatah, qui signifient "partout présent", sont ici lourds de sens, car les êtres vivants occupent en effet chaque recoin de la création de Dieu. Ils vivent dans l'eau, dans l'air, sur terre et sous terre, et même dans le feu. On croit généralement que le feu détruit tout, mais ce verset indique au contraire que l'âme n'en subit pas l'atteinte. Soyons donc certains que même le soleil est habité, par des êtres pourvus de corps adaptés à cette planète. Dans le cas contraire, les mots sarva-gatah n'auraient aucun sens.

VERSET 25

avyakto ’yam acintyo ’yam
avikaryo ’yam ucyate
tasmad evam viditvainam
nanusocitum arhasi

TRADUCTION

Il est dit de l'âme qu'elle est invisible, inconcevable et immuable. La sachant cela, tu ne devrais pas te lamenter sur le corps.

TENEUR ET PORTEE

L'âme, telle que l'ont décrite les versets précédents, est de taille si infime, mesurée à notre échelle, que même le plus puissant de nos microscopes ne pourrait la déceler. On la dit, pour cette raison, "invisible". Son existence ne peut donc être prouvée de façon "expérimentale"; seule la sagesse védique, la sruti, peut l'établir. Et il nous faut accepter cette sagesse comme une preuve à priori, puisque nous n'avons d'autre moyen de vérifier l'existence de l'âme, bien que sa présence dans le corps soit incontestable à cause de son action sur lui. Combien de choses ne devons-nous d'ailleurs pas accepter sur la seule foi d'une autorité en la matière? Nul ne dénierait la véracité de sa mère quand elle lui dévoile d'abord l'existence, puis l'identité de son père, puisqu'il n'est d'autre preuve que sa parole. De même, seule l'étude des Vedas peut nous faire comprendre la nature de l'âme. En fait, l'âme est inconcevable pour celui qui ne croit qu'au témoignage de ses sens matériels. L'âme est conscience, et elle est aussi consciente, disent les Vedas; et ainsi devons-nous l'accepter. Contrairement au corps, elle ne subit aucune altération. Et, parce qu'éternellement la même, l'âme infinitésimale reste toujours un "atome" en comparaison de l'Ame Suprême, infinie: elle ne peut jamais égaler Dieu. Les Vedas exposent cette conception de l'âme en de nombreux endroits et de diverses manières, pour en confirmer la valeur. La répétition d'une idée est nécessaire afin qu'elle soit comprise sans erreur, dans toute sa profondeur et sous tous ses aspects.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare