La réincarnation

Mike Robinson, de l'Office de Radiodiffusion Londonien, interroge Śrila Prabhupāda sur la science de l'âme: avons-nous déjà existé ? Reviendrons-nous en ce monde? En se référant à des écrits millénaires, les Textes védiques, Śrila Prabhupāda lui répond avec une bouleversante précision.

Mike Robinson: Pouvez-vous me définir les bases de votre croyance —en quoi consiste la philosophie du Mouvement Hare Kṛṣṇa ?

Śrila Prabhupāda: Avant tout, la conscience de Kṛṣṇa n'est pas une question de croyance, il s'agit d'une science. La première étape consiste à savoir ce qui distingue un corps vivant d'un cadavre. En quoi sont-ils différents ? Lorsque quelqu'un meurt, l'âme spirituelle, ou la force vivante, quitte le corps et c'est pourquoi on le dit mort. Deux choses donc: le corps, et la force vivante à l'intérieur de ce corps. En ce qui nous concerne, la force vivante nous intéresse: voilà ce qui distingue la science de la conscience de Kṛṣṇa, spirituelle, de la science commune, matérielle. Au premier abord, il serait donc extrêmement difficile pour l'homme ordinaire d'apprécier notre Mouvement car il doit commencer par comprendre qu'il est une âme spirituelle, ou tout au moins autre chose que son corps.

Mike Robinson: Et quand parviendrons-nous à comprendre cela ?

Śrila Prabhupāda: Tout de suite si vous voulez, mais cela demande la peu d'intelligence. Prenons l'exemple de l'enfant qui grandit et devient un garçon, puis un jeune homme, puis un adulte et enfin un vieillard. Tout au long de cette évolution, bien que son corps passe de l'enfance à la vieillesse, il se sent toujours la même personne, il a conscience de garder la même identité. Réfléchissez: le corps change mais son occupant, l'âme, reste-le même. Noos pouvons donc conclure en toute logique qu'à la fin de ce corps, nous devons en revêtir un nouveau. C'est ce qu'on appelle la transmigration de l'âme.

Mike Robinson: Donc, lorsqu'on parle de mort, il n'est question en fait que du corps physique, n'est-ce-pas ?

Śrila Prabhupāda: Exactement. Cela est expliqué de façon très élaborée dans la Bhagavad-Gītā (II.20): na jāyate mriyate vā kadācin ... na hanyate hanyamāne śarīre.

Mike Robinson: Est-ce que vous citez souvent les Ecritures ?

Śrila Prabhupāda: Oui, nous faisons beaucoup de citations. La Conscience de Kṛṣṇa donne une éducation sérieuse, ce n'est pas une religion quelconque. (S'adressant à un disciple): cherche ce verset dans la Bhagavad-Gītā.

Le disciple:

na jāyate mriyate vā kadācin
nāyaṁ bhūtvā bhavitā vā na bhūyaḥ
ajo nityaḥ śāśvato ’yaṁ purāṇo
na hanyate hanyamāne śarīre

"L'âme ne connaît ni la naissance ni la mort. Vivante, elle ne cessera jamais d'être. Non née, immortelle, originelle, éternelle, elle n'eût jamais de commencement et jamais n'aura de fin. Elle ne meurt pas avec le corps."

Mike Robinson: Oh, merci beaucoup. Peut-être pouvez-vous m'éclairer un peu plus maintenant: si l'âme est immortelle, est-ce que tout le monde revient à Dieu après la mort ?

Śrila Prabhupāda: Pas nécessairement. Encore faut-il s'être qualifié durant sa vie —dans ce cas, effectivement, on peut retourner à Dieu. Autrement, on doit reprendre un corps matériel, et il existe 8 400 000 sortes de corps différents. De par les lois de la nature, chacun reçoit ainsi un corps particulier selon ses désirs et son karma. C'est exactement comme si quelqu'un attrape une maladie spécifique et extériorise par la suite les signes pathologiques propres à cette maladie. Est-ce que vous comprenez ?

Mike Robinson: Disons qu'il est très difficile de tout comprendre.

Śrila Prabhupāda: Supposons qu'un homme contracte la variole. Sept jours plus tard les symptômes vont apparaître. Comment appelle-t-on ce laps de temps ?

Mike Robinson: L'incubation ?

Śrila Prabhupāda: Oui, c'est cela. Vous ne pouvez donc pas l'éviter. Si vous attrapez une maladie, elle évoluera jusqu'à ce que les symptômes se déclarent; c'est la loi de la nature. De même, au cours de cette vie, vous subissez d'une certaine façon l'influence de l’énergie matérielle, et ce conditionnement particulier déterminera le corps que vous habiterez dans la vie suivante. Tout cela s'inscrit --eoureusement dans le cadre des lois de la nature auxquelles tous es êtres sont soumis. Ils en dépendent complètement, mais dans leur ignorance, ils se croient libres. En fait, ils s'imaginent être libres mais ils sont complètement subordonnés aux lois de la nature. Ainsi vos actes —pécheurs ou pieux selon le cas— détermineront-ils votre prochaine naissance.

Mike Robinson: Votre Grâce, pourriez-vous reprendre cette idée ? Vous dites que personne n'est libre: devons-nous comprendre que celui qui vit de bonne manière se prépare d'une certaine façon un bon futur ?

Śrila Prabhupāda: Oui.

Mike Robinson: Nous sommes donc libres de choisir ce que nous croyons être important ? Bien sûr, la religion est importante car celui qui croit en Dieu et vit pieusement...

Śrila Prabhupāda: Ce n'est pas une question de croyance, n'y mêlez pas cette notion. Il s'agit de lois. Prenons l'exemple du gouvernement: que vous croyiez ou non en la loi, si vous l'enfreiniez, le gouvernement vous punira. De même, que vous y croyiez ou non, Dieu existe. Si toutefois vous refusez de croire en Lui et que vous agissiez indépendamment, comme il vous plaît de le faire, alors vous serez puni par les lois de la nature.

Mike Robinson: Je vois. Mais est-ce vrai quelle que soit la religion a laquelle on croit ? Qu'est-ce que cela change d'être un dévot de Kṛṣṇa ?

Śrila Prabhupāda: Ce n'est pas une question de religion, mais bien ce science. Vous êtes un être spirituel, mais parce que vous êtes conditionné par la matière, vous voilà soumis aux lois de la nature. Peut-être avez-vous foi dans la religion chrétienne et moi dans la religion hindoue, mais cela ne signifie pas pour autant que vous allez vieillir et moi non. Nous discutons ici de la science du vieillissement; il s'agit d'une loi naturelle. Ce n'est pas le fait d'être chrétien qui vous fera vieillir, et ce n'est pas non plus le fait que je sois hindou qui m'en empêchera. Tout le monde vieillit, et de même les lois de la nature dans leur ensemble valent pour tous; que tous croyiez en telle religion ou en telle autre, cela importe peu.

Mike Robinson: Selon vous donc, un seul et même Dieu dirige tous les êtres.

Śrila Prabhupāda: Un seul Dieu et une seule loi de la nature, à laquelle nous sommes tous soumis. Nous sommes sous la dépendance du Suprême, et de ce fait, si nous nous croyons libres, libres d'agir comme bon nous semble, c'est bien là le signe de notre stupidité.

Mike Robinson: Je vois. Mais alors, quel intérêt particulier y a-t-il à faire partie du Mouvement Hare Kṛṣṇa ? Qu'est-ce que cela change ?

Śrila Prabhupāda: Le Mouvement pour la Conscience de Kṛṣṇa s'adresse à ceux qui désirent sérieusement comprendre cette science. Nous ne sommes absolument pas assimilables à quelque secte: n'importe qui peut faire partie de ce Mouvement. Que vous soyiez libre penseur, chrétien, hindou ou musulman, peu importe. Le Mouvement pour la Conscience de Kṛṣṇa admet quiconque veut comprendre la science de Dieu.

Mike Robinson: Et qu'est-ce que cela apporte d'apprendre à être un dévot de Kṛṣṇa ?

Śrila Prabhupāda: C'est le début de la véritable éducation. En premier lieu, vous devez comprendre que vous êtes une âme spirituelle, et que de ce fait vous changez de corps. Voilà l'ABC de la réalisation spirituelle. Donc, lorsque l'existence du corps prend fin, qu'il est détruit, pour vous ce n'est pas la fin: vous revêtez un nouveau corps tout comme vous changeriez de costume ou de chemise. Supposons que demain, pour venir me voir, vous portiez une chemise et un costume différents: serez-vous pour cela une personne différente ? Sûrement pas. De même, chaque fois que vous mourez, vous changez de corps, mais vous —c'est-à-dire l'âme spirituelle à l'intérieur de ce corps— demeurez le même. Il faut d'abord bien comprendre ce point; on peut alors aller plus loin dans la science de la conscience de Kṛṣṇa.

Mike Robinson: Je commence à comprendre, mais il m'est toutefois difficile de faire le lien entre tout ceci et le fait qu'à Oxford Street on voit beaucoup de vos disciples distribuer des livres ayant trait à la Conscience de Kṛṣṇa.

Śrila Prabhupāda: Ces livres ont pour but de convaincre les gens de l'importance de la vie spirituelle.

Mike Robinson: Et peu vous importe si l'on fait partie ou non du Mouvement Hare Kṛṣṇa ?

Śrila Prabhupāda: Peu importe, notre mission consiste à éduquer. L'ignorance affecte aujourd'hui les hommes dans leur masse: ils se bercent d'illusions à croire que tout est fini lorsque le corps a fini d'exister.

Mike Robinson: En fait, la seule chose qui vous intéresse serait donc d'éveiller l'homme à la dimension spirituelle de la vie ?

Śrila Prabhupāda: Notre premier souci est de vous expliquer que .vous n'êtes pas le corps —celui-ci n'étant qu'un simple vêtement semblable à votre chemise et à votre costume—, et que vous vivez a l'intérieur de ce corps.

Mike Robinson: Je crois avoir saisi maintenant. Partons donc de ce point, si vous le voulez bien. Vous disiez que nos actes déterminent ce que sera notre vie après la mort, que notre prochaine vie est fixée par des lois naturelles. Comment s'opère donc cette transmigration ?

Śrila Prabhupāda: Il s'agit d'un processus extrêmement subtil; l'âme spirituelle, infinitésimale, reste invisible pour l'oeil matériel. Lorsque le corps grossier —formé de sens, de sang, d'os, de graisse, etc.— est détruit, le corps subtil, lui, —le mental, l'intelligence et l'ego— continue de fonctionner, et au moment de la mort, ce corps subtil emporte l'âme infime vers un autre corps grossier. Ce processus s'apparente au déplacement d'une odeur que transporte l'air. Personne ne peut voir le parfum d'une rose, mais nous savons qu'il est porté par l'air. Pareillement, la transmigration de l'âme est un procédé lui aussi très subtil. Selon la nature du mental à l'instant de la mort, l'âme spirituelle infinitésimale portée par la semence mâle, prend refuge dans le sein d'une femelle qui lui donne un corps; ce peut être celui d'un homme ou celui d'un chat, d'un chien, etc.

Mike Robinson: Dois-je comprendre que nous existions déjà sous une autre forme avant cette vie ?

Śrila Prabhupāda: Exactement.

Mike Robinson: Et nous revenons sous une nouvelle forme à chaque fois ?

Śrila Prabhupāda: Oui, car vous êtes éternel. Vous changez simplement de corps en fonction de vos actes. Par conséquent, vous devez développer le désir de savoir comment mettre un terme à ce cycle, comment retrouver votre corps spirituel originel. Voilà ce qu'enseigne la Conscience de Kṛṣṇa.

Mike Robinson: Je vois. Si je deviens conscient de Kṛṣṇa, je ne risque donc pas de revenir sous la forme d'un chien.

Śrila Prabhupāda: Certainement pas. (S'adressant à un disciple) : cherche ce verset: janma karma ca me divyam...

Le disciple:

janma karma ca me divyam
evaṁ yo vetti tattvataḥ
tyaktvā dehaṁ punar janma
naiti mām eti so ’rjuna

"Celui, ô Arjuna, qui connaît l'absolu de Mon Avènement et de Mes Actes n'aura plus à renaître dans l'univers matériel; quittant son corps, il entre dans Mon royaume éternel." (B.g., IV.9)

Śrila Prabhupāda: Dieu nous dit: "Qui Me comprend tel que Je suis est libéré des morts et des renaissances". Mais on ne peut pas comprendre Dieu par une spéculation matérialiste; ce n'est pa possible. On doit d'abord s'élever au niveau spirituel où l'on acquiert l'intelligence nécessaire pour comprendre Dieu. Et celui qui y parvient n'aura plus jamais à reprendre de corps matériel. Il retourne en sa demeure originelle, auprès de Dieu, pour y vivre éternellement sans plus jamais changer de corps.

Mike Robinson: Je vois. Vous avez cité vos Ecritures à deux reprises. J'aimerais connaître leur origine. Pouvez-vous me l'expliquer ?

Śrila Prabhupāda: Nos Ecritures correspondent aux Textes védiques, lesquels existent depuis le début de la création. Chaque fois que l'on fabrique quelque chose —comme ce micro par exemple—, on y joint un mode d'emploi, n'est-ce pas ?

Mike Robinson: Oui, c'est un fait.

Śrila Prabhupāda: Et cette notice a été conçue en même temps que l'appareil.

Mike Robinson: Je vous suis bien.

Śrila Prabhupāda: Selon un même ordre d'idée, la création des Textes védiques et de l'univers matériel est simultanée; ces textes enseignent aux hommes comment ils devront y conduire leur existence.

Mike Robinson: Je vois. Ces Ecritures existent donc depuis le début de la création. J'aimerais maintenant aborder le sujet auquel vous attachez, il me semble, une grande importance. Quelle est la différence essentielle entre la Conscience de Kṛṣṇa et les autres mouvements venus d'Orient ?

Śrila Prabhupāda: Nos Ecritures sont authentiques, et ils inventent les leurs. Voilà la différence. Lorsque vous êtes confronté avec des questions d'ordre spirituel, vous devez consulter les Ecritures originelles, et non celles qui sont issues de la plume d'un charlatan.

Mike Robinson: Et à quoi correspond le chant du mantra Hare Kṛṣṇa ?

Śrila Prabhupāda: Chanter Hare Kṛṣṇa constitue le moyen le plus facile de se purifier, surtout en cet âge où les gens ont l'esprit si lourd qu'ils ont du mal à saisir la connaissance spirituelle. Le chant du mantra Hare Kṛṣṇa purifie l'intelligence qui peut alors comprendre ce qui a trait à la spiritualité.

Mike Robinson: Pouvez-vous me dire sur quoi, vous vous guidez pour agir ?

Śrila Prabhupāda: Nous suivons les Ecritures védiques.

Mike Robinson: Les Ecritures que vous avez citées ?

Śrila Prabhupāda: Tout est dans ces Ecritures, et nous sommes en train de les traduire en anglais; mais nous n'ajoutons rien, car alors toute la connaissance donnée serait détériorée. On peut comparer les Ecritures védiques à la notice de montage de ce micro où on lit, "Suivez la procédure indiquée; assemblez telle et telle pièce". Vous ne pouvez pas vous permettre de modifier quoi que ce soit au risque de tout détériorer. De même, du fait que nous n'inventons rien, il vous suffit de lire nos ouvrages pour avoir ainsi accès au véritable savoir spirituel.

Mike Robinson: Comment la philosophie de la Conscience de Kṛṣṇa peut-elle affecter notre mode de vie ?

Śrila Prabhupāda: En enrayant la souffrance. L'homme souffre parce qu'il fait l'erreur de croire qu'il est le corps. Si vous vous identifiez au costume et à la chemise que vous portez et que vous les laviez soigneusement mais que vous oubliiez de manger, serez-vous heureux ?

Mike Robinson: Non, je...

Śrila Prabhupāda: De même, l'homme aujourd'hui ne fait que laver "la chemise et le costume" —le corps—, mais il oublie l'âme qui vit dans le corps et n'a de celle-ci aucune connaissance. Demandez à quelqu'un au hasard: "Qui êtes-vous ?", et il vous répondra: "Je suis anglais" ou encore "Je suis indien". Et si vous lui répondez, "Oui, je vois bien que vous avez un corps anglais ou indien, mais qui êtes-vous ?", il ne saura vous répondre.

Mike Robinson: Je vois.

Śrila Prabhupāda: Toute la civilisation moderne est basée sur la fausse conception que le corps est le moi véritable (dehatmabuddhi), et c'est bien la mentalité des chats et des chiens. Supposez que je veuille entrer en Angleterre et que vous m'arrêtiez à la frontière: "Moi je suis anglais, me dites-vous, mais vous qui êtes indien, que venez-vous faire chez nous ?" Un chien, lui, aboiera: "Ouah, ouah, que venez-vous faire ici ?" Alors quelle est la différence ? Lui se prend pour un chien et me voit comme un étranger, et vous, vous vous croyez anglais et me prenez pour un indien. Il n'y a aucune différence de mentalité. Par conséquent, si vous laissez l'homme dans l'obscure mentalité du chien et que vous dites de la civilisation qu'elle est en progrès, vous vous trompez complètement.

Mike Robinson: Passons maintenant à un autre point. Je crois que le Mouvement pour la Conscience de Kṛṣṇa se préoccupe des endroits dans le monde où règne la souffrance.

Śrila Prabhupāda: Oui, nous sommes les seuls que cela préoccupe vraiment. Les autres ne font qu'éviter les problèmes majeurs: la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort. Ils n'apportent aucune solution à ces problèmes, ils ne font que dire des bêtises. Les gens sont induits en erreur, on les maintient dans l'obscurité mais il faudrait commencer à les éclairer.

Mike Robinson: Bien sûr, mais à part le fait de les éclairer spirituellement, êtes-vous également concernés par le bien-être physique de vos contemporains ?

Śrila Prabhupāda: Le bien-être physique suit automatiquement le bien-être spirituel.

Mike Robinson: Comment expliquez-vous cela ?

Śrila Prabhupāda: Supposons que vous ayez une voiture. Vous en prendrez naturellement soin autant que de vous-même, mais sans pour cela vous identifier à elle. Vous ne direz pas, "Je suis cette voiture", car ce serait absurde. Et pourtant, voilà précisément ce que fait la masse des hommes: ils accordent trop d'attention au "véhicule" physique, car ils s'identifient à lui. Ils oublient qu'ils sont des âmes spirituelles, destinés à toute autre chose. Tout comme personne n'éprouverait de satisfaction à boire de l'essence, nul ne sera satisfait par les seules activités du corps. Il faut chercher la nourriture qui convient à l'âme. Quiconque penserait "Je suis une automobile, j'ai besoin d'essence" serait pris pour un fou. Or, celui qui s'identifie au corps et qui croit trouver le bonheur dans les plaisirs matériels a lui aussi perdu la raison.

Mike Robinson: J'aimerais vous entendre commenter cette citation que j'ai relevée dans le livre que vos disciples m'ont remis avant mon arrivée et où vous écrivez entre autres: "La religion sans base rationnelle n'est que sentiment".

Śrila Prabhupāda: La plupart des gens pieux disent, "Nous croyons..." Mais quelle est la valeur de cette croyance ? Peut-être croyez-vous en quelque chose qui n'est pas vraiment correct. Par exemple, certains chrétiens disent, "Nous croyons que les animaux n'ont pas d'âme". Mais c'est une erreur; s'ils croient cela, c'est parce qu'ils veulent les manger, mais en fait les animaux ont bel et bien une âme.

Mike Robinson: Comment le savez-vous ?

Śrila Prabhupāda: Mais vous aussi pouvez le savoir, je vais vous en donner la preuve scientifique: les animaux mangent, vous aussi; les animaux dorment, vous aussi; ils s'accouplent, vous aussi; ils se défendent et vous vous défendez aussi. Alors quelle différence y a-t-il entre vous et un animal ? Comment pouvez-vous dire que vous avez une âme mais que l'animal n'en a pas ?

Mike Robinson: Je vous suis parfaitement, mais les Ecritures chrétiennes disent que...

Śrila Prabhupāda: Ne faites pas intervenir les Ecritures; il s'agit ici d'une question de bon sens. Essayez de comprendre: comme vous, l'animal mange, dort, se protège, s'accouple et se multiplie; comme vous, il a un domicile; comme vous, lorsqu'il se coupe, il saigne. Ainsi, toutes ces similitudes sont-elles indéniables. Alors pourquoi ? jeter celles qui touchent à la présence de l'âme ? C'est contraire à la logique; avez-vous étudié cette science ? La logique fait appel à la notion d'analogie. On entend par là le fait de tirer une conclusion en faisant ressortir plusieurs similitudes entre deux propositions. S'il existe ainsi tant de points communs entre l'homme et l'animal, pourquoi dénier une similitude en particulier ? Ce n'est ni logique, ni scientifique.

Mike Robinson: Mais si vous prenez ce même argument sous un autre angle...

Śrila Prabhupāda: Il n'en existe pas d'autre; si vos arguments ne s'appuient pas sur la logique, alors vous n'êtes pas rationnel.

Mike Robinson: Je veux bien. Mais partons d'une autre hypothèse. Supposons que l'être humain n'ait pas d'âme...

Śrila Prabhupāda: Alors expliquez-moi ce qui distingue un corps vivant d'un cadavre. Je l'ai déjà expliqué au début de notre entretien. Dès que la force vivante, l'âme, quitte le corps, aussi beau qu'il fût, ce dernier n'exerce plus aucun attrait. Personne ne s'en soucie plus et l'on s'en débarrasse. Pourtant, si maintenant je touche à un seul de vos cheveux, il y aura querelle. Voilà ce qui distingue un corps qui vit d'un cadavre: dans le premier, l'âme est présente alors que dans le second elle n'y est plus. Dès que l'âme quitte le corps, celui-ci perd toute valeur. Il devient inutile. C'est très simple à comprendre, et pourtant même les plus grands "savants" et "philosophes" ont l'esprit trop obtus pour y parvenir. La société moderne est dans une condition des plus abominables: les hommes véritablement dotés d'intelligence brillent par leur absence.

Mike Robinson: Faites-vous allusion à tous les savants qui ne peuvent saisir la dimension spirituelle de l'existence ?

Śrila Prabhupāda: Oui. La vraie science suppose une connaissance complète de toutes choses, matérielles et spirituelles.

Mike Robinson: Mais vous étiez pharmacien avant de devenir moine, n'est-ce pas ?

Śrila Prabhupāda: Oui, à une autre période de ma vie. Mais cela ne requiert pas une intelligence particulière; n'importe quel homme doté de bon sens peut devenir pharmacien.

Mike Robinson: Mais je présume que vous accordez toutefois une certaine importance à la science matérielle, même si nos savants modernes ont le cerveau embrumé ?

Śrila Prabhupāda: La science matérielle est importante jusqu'à un certain point, mais cela demeure très relatif.

Mike Robinson: Je vois. J'aimerais revenir sur un débat qui nous a opposé il y a quelques instants; vous me disiez, "Ne faites pas intervenir ici les Ecritures, il s'agit d'une question de bon sens". Quelle place accordez-vous alors aux Ecritures dans votre religion ? Ont-elles une grande importance ?

Śrila Prabhupāda: Notre religion est une science. Lorsqu'on dit qu'un petit enfant grandit pour devenir un garçon, cela relève d'une science, non d'une religion. Cette vérité vaut pour tous les enfants, ce n'est pas une question de religion. Tout, homme doit mourir; là encore, que vient faire la religion ? Et après la mort, le corps devient inutile; cela non plus n'a rien à voir avec la religion, il s'agit bien plutôt de science. Que vous soyez chrétien, hindou ou musulman, quand vous serez mort, votre corps aura perdu toute valeur. C'est scientifique. Lorsqu'un parent meurt, vous n'allez pas dire, "En tant que chrétiens, nous croyons qu'il n'est pas mort". Non, c'est un fait: que vous soyez chrétien, hindou ou musulman, il est mort. Voilà donc la base sur laquelle nous fondons nos assertions: le corps a de l'importance aussi longtemps que l'âme y vit. Mais qu'elle le quitte, et le corps perd toute valeur. Cette science s'applique à tous, et nous essayons d'éduquer les sens en nous appuyant sur de telles bases.

Mike Robinson: Mais si je comprends bien, votre enseignement semble se fonder sur des vérités purement scientifiques. Que vient donc faire la religion dans tout cela ? Śrila Prabhupāda: A vrai dire, le mot religion est synonyme de science, mais on lui a donné à tort le sens de croyance —"je crois". (S'adressant à un disciple): cherche le mot religion dans le dictionnaire.

Le disciple: Le dictionnaire définit la religion comme la "reconnaissance par l'homme d'un pouvoir ou d'un principe supérieur, surnaturel, et plus précisément d'un Dieu personnel à qui obéissance et respect sont dus; l'attitude mentale qui en résulte."

Śrila Prabhupāda: Oui, la religion, c'est l'art d'apprendre à obéir au Seigneur Suprême. Peu importe donc que vous soyez chrétien et moi hindou: nous devons tous deux accepter l'existence d'un maître suprême. C'est une vérité que tous doivent reconnaître; voilà la vraie religion, et non pas ce "Nous croyons que les animaux n'ont pas d'âme". Ce genre de supposition n'a aucun rapport avec la religion; elle va même à l'encontre de la démarche scientifique. Religion est synonyme de compréhension scientifique du maître suprême: comprendre Dieu et Lui obéir —voilà tout. Le bon citoyen est celui qui comprend ce qu'est le gouvernement de son pays et obéit à ses lois, alors que le mauvais citoyen, lui, ne s'en soucie pas. Par conséquent, on dira de celui qui ignore les lois de Dieu —"le mauvais citoyen"— qu'il n'a pas de religion, et de celui qui les respecte —"le bon citoyen"— qu'il est pieux.

Mike Robinson: Je vois. Quel est selon vous le but de la vie ? Pourquoi existons-nous ?

Śrila Prabhupāda: Vivre signifie jouir de la vie. Mais parce que votre vie est illusoire, vous souffrez au lieu de jouir de l'existence. On retrouve partout cette lutte pour l'existence: tous les êtres y sont engagés. Mais qu'y gagnent-ils à la fin ? Ils souffrent et ils meurent, voilà tout. Par suite, bien que vivre soit synonyme de jouissance, telle n'est pas votre expérience présente. Mais si vous échappez à votre illusion pour vous établir au niveau réel, spirituel. alors jouirez-vous de la vie.

Mike Robinson: Pouvez-vous me décrire enfin certaines des étapes que l'on traverse dans la vie spirituelle ?

Śrila Prabhupāda: Vous vous demandez d'abord: "Qu'est-ce au juste que ce Mouvement pour la Conscience de Kṛṣṇa ? J'aimerais approfondir". Voilà ce qu'on nomme sraddha, la foi, et c'est le début. Ensuite, si vous êtes sérieux, vous allez chercher la compagnie de ceux qui cultivent cette connaissance. Vous essaierez de comprendre leurs sentiments. Puis vous songerez: "Pourquoi ne pas faire comme eux ?" Et lorsque vous partagez leur vie, alors toutes vos craintes disparaissent aussitôt. Votre foi s'affermit, et vous développez un goût réel pour la conscience de Kṛṣṇa. Pourquoi ces jeunes ne vont-ils pas au cinéma ni dans les boîtes de nuit ? Pourquoi ne mangent-ils pas de viande ? Parce que leurs goûts se sont transformés: ils ont toutes ces choses en aversion maintenant. Voilà donc la progression: d'abord la foi, puis la compagnie des dévots de Kṛṣṇa, puis les craintes qui disparaissent; la foi s'affermit ensuite et un goût se développe pour la conscience de Kṛṣṇa. Vient alors la réalisation spirituelle proprement dite, et enfin l'amour pour Dieu, la perfection. Voilà une religion parfaite, à la différence du rituel des "Je crois, tu crois". Il ne s'agit pas là de religion mais de fumisterie. La vraie religion consiste à développer son amour pour Dieu; voilà quelle est la perfection de toute religion.

Mike Robinson: Merci beaucoup pour cet entretien, ce fut un plaisir.

Śrila Prabhupāda: Hare Kṛṣṇa.