Neuvième chapitre.

Le plus secret des savoirs.




VERSET 26

patram puspam phalam toyam
yo me bhaktya prayacchati
tad aham bhakty-upahrtam
asnami prayatatmanah

TRADUCTION

Que l'on M'offre, avec amour et dévotion, une feuille, une fleur, un fruit, de l'eau, et cette offrande, Je l'accepterai.

TENEUR ET PORTEE

Après avoir montré qu'il est le Seigneur originel, le bénéficiaire suprême et le véritable objet de tous les sacrifices, Krsna révèle quelles offrandes Il désire Se voir présenter en oblation. Si, en effet, nous désirons nous dévouer au Seigneur, par le service de dévotion, et ainsi nous purifier pour atteindre le but de l'existence, qui est justement le service d'amour absolu du Seigneur, la première chose est naturellement de savoir ce qu'il attend de nous. Celui qui aime Krsna Lui offrira tout ce qu'il désire, et non, bien sûr, ce qui Lui déplait ou ce qu'Il n'a pas demandé. Aussi ne doit-on pas Lui offrir de viande, de poisson ou d'œufs, qu'Il n'accepterait d'ailleurs pas. En effet, le Seigneur indique clairement, dans ce verset, les offrandes qu'Il désire qu'on Lui fasse, et qu'Il acceptera, comme Lui-même le confirme: une feuille, un fruit, une fleur, de l'eau. S'Il avait voulu viande, poisson ou œufs, Il n'aurait pas manqué de le mentionner! Aussi devons-nous comprendre qu'Il n'accepterait pas de telles offrandes. Légumes, céréales, fruits, lait et eau composent une nourriture appropriée à l'être humain, et que recommande Krsna Lui-même. Aucun autre aliment ne doit donc Lui être offert, puisqu' Il le refuserait. Si l'on ne respecte pas Son désir, comment parler d'amour et de dévotion pour Dieu? Sri Krsna expliquait, au verset treize du troisième chapitre, que seuls les reliefs d'aliments offerts en sacrifice sont purs, et propres à nourrir ceux qui cherchent à progresser vers le but de l'existence, pour finalement s'affranchir de l'engluement matériel. De ceux qui n'offrent pas leur nourriture en sacrifice, ajoutait-Il dans ce même verset, on dit qu'ils ne mangent que du péché. En d'autres mots, chaque bouchée qu'ils avalent les enfonce plus profondément dans les intrications de la nature matérielle. Par contre, préparer des plats végétariens simples et savoureux, les offrir devant l'image de Krsna ou devant la murti, Sa Forme dans le temple, en se prosternant et en Le priant d'accepter notre humble offrande, voilà qui nous permet de progresser d'un pas sûr dans la vie, de purifier notre corps, de produire des tissus cérébraux plus fins, et donc de clarifier nos pensées. Mais par-dessus tout, l'offrande doit être faite dans un sentiment d'amour. Car, Krsna n'a nul besoin de nourriture, Lui qui possède déjà tout ce qui est, mais Il accepte l'offrande de celui qui désire Lui plaire de cette façon. Le facteur dominant, dans la préparation, dans la présentation comme dans l'offrande de tels mets, l'ingrédient principal, est donc l'amour pour Krsna. Le philosophe impersonnaliste, désireux de maintenir que l'Absolu n'est pas une personne, qu'Il est donc dépourvu d'organes sensoriels, ne peut comprendre ce verset de la, Bhagavad-gita. Pour lui, il s'agit soit d'une métaphore, soit d'une preuve de la matérialité de Krsna, qui énonce la Bhagavad-gita. Or, Krsna, Dieu, le Seigneur Suprême, possède des sens, spirituels; et il est dit de Ses Sens que chacun peut remplir les fonctions de tous les autres. C'est ce qu'implique le qualificatif d'absolu attribué à Krsna; s'il Lui manquait les sens, comment pourrait-on Le dire maître de toutes les perfections? Dans le septième chapitre, Krsna expliquait comment Il féconde la nature matérielle en y semant les êtres; or, cela s'accomplit sous l'action de Son seul regard. Et ici, nous pouvons comprendre que par le simple fait d'entendre les mots d'amour prononcés par Son dévot lorsqu'il Lui présente son offrande, Il peut véritablement manger, goûter les aliments qu'on place devant Lui. Il y a là un point très important, à bien souligner: parce que Krsna est absolu, que Son Sens de l'ouïe peut remplir les fonctions de Son Sens du goût, le fait d'entendre, pour Lui, ne se distingue en rien du fait de manger ou de goûter. Mais seul le bhakta, qui, sans vaine interprétation, accepte Krsna tel qu'Il Se décrit Lui-même, peut comprendre que la Vérité Absolue puisse prendre de la nourriture et S'en délecter.

VERSET 27

yat karosi yad asnasi
yaj juhosi dadasi yat
yat tapasyasi kaunteya
tat kurusva mad-arpanam

TRADUCTION

Quoi que tu fasses, que tu manges, que tu sacrifies et prodigues, quelque austérité que tu pratiques, que ce soit pour Me l'offrir, ô fils de Kunti.

TENEUR ET PORTEE

Il va du devoir de chacun d'organiser sa vie de façon à ne jamais oublier Krsna, quelles que soient les circonstances. Tout homme doit travailler s'il veut maintenir l'âme unie au corps, et Krsna recommande ici de le faire en pleine conscience de Lui, et de Lui offrir les fruits de son travail. Tout homme doit aussi manger pour vivre; qu'il n'accepte alors pour nourriture que les reliefs de celle offerte à Krsna. Tout homme civilisé a encore le devoir d'accomplir des rites religieux; qu'il les transforme donc en arcana, c'est à dire qu'il les destine à Krsna, comme Lui-même le recommande ici. Tout homme a également une tendance naturelle à faire la charité; qu'on offre alors ses biens à Krsna, selon Son propre conseil, en utilisant tout surplus de richesse à la propagation du Mouvement pour la Conscience de Krsna. Et puisque les gens, aujourd'hui, se montrent attirés par la méditation, qu'ils abandonnent la méthode silencieuse, impraticable de nos jours, et qu'ils adoptent la méditation sur Krsna, par la récitation continue, vingt-quatre heures par jour, du mantra Hare Krsna sur un japa-mala (chapelet de 108 grains). Car, de celui qui pratique cette forme de méditation, le Seigneur affirme, dans le sixième chapitre, qu'il est le plus grand des yogis.

VERSET 28

subhasubha-phalair evam
moksyase karma-bandhanaih
sannyasa-yoga-yuktatma
vimukto mam upaisyasi

TRADUCTION

Ainsi, tu t'affranchiras des suites des tes actes, tous, vertueux ou coupables; par ce principe de renoncement, tu seras libéré et viendras à Moi.

TENEUR ET PORTEE

Le terme yukta désigne l'être qui agit dans la conscience de Krsna sous une direction supérieure. De façon plus technique, on emploie l'expression yukta-vairagya, qu'explique en détail Rupa Gosvami. Aussi longtemps que nous vivons dans l'univers matériel, dit-il, il nous faut agir, inévitablement. Cependant, lorsque l'action est accomplie pour Krsna, et qu'on Lui en offre les fruits, elle devient yukta-vairagya. Accomplie sous le signe du renoncement, elle clarifie le miroir du mental, et son auteur, en progressant sur la voie de la réalisation spirituelle, finit par s'abandonner tout entier à Dieu, la Personne Suprême, atteignant par là, tel qu'également spécifié dans ce verset, la libération. Cette libération ne l'amène pas simplement à s'identifier au brahmajyoti, mais, ce verset le souligne, elle le conduit auprès du Seigneur Suprême, sur Sa planète. Il y a cinq degrés de libération, et ce verset précise que le bhakta qui suit, tout au long de son existence ici-bas, les directives du Seigneur Suprême, s'élève jusqu'à pouvoir, après avoir quitté son corps, retourner auprès de Lui, pour vivre en Sa compagnie.

Celui qui n'a d'autre désir que de dédier sa vie au service du Seigneur est le vrai sannyasi. Il se considère toujours comme un serviteur éternel du Seigneur, en tout dépendant de Sa volonté suprême. Ses moindres actes sont accomplis en vue de plaire au Seigneur, sont un service qu'il Lui offre. Il ne prête que peu d'attention aux actes intéressés ou aux devoirs prescrits, tels que les recommandent les Vedas, et sur lesquels un homme du commun est contraint de régler sa vie. Pourtant, même si le pur bhakta, pleinement absorbé dans le service du Seigneur, semble parfois agir à l'encontre des devoirs prescrits dans les Ecritures, il n'en est en fait rien. Les autorités vaisnavas disent, à ce propos, que même le plus intelligent ne peut comprendre les desseins et les actes du pur bhakta. Constamment engagé dans le service du Seigneur, toujours absorbé par la recherche de nouveaux moyens de Lui plaire, il doit être vu comme parfaitement libéré, dans le présent et dans l'avenir. Son retour à Dieu est assuré. Il se situe, comme Krsna, au-delà de toute critique d'ordre matérialiste.

VERSET 29

samo ’ham sarva-bhutesu
na me dvesyo ’sti na priyah
ye bhajanti tu mam bhaktya
mayi te tesu capy aham

TRADUCTION

Je n'envie, Je ne favorise personne, envers tous Je suis impartial. Mais quiconque Me sert avec dévotion vit en Moi; il est un ami pour Moi, comme Je suis son ami.

TENEUR ET PORTEE

On peut ici se demander pourquoi Krsna, s'Il est l'ami de tous, impartial envers tous, montre un intérêt spécial à Ses dévots, qui sont toujours absorbés dans Son service. Mais il ne s'agit pas là de partialité, ou de parti pris: Son attitude est parfaitement naturelle. Dans l'univers matériel également, un homme, fût-il très charitable, accordera toujours une attention particulière à ses propres enfants. Ainsi, le Seigneur, qui reconnaît tous les êtres comme Ses fils, quelle que soit leur forme, subvient généreusement aux besoins de tous, comme le nuage qui déverse sa pluie aussi bien sur le roc stérile que sur la terre, ou même sur l'eau; mais Il accorde néanmoins un soin particulier à Ses dévots.

Les bhaktas, dit ce verset, sont ceux qui, toujours absorbés dans la conscience de Krsna, vivent éternellement en le Seigneur, au niveau absolu, au delà de la matière. L'expression même de "conscience de Krsna" indique que les possesseurs d'une telle conscience sont de purs spiritualistes, vivant dans le Seigneur: mayi te, dit-Il sans ambiguïté, "en Moi". Ils sont en Lui, et le Seigneur, réciproquement, est en eux. Cela éclaire également le sens des mots: "Je les récompense en fonction de leur abandon à Moi." Et cette réciprocité spirituelle vient de ce que le Seigneur et Son dévot possèdent tous deux la conscience.

Serti dans un anneau d'or, un diamant prend une apparence merveilleuse. L'éclat de l'or et celui du diamant s'exaltent l'un l'autre. De même, le Seigneur et l'être distinct possèdent, chacun, un éclat éternel: le Seigneur est un diamant, l'être enclin à Le servir, pareil à de l'or; et leur union est admirable. Dans leur état pur, les êtres distincts sont appelés "dévots du Seigneur", et de tels bhaktas, le Seigneur Se fait Lui-même le dévot. Sans cette réciprocité entre le Seigneur et Son dévot, il n'est pas question de personnalisme. Cette relation, cet échange entre le Seigneur et l'être distinct, manque dans la philosophie impersonnaliste, mais non dans la personnaliste.

On compare souvent le Seigneur à un arbre-à-souhaits, qui comble tous les désirs qu'on formule envers Lui. Mais le verset nous éclaire un peu plus: Krsna Se penche spécialement vers Ses dévots, et cette attention spéciale manifeste la miséricorde toute particulière qu'Il leur accorde. Il ne faudrait pas penser, toutefois, que le Seigneur répond ainsi aux sentiments de Ses dévots sous l'effet de la loi du karma. Leurs échanges relèvent du niveau spirituel et absolu, où ils vivent. Le service de dévotion offert au Seigneur n'a rien d'une activité matérielle, il appartient au monde spirituel, où règnent éternité, connaissance et félicité.

VERSET 30

api cet su-duracaro
bhajate mam ananya-bhak
sadhur eva sa mantavyah
samyag vyavasito hi sah

TRADUCTION

Commettrait-il les pires actes, il faut voir quiconque est engagé dans le service de dévotion comme un saint homme, car il est sur la voie parfaite.

TENEUR ET PORTEE

Le terme suduracaro est ici d'une grande, importance: tâchons de le bien comprendre. Deux lignes d'action distinctes s'offrent à l'être conditionné: l'une qui correspond à son état conditionné, l'autre à son état originel. La première comprend les actes en rapport avec l'existence matérielle, et qu'on qualifie de "conditionnés": préserver son corps, suivre les lois de la société, de l'Etat, etc., actes que même les bhaktas accomplis exécutent. Mais, ceux ci, pleinement conscients de leur nature spirituelle, ont de plus, avec le service dévotionnel qu'ils offrent au Seigneur, dans la conscience de Krsna, des activités purement spirituelles et absolues, en accord avec leur fonction originelle, naturelle et éternelle, activités techniquement connues sous le nom même de "service de dévotion".

Dans l'état conditionné, le service de Dieu et le service du corps, le service dévotionnel et le service "conditionné", parfois suivent des voies parallèles, et parfois s'opposent. Aussi, dans la mesure du possible, le bhakta prend-il bien garde de ne rien faire qui puisse rompre l'équilibre de sa saine condition; il sait que la perfection de ses actes dépend de sa réalisation progressive de la conscience de Krsna. Il arrive parfois qu'un bhakta accomplisse tel ou tel acte qui, dans un cadre social ou politique donné, puisse sembler fort répréhensible, mais cette "chute", temporaire, ne le disqualifie nullement. Le Srimad-Bhigavatam dit en effet, à ce propos, que si un homme dont tout l'être est absorbé par le service absolu du Seigneur Suprême s'oublie et commet une faute, le Seigneur, en son coeur, le relève, "l'embellit", et lui pardonne son erreur, si grande soit-elle. La puissance de contamination de la matière est si grande que même un yogi totalement absorbé dans le service du Seigneur peut parfois être ensorcelé par elle; mais la conscience de Krsna, de son côté, possède un pouvoir tellement supérieur qu'elle le remet aussitôt de sa chute. La voie du service de dévotion ouvre donc toujours sur la réussite. Et, nul ne devrait condamner un bhakta pour avoir accidentellement dévié du sentier idéal car, comme l'explique le prochain verset, il ne connaîtra plus ces écarts dès qu'il sera complètement établi dans la conscience de Krsna.

Il faut donc garder à l'esprit qu'un être établi dans la conscience de Krsna, récitant avec détermination le mantra:

hare krsna hare krsna krsna krsna hare hare
hare rama hare rama rima rama hare hare
se situe toujours au niveau absolu, même en cas de rechute fortuite ou accidentelle.

Les mots sadhur eva, "il est un saint homme", sont empreints d'une solennité particulière; ils préviennent les abhaktas de ne pas railler un dévot du Seigneur pour une défaillance occasionnelle, mais bien de toujours le voir comme saint, ce qu'appuie encore davantage le mot mantavyah. Celui qui n'observe pas cette règle et manque de respect à l'égard du bhakta pour avoir trébuché par accident, va contre l'ordre du Seigneur Suprême. L'unique qualification requise du bhakta est d'être inflexiblement et exclusivement engagé dans le service de dévotion.

Les taches que l'on peut remarquer sur la lune ne ternissent en rien son éclat. De même chez le bhakta: un écart accidentel de la voie de sainteté ne peut le rendre abominable. Il ne faudrait pas, cependant, tomber dans l'excès contraire, et conclure qu'un dévot du Seigneur peut, dans le cadre du service dévotionnel absolu, commettre toutes sortes d'actes répréhensibles; notre verset ne parle que d'erreurs accidentelles, dues à la force terrible des influences matérielles. Servir Krsna avec dévotion, c'est en quelque sorte déclarer la guerre à l'énergie illusoire, et tant qu'il n'est pas assez fort pour repousser les assauts de maya, le bhakta risque de connaître des chutes accidentelles. Mais, comme nous l'avons déjà dit, tout danger sera écarté dès qu'il aura acquis la résistance nécessaire. Nul ne doit donc s'appuyer sur ce verset pour se livrer à des actes infâmes en se considérant toujours comme un dévot du Seigneur. Ne pas s'améliorer dans son comportement malgré la pratique du service de dévotion témoigne d'un défaut de conscience spirituelle.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare