Sixième chapitre.

Le sankhya-yoga.




VERSET 39

etan me samsayam krshna
chettum arhasy asesatah
tvad-anyah samsayasyasya
chetta na hy upapadyate

TRADUCTION

En ce point gisent mes doutes, ô Krsna; veuille, je T'en prie, les dissiper complètement, car nul autre que Toi ne le peut.

TENEUR ET PORTEE

Krsna, qui connaît parfaitement le passé, le présent et l'avenir, enseignait au début de la Bhagavad-gita que tous les êtres sont des entités distinctes, qu'ils l'étaient dans le passé et le seront dans le futur, même après s'être libérés du joug de la matière. La question de l'avenir de l'être distinct avait, par suite, déjà été élucidée, mais Arjuna veut maintenant savoir ce qu'il advient de celui qui échoue dans sa tentative vers la perfection.

Arjuna s'adresse à Krsna, car il Le sait sans égal et supérieur à tous, y compris aux "grands sages" et "philosophes", soumis comme chacun à la nature matérielle. Il Le sait capable de dissiper tous les doutes, Lui qui connaît parfaitement le passé, le présent et l'avenir, et que nul ne connaît. Seuls Krsna et Ses dévots peuvent connaître les choses dans leur réalité.

VERSET 40

sri-bhagavan uvaca
partha naiveha namutra
vinasas tasya vidyate
na hi kalyana-krt kascid
durgatim tata gacchati

TRADUCTION

Le Seigneur bienheureux dit:
O fils de Prtha, pour le spiritualiste aux actes heureux, il n'est de destruction ni dans cette vie, en ce monde, ni dans l'autre; jamais, Mon ami, le mal, ou l'infortune, ne s'empare de lui.

TENEUR ET PORTEE

Dans le Srimad-Bhagavatam, Sri Narada Muni adresse ces mots à Vyasadeva:

"Qui abandonne tout projet matériel et, sans réserve, prend refuge auprès de Dieu, la Personne Suprême, ne court aucun risque de se dégrader ou de rien perdre. Par contre, accomplir scrupuleusement tous ses devoirs, mais sans adorer Dieu, pourra bien se révéler stérile."
Pour assurer son progrès spirituel, son progrès vers la conscience de Krsna, le spiritualiste doit mettre fin à tout acte matériel, commun ou conforme aux Ecritures. Cependant, les Ecritures enseignent qu'un homme devra souffrir s'il néglige ses devoirs matériels; n'en sera-t-il pas de même pour qui manque à remplir correctement ses devoirs spirituels? Si le bhakta n'atteint pas le bout de la voie, s'il ne complète pas son effort, aura-t-il tout perdu, matériellement et spirituellement? Le Srimad-Bhagavatam rassure le spiritualiste qui a échoué dans sa tentative: s'il doit souffrir pour n'avoir pas assumé ses responsabilités matérielles, ses accomplissements dans la conscience de Krsna, au contraire, ne seront jamais oubliés; même s'il renaît dans une famille de basse condition, il est assuré de reprendre son évolution spirituelle où il l'a laissée, tandis que l'homme dépourvu de conscience de Krsna, quand bien même il aurait rempli tous ses devoirs matériels, n'obtiendra aucun résultat positif.

L'humanité entière peut se diviser en deux groupes: ceux qui acceptent les principes régulateurs de l'existence, et ceux qui les refusent. Les seconds ne cherchent qu'à assouvir leurs sens, telles des bêtes, et ignorent tout de la métempsycose comme de la libération. Civilisés ou non, érudits ou non, forts ou faibles, leur vie n'a rien d'heureux, car ils ne font que s'abandonner à leurs tendances animales: manger, dormir, s'accoupler et se défendre. Et pour jouir de la satisfaction de ces tendances, il doivent perpétuellement demeurer dans l'univers matériel, où la vie n'est que misère, cependant que les premiers, par l'adhérence aux règles scripturaires, s'élèvent graduellement jusqu'à la conscience de Krsna.

A leur tour, ceux-ci se divisent en trois ordres: les premiers jouissent de la prospérité matérielle en observant les codes scripturaires, les seconds cherchent à se libérer définitivement de la matière, et les troisièmes se vouent au service de Krsna. Ceux qui, avides de bonheur matériel, suivent, dans leurs actes, les Ecritures, les premiers donc, se subdivisent en deux: ceux qui aspirent aux fruits de leurs actes, et ceux qui ne recherchent aucun plaisir pour leurs sens. Les "chasseurs de plaisir" obtiendront peut-être des conditions de vie plus élevées, jusqu'à renaître sur des planètes édéniques, où abondent les plaisirs, mais la voie qu'ils ont choisie n'est pas considérée parfaite, car elle ne conduit pas hors de l'existence matérielle. Il n'est de propice que les actes menant à la réalisation spirituelle, à l'affranchissement de tout concept matériel de la vie, à la libération, ce que seule la conscience de Krsna peut offrir. Est donc un parfait yogi quiconque accepte les conditions, même difficiles, nécessaires pour progresser sur le chemin de la conscience de Krisna.

Mais l'astanga-yoga, parce qu'il vise au but ultime, la conscience de Krsna, est également considéré favorable, et quiconque s'y appliquerait avec conscience n'aurait à craindre aucune régression.

VERSET 41

prapya punya-kritam lokan
usitva sasvatih samah
sucinam srimatam gehe
yoga-bhrasto ’bhijayate

TRADUCTION

Après des années sans nombre de délice sur les planètes où vivent ceux qui ont pratiqué le bien, celui qu'a vu faillir la voie du yoga renaît au sein d'une famille riche et noble, ou vertueuse.

TENEUR ET PORTEE

Parmi les yogis ayant échoué dans la perfection du yoga, on distingue deux groupes: ceux qui sont tombés après un léger progrès, et ceux qui ont chu après une longue pratique. Les premiers seront transférés sur les planètes édéniques, résidence des êtres vertueux; mais après un long séjour en ces lieux paradisiaques, ils seront renvoyés sur notre planète pour y naître dans des familles de vertueux brahmanas vaisnavas ou de vaisyas riches et cultivés.

Ainsi, lorsque, séduit par les attraits de l'univers matériel, un yogi cesse de persévérer sur la voie du yoga et la quitte avant d'en connaître le but, c'est à dire la conscience de Krsna, le Seigneur lui permet de satisfaire ses penchants matériels, et il peut ensuite mener une vie prospère au sein d'une famille vertueuse ou aisée. Une telle renaissance lui offre toutes facilités pour reprendre sa progression et tenter à nouveau d'atteindre la perfection de la conscience de Krsna.

VERSET 42

atha va yoginam eva
kule bhavati dhimatam
etad dhi durlabhataram
loke janma yad idrsam

TRADUCTION

Il peut aussi renaître dans une famille de sages spiritualistes. En vérité, il est rare, ici-bas, d'obtenir une telle naissance.

TENEUR ET PORTEE

Dans ce verset, le Seigneur loue les bienfaits de naître dans une famille de yogis ou de spiritualistes, ou gens de grande sagesse, car c'est l'occasion, surtout dans les familles d'acaryas ou de gosvamis, d'être, dès son plus jeune âge, encouragé à la vie spirituelle. Par tradition et par éducation, les membres de ces familles sont érudits, voués à Dieu et capables, le jour venu, de devenir des maîtres spirituels. Il existe, en Inde, beaucoup de ces familles d'acaryas, mais la décadence progressive de l'éducation spirituelle a provoqué leur lente dégradation. Par la grâce du Seigneur, il en reste encore quelques-unes qui, de génération en génération, forment des spiritualistes élevés. Naître en leur sein est la plus grande faveur, celle qu'accorda le Seigneur à notre maître spirituel, Om Visnupada Sri-Srimad Bhaktisidantha Saravasti Gosvami Maharaja, ainsi qu'à notre humble personne; il nous fut donc à tous deux donnés de pratiquer le service de dévotion dès notre plus tendre enfance. Et plus tard, l'ordre trancendant a uni nos voies.

VERSET 43

tatra tam buddhi-samyogam
labhate paurva-dehikam
yatate ca tato bhuyah
samsiddhau kuru-nandana

TRADUCTION

Là, ô fils de Kuru, il recouvre la conscience divine acquise dans sa vie passée, et reprend sa marche vers la perfection.

TENEUR ET PORTEE

L'exemple du roi Bharata démontre comment, en cas d'échec, on renaît dans une famille vertueuse, favorable à la poursuite du progrès spirituel interrompu. Bharata était l'empereur du monde, et c'est depuis son règne que les devas ont nommé la Terre "Bharata-varsa", qu'ils appelaient jusqu'alors "Ilavarta-varsa". Encore jeune, l'empereur abdiqua pour se consacrer à la recherche de la perfection spirituelle, sans toutefois l'atteindre. Il naquit une seconde fois, puis une troisième, enfin dans la famille d'un brahmana vertueux. Parce qu'il vivait toujours solitaire et ne parlait à personne, on le nomma Jadabharata. Et un jour advint où le roi Rahugana découvrit en lui le plus grand des spiritualistes. Sa vie prouve qu'un effort vers la conscience spirituelle, ou la pratique du yoga, n'est jamais vain, que le Seigneur, par Sa grâce, procure au spiritualiste des occasions répétées d'atteindre la perfection spirituelle.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare