RENÉ DESCARTES
(1596-1650)
HAYAGRIVA: Dans Méditations touchant la philosophie première, Descartes écrit : « Le pouvoir de former un jugement et de discerner le vrai du faux – ce qu’on appelle le bon sens ou la raison – est par nature égal chez tous les êtres humains… Dieu a donné à chacun quelque lumière qui lui permette de discerner la vérité de l’erreur. » Descartes parle-t-il ici de l’Âme Suprême ou d’une autre forme d’intellection ?
SRILA PRABHUPADA: L’Âme Suprême et la raison sont deux choses bien différentes, mais la raison s’avère néanmoins nécessaire. Elle nous permet à titre d’exemple de comprendre que le corps n’est qu’une masse de matière formée de peau, d’os, de muscles, de sang, d’urine, de matières fécales, etc. Notre capacité de raisonnement nous permet de demander si la combinaison de tels ingrédients peut engendrer la vie, et d’en déduire que la vie diffère de la matière.
SYAMASUNDAR: Pour Descartes, toute vérité peut découler de la raison, laquelle est supérieure et indépendante de l’expérience sensible. La connaissance se déduit de concepts évidents ou d’idées innées, essentielles. En d’autres mots, il n’est pas d’accord avec les empiristes, qui croient que la vérité ne peut découler que de l’expérience sensible.
SRILA PRABHUPADA: On ne peut comprendre Dieu à travers les sens, mais la raison nous fait comprendre qu’Il existe. Nous pouvons raisonner ainsi : « J’ai un père, lui-même né d’un père qui naquit lui aussi d’un père. Et ainsi de suite. Il doit donc exister un Père Suprême. » Or, Dieu est ce Père Suprême, originel, et la raison nous aide à comprendre qu’Il existe. De même, nous pouvons réaliser que le Seigneur est également le Créateur. Nous constatons que tout fut créé par quelqu’un. Conclusion : le vaste cosmos serait aussi l’œuvre d’un créateur. Ainsi le veut la raison. Mais des sots spéculent que l’Univers vit le jour lorsqu’une grande masse de matière explosa. Or, qui dit explosion dit explosif, et qui dit explosif dit artificier. Sinon, comment cette masse de matière a-t-elle pu exploser ? Notre raison nous aide à percevoir que tout a une cause ou un créateur.
HAYAGRIVA: Descartes avance que la raison ou le bon sens s’avère égal chez tous les humains. Mais la capacité de raisonnement ne diffère-t-elle pas en chacun ?
SRILA PRABHUPADA: Effectivement, sinon pourquoi certains sont-ils intelligents et d’autres ignorants ? Quand on conclut grâce à la raison que la force vitale animant le corps diffère de celui-ci, on accède au plan humain. Mais quiconque considère la vie comme une simple combinaison d’ingrédients matériels demeure un animal. Tel est le verdict des Védas.
yasyâtma-buddhih kunape tridhâtuke sva
dhîh kalatrâdisu bhauma ijya
dhîhyat-tîrtha-buddhih salile na karhicij
janesv abhijñesu sa eva go-kharah
« L’homme qui identifie au moi son corps constitué de trois éléments, qui considère ce qui est lié au corps comme sa parenté ou sa nation, qui fait de sa terre natale un objet de culte, et qui se rend aux lieux saints pour s’y baigner plutôt que pour y rencontrer ceux qui possèdent le savoir transcendantal, ne vaut certes pas mieux qu’un âne ou une vache. » (Bhâgavatam 10.84.13) Quiconque croit être le corps ne vaut pas mieux qu’un animal. Ainsi, grâce à la raison, nous pouvons conclure que l’âme n’est ni ceci ni cela. C’est la méthode dite néti-néti. Il s’agit ensuite de poursuivre notre recherche en demandant : « Qu’est-ce alors que l’âme ? Qu’est-ce que Brahman ? » Nous pourrons ensuite conclure que Brahman incarne l’origine de la matière, laquelle se développe grâce à l’âme. Telle est la conclusion védique du Védânta-soûtra.
L’acte sexuel, à titre d’exemple, ne peut produire la grossesse sans la présence de l’âme. Les gens peuvent avoir de nombreux rapports sexuels sans que la grossesse s’ensuive nécessairement. Quand on met une semence en terre, un arbre s’en développera; mais si vous la faites frire, elle ne fructifiera pas parce que l’âme ne peut plus y demeurer. Il faut donc en conclure que l’âme sert de fondement à la matière. L’âme existe certes, même si on ne peut pas la percevoir sur le plan matériel. Certains signes permettent néanmoins d’en réaliser la présence : la conscience et le développement physiologique. De même que l’âme individuelle représente la force vitale qui donne vie au corps, Dieu incarne la force vitale suprême qui donne vie à l’entière manifestation cosmique.
SYAMASUNDAR: La méthode de Descartes veut qu’on cherche en soi-même un fond de vérité. Lui le trouva dans la conscience de soi. Concluant d’abord qu’il existait, il raisonna ensuite que Dieu existe nécessairement.
SRILA PRABHUPADA: Oui, j’existe, comme d’ailleurs mon père, mon grand-père, etc. Par conséquent, Dieu existe également. C’est ce qu’on appelle en sanskrit ahankâra : « Je suis ». Nous existons à l’heure actuelle, mais notre conception de l’existence s’avère erronée. Nous pensons « j’existe grâce à mon corps », sans toutefois comprendre comment il se fait que nous existions. La raison et l’entendement doivent nous faire comprendre que nous sommes des âmes spirituelles et non des corps. C’est l’âme qui existe. La raison nous permet de comprendre que nous étions d’abord un enfant, puis un jeune homme et un vieillard, et qu’après la destruction du corps, nous continuerons d’exister. J’existe encore, même si j’ai déjà revêtu plusieurs corps. La raison me permet de conclure qu’après la destruction du corps, j’existerai toujours. Ce que confirme la Bhagavad-Gîtâ (2:20) :
na jâyate mriyate vâ kadâcin nâyam bhûtvâ bhavitâ vâ na bhûyah
ajo nityah sâsvato ’yam purâno na hanyate hanyamâne sarîre
« Jamais l’âme ne naît ni ne meurt. Elle n’eut jamais de commencement et n’aura jamais de fin. Non née, éternelle, immortelle et primordiale, elle ne périt pas avec le corps. » Même quand le corps est anéanti, l’âme perdure. Nous pouvons en arriver à cette conclusion par l’expérience, que les shâstras viendront confirmer. La raison peut également permettre de conclure ainsi. Puisque cette conclusion est confirmée de tant de façons, il ne peut s’agir que d’un fait.
SYAMASUNDAR: Descartes avance que la vérité doit être aussi évidente qu’innée, comme la connaissance intuitive que « j’existe ».
SRILA PRABHUPADA: J’existe maintenant, j’existais dans le passé et j’existerai dans le futur : voilà la connaissance intuitive que confirme la Bhagavad-Gîtâ (2.12) :
na tv evâham jâtu nâsam na tvam neme janâdhipâh
na caiva na bhavisyâmah sarve vayam atah param
« Jamais ne fut le temps où nous n’existions, Moi, toi et tous ces rois, et jamais aucun de nous ne cessera d’être. » Ce que confirme Krishna et que ma raison accepte également. Le corps change au fil d’une vie. De même que j’existe dans un corps différent désormais de celui de mon enfance, dans le futur je continuerai d’exister dans un corps différent.
SYAMASUNDAR: Pour Descartes, tout ce qui est clair et distinct – comme la conscience de soi – doit être vrai.
SRILA PRABHUPADA: Exactement. Je pense de cette façon, et les Écritures provenant de source autorisée ainsi que les âchâryas le confirment. Il ne s’agit pas ici de penser de manière fantaisiste. Sri Krishna, Sri Caitanya Mahâprabhu et tous les âchâryas s’accordent sur ce point; cela ne fait donc aucun doute.
HAYAGRIVA: Dans Méditations touchant la philosophie première, Descartes écrit encore : « Je tombe dans l’erreur parce que le pouvoir de discerner le vrai du faux dont Dieu m’a doté n’est pas illimité. » Si on ne peut jamais être sûr de pouvoir discerner le vrai du faux, où réside la certitude ?
SRILA PRABHUPADA: Elle réside en Krishna puisqu’Il est l’Absolu. Lui est infini, quand nous sommes limités. L’âme est un fragment limité du Brahman, alors que Dieu incarne l’infini Brahman. Toutes les religions acceptent que Dieu est le Père Suprême, dont tous les êtres vivants sont les fils. Notre existence dépend de la miséricorde du Père Suprême, une conclusion à laquelle la raison nous permet d’arriver.
SYAMASUNDAR: Descartes avance que les vérités élémentaires de la conscience sont innées en la personnalité humaine et procurent des preuves aussi rationnelles qu’immédiates.
SRILA PRABHUPADA: C’est un fait. Faisant partie intégrante de la Perfection Suprême, je suis parfait mais à un degré infime. Et ce au même titre qu’une parcelle d’or, si infime soit-elle, n’en demeure pas moins de l’or. De toute évidence, je ne saurais devenir aussi grand que l’Infiniment Parfait. Telle est la seule différence. Nous sommes qualitativement identiques à Dieu, mais différents de Lui du point de vue quantitatif. Toutes les qualités du Seigneur sont aussi présentes en nous en quantité infime. Au contact de mâyâ, nous sommes devenus imparfaits. Il s’agit donc ici de retrouver notre perfection grâce à la conscience de Krishna. C’est ce qu’on appelle la libération, ou mukti. Lorsque nous regagnerons notre forme originelle, nous aurons atteint la perfection.
SYAMASUNDAR: Descartes dit que les vérités hypothétiques qui naissent de la perception sensible sont peu fiables, et que seules les idées innées sont claires et non embrouillées par les sens parce qu’elles découlent de notre propre nature.
SRILA PRABHUPADA: Doit-on comprendre que la vérité doit être établie par soi et non par autrui ?
SYAMASUNDAR: Descartes chercha d’abord en lui-même quelque fondement inné à la vérité. Sa première découverte : « Je suis ».
SRILA PRABHUPADA: Jadis, nombreux étaient ceux qui avaient réalisé cette vérité. Le sot croit que tous les autres sont des sots. Le sourd parle à voix basse, car il croit que cela suffit pour qu’on l’entende. Il ne s’y connaît pas mieux que ça. Chacun pense qu’autrui lui ressemble. Descartes ne fut pas le premier humain à réaliser l’identification du soi : « Je suis ». Cette prise de conscience existe depuis très longtemps. Krishna dit :
aham evâsam evâgre nânyad yad sad-asat param
pascâd aham yad etac ca yo ’vasisyeta so ’smy aham
« Ô Brahma, Je suis cette Personne Suprême, qui était avant la Création, lorsqu’il n’existait rien d’autre que Moi-même, et que la cause de la Création – la Nature matérielle – n’était pas encore manifestée. Je suis aussi Celui que tu vois maintenant, Moi, la Personne Suprême, et Je suis également Celui qui subsistera après l’annihilation. » (Bhâgavatam 2.9.33) Krishna parle ici de la Création. Comme nous existions avant que nos corps furent créés et que nous existerons encore quand ils seront anéantis, nous pourrions en dire autant. À la différence que nous n’avons à nous soucier que de ces petits corps, quand Krishna doit Se préoccuper de l’Univers entier. Le concept du « je » est ainsi tout aussi présent en Dieu qu’en l’être vivant. Rien de nouveau à cela !
HAYAGRIVA: Descartes voit en Dieu une substance infinie, immuable, autonome, omnisciente et toute-puissante. Il est le Créateur de tout ce qui existe. Descartes écrit : « Il se peut que toutes les perfections que j’attribue à Dieu existent potentiellement en moi, bien qu’elles ne se révèlent pas ni ne provoquent quelque action. »
SRILA PRABHUPADA: J’ai maintes fois expliqué que les qualités infinies de Dieu sont présentes en quantité limitée chez les êtres vivants. À titre d’exemple, l’impulsion créatrice nous habite également. Nous pouvons ainsi créer des avions qui volent dans le ciel. Mais cette impulsion ne nous permet pas de créer une autre planète qui flotterait dans l’espace. Même si nous sommes à même de créer tant d’appareils, nous n’en sommes pas moins limités. Le pouvoir de créer est présent en Dieu et dans les êtres vivants, car ces derniers font partie intégrante de Lui. Le savoir du Seigneur est parfait, le nôtre ne couvre qu’une sphère limitée. Dieu sait tout mais nous connaissons si peu de choses, une différence que Krishna souligne dans la Bhagavad-Gîtâ (7:26) :
vedâham samatîtâni vartamânâni cârjuna
bhavisyâni ca bhûtâni mâm tu veda na kascana
« Ô Arjuna, parce que Je suis Dieu, la Personne Suprême, Je sais tout du passé, du présent et de l’avenir. Je connais tous les êtres, mais Moi, nul ne Me connaît. »
SYAMASUNDAR: Descartes avait développé une méthode à quatre règles, désormais appelée la méthode cartésienne. La première règle serait de ne reconnaître pour vrai que ce qui se laisse connaître comme vrai et distinct.
SRILA PRABHUPADA: De toute évidence, il est louable de ne rien accepter aveuglément. Mais lorsque l’intelligence requise pour comprendre nous fait défaut, il faut consulter quelqu’un d’intelligent.
SYAMASUNDAR: Descartes estime que la vérité doit être aussi claire et distincte qu’une preuve mathématique.
SRILA PRABHUPADA: Cela vaut à condition d’être un mathématicien. Mais un laboureur pourrait-il comprendre les mathématiques ?
SYAMASUNDAR: Selon Descartes, il revient à ceux qui comprennent les mathématiques d’établir la vérité et de la transmettre aux personnes moins intelligentes.
SRILA PRABHUPADA: En d’autres mots, la vérité supérieure ne peut être appréhendée par tous. Il faut acquérir la vérité auprès d’autorités en la matière. Aussi acceptons-nous la vérité des Védas. Sruti-pramânam : nous acceptons le témoignage des Védas même lorsque nous ne le comprenons pas.
SYAMASUNDAR: La seconde règle de la méthode cartésienne consiste à découper les problèmes en autant de parties que possible pour mieux les résoudre.
SRILA PRABHUPADA: Mais il faudrait alors être expert en analyse. Si je te demande de réparer une machine à écrire et que tu n’y connais rien, après l’avoir ouverte pour en examiner toutes les parties, tu ne saurais plus quoi faire. Il est plus facile de l’ouvrir que de la réparer.
SYAMASUNDAR: La troisième règle de cette méthode : avencer de l’objet le plus simple vers le plus compliqué.
SRILA PRABHUPADA: Comprenons d’abord que nous sommes des âmes spirituelles. Voilà la première étape de notre méthode. Il s’agit en tout premier lieu de se comprendre soi-même et la façon dont on existe en dépit du fait qu’on passe constamment d’un corps à un autre. Il faut s’étudier en tant que maître du corps. On pourra ensuite en conclure que le corps universel émane d’une autre source : l’Âme Suprême, ou Dieu. De même que mon corps existe de par ma présence, l’énorme corps virât existe grâce celle de l’Âme Suprême. Tout dans l’Univers revêt sans cesse un aspect aussi frais que neuf; il doit donc exister une âme de dimension supérieure qui le maintient. Ce que confirme les Védas : andântara-stha-paramânu-cayântara-stham – Dieu est l’omniprésent Brahman tout en étant également présent dans le moindre atome (Brahma-samhitâ 5:35). Grâce à Son émanation plénière, Dieu pénètre l’Univers entier. Selon les Védas, on compte différentes manifestations de Dieu : Mahâ ou Kâranodakashâyî Vishnou, Garbhodakashâyî Vishnou et Kshîrodakashâyî Vishnou. Est-ce difficile à comprendre ? La même électricité alimente toutes les lampes, qu’elles soient grandes ou petites. Les philosophes mâyâvâdîs ne considèrent que la similitude, oubliant de tenir compte des variétés. Dieu est omniprésent, mais la variété n’en existe pas moins.
SYAMASUNDAR: Comment notre présence crée-t-elle notre corps ?
SRILA PRABHUPADA: Ce sont vos actions qui créent votre corps. Le chien a créé son corps selon son désir, et de même le tigre. De toute façon, l’âme demeure la même. L’érudit, le pandit, ne voir pas la variété externe mais l’âme en chaque être. Selon leurs désirs et leurs actions, les âmes obtiennent différents corps; d’où les 8 400 000 différentes espèces qui peuplent la Création et dont Krishna dit : aham bîja-pradah pitâ – « Je suis le père qui donne la semence. » (Gîtâ 14:4) Krishna, père de tous les êtres, donne la semence mais le fils crée sa propre situation. Certains de Ses enfants sont très riches ou très pauvres; d’autres sont de grands savants ou philosophes. D’autres encore sont des vauriens. Quand naît l’enfant, le père ne dit pas : « sois un vaurien » ou « deviens un homme de science », etc. Il les voit tous comme ses fils.
SYAMASUNDAR: La quatrième règle de la méthode cartésienne serait de tenir compte des points les plus détaillés tout en s’assurant de ne rien omettre.
SRILA PRABHUPADA: Ainsi se définit le savoir. À titre d’exemple, nous tenons compte des détails en considérant la différence entre le Seigneur Suprême et nous-mêmes.
SYAMASUNDAR: Et peut-on tout intégrer dans le grand ordre de la Création de Krishna ?
SRILA PRABHUPADA: Oui. Krishna dit : aham sarvasya prabhavah – « Je suis la source de tout. » (Gîtâ 10:8) Krishna affirme être bîja, la semence ou l’âme, l’étincelle spirituelle de tous les êtres vivants.
SYAMASUNDAR: Descartes propose également des règles de conduite que tous devraient adopter. Il estime que nous devons obéir aux lois et coutumes de notre nation, de notre foi religieuse, de notre tradition familiale, ainsi qu’éviter tout comportement extrême.
SRILA PRABHUPADA: Voilà une bonne proposition. Or, la civilisation védique respecte la tradition familiale. Arjouna soutient dans la Bhagavad-Gîtâ (1:39) :
kula-ksaye pranasyanti kula-dharmâh sanâtanâh
dharme naste kulam krtsnam adharmo ’bhibhavaty uta
« La destruction d’une famille entraîne l’effondrement des traditions familiales éternelles, si bien que ses descendants sombrent dans l’irréligion. » Ce qui signifie qu’Arjuna respectait la tradition familiale. Krishna souligne toutefois qu’une telle considération serait de nature matérielle. Elle ne revêt vraiment aucune valeur spirituelle en soi. Aussi Krishna réprimande-t-il Arjuna, l’accusant d’adopter une position matérialiste. Arjuna s’affligeait pour ce que les sages ne pleurent pas. Il se peut donc que Descartes formulait de telles propositions pour des gens ordinaires; elles ne sont aucunement destinées aux âmes hautement évoluées sur le plan spirituel.
SYAMASUNDAR: Descartes les considère comme des règles pratiques de conduite au quotidien. Il croit également que nous devons nous en tenir à nos convictions et être déterminés dans la ligne de conduite que nous avons adoptée.
SRILA PRABHUPADA: Il pourrait aussi s’agir ici d’obstination. Cependant, si notre conclusion ultime s’avère vraie, une telle obstination est désirable. Mais si nous n’avons pas atteint le but ultime, la Vérité Absolue, elle devient alors un obstacle au progrès. Aussi faut-il généralement l’éviter, car les néophytes doivent se montrer flexibles. Lorsqu’on est hautement évolué et fermement établi dans la vérité, il convient évidemment de s’en tenir à ses convictions. C’est ce qu’on appelle la détermination. À titre d’exemple, ayant compris que Krishna est Dieu, la Personne Suprême, personne ne saurait ébranler notre conviction. Le christianisme enseigne que seul Jésus-Christ peut nous aider à retourner auprès de Dieu. Cet enseignement était conçu pour les disciples du Christ, car Jésus voyait que s’ils le quittaient, ceux-ci s’égareraient. Il réalisait que ces âmes moins évoluées devaient le suivre pour progresser. Dans un même ordre d’idées, Bouddha rejeta les Védas, mais sans minimiser pour autant l’autorité védique. Les hommes à qui il s’adressait ne pouvaient pas appréhender l’autorité des Védas, faisant mauvais usage des rites védiques. Tout ceci relève du domaine de la vérité relative, mais il en est tout autrement de la Vérité Absolue qui englobe la vérité relative, tout en demeurant indépendante de celle-ci.
SYAMASUNDAR: Selon Descartes, il faut s’adapter et limiter nos ambitions selon notre fortune et notre environnement, au lieu de les défier. En d’autres mots, il faut se contenter de ce qu’on a et l’utiliser au mieux.
SRILA PRABHUPADA: Voilà une excellente proposition. À titre d’exemple, la civilisation védique n’encourage pas le développement économique à outrance. En Inde, on trouve encore de nos jours des villageois satisfaits de leur sort et même des balayeurs qui sont de grands dévots. Après le travail, ils se baignent, marquent leur corps de tilak, puis s’assoient pour chanter le Saint Nom et adorer la Déité. Pourquoi se montrer inutilement ambitieux ? Mieux vaut se contenter de ce qu’on a.
SYAMASUNDAR: Descartes croit également qu’il faut choisir prudemment le travail qui nous convient le mieux.
SRILA PRABHUPADA: Si on lui accorde cette liberté, l’ivrogne dira que le mieux serait de boire et de dormir. Chacun a sa propre idée, qu’il croit être la meilleure. Qui déterminera ce qui est mieux ? Selon Vivekânanda, peu importerait quelle philosophie l’on choisit. Quelle absurdité !
HAYAGRIVA: Toujours dans Méditations touchant la philosophie première, Descartes écrit : « Ce n’est pas en vérité une imperfection de la part de Dieu qu’Il m’ait accordé la liberté de consentir ou non à ce dont Il n’a pas intégré une connaissance claire et distincte à mon entendement. Par contre, c’est une imperfection de ma part si je n’utilise pas correctement cette liberté… » Mais alors pourquoi Dieu ne nous donne-t-Il pas l’intelligence requise pour choisir judicieusement en toutes circonstances ? Pourquoi ne peut-on pas simultanément jouir du libre arbitre et d’un discernement infaillible ?
SRILA PRABHUPADA: Le libre arbitre offre la possibilité de mal agir. À moins d’avoir cette possibilité d’agir correctement ou non, il ne saurait être question de libre arbitre. En agissant unilatéralement, je n’ai aucune liberté. Nous sommes libres parce que nous pouvons parfois agir de façon incorrecte.
HAYAGRIVA: En d’autres mots, la liberté veut qu’une personne puisse mal agir même en sachant qu’elle ne devrait pas ?
SRILA PRABHUPADA: Voilà le libre arbitre : la liberté d’en abuser. Le voleur peut savoir qu’il est mal de voler, mais il le fait néanmoins. Voilà son libre arbitre à l’œuvre. Il ne peut s’empêcher d’être cupide, même s’il sait mal agir et risquer d’être puni. Conscient de toutes les répercussions du vol, il vole néanmoins en abusant de son libre arbitre. À moins de pouvoir faire un mauvais usage de notre libre arbitre, il ne peut être question de liberté.
HAYAGRIVA: Dans Méditations, Descartes soutient qu’en ne connaissant pas Dieu, on ne connaît vraiment rien de façon parfaite; mais quiconque connaît Dieu connaît tout.
SRILA PRABHUPADA: En effet. Et connaître Dieu, c’est suivre Ses instructions. Dans la Bhagavad-Gîtâ, Krishna transmet le plus secret des savoirs à Arjuna. Mais en dernière analyse, il revient à celui-ci de l’accepter ou de le rejeter. À la conclusion de la Bhagavad-Gîtâ (18:63), Krishna dit à Arjouna :
iti te jñânam âkhyâtam guhyâd guhyataram mayâ
vimrsyaitad asesena yathecchasi tathâ kuru
« Ainsi t’ai-Je dévoilé le plus secret des savoirs. Réfléchis mûrement, puis agis comme il te plaira. » Voilà le libre arbitre. Il revient à chacun d’agir selon les instructions du Seigneur ou selon son propre caprice et ses penchants sensuels.
HAYAGRIVA: Descartes écrit encore : « Je vois que la certitude en vérité de tout savoir dépend de la connaissance du vrai Dieu, et qu’avant de Le connaître, je ne pouvais rien connaître parfaitement. Or, maintenant que je Le connais, j’ai le moyen d’acquérir une connaissance parfaite d’innombrables choses… » Descartes conclut ensuite qu’étant infiniment bon, Dieu ne le tromperait pas en ce qui a trait au Divin.
SRILA PRABHUPADA: S’il suit les instructions du Seigneur et possède une véritable connaissance de Dieu, il ne sera jamais induit en erreur; mais s’il choisit un faux dieu, ou s’il n’a pas rencontré le vrai Dieu, il risque d’être fourvoyé. Pour lui épargner ce péril, le Seigneur nous transmet l’enseignement de la Bhagavad-Gîtâ. Quiconque suit cet enseignement deviendra parfait. En recevant la science de l’âme des lèvres de Dieu, nous ne risquons guère de nous tromper. Dès qu’on pense à sa guise, on risque d’errer puisqu’on est aussi limités qu’imparfaits. Krishna précise que l’âme habite le corps; acceptant cette vérité, on peut aussitôt comprendre que l’âme diffère du corps. Krishna ajoute que le possesseur du corps est l’âme qui l’habite; chassons immédiatement la fausse impression qu’on est le corps, conclusion absurde s’il en est une. La lumière brille, mais ceux qui la refusent préfèrent vivre dans la sottise et la spéculation.
SYAMASUNDAR: Descartes soutient que l’émotion par excellence serait l’amour intellectuel de Dieu.
SRILA PRABHUPADA: Ce que confirme également la Bhagavad-Gîtâ (7:17), où Krishna dit que le jñânî-bhakta, le bhakta faisant preuve d’intelligence, Lui est très cher :
tesâm jñânî nitya-yukta eka-bhaktir visisyate
priyo hi jñânino ’tyartham aham sa ca mama priyah
« Le sage au parfait savoir, constamment absorbé dans le service de dévotion pur, est le meilleur d’entre tous car il M’est très cher, comme Je lui suis très cher. » Un dévot peu intelligent acceptera les principes aujourd’hui pour les abandonner demain. Très rares sont les personnes qui acceptent avec intelligence la philosophie de la conscience de Krishna. Or, il convient de l’accepter avec intelligence et non par sentiment.
SYAMASUNDAR: Pour Descartes, le vrai bonheur naît de la conscience de la perfection.
SRILA PRABHUPADA: C’est-à-dire la conscience de Krishna, la prise de conscience que Dieu est le Suprême et que je suis Son serviteur éternel. Cette conscience est synonyme de bonheur, comme le confirme la Bhagavad-Gîtâ. Quand Kouvéra, le trésorier des dévas, avait offert à Dhrouva Mahârâj toutes les richesses du monde, Dhrouva répondit : « Bénis-moi plutôt afin que j’aie une foi inébranlable en les pieds pareils-au-lotus de Krishna. » Voilà une preuve d’intelligence digne de ce nom. De même, lorsque le Seigneur Nrisimhadéva avait offert à Prahlâd Mahârâj tout ce qu’il pourrait désirer, Prahlâd lui répondit : « Que pourrais-je Te demander ? Mon père était un tel matérialiste que les dévas redoutaient son courroux. Tu l’as néanmoins anéanti en l’espace d’une seconde. Que peuvent ainsi valoir la puissance et l’opulence matérielles ? Engage-moi à servir Tes serviteurs. Voilà tout ce que je désire. »
SYAMASUNDAR: Descartes soutient qu’un homme est vertueux en autant que sa raison domine sa passion.
SRILA PRABHUPADA: En effet. La personne qui parvient à dominer ses passions d’une façon ou d’une autre s’épargne d’innombrables problèmes.
visayâ vinivartante nirâhârasya dehinah
rasa-varjam raso ‘py asya param drstvâ nivartate
« Même si elle restreint ses jouissances sensorielles, l’âme incarnée conserve un attrait pour les objets des sens. Toutefois, qu’elle goûte quelque chose de supérieur, et elle mettra fin à ses vains plaisirs, la conscience fixée au niveau spirituel. » (Gîtâ 2:59) Les gens souffrent à cause de leurs actions empreintes de passion. D’où les règles et principes régissant l’action. Si nous parvenons à dominer nos impulsions nées de la Passion, nous pouvons nous épargner bien des problèmes. C’est la Passion qui nous incite à la boisson, aux rapports sexuels illicites, aux jeux de hasard et aux actions déréglées. Qui peut dominer sa passion grâce à la raison peut se sauver du plus redoutable danger.
SYAMASUNDAR: Descartes avait une grande vénération pour la théologie, la science de Dieu, car il y voyait la voie royale vers le paradis pour tous, qu’ils soient intelligents ou non. Pour Descartes, la théologie traite de vérités qui transcendent vraiment la raison humaine.
SRILA PRABHUPADA: Ce qui signifie qu’il faut puiser la vérité dans les Écritures révélées, dont chacune laisse transparaître une certaine compréhension de Dieu.
SYAMASUNDAR: Descartes cherchait tout d’abord à établir un point d’appui à la vérité. Puis, il en vint à la preuve de l’existence de Dieu. Quant à la philosophie, il soutient qu’elle manque de certitude et que ses principes sont toujours contestables.
SRILA PRABHUPADA: Nous sommes d’accord sur ce point. Chaque philosophe, pour être digne de ce nom, doit voir les choses sous un angle qui lui sera propre, et se faire une opinion différente des autres et défier tous ses prédécesseurs. Les hommes de science fonctionnent également selon ce même modus operandi. De sorte qu’il s’avère très difficile de découvrir qui dit vrai. Voilà pourquoi les shâstras védiques recommandent qu’on suive la voie tracée par les grandes âmes ayant réalisé Dieu : Prahlâd Mahârâj, Dhrouva Mahârâj, Vyâsadéva, Brahmâ, Shiva, Kapiladéva, les douze mahâjans et leurs disciples, les disciples de la Brahma-sampradâya, de la Roudra-sampradâya, de la Vishnouswami-sampradâya, de la Râmânouja-sampradâya et des autres successions discipliques authentiques. En marchant sur les traces des âchâryas de ces lignées discipliques, notre voie est toute tracée.
SYAMASUNDAR: Descartes estime que la science ne mérite pas qu’on s’y intéresse, car elle repose sur des principes philosophiques sans fondement en soi. Il condamne d’ailleurs ceux qui ont recours à la technologie scientifique pour s’enrichir. Descartes déclare : « Je suis résolu à ne plus explorer d’autre science que la connaissance de soi. »
SRILA PRABHUPADA: Mais il n’avait pas de gourou.
SYAMASUNDAR: Non, il n’a pas accepté de gourou, mais seulement ce qu’il pouvait connaître par l’auto-réalisation, c.-à-d. les vérités innées qu’il découvrit en lui-même par la méditation. Descartes comprit tout d’abord « je suis », pour ensuite conclure que puisque je suis, Dieu existe.
SRILA PRABHUPADA: Voilà une heureuse conclusion.
SYAMASUNDAR: Descartes est obsédé par le besoin de certitude absolue, car il considère comme douteuses toutes les conclusions des philosophes antérieurs. Il croit que toute idée doit être soumise au doute jusqu’à ce que la vérité ou la fausseté puisse en être établie, comme on le ferait pour une formule mathématique. Chaque idée doit être soumise à un contre-interrogatoire.
SRILA PRABHUPADA: Mais quand ces doutes disparaîtront-ils ? Votre critère de compréhension de vérités évidentes peut s’avérer différent du mien. Quel critère adopter ? Voilà ce qu’il doit proposer.
SYAMASUNDAR: Méditant sur la philosophie première, Descartes en conclut : « Je pense, donc je suis (cogito ergo sum). » Il estime que tout est sujet au doute sauf l’acte de douter en soi. Puisque le doute fait partie intégrante de la pensée, cette dernière serait une expérience irréfutable. « Douter, c’est penser; or je pense, donc je suis », voilà sa conclusion.
SRILA PRABHUPADA: C’est un argument valable. Si je n’existais pas, comment pourrais-je penser ? Mais condamne-t-il le doute ou l’accepte-t-il ? Quelle est sa position ?
SYAMASUNDAR: Il accepte le doute comme le seul fait réel. Comme je peux douter que ma main existe, celle-ci peut être un rêve, une hallucination. Je peux douter de l’existence de toute perception, car tout ça peut n’être qu’un rêve. Mais on ne saurait douter du fait que je doute.
SRILA PRABHUPADA: Quelle serait alors sa conclusion ? Faut-il cesser ou continuer de douter ? Si je doute de tout, je pourrais accéder à la vérité mais douter de celle-ci.
SYAMASUNDAR: Il entend qu’on ne peut douter de la vérité, mais que pour la découvrir, il nous faut douter de tout. Lorsque nous accéderons à la vérité, celle-ci s’imposera.
SRILA PRABHUPADA: Mais comment accéder à la vérité si vous ne faites que douter ? Comment cesserez-vous enfin de douter ?
SYAMASUNDAR: Je ne saurais douter que je suis, que j’existe. Voilà une vérité indubitable dont il déduit l’existence de Dieu.
SRILA PRABHUPADA: Il entend donc qu’en doutant, nous en arrivons finalement à ne plus douter. C’est une approche valable. D’abord le doute, puis la vérité en guise de conclusion. De toute façon, il faut dissiper tout doute. Je doute parce que je suis imparfait et que mon savoir l’est également. Il s’agit donc de se demander aussi comment s’acquiert la perfection. Tant que nous serons imparfaits, nous serons en proie au doute.
SYAMASUNDAR: Descartes affirme que malgré mon imperfection, le parfait savoir –ou la conscience d’idées aussi parfaites qu’innées – existe. La connaissance du parfait est innée en moi, et je peux le connaître grâce à la méditation.
SRILA PRABHUPADA: Cette proposition est également acceptable.
SYAMASUNDAR: Comprenant que je pense, je peux établir l’existence de mon âme hors de tout doute.
SRILA PRABHUPADA: Nous pensons tous, nous existons tous et nous avons tous une âme. Il existe d’ailleurs des légions d’âmes. Voilà des vérités qu’il faut accepter.
SYAMASUNDAR: Mais qu’en est-il du brin d’herbe, par exemple ?
SRILA PRABHUPADA: Il a également son mode de pensée. Il s’agit aussi de l’admettre. Non pas que nous avons une âme, mais pas l’herbe ou l’animal. Jagadish Chandra Bose a demontré à l’aide d’un appareil que les plantes peuvent penser et ressentir. « Je pense, donc je suis » est une proposition réaliste puisque tous pensent et existent. On compte 8 400 000 formes de vie; toutes pensent et sont dotées d’âmes individuelles.
HAYAGRIVA: Descartes émet plusieurs conjectures quant à l’emplacement de l’âme dans le corps. Il écrit dans ses Méditations : « Quoique l’âme soit unie au corps entier, elle exerce néanmoins ses fonctions plus spécifiquement dans une certaine partie de l’organisme. On croit généralement que ce serait le cerveau, ou peut-être le cœur; le cerveau, parce que c’est à lui que sont reliés les organes des sens; le cœur, parce que c’est apparemment là que nous éprouvons les passions. » Descartes conclut donc que l’âme serait située dans un petit appendice du cerveau appelé glande pinéale.
SRILA PRABHUPADA: Toutes ces spéculations trahissent un manque d’information précise. Voilà pourquoi il nous faut accepter les instructions du Seigneur. Krishna déclare spécifiquement dans la Bhagavad-Gîtâ (18:61) :
îsvarah sarva-bhûtânâm hrd-dese ’rjuna tisthati
« Le Seigneur Suprême, ô Arjuna, Se tient dans le cœur de tous les êtres. » Il existe deux classes d’îshvaras, de « maîtres » : l’être vivant (jîva) et l’Âme ou l’Être Suprême (Paramâtmâ). Les Védas nous font comprendre que tous deux habitent le corps, lequel est comparé à un arbre. Et l’Âme Suprême et l’âme individuelle résident dans le cœur.
HAYAGRIVA: Mais dans un même temps, l’âme ne pénètre-t-elle pas le corps entier ?
SRILA PRABHUPADA: C’est en effet ce qu’explique également la Bhagavad-Gîtâ (13:34) :
yathâ prakâsayaty ekah krtsnam lokam imam ravih
ksetram ksetrî tathâ krtsnam prakâsayati bhârata
« Ô descendant de Bharata, semblable au soleil qui illumine à lui seul la totalité de l’Univers, par sa seule présence, l’âme spirituelle éclaire de la conscience le corps tout entier. »
Telle est l’illumination de l’âme. On la compare au soleil qui, même s’il se trouve en un endroit précis, n’en diffuse pas moins sa lumière partout. Pareillement, quoique sise dans le cœur, l’illumination de l’âme se caractérise par ce qu’on nomme conscience. Dès que l’âme quitte le cœur, la conscience brille aussitôt par son absence dans le corps entier. La conscience peut quitter le corps en moins d’un instant. En son absence, l’on aura beau tailler le corps en pièces, aucune douleur n’en résultera à cause de l’absence d’un élément : l’âme. Quand l’âme quitte le corps, la conscience en fait autant. L’âme distincte est aussi immortelle que la conscience individuelle. Sous l’influence de mâyâ, la puissance d’illusion, notre conscience s’absorbe dans une foule d’entités matérielles : la société, la nationalité, la sexualité, la spéculation, etc. La conscience de Krishna revient à purifier la conscience afin qu’elle se fixe en tout temps sur Krishna.
HAYAGRIVA: Descartes écrit : « Je sais que les animaux peuvent faire plusieurs choses mieux que nous, mais je n’en suis guère étonné, car cela démontre aussi qu’ils sont poussés à agir par les forces de la Nature. S’ils pouvaient penser comme nous, ils auraient également une âme immortelle. Ce qui est peu probable, car il n’y a pas lieu de le croire de certains animaux sans le croire de tous; or, plusieurs – les huîtres, les éponges, etc. – sont trop imparfaits pour qu’on puisse croire qu’ils aient une âme. »
SRILA PRABHUPADA: Premièrement, les êtres vivants ne sont pas poussés à agir par les forces de la Nature, mais par l’influence de Dieu qui est également présent dans le cœur de l’animal. Le Seigneur réside en chacun et Il nous instruit de façon à ce que nous puissions évoluer. Une fois acquise, la forme humaine nous permet de refuser les instructions de Dieu. Les formes de vie moins évoluées n’ont pas ce choix.
HAYAGRIVA: Vous avez dit que tout ce qui croît, y compris l’herbe, a une âme.
SRILA PRABHUPADA: Oui, mais en puissance. À titre d’exemple, l’enfant a une âme bien qu’elle ne soit pas encore développée à cause de son corps qui ne l’est pas davantage. Or, l’âme agit selon le corps qu’elle habite et les circonstances.
HAYAGRIVA: Descartes assimile le mental – c.-à-d. les facultés mentales supérieures – à l’âme. Il croit en un esprit aussi incorporel qu’immortel et humain, mystérieusement injecté quelque part dans le corps.
SRILA PRABHUPADA: Non, le mental n’est pas l’âme, mais un instrument à travers lequel l’âme agit. Le mental accepte et rejette selon les dictées de l’âme. Quoique je marche à l’aide de mes jambes, je ne m’identifie pas à elles. Même si je pense à l’aide du mental, je ne suis pas ce mental. Certains philosophes identifient le mental au soi, commettant ainsi une erreur. Or, l’intelligence est plus subtile que le mental qui, lui, s’avère plus subtil que les sens. On peut voir ces derniers mais non le mental, centre de gravité des sens. Aussi le qualifie-t-on de subtil. Le mental est guidé par l’intelligence, laquelle se révèle plus subtile encore. Mais derrière l’intellect, on retrouve l’âme. Le mental est donc l’instrument grâce auquel on pense, mais il n’est pas le « moi ».
HAYAGRIVA: Pour Descartes, les animaux seraient de simples machines qui réagissent. Il estime qu’ils n’ont ni âme ni mental, et donc aucune conscience. Ce point de vue reposerait sur la ratiocination, le langage. En d’autres mots, parce qu’ils ne parlent aucun langage, ils ne font qu’agir comme des machines.
SRILA PRABHUPADA: Ils ont un langage, mais vous ne le comprenez pas.
HAYAGRIVA: Les scientifiques prétendent être capables de communiquer verbalement avec les dauphins.
SRILA PRABHUPADA: Peut-être bien, mais Krishna, Lui, parlait avec tous les êtres, même les oiseaux. Se rendant à la Yamounâ pour s’y baigner, une gopî fut surprise de voir Krishna S’entretenir avec des oiseaux. Étant Dieu, Krishna peut comprendre le langage de tous les êtres. Le Nectar de la Dévotion appelle cette qualification vâvadoûka. Quand un humain est à même de comprendre plusieurs langages, on l’appelle linguiste. On qualifie donc Krishna de vâvadoûka, indiquant ainsi qu’Il peut comprendre le langage de tous les êtres, fussent-ils oiseaux ou abeilles. Telle est la puissance du Seigneur.
SYAMASUNDAR: Descartes considère cinq idées fondamentales comme inhérentes à chaque humain, idées que chacun connaît sans avoir à les vérifier. L’idée de Dieu serait aussi innée en nous que notre propre âme.
SRILA PRABHUPADA: Parce que nous faisons partie intégrante de Dieu. À titre d’exemple, chacun en l’Univers matériel sait qu’il a un père.
SYAMASUNDAR: Deuxièmement, il est impossible qu’une chose tire son origine du néant; chaque effet doit avoir une cause, de sorte qu’il existe une cause de toutes choses.
SRILA PRABHUPADA: Oui; nous en avons d’ailleurs déjà discuté. Krishna incarne la cause ultime. Nous rejetons la philosophie des mâyâvâdîs, qui philosophent d’une manière négative dans leur effort de réduire la vérité ultime à néant.
SYAMASUNDAR: Troisièmement, il est impossible qu’une chose existe et n’existe pas simultanément.
SRILA PRABHUPADA: Qui prétend le contraire ? Qui affirme qu’une chose peut exister et ne pas exister simultanément ? Qui cherche-t-il à réfuter ?
SYAMASUNDAR: Personne. Il dit que c’est une idée innée dont nous sommes sûrs sans avoir à la vérifier.
SRILA PRABHUPADA: Le corps est une manifestation temporaire tandis que l’âme existe éternellement. En temps voulu, le corps cessera d’exister; mais son possesseur existe de toute éternité. Sur le plan matériel, tout existe et n’existe pas simultanément en autant que toute manifestation y est temporaire. À titre d’exemple, nous existons à l’instant dans cette pièce, mais nous cesserons peut-être d’exister dans un instant. Or, il en est ainsi de l’entière manifestation cosmique. Comme l’enseigne la Bhagavad-Gîtâ (2:16) :
nâsato vidyate bhâvo nâbhâvo vidyate satah
ubhayor api drsto ’ntas tv anayos tattva-darsibhih
« Ceux qui voient la vérité ont conclu, après avoir étudié leurs natures respectives, à l’impermanence du non-existant [le corps matériel] et à l’immuabilité de l’éternel [l’âme spirituelle]. » Jamais créée, l’âme ne meurt jamais. Tout ce qui naît doit mourir.
SYAMASUNDAR: La quatrième idée innée de Descartes veut que tout ce qui est fait ne puisse être défait.
SRILA PRABHUPADA: Le karma ne peut pas être défait, mais il peut changer. Dans la Bhagavad-Gîtâ (18:66), Krishna nous dit de laisser là toutes formes de pratique religieuse pour s’abandonner simplement à Lui. Si nous acceptons, Il nous délivrera de toutes les suites du karma. En ce sens donc, il serait faux de dire que ce qui est fait ne peut pas être défait.
SYAMASUNDAR: Descartes pense ici sur le plan physique. Après avoir lancé la balle, je ne peux plus défaire ce lancer.
SRILA PRABHUPADA: Il s’agit là d’une connaissance pour enfants et non pour philosophes. La perception directe est puérile, enfantine. L’enfant croit tant de choses sous l’influence de la perception directe. Je me rappelle avoir cru, lorsque je vis mon premier train à Calcutta, que des chevaux se cachaient dans la locomotive ; sinon, comment le train aurait-il pu rouler ? De telles pensées ne sont pas vraiment philosophiques. Bien sûr, elles font partie de la philosophie puisque tous les philosophes sont les enfants de la Nature. Voilà pourquoi ils pensent ainsi.
SYAMASUNDAR: Le cinquième principe de Descartes veut que nous ne saurions être inexistants tant que nous pensons.
SRILA PRABHUPADA: Nous en avons déjà discuté. Chacun pense, chacun donc a une âme.
SYAMASUNDAR: Descartes cite également deux arguments en faveur de l’existence de Dieu. Premièrement, l’idée innée d’un Être infini rend nécessaire son existence, car un être fini ne saurait créer une telle idée. En d’autres mots, parce qu’il m’est possible de concevoir l’Infini, celui-ci doit exister. L’Infini a dû me mettre cette idée dans la tête.
SRILA PRABHUPADA: On compte plusieurs façons de penser à l’Infini, que les nihilistes conçoivent comme le néant. Descartes pense peut-être d’une façon, mais d’autres peuvent penser autrement.
SYAMASUNDAR: Descartes soutient que la perfection doit exister puisqu’on peut la concevoir.
SRILA PRABHUPADA: Oui. Mais le seul fait de penser à une chose ne signifie pas pour autant qu’elle existe. Chacun pense à sa guise. Qui décidera quel mode de pensée est juste ? Qui en sera le juge ? Il s’agit donc en dernière analyse de recevoir la conformation d’autorités. Sinon, il faudra renoncer à notre mode de pensée.
SYAMASUNDAR: Descartes pensait davantage sous l’angle des mathématiques. Lorsqu’on commence à compter, on peut concevoir des nombres à l’infini. Le fait de pouvoir concevoir l’infini rend donc nécessaire son existence.
SRILA PRABHUPADA: Mais les nihilistes pensent que l’infinité est néant. Certains mathématiciens prêtent une valeur nulle à l’infinité.
SYAMASUNDAR: Deuxièmement, Dieu est un Être absolument parfait et la perfection entraîne nécessairement l’existence. Comme l’existence de Dieu est identique à Son essence, Il doit exister.
SRILA PRABHUPADA: Telle est notre proposition. Nous enseignons que Krishna incarne beauté, savoir, renom, puissance, richesse et renoncement dans toute leur plénitude. Comme ces atouts exercent une grande fascination et comme Krishna les possède pleinement, on Le dit infiniment fascinant. Tous ces attributs fascinants doivent exister dans toute leur plénitude en Krishna. Ainsi Parâshara Mouni définit-il Dieu.
SYAMASUNDAR: Ce qui s’apparente à l’affirmation de Descartes voulant que beauté et sagesse parfaites existent quelque part puisqu’on peut les concevoir.
SRILA PRABHUPADA: Îsvarah paramah krishnah (Brahma-samhitâ 5:1). Personne n’est plus riche, plus célèbre, plus beau ou plus puissant que Krishna. Krishna incarne la somme totale de toutes les qualités; aussi est-Il complet en Lui-même. Faisant partie intégrante du Tout Complet, nous pouvons Le concevoir. Étant le fils de mon père, je peux penser à lui. Dans un même ordre d’idée, Krishna est le Père de tous les êtres dont chacun est à même d’offrir son hommage au Seigneur. Par malheur, la société enseigne arbitrairement à ses membres à désobéir à Dieu, d’où leur souffrance.
SYAMASUNDAR: Analysant la réalité, Descartes en conclut qu’elle est composée de substances. Définissant la substance comme « ce qui existe de telle façon à n’avoir besoin de rien au-delà de soi », il ajoute qu’il n’existe qu’une substance absolument autonome – Dieu. Toutes les autres substances sont créées par Lui. On compte également deux variétés de substances : la matière et l’esprit.
SRILA PRABHUPADA: Tout cela est décrit dans la Bhagavad-Gîtâ. Krishna incarne la substance par excellence dont tout émane. Toutes ces émanations peuvent être partagées en deux catégories, dites inférieures et supérieures. La matière correspond à l’énergie inférieure et l’esprit, à l’énergie supérieure. Tout ce que nous voyons ou percevons représente la combinaison de ces deux formes d’énergie. Puisque celles-ci émanent de Lui, Krishna est l’Origine de tout ce qui existe, la Cause de toutes les causes.
SYAMASUNDAR: Selon Descartes, l’attribut essentiel de l’esprit – ou l’âme – serait la conscience.
SRILA PRABHUPADA: C’est exact.
SYAMASUNDAR: Et l’attribut essentiel du corps serait l’extension. Le corps et le mental sont limités et leur existence repose sur Dieu tandis que le Seigneur est pleinement indépendant.
SRILA PRABHUPADA: Jîvera ’svarûpa’ haya –– krsnera ’nitya-dâsa’ (Caitanya-Caritâmrta, Madhya 20:108). Par conséquent, tous les êtres vivants sont les serviteurs éternels de Dieu, Krishna. Comme notre existence dépend de Lui, notre devoir consiste à Lui plaire. Telle est la voie de la bhakti. Dans l’Univers matériel, force nous est de constater que nous dépendons de notre employeur pour notre salaire. Aussi faut-il toujours le satisfaire. Eko bahûnâm yo vidadhâti kâmân (Katha Upanishad 2:2:13) : Dieu pourvoit à tous les besoins de chacun. Pourquoi alors ne pas Lui plaire ? Tel est notre seul devoir; on en trouve d’ailleurs la manifestation parfaite à Vrindâvan, où chacun cherche à plaire à Krishna; d’où leur bonheur car Krishna les comble en retour.
jaya râdhâ-mâdhava kuñja-bihârî gopî-jana-vallabha giri-vara-dhârî
yasodâ-nandana braja-jana-rañjana yâmuna-tîra-vana-cârî
« Râdhâ et Mâdhava [Krishna], les deux Amoureux, S’adonnent à Leurs Divertissements d’amour dans les bosquets de Vrindâvan. Krishna charme les gopîs de Vraja et soulève la colline Govardhan. Fils bien-aimé de Yashodâ, Il fait la joie des habitants de Vraja et Se divertit dans les forêts qui bordent la rivière Yamounâ. » (Gîtâvalî) Krishna S’engage à combler les gopîjanas et vice versa. Voilà la perfection en ce qui concerne les relations. Dans la famille idéale, le chef cherche à satisfaire tous les membres en leur procurant nourriture, refuge, vêtements et tout le reste. Comme il se donne bien du mal pour y parvenir, leur devoir consiste à lui plaire. Lorsque le père rentre, son épouse et ses fils s’efforcent de lui plaire, ce qui crée un foyer parfait. De même, Dieu est le Créateur originel et nous sommes tous Ses subordonnés. Puisqu’il nous maintient, notre seul devoir est de Lui plaire; lorsqu’Il est satisfait, nous le sommes tous également.
Quand on arrose la racine de l’arbre, toutes ses parties – les feuilles, les fleurs et les branches – sont nourries. La voie du bhakti-yoga consiste à plaire au Seigneur. Telle est notre seule raison d’être. Tant que d’autres activités nous accaparent, nous sommes en proie à mâyâ. Nous n’avons aucun autre devoir. L’être vivant qui ne sert pas Krishna est souffrant et en proie à mâyâ, alors que celui qui le sert constamment est libéré et situé dans sa vraie position. Quiconque au sein de la Création ne coopère pas avec Dieu, ou ne satisfait pas les sens du Seigneur, n’est pas dans une condition normale. C’est le rôle de notre Mouvement pour la Conscience de Krishna d’engager toutes les âmes au service de Krishna et de les rétablir dans leur condition normale. Les gens souffrent à cause de leur condition anormale.
SYAMASUNDAR: Descartes croit que Dieu est vérité et que la vérité divine est le fondement de notre connaissance de la vérité.
SRILA PRABHUPADA: Puisque Dieu est vérité, tout émane de la vérité. Nous cherchons à tout utiliser au service de la vérité. Parce que Dieu est vérité, nous n’enseignons pas que ce monde est faux. Les mâyâvâdîs prétendent qu’il est faux, mais nous préférons dire qu’il est temporaire. Cette fleur, par exemple, fut créée par Dieu; elle ne saurait donc être fausse. Elle est vérité. On doit ainsi l’employer au service de la vérité; voilà pourquoi on l’offre à Krishna. Imaginons un instant que vous ayez travaillé très dur pour réaliser une belle création, et que vous me l’apportiez.
Si je disais alors : « Quelle fausse création ! », seriez-vous content de moi ? Vous diriez : « Qu’est-ce qu’il raconte ? J’ai fait tout ce chemin pour lui apporter ce chef-d’œuvre, et lui dit qu’il est faux ? » Dans un même ordre d’idée, Dieu ayant créé un Univers si fascinant, comment peut-on dire que ce dernier est faux ? Notre philosophie veut que l’Univers ayant été créé par Dieu, on doit l’utiliser à Son service. À titre d’exemple, nous utilisons un magnétophone pour enregistrer notre entretien. Pour servir Krishna donc. Nous ne disons pas : « C’est un appareil matériel, il est donc faux. Nous n’allons pas l’utiliser. » Mais c’est ce que diraient les jaïns, qui ne profitent pas de telles créations. Nous affirmons au contraire qu’on peut se servir de tels appareils, mais non pour notre propre jouissance. Ainsi se définit le véritable détachement, ou vairâgya.
SYAMASUNDAR: Descartes soutient que nous pouvons connaître et comprendre la vérité parce que Dieu est vérité. Tel est le fondement de notre savoir. L’existence de Dieu nous assure que le monde extérieur n’est pas une fiction.
SRILA PRABHUPADA: C’est ce que j’expliquais. Parce que Dieu est vérité, Sa Création ne peut être fausse. Elle ne l’est que si je vois tout sans Dieu. Lorsque je vois cette table sans relation avec Dieu, elle n’est pas vérité. Toutefois, quand j’y vois un produit de l’énergie du Seigneur, je la vois correctement. En d’autres mots, je vois Dieu. Qui n’a aucune conscience de Dieu voit la table comme une création temporaire, un produit des lois de la Nature. Il la voit tirée du néant pour y retourner : elle serait donc néant, ou fausse, en dernière analyse. Nous ne disons rien de tel. Au lieu de prétendre que Krishna serait néant, nous affirmons que cette table procède de l’énergie de Krishna. Celle-ci n’est pas plus néant que la table. Tout ce qui s’inscrit dans le cadre de notre expérience est en relation avec Krishna. Voir cette relation, voilà la conscience de Krishna. De façon générale, les gens n’ont aucune vision de Krishna. Ils ne voient que leur famille, leur épouse, leurs enfants, etc. Voilà ce qu’on entend par mâyâ.
SYAMASUNDAR: S’ils ne voient rien en relation avec Krishna, comment les gens peuvent-ils justifier le fait qu’ils disent que tout est aussi irréel qu’un rêve ?
SRILA PRABHUPADA: Parce qu’ils n’en comprennent pas l’origine, les gens disent qu’il s’agit d’une manifestation temporaire. Quoiqu’ils disent que cet arbre est sorti du néant pour y retourner à sa mort, il n’est pas sorti du néant mais bien d’une semence. Or, Krishna déclare : aham bîja-pradah pitâ – « Je suis la semence originelle de toutes les formes de vie. » (Gîtâ 14:4) Au cinéma, nous voyons une image émanant d’un petit trou venir couvrir l’écran sur lequel on la projette. Lorsqu’on éteint le projecteur, les images cessent d’exister sur l’écran. On aura beau dire qu’elles sortaient du néant, ces images étaient en vérité focalisées par l’appareil projetant le film, un film né d’une véritable prestation. Pareillement, l’Univers matériel est un reflet dénaturé du monde spirituel. Ce royaume spirituel n’est pas néant mais réalité. En regardant une photo, on comprend que c’est l’image d’une réalité. On pourrait ainsi comparer l’Univers matériel à un film projeté au grand écran. Voilà pourquoi les mâyâvâdîs disent qu’il serait faux. Ce qui est vrai dans un sens, en autant que la projection n’est qu’un reflet de la prestation originelle réalisé grâce à un procédé différent. Comme la prestation originelle ne se déroule pas devant nos yeux, nous pensons que la projection sur l’écran surgit du néant. Quiconque, cependant, voit les choses dans la juste perspective sait que la projection procède de la réalité, quoiqu’elle soit temporaire. En d’autres mots, la réalité sert de fondement à la projection. Quand nous le réalisons, il ne saurait être question de quoi que ce soit de faux.
SYAMASUNDAR: Descartes voit la matière opérer comme une machine soumise à des lois mécaniques. La totalité des mouvements en ce monde s’avère toujours constante; elle ne s’accroît pas ni ne décroît. Il avance cependant que l’âme n’est pas touchée par les causes mécaniques et serait donc immortelle.
SRILA PRABHUPADA: Elle n’en est pas moins intégrée, d’une manière ou d’une autre, à ce procédé mécanique.
SYAMASUNDAR: En effet. Cela posait d’ailleurs un problème à Descartes, qui ne pouvait pas comprendre comment opère l’interaction entre l’esprit et la matière, comment l’âme sans dimension ni extension peut revêtir un corps tridimensionnel.
SRILA PRABHUPADA: Dès que vous tombez dans l’eau, vous devez vous débattre. Tant que vous demeurez sur la terre ferme, vous êtes en sécurité. Mais pour quelque raison, vous voici plongé dans la lutte matérielle pour la survie. L’esprit est l’esprit et la matière est la matière, mais les voici désormais en contact mutuel. En abusant de notre indépendance, nous avons provoqué ce contact. L’enfant peut se tenir sur la terre ferme, mais en désirant s’amuser dans l’eau, il risque d’y tomber. S’il ne sait pas nager, il sera perdu. Voilà notre position. L’âme possède un corps spirituel, mais elle accepte un corps étranger. L’âme possède un corps et a pour raison d’être de vivre heureux. Mais lorsqu’elle tombe sous l’emprise de la matière, elle ne peut profiter des fruits de son travail. Tant qu’elle demeure dans l’eau, elle ne saurait connaître le bonheur.
SYAMASUNDAR: Le corps spirituel a-t-il des dimensions ? Existe-t-il dans l’espace ?
SRILA PRABHUPADA: Oui, il possède longueur, largeur, etc. Sinon, comment pourrions-nous dire que sa taille est le dix-millième de la pointe d’un cheveu ? En d’autres mots, nous ne saurions en imaginer la mesure. L’âme s’avère de nature tout à fait différente : elle est inconcevable. Si l’âme ne possédait pas de corps, comment le corps matériel se développerait-il ? Le corps de matière est tel un manteau imitant la forme du corps spirituel. Or, on ne peut créer de vêtement sans mesurer le corps.
SYAMASUNDAR: Le corps spirituel serait donc de taille très réduite ?
SRILA PRABHUPADA: On ne saurait l’imaginer. Ne pouvant ni voir ni mesurer ce corps spirituel, le matérialiste déclare qu’il n’existe pas.
SYAMASUNDAR: Descartes dit que l’âme existe, mais non qu’elle occupe de l’espace.
SRILA PRABHUPADA: Ce qui signifie que sa conception de l’espace est limitée. Le corps matériel a un commencement et une fin. Votre manteau, à titre d’exemple, fut confectionné à une date précise. L’âme passe d’un corps matériel à un autre de la même façon qu’on change de vêtements.
SYAMASUNDAR: Après sa chute dans la matière, l’âme peut-elle être délivrée par un savoir digne de ce nom ?
SRILA PRABHUPADA: Oui. Telle est d’ailleurs la raison d’être de notre Mouvement pour la Conscience de Krishna. Citons ici l’exemple d’un excellent nageur : combien de temps pourra-t-il nager avant de couler ? Or, il suffirait de l’élever ne serait-ce qu’un pouce au-dessus des eaux pour qu’il soit aussitôt en sécurité. L’eau aura beau être toujours là, il la transcenderait. Cette position transcendantale, c’est la conscience de Krishna.
SYAMASUNDAR: En d’autres mots, l’âme peut s’élever au-delà de la matière, de l’eau ?
SRILA PRABHUPADA: Oui, tel un poisson volant. L’exocet peut nager dans l’eau, puis soudainement voler au-dessus. Dès qu’on devient conscient de Krishna, on peut voler au-dessus de l’océan de l’existence matérielle, pour graduellement atteindre la terre ferme.
SYAMASUNDAR: Si l’âme est aussi illimitée que sa puissance, comment a-t-elle pu tomber dans la matière ?
SRILA PRABHUPADA: Sa puissance n’est pas illimitée. On la dit telle seulement d’un point de vue matériel.
SYAMASUNDAR: Comment peut-elle être confinée au corps matériel, lequel se révèle si limité ?
SRILA PRABHUPADA: Je viens de l’expliquer. C’est comme tomber dans l’eau. En tant qu’âmes, nous n’avons rien à voir avec le corps matériel; mais d’une manière ou d’une autre, nous sommes entrés en contact avec celui-ci. Au lieu d’en chercher la cause, il s’agit de réaliser notre condition précaire.
SYAMASUNDAR: Mais si l’âme est dotée d’une telle puissance tandis que celle du corps s’avère si limitée, comment cette dernière puissance peut-elle s’emparer de la puissance supérieure et la retenir prisonnière ?
SRILA PRABHUPADA: L’énergie matérielle compte parmi les énergies de Krishna, dont chacune s’avère aussi puissante que Lui. Voilà pourquoi Krishna affirme dans la Bhagavad-Gîtâ (7:14) :
daivî hy esâ gounamayî mama mâyâ douratyayâ
mâm eva ye prapadyante mâyâm etâm taranti te
« Il est très difficile de surmonter cette énergie divine que constituent les trois gunas. Mais qui s’abandonne à Moi en triomphe aisément. »
SYAMASUNDAR: En d’autres mots, elle serait parfois plus puissante que l’énergie spirituelle ?
SRILA PRABHUPADA: Quand on vient en contact avec l’énergie matérielle sans mission spécifique, elle se révèle supérieure. Le représentant de Krishna apparaît au sein de l’énergie matérielle afin de prêcher. Aussi n’en subit-il pas le joug. Mais si vous venez au contact de cette énergie sans servir les desseins de Krishna, vous en souffrirez. À titre d’exemple, fonctionnaires, superviseurs et prisonniers peuplent les prisons. Mais tous n’y vivent pas dans les mêmes conditions. On ne saurait dire qu’ils souffrent tous du seul fait qu’ils se retrouvent tous en prison. Le superviseur s’y trouve parce qu’il sert les desseins de l’État. Aussi n’est-il pas soumis aux lois de la prison. En servant Krishna, on échappe aux lois de mâyâ. On est libéré.
SYAMASUNDAR: Les prisonniers ayant oublié qui ils devaient vraiment servir sont ainsi vulnérables désormais.
SRILA PRABHUPADA: Oui, parce qu’ils ont désobéi et oublié leur position subordonnée. Puisqu’ils voulaient être indépendants de l’État, ils ont été incarcérés.
SYAMASUNDAR: Pour eux, l’énergie matérielle serait donc plus puissante.
SRILA PRABHUPADA: Exactement. Les âmes conditionnées qui servent l’énergie matérielle ne peuvent s’échapper de par leurs propres efforts. Pour ce faire, ils dépendent de la miséricorde de Krishna et de Ses représentants.