L'Upadesamrita L’enseignement de Rūpa Gosvāmī
VERSET 1
vāco vegaṁ manasaḥ krodha-vegaṁ TRADUCTION
L'être sobre, capable de résister aux tentations du verbe, aux sollicitations du mental, aux incitations à la colère et aux impulsions de la langue, de l'estomac et des organes génitaux, trouve qualité pour faire des disciples par toute la terre.
TENEUR ET PORTEE Le Śrīmad-Bhāgavatam nous montre Mahārāja Parīkṣit soumettant à Srila Śukadeva Gosvāmī nombre de questions pertinentes, dont l'une se formule comme suit: «Ceux-là qui ne peuvent maîtriser leurs sens, pourquoi tentent-ils d'expier leur fautes ?» De tels êtres sont semblables à un voleur qui, même s'il sait fort bien qu'il peut être arrêté pour ses vols, et même s'il a vu d'autres voleurs appréhendés par les représentants de la loi, continue cependant de perpétrer ses méfaits. Il est deux voies par quoi s'acquiert le savoir: par l'écoute et par la vue. Une intelligence moindre l'acquerra par la vue; une intelligence plus haute, à travers l'écoute. Ainsi, lorsqu'un homme doué d'intelligence entend les enseignements des écrits juridiques et des śāstras (Textes révélés) stipulant que voler est un crime et que tout malfaiteur qui se fait prendre sera arrêté et châtié, il s'abstient de le faire. Mais l'homme d'intelligence moindre devra d'abord subir arrestation et punition avant de comprendre. Quant à l'homme à l'esprit vil et privé de toute intelligence, il continuera ses crimes même après avoir vu et entendu, et même après avoir été puni. Châtié par l'Etat, ayant ainsi expié ses fautes, un homme de ce genre récidive dès sa sortie de prison. La question se pose alors: si l'emprisonnement doit permettre au voleur de racheter ses fautes et qu'il reprend, une fois libre, ses activités malfaisantes, quelle peut être la valeur d'une telle expiation ? Telle est d'ailleurs la question de Mahārāja Parīkṣit, rapportée dans le Śrīmad-Bhāgavatam (VI.1.9-10):
dṛṣṭa-śrutābhyāṁ yat pāpaṁ jānann apy ātmano 'hitam karoti bhūyo vivaśaḥ prāyaścittam atho katham
kvacin nivartate 'bhadrāt Il compare ce genre d'expiation au bain des éléphants. On voit cet animal s'asperger d'eau avec grand soin, mais sitôt hors de la rivière, il se couvre à nouveau de poussière. Que lui vaut alors de s'être si soigneusement baigné ? Pareillement, des spiritualistes pratiquent le chant du mahā-mantra Hare Kṛṣṇa tout en se livrant aux actes défendus, forts de croire que le chant annulera leurs fautes. Des offenses qui peuvent être commises lors du chant des Saints Noms du Seigneur, celle qui consiste à commettre sciemment des actes coupables en espérant que le chant du mahā-mantra efface leurs conséquences porte le nom de nāmno balād yasya hi pāpa-buddhiḥ. Certains chrétiens vont de la même manière à l'église confesser leurs péchés, croyant de cette manière, et moyennant quelque pénitence, obtenir l'absolution de leurs péchés de la semaine. Mais dès que la suivante commence, ils reprennent leurs activités coupables, en attendant le pardon du prochain dimanche. Mais dans ces versets du Śrīmad-Bhāgavatam, Mahārāja Parīkṣit — le roi le plus intelligent de son époque — condamne une telle expiation (prāyaścitta). Śukadeva Gosvāmī, doué lui aussi d'une intelligence remarquable, et digne du maître spirituel de Mahārāja Parīkṣit, répondit au roi en confirmant le bien-fondé de ses dires, car un acte coupable ne peut être neutralisé par un acte vertueux. Le véritable prāyaścitta, ou rachat de nos fautes passées, s'effectue en ravivant notre conscience de Kṛṣṇa, maintenant assoupie. Il demande donc le développement du vrai savoir, lequel s'acquiert par une voie précise. Tout comme il faut apprendre à se plier à des règles d'hygiène strictes pour rester en bonne santé, il faut de même apprendre à se soumettre à certains principes de vie si on aspire à ranimer sa conscience originelle, une conscience de parfaite connaissance. Mener une vie ainsi réglée constitue ce qu'on appelle le tapasya, l'austérité. On peut graduellement s'élever au niveau du savoir véritable — de la Conscience de Kṛṣṇa — par la pratique de l'austérité et de la continence (le brahmacarya), par la maîtrise du mental et des sens, par le don de ses biens, en se gardant profondément véridique, et propre, ainsi que par la pratique des yoga-āsanas. Toutefois, celui qui aura l'heureuse fortune de bénéficier de la compagnie d'un pur bhakta, d'un maître spirituel authentique, et, sous sa direction, d'observer les principes régulateurs de la Conscience de Kṛṣṇa. — s'abstenir de tout rapport sexuel illicite, ne pas manger de viande, ne faire usage d'aucune substance enivrante et rejeter tout jeu de hasard — et à sa suite de s'engager dans le service du Seigneur Suprême, pourra facilement atteindre le même but sans devoir se soumettre à toutes les pratiques yogiques visant à maîtriser le mental. C'est d'ailleurs la méthode, fort simple, que recommande Śrīla Rūpa Gosvāmī. D'abord, maîtriser ses paroles. Chacun possède le pouvoir de parler, dont il se hâte d'user dès que s'en présente l'occasion. Que nos dires ne se rapportent pas à la Conscience de Kṛṣṇa, et mille sottises sortiront alors de notre bouche. Le crapaud des champs ne peut s'empêcher de coasser; de même, tout homme qui a une langue veut parler, fût-ce pour dire des inepties. Mais par ses cris, le crapaud ne fait que convier le serpent: «S'il te plaît, viens me manger!» Bien qu'il appelle ainsi sa propre mort, rien ne peut l'empêcher de poursuivre son tapage. Les paroles des matérialistes et des philosophes māyāvādīs, ou impersonnalistes, sont comme les coassements du crapaud. Par les sornettes qui se précipitent sans arrêt de leur bouche, ils invitent la mort à les engloutir. Maîtriser ses paroles, cependant, ne signifie pas s'imposer le silence (mauna), comme le croient les philosophes māyāvādīs. La pratique du silence peut apporter une aide temporaire, mais se traduira finalement par l'échec. Pour réaliser la maîtrise du verbe telle que l'entend Śrīla Rūpa Gosvāmī, il faut plutôt adopter la voie positive de la kṛṣṇa-kathā; cette voie consiste à utiliser nos paroles pour la glorification du Seigneur Suprême, Sri Kṛṣṇa, à user de sa langue pour exalter Son Nom, Sa Forme, Ses Attributs et Ses Divertissements; le prédicateur de la kṛṣṇa-kathā se situe éternellement hors d'atteinte des griffes de la mort. Voilà ce que signifie maîtriser son désir de parler, ou «résister aux tentations du verbe». La fébrilité, ou inconstance, du mental (mano-vega) peut être dominée lorsqu'on le fixe sur les pieds pareils-au-lotus de Kṛṣṇa. Le Caitanya-caritāmṛta(Madhya 22.31) enseigne à cet effet:
kṛṣṇa—sūrya-sama; māyā haya andhakāra yāhāṅ kṛṣṇa, tāhāṅ nāhi māyāra adhikāra Sri Kṛṣṇa est comparable au soleil, et māyā à l'obscurité. Là où brille le soleil, il ne saurait exister de ténèbres. De même, si l'on garde Kṛṣṇa présent en son mental, aucun risque de voir māyā venir le troubler. La techique de yoga qui vise à nier toute pensée matérielle ne s'avère ici d'aucune aide; le vide créé dans le mental ne peut être qu'artificiel, et ne tardera pas à se combler. Cependant, si l'on absorbe toujours ses pensées en Kṛṣṇa, méditant sur le moyen de mieux Le servir, tout naturellement le mental sera maîtrisé. La colère aussi peut être maîtrisée. Impossible d'en faire simplement abstraction, mais nous pouvons nous en rendre maîtres si, l'assujettissant à la Conscience de Kṛṣṇa, nous en usons contre ceux qui blasphèment le Seigneur ou Ses dévots. Sri Caitanya Mahāprabhu montra un courroux de cette qualité lorsqu'Il S'en prit aux deux frères mécréants Jagāi et Mādhāi après qu'ils eurent blasphémé et blessé Sri Nityānanda Prabhu. Certes, Il écrit dans Son Śikṣāṣṭaka: tṛṇād api sunīcena taror api sahiṣṇunā, «Les Saints Noms du Seigneur, on devrait les chanter sans prétention aucune, en toute humilité, en se considérant moins qu'un fétu de paille dans la rue, en devenant plus tolérant que l'arbre et toujours prêt à offrir à autrui ses respects.» Pourquoi donc, alors, de la part du Seigneur, une telle colère ? Il faut comprendre le principe suivant: un homme doit être prêt à tolérer les pires insultes dès lors qu'elles sont dirigées vers sa propre personne, mais le vrai bhakta s'enflammera de colère et sévira aussitôt contre quiconque offense Kṛṣṇa ou Son pur dévot. Il est impossible d'enrayer la colère (krodha), mais elle peut être appliquée à bon escient. Hanumān était aussi animé d'une grande colère lorsqu'il livra aux flammes Laṅkā, pourtant il demeure célébré comme le plus fervent dévot de Sri Rāmacandra; c'est qu'il fit un juste usage de la colère. De même Arjuna, il n'avait aucun désir de combattre, mais Sri Kṛṣṇa l'incita à la colère: «Tu dois combattre!» Nul ne peut en effet combattre sans colère. Mais il faut, pour la maîtriser, l'utiliser au service du Seigneur. Quant à la langue, nous savons tous par expérience qu'elle aspire toujours à goûter les mets succulents. Cependant, nous ne devrions pas la laisser se satisfaire à sa fantaisie, mais la discipliner, en lui donnant du prasāda. Ainsi, un bhakta ne mange que lorsque Kṛṣṇa le pourvoie en prasāda. Voilà comment maîtriser les impulsions de la langue. On doit en outre honorer le prasāda à des heures régulières, et ne jamais fréquenter les restaurants ou confiseries, selon les caprices de la langue et de l'estomac. Si l'on adhère à ce principe, de n'accepter pour toute nourriture que du prasāda, leurs impulsions s'en trouveront maîtrisées. De même, les impulsions sexuelles sont maîtrisables, pourvu qu'on n'y réponde pas sans jugement. Les organes génitaux doivent servir à engendrer des enfants qu'on élèvera dans la Conscience de Kṛṣṇa, et à nul autre usage. Le Mouvement pour la Conscience de Kṛṣṇa ne favorise pas le mariage en vue de satisfaire les pulsions génitales, mais bien pour que viennent au monde des enfants qu'on élèvera dans la Conscience de Kṛṣṇa. Dès qu'ils ont un peu grandi, vers l'âge de cinq ans, on les envoie au gurukula, à nos écoles védiques, où ils reçoivent l'éducation nécessaire pour devenir parfaitement conscients de Kṛṣṇa.. La société requiert un grand nombre d'hommes formés de cette manière. Ainsi, celui qui est en mesure d'engendrer une descendance de bhaktas pourra-t-il avantageusement user de ses organes de reproduction. Or, quiconque possède une parfaite maîtrise des divers modes de discipline dans la Conscience de Kṛṣṇa se donne qualité pour devenir un maître spirituel authentique. Dans l'Anuvṛtti, son commentaire sur l'Upadeśāmṛta, Śrīla Bhaktisiddhānta Sarasvatī Ṭhākura explique que l'identification de l'être à la matière éveille en lui trois sortes d'impulsions: celles de la parole, celles du mental et celles du corps. Que l'être y succombe, et sa vie prendra aussitôt un caractère défavorable. On désigne celui qui, pour sa part, entreprend de leur résister sous le nom de tapasvī, signifiant qu'il pratique l'austérité. Grâce à ce tapasya, il pourra briser le joug de l'énergie matérielle, l'énergie externe du Seigneur Suprême. Lorsque nous parlons de «tentations du verbe», nous nous référons aux vaines paroles, comme en profèrent les philosophes impersonnalistes, ou māyāvādīs, ceux qu'absorbe l'action intéressée (qu'on nomme techniquement karma-kāṇḍa), ou encore les matérialistes, dont le seul désir est le plaisir sans restriction aucune. Leurs dires et leurs écrits à tous sont l'expression concrète de ce que nous entendons par «tentations du verbe». Nombreuses les inepties proférées par l'homme et nombreux les vains ouvrages; or il s'agit là d'autant de fruits, d'efforts, portant à satisfaire les tentations du verbe. Pour pouvoir vaincre ces tendances, il nous faut faire de Kṛṣṇa l'Objet de nos paroles. On lit dans le Śrīmad-Bhāgavatam (1.5.10-11) :
na yad vacaś citra-padaṁ harer yaśo jagat-pavitraṁ pragṛṇīta karhicit tad vāyasaṁ tīrtham uśanti mānasā na yatra haṁsā niramanty uśik-kṣayāḥ «Les mots qui point ne dépeignent les gloires du Seigneur, lesquelles suffisent à rendre pure l'atmosphère des trois mondes, pour les saints hommes ne valent guère plus que pèlerinages aux corbeaux. Les êtres parfaitement accomplis, parce qu'ils habitent le monde spirituel, n'y trouvent aucun plaisir.» (S.B., 1.5.10)
tad-vāg-visargo janatāgha-viplavo yasmin prati-ślokam abaddhavaty api nāmāny anantasya yaśo 'ṅkitāni yat śṛṇvanti gāyanti gṛṇanti sādhavaḥ «D'autre part, les ouvrages où l'on trouve abondamment décrites les gloires absolues du Seigneur Suprême et Infini sont d'inspiration purement spirituelle, et les mots sublimes qui en remplissent les pages ont vocation de révolutionner les habitudes impies des cultures égarées de ce monde. Même si la lettre de ces Ecrits comporte des irrégularités, ils demeurent écoutés, chantés et accueillis par tous les hommes purs qu'anime une profonde intégrité.» (S.B., 1.5.11) La conclusion en est que nous ne pourrons éviter les vains et ineptes propos à moins de parler du service de dévotion offert au Seigneur Suprême. Ainsi devons-nous toujours nous efforcer d'user de la parole dans le seul but de réaliser la conscience de Kṛṣṇa. Pour ce qui est des agitations, ou «sollicitations», du mental vacillant, elles se divisent en deux groupes. Le premier consiste en attachements non maîtrisés (avirodha-prīti), et le second en accès de colère nés de la frustration (virodha-yukta-krodha). L'adhérence à la philosophie māyāvāda, la foi en les fruits de l'action intéressée qu'ont les karma-vādīs— et dans la réussite de divers projets échafaudés sur des désirs matériels, voilà autant de manifestations de avirodha-prīti. Les Jñānīs, karmīs et les «échafaudeurs de projets» attirent facilement sur eux l'attention des âmes conditionnées, mais dès que ces matérialistes voient leurs plans s'écrouler, leurs efforts aboutir à l'échec, ils se laissent envahir par la colère. Car, la frustration des désirs matériels engendre aussitôt la colère. Les exigences du corps, quant à elles, peuvent se diviser en trois groupes: les impulsions de la langue, de l'estomac et de l'appareil génital. On remarquera que ces trois sources de désir se situent sur une même ligne dans le corps, et que c'est la langue qui provoque les premiers désirs du corps. Si, donc, nous pouvons la discipliner, en ne lui laissant goûter que du prasāda, les exigences de l'estomac et des organes génitaux seront également maîtrisées par contre coup. Śrīla Bhaktivinoda Ṭhākura dit à cet effet:
śarīra avidyā jāla, jaḍendriya tāhe kāla, jīve phele viṣaya-sāgare tā'ra madhye jihvā ati, lobhamāyā sudurmati, tā'ke jetā kaṭhina saṁsāre
kṛṣṇa baḍa dayāmaya, karibāre jihvā jaya, «Le corps matériel n'est qu'ignorance, ô Seigneur, et les sens forment un réseau de sentiers qui mènent à la mort. Pour une raison ou pour une autre, nous avons chu dans l'océan du plaisir des sens; or, de tous les organes des sens, c'est la langue le plus vorace et le plus difficile à maîtriser. Mais Tu fais montre, ô Kṛṣṇa, d'une grande bonté envers nous, car Tu nous donnes, pour en devenir maître, ce délicieux prasāda, cette nourriture consacrée. Prenons donc de ce prasāda à notre entière satisfaction, rendons gloire à Leurs Grâces Śrī Śrī Rādhā et Kṛṣṇa, et invoquons avec amour l'aide de Sri Caitanya et de Prabhu Nityānanda.» Il existe six sortes de saveurs (rasas), et il suffira que l'une d'entre elles agite l'être pour qu'il devienne aussitôt soumis aux impulsions de la langue. Certains sont attirés par la viande, le poisson, les crustacés, les oeufs, etc.: «aliments» produits à partir de semen et de sang, et consommés sous forme de cadavres. D'autres se sentent plutôt enclins à savourer légumes, plantes comestibles diverses et produits laitiers, mais toujours pour l'unique satisfaction de leur langue. Par contre, l'homme conscient de Kṛṣṇa doit éviter toute habitude alimentaire centrée sur le seul plaisir des sens. Quant aux épices comme le piment rouge et le tamarin, il doit en faire un usage modéré, et doit complètement rejeter le haritakī (myrobolan), la noix de bétel, le pan et diverses épices utilisées dans sa préparation, le LSD, la marijuana, l'opium, le tabac, l'alcool, le café et le thé, tous destinés à satisfaire des désirs illicites. Si nous prenons l'habitude de n'accepter que les reliefs de la nourriture offerte à Kṛṣṇa, nous pourrons secouer le joug oppressant de māyā. Les légumes, céréales, fruits et produits laitiers, de même que l'eau, sont tout à fait propres à être offerts au Seigneur: c'est ce qu'a Lui-même enseigné Sri Kṛṣṇa. Toutefois, n'accepter le prasāda que pour sa saveur —ce qui conduit à en consommer trop—, c'est également devenir victime des exigences de la langue. Sri Caitanya Mahāprabhu nous a enseigné d'éviter les mets hautement savoureux, s'agirait-il même de prasāda: bhāla nā khāibe āra bhāla nā paribe, «Ne portez pas de vêtements somptueux et tenez-vous à l'écart des aliments délectables.» (C.c., Antya VI.236). On devient également prisonnier des impulsions de la langue si l'on offre à la murti des mets succulents avec l'intention de s'en régaler par la suite. De même si l'on accepte l'invitation d'un homme riche dans l'idée de se voir offrir d'appétissantes nourritures. Le Caitanya-caritāmṛtaenseigne:
jihvāra lālase yei iti-uti dhāya śiśnodara-parāyaṇa kṛṣṇa nāhi pāya «Celui qui court de ça et de là, en quête du seul plaisir de sa langue, et demeure attaché aux impulsions de son estomac et de ses organes génitaux, celui-là ne peut atteindre Kṛṣṇa.» (C.c., Antya VI.227). La langue, l'estomac et les organes de reproduction se trouvent, nous l'avons vu, sur une même ligne dans le corps, et étroitement liés. Ceux-là qui souffrent de maladies de l'estomac n'ont certes pas pu en maîtriser les demandes. Dès qu'on en vient à manger plus que nécessaire, la vie se grève de toute une suite de désagréments. Si, au contraire, nous observons les jours de jeûnes, tel l’Ekādaśī et Janmāṣṭamī, bientôt les exigences de l'estomac se réduiront. Quant aux impulsions des organes génitaux, elles se divisent en deux ordres: celles qui sont recevables et celles qui ne le sont pas, respectivement liées aux rapports sexuels licites et illicites. L'homme, s'il est réfléchi, peut se marier selon les règles établies par les śāstras et user de ses organes reproducteurs en vue d'engendrer de bons enfants. Voilà ce qu'on entend par acte sexuel licite, en accord avec les principes de la religion. Dans toute autre hypothèse, il s'efforcera, par toutes sortes de moyens, d'obéir aux exigences de ses organes génitaux, sans retenue aucune. Que par suite l'être se livre à des activités sexuelles illicites, telles que les définissent les śāstras, c'est-à-dire par la pensée, en faisant le projet, ou l'objet de notre conversation, en accomplissant l'acte en lui-même ou en stimulant les organes génitaux par des moyens artificiels, le voilà aussitôt dans les griffes de māyā. Ces enseignements ne sont pas destinés aux seuls grhastas, mais aussi aux tyāgīs, ou ceux qui ont embrassé l'ordre du renoncement. A cet égard, Śrī Jagadānanda Paṇḍita écrit, dans le septième chapitre de son Prema-vivarta:
vairāgī bhāi grāmya-kathā nā śunibe kāne grāmya-vārtā nā kahibe yabe milibe āne
svapane o nā kara bhāi strī-sambhāṣaṇa
yadi cāha praṇaya rākhite gaurāṅgera sane
bhāla nā khāibe āra bhāla nā paribe «O mon frère, tu as pris l'ordre du renoncement, et ne dois donc prêter l'oreille à nul propos matériel, ni débattre des choses temporelles. Ne pense pas aux femmes, ne serait-ce qu'en rêve, car tu as embrassé l'ordre du renoncement et prononcé le voeu qui t'interdit tout rapport avec elles. Aspirant à vivre en compagnie de Caitanya Mahāprabhu, tu dois toujours garder souvenir de l'histoire de Choṭa Haridāsa, de la manière dont le Seigneur l'a banni de Sa présence. Ne te nourris pas de mets savoureux ni ne te couvre de somptueux vêtements; reste toujours humble et sers Leurs Grâces Śrī Śrī Rādhā-Kṛṣṇa du plus profond de ton coeur.» En conclusion, celui qui peut maîtriser ces six facteurs — le verbe, le mental, la colère, la langue, l'estomac et les organes génitaux — mérite le nom de «svāmī», ou «gosvāmī». Svāmī signifie maître, et go-svāmī maître des sens. Celui qui prend le sannyāsa se voit dès lors attribué le titre de svāmī. Ce n'est pas pour signifier qu'il est le maître de sa famille, de la communauté à laquelle il appartient ou de sa nation, mais bien de ses propres sens. S'il n'a maîtrisé ses sens, nul ne doit être appelé gosvāmī; mais bien plutôt godāsa, serviteur de ses sens. Marchant sur les traces des six Gosvāmīs de Vṛndāvana, tout svāmī ou gosvāmī doit pleinement s'absorber dans le service d'amour sublime du Seigneur. Les godāsas, au contraire, servent leurs propres sens ou la nature matérielle; ce sont là leurs seules occupations. Prahlāda Mahārāja décrit encore les godāsas comme adānta-go, mot signifiant que leurs sens ne sont pas maîtrisés. Un adānta-go ne peut devenir un serviteur de Kṛṣṇa.. Les paroles exactes de Prahlāda Mahārāja, telles que les rapporte le Śrīmad-Bhāgavatam, sont les suivantes:
matir na kṛṣṇe parataḥ svato vā mitho 'bhipadyeta gṛha-vratānām adānta-gobhir viśatāṁ tamisraṁ punaḥ punaś carvita-carvaṇānām «Ceux qui ont décidé de poursuivre leur séjour dans l'Univers matériel afin d'offrir davantage de plaisirs à leurs sens n'ont aucun espoir de devenir conscients de Kṛṣṇa, que ce soit par leurs efforts propres, par les conseils d'autrui ou par divers échanges et rencontres. Leurs sens les entraînent, emballés, vers les plus profondes ténèbres de l'ignorance, où ils s'évertuent frénétiquement à «mâcher du déjà mâché.» (,S.B VII.5.30)
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