Sixième chapitre.

Le sankhya-yoga.




VERSET 11/12

sucau dese pratishthapya
sthiram asanam atmanah
naty-ucchritam nati-nicam
cailajina-kusottaram

tatraikagram manah kritva
yata-cittendriya-kriyah
upavisyasane yunjyad
yogam atma-vishuddhaye

TRADUCTION

En un lieu saint et retiré, il doit se ménager, ni trop haut, ni trop bas, un siège d'herbe kusa, recouvert d'une peau de daim et d'un linge d'étoffe douce. Là, il doit prendre une assise ferme, pratiquer le yoga en maîtrisant le mental et les sens, fixer ses pensées sur un point unique, et ainsi purifier son coeur.

TENEUR ET PORTEE

Par "lieu saint", il faut entendre lieu de pèlerinage. En Inde, yogis, bhaktas et autres spiritualistes quittent tous le foyer familial pour vivre en des sites sacrés, tel Prayaga, Mathura, Vrndavana, Hrsikesa, Hardwar, et y pratiquer le yoga dans la solitude, près des rivières sanctifiées, comme la Yamuna ou le Gange. Bien sûr, une telle retraite n'est pas toujours possible, surtout pour l'occidental. Mais pratiquer, à défaut, le yoga dans quelque club à la mode, au cœur d'une grande ville, c'est perdre son temps; ces clubs savent peut-être grossir leur fortune, mais ne sauraient offrir aucun enseignement de valeur quant à la vraie pratique du yoga.

Nul ne peut méditer s'il n'est maître de ses sens, s'il n'obtient un mental stable et serein. Or, le Brhan-naradiya Purana nous apprend que dans notre ère, le kali-yuga, les hommes vivront si peu de temps, connaîtront tant d'angoisses et progresseront si lentement dans la voie spirituelle, que la meilleure planche de salut sera de chanter le Saint Nom du Seigneur:

"Chante les Saints Noms, chante les Saints Noms, chante les Saints Noms du Seigneur, car en cette ère de discorde et d'hypocrisie, pas d'autre moyen, pas d'autre moyen, pas d'autre moyen pour atteindre la libération."

VERSET 13/14

samam kaya-siro-grivam
dharayann acalam sthirah
sampreksya nasikagram svam
disas canavalokayan

prashantatma vigata-bhir
brahmacari-vrate sthitah
manah samyamya mac-citto
yukta asita mat-parah

TRADUCTION

Le corps, le cou et la tête droits, le regard fixé sur l'extrémité du nez, le mental en paix, maîtrisé, affranchi de la peur, ferme dans le voeu de continence, il doit alors méditer sur Moi en son coeur, faisant de Moi le but ultime de sa vie.

TENEUR ET PORTEE

Le but de la vie, c'est de connaître Krsna, qui, en tant que Paramatma, la Forme à quatre bras de Visnu vit dans le cœur de chaque être. On doit pratiquer le yoga à seule fin de découvrir, de voir face à face cette visnu-murti, cette Forme de l'émanation plénière de Krsna présente dans le cœur de chacun. Autrement, le yoga n'est qu'un jeu, un pseudo-yoga, une pure perte de temps. Krsna constitue le but ultime de l'existence, et la visnu-murti, le Paramatma, constitue l'objectif du yoga. Pour L'atteindre, il faut s'abstenir totalement de tous rapports sexuels. Il s'avère donc nécessaire de quitter son foyer pour vivre en un lieu solitaire et méditer dans la posture que décrit le verset. On ne peut s'adonner quotidiennement aux plaisirs sexuels, chez soi ou ailleurs, et, quelques heures plus tard, se métamorphoser en yogi grâce à quelque cours du soir de "yoga". Il n'est pas question de devenir un yogi si l'on n'apprend pas à dominer son mental, à s'abstenir de tous les plaisirs des sens, dont le plus fort est le plaisir sexuel. Dans son code du célibat, le grand sage Yajnavalkya disait:

"Faire vœu de brahmacarya doit nous aider à effacer complètement la sexualité de nos actes, paroles et pensées, à tout moment, en toute circonstance et en tout lieu."
Nul ne peut pratiquer correctement et efficacement le yoga s'il se livre aux plaisirs sexuels. Aussi doit-on être éduqué dans le brahmacarya dès l'enfance, quand on n'a encore eu aucune expérience sexuelle. Dès l'âge de cinq ans, les enfants sont envoyés au guru-kula, l'asrama du maître spirituel, pour y suivre la stricte discipline du brahmacarya, sans laquelle on ne peut progresser sur la voie du yoga, qu'il s'agisse du dhyana, du jnana ou de la bhakti.

On appelle également brahmacari l'homme marié qui observe les normes védiques de la vie conjugale, c'est-à-dire qui n'a de rapports sexuels qu'avec sa propre femme, et en fonction de règles strictes. Ce "grhastha-brahmacari" pourra participer à l'école de la bhakti, mais jamais à celle du jnana ou du dhyana, qui exigent la continence totale et n'acceptent aucun compromis. La bhakti permet une vie sexuelle restreinte, car son pouvoir, qui tient à la joie spirituelle, supérieure, de servir le Seigneur, fait perdre naturellement toute attraction pour les plaisirs de la chair. La Bhagavad-gita nous dit:

"Même à l'écart des plaisirs matériels, l'âme incarnée peut encore éprouver quelque désir pour eux. Mais qu'elle goûte une joie supérieure, et elle perdra ce désir, pour demeurer dans la conscience spirituelle."

D'autres spiritualistes doivent faire d'immenses efforts pour se couper de tout plaisir matériel, mais le bhakta, parce qu'il goûte une joie supérieure, que lui seul, d'ailleurs peut goûter, le fait automatiquement.

Outre le célibat, ce verset mentionne une autre règle que doit observer le yogi: être vigatabhih, "sans peur", chose impossible hors de la conscience de Krsna. Car la crainte est un des caractères de l'être conditionné; elle vient de sa mémoire corrompue, de son oubli de la relation éternelle qui l'unit à Krsna. Aussi le Srimad-Bhigavatam enseigne-t-il: la conscience de Krsna est le seul moyen d'échapper à toute crainte. Le yoga parfait ne se trouve donc accessible que pour le dévot de Krsna En effet, il est le plus élevé de tous les yogis, puisqu'il a déjà atteint le but ultime du yoga, qui est de voir le Seigneur à l'intérieur de soi. Tels sont les principes du yoga; on voit combien ils diffèrent de ceux qu'une mode a mis au goût du jour.

VERSET 15

yunjann evam sadatmanam
yogi niyata-manasah
shantim nirvana-paramam
mat-samstham adhigacchati

TRADUCTION

Ainsi, par la maîtrise du corps, par celle du mental et de l'acte, le yogi, soustrait à l'existence matérielle, atteint Ma demeure [le Royaume spirituel].

TENEUR ET PORTEE

Ce verset exprime de façon claire le but ultime du yoga. But qui n'est d'ailleurs pas de chercher à rendre meilleures les conditions de vie matérielle; on ne pratique pas le yoga pour vivre avec plus de confort, pour obtenir la santé ou quelque autre bienfait de ce rang, mais pour mettre un terme à l'existence matérielle.

Mettre un terme à l'existence matérielle ne veut pas dire se fondre dans un "vide" quelconque, par ailleurs mythique, puisque nul vide n'existe dans la création de Dieu. Non, mettre un terme à l'existence matérielle, c'est s'ouvrir la porte du monde spirituel, de la demeure du Seigneur, lieu, dit la Bhagavad-gita, où la lumière ne vient ni du soleil, ni de la lune, ni de l'énergie électrique, mais où chaque planète, comme notre soleil, répand sa propre lumière. En un sens, le royaume de Dieu est partout; cependant, le monde spirituel, dont nous parlons ici, en constitue la partie supérieure, le param dhama.

Le yogi réalisé, parfaitement conscient de la nature de Krsna telle que Celui-ci l'a Lui-même décrite dans ce verset et dans le précédent, connaît la vraie paix et atteint finalement la planète du Seigneur, appelée Krsnaloka ou Goloka Vrndavana (mat-cittah, mat-parah, mat-sthanam). Le seigneur, dit la Brahma-samhita, réside perpétuellement à Goloka Vrndavana, mais Se manifeste aussi, à travers Ses énergies spirituelles supérieures, en chaque être (sous la forme du Paramatma), de même que sous la forme du Brahman omniprésent. Nul ne peut entrer dans le monde spirituel ou vivre dans la demeure éternelle du Seigneur (Vaikuntha, Goloka Vrndavana) à moins de comprendre parfaitement la nature de Krsna, ainsi que celle de Visnu, Son émanation plénière. Ainsi le bhakta, qui garde son mental constamment plongé dans la pensée des multiples Activités de Krsna, est-il le parfait yogi. Ce que confirment les Vedas:

"Le seul moyen d'échapper à la naissance et la mort est de réaliser Krsna, la Personne Suprême."
La perfection du yoga consiste donc à se libérer de l'existence matérielle, et non à passer maître dans le fakirisme et l'acrobatie pour tromper les innocents.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare