Spiritualisme Dialectique
Pensée védique et pensée occidentale.

ENTRETIENS

HAYAGRIVA: Plotin, comme Origène, étudie la philosophie à Alexandrie sous la tutelle du fondateur du néo-platonisme : Ammonios Saccas. Plotin adhère à la théorie de l’émanation, qui soutient que l’âme émane de l’intelligence de la même façon que l’intelligence procède de l’Un. L’intelligence (nous) est simultanément une et multiple. L’Un est omniprésent, sans multiplicité, impersonnel et transcendantal. Pour Plotin, il existe une sorte de hiérarchie ayant à son sommet l’Un, auquel sont subordonnées l’intelligence et les âmes individuelles.

SRILA PRABHUPADA: Selon les Védas, la Vérité Suprême et Absolue est une. Les âmes individuelles participent de la même nature que l’Être Suprême, mais elles ne sont que des fragments émanant de Lui. Leur intelligence et leurs aptitudes mentales sont qualitativement identiques, mais la juridiction des âmes distinctes est limitée. En tant qu’âmes, nous ne sommes pas omniprésents comme Dieu. Nous jouissons d’un certain savoir, Dieu est omniscient. Nous ne sommes pas matière inerte, mais des êtres vivants. L’Être Suprême possède pleinement tous les attributs spirituels, alors que nous n’en sommes dotés qu’à un degré infime. Dieu est tel un brasier dont nous serions les étincelles. Telle est notre position constitutionnelle par rapport à l’Un. Quand l’étincelle quitte le feu, elle s’éteint. Lorsque nous nous détournons de l’Un, notre illumination s’obscurcit et les ténèbres de mâyâ nous enveloppent. En rétablissant notre relation avec l’Un, nous retrouvons notre pouvoir d’illumination, notre puissance spirituelle, et pouvons alors vivre éternellement avec Lui dans la paix et la félicité.

HAYAGRIVA: Plotin est un impersonnaliste en ce qu’il croit qu’en prêtant certains attributs à Dieu, on Le limite nécessairement. Bien que l’Un soit transcendantal, aucune multiplicité n’existe en Lui. Dans un même temps, Dieu incarne la cause de toutes multiplicités.

SRILA PRABHUPÂDA: Selon les Védas, l’Être Suprême est la cause de tous les êtres.

nityo nityânâm cetanas cetanânâm
eko bahûnâm yo vidadhâti kâmân

tam âtmastham ye ’nupasyanti dhîrâs
tesâm sântih sâsvatî netaresâm
(Katha Upanishad 2.2.13)

La Katha et la Svetâshvatar Upanishads confirment que Dieu, la Personne Suprême, maintient d’innombrables êtres. Il est l’Éternel. D’entre tous les êtres éternels, ll est le maître. De par Ses attributs infinis, Il S’avère omniprésent, omniscient et omnipotent. Sans ces attributs, Il ne saurait être parfait. Il incarne la cause illimitée de tout ce qui est et, de par Son infinité, ne peut être limité. J’ignore ce que Plotin entend lorsqu’il prétend que les attributs de Dieu Le limitent. Le Seigneur ne saurait être limité d’aucune façon. Tout est Brahman à l’infini. Mat-sthâni sarva-bhûtâni (Bhagavad-Gîtâ 9:4). Tout émane de Lui et repose en Lui. D’un angle impersonnel, Dieu est partout; d’un point de vue personnel, Il est localisé. La radiance impersonnelle, toutefois, émane de Sa Personne; ce que confirme la Bhagavad-Gîtâ (14:27) :

brahmano hi pratisthâham
amrtasyâvyayasya ca
sâsvatasya ca dharmasya
sukhasyaikântakasya ca

« Je suis le fondement du Brahman impersonnel, qui est immortel, intarissable, éternel, et qui constitue le principe même du bonheur ultime. »

Quoique le soleil se trouve en un endroit bien précis dans l’espace, ses rayons se diffusent à travers l’Univers entier; de même, le Seigneur Suprême déploie sans limite Son aspect impersonnel, transcendantal : le brahmajyoti. Si nous considérons Sa Personne, Il peut nous sembler limité, mais il n’en est rien. De par Ses énergies, Il est infini.

vadanti tat tattva-vidas
tattvam yaj jñânam advayam
brahmeti paramâtmeti
bhagavân iti sabdyate

« Les doctes et sages spiritualistes qui connaissent la Vérité Absolue nomment cette substance unique, au-delà de toute dualité, du nom de Brahman, Paramâtmâ et Bhagavân. » (Bhâgavatam 1.2.11)

L’aspect impersonnel est omniprésent, et de même l’aspect localisé – Paramâtmâ – qui vit dans le cœur de tous les êtres. Cet aspect personnel réside même dans chaque atome et reçoit donc l’adoration du dévot. Où que soit Son dévot, le Seigneur Se trouve également en personne, bien qu’Il habite à Goloka Vrindâvan. Telle est la nature de Son omniprésence. Nul ne peut estimer la distance qui nous sépare de Goloka; mais quand un dévot comme Prahlâd est en danger, le Suprême apparaît aussitôt sur les lieux. Il peut ainsi nous protéger même s’Il Se trouve à une distance de billions de kilomètres. Ainsi se traduit Son omniprésence.

HAYAGRIVA: Quoique Plotin croit que Dieu est présent dans tous les objets de l’Univers, Il demeure néanmoins distinct de toutes choses créées et les transcende. Ainsi Dieu n’est-Il pas qu’omniprésent.

SRILA PRABHUPADA: C’est ce qu’explique clairement la Bhagavad-Gîtâ (9:4-6) :

mayâ tatam idam sarvam
jagad anyakta-mûrtinâ
mat-sthâni sarva-bhûtâni
na câham tesv avasthitah

na ca mat-sthâni bhûtâni
pasya me yogam aisvaram
bhûta-bhrn na ca bhûta-stho
mamâtmâ bhûta-bhâvanah

yathâkâsa-sthito nityam
vâyuh sarvatra-go mahân
tathâ sarvâni bhûtâni
mat-shânîty upadhâraya

« Cet Univers est tout entier pénétré de Moi, dans Ma forme non manifestée. Tous les êtres sont en Moi, mais Je ne suis pas en eux. Dans le même temps, rien de ce qui est créé n’est en Moi. Vois Ma puissance surnaturelle ! Je soutiens tous les êtres, Je suis partout présent, et pourtant, Je demeure la source même de toute création. De même que dans l’espace éthéré se tient le vent puissant, soufflant partout, ainsi, sache-le, en Moi se tiennent tous les êtres. »

HAYAGRIVA: Plotin voit toutes les âmes distinctes existant en divers états : certaines incarnées, d’autres non. Célestes, certaines âmes ne souffrent pas alors que d’autres sont terrestres. Quoi qu’il en soit, elles demeurent toutes individuelles.

SRILA PRABHUPADA: Personne ne peut évaluer le nombre d’âmes qui existent. Dotées des mêmes attributs que l’Un, elles ne les possèdent toutefois qu’en quantité infime. Certaines âmes sont tombées dans l’« atmosphère » matérielle tandis que d’autres, qu’on nomme nitya-moukta, demeurent éternellement libérées. Elles ne sont jamais conditionnées. Celles qui choient dans l’Univers matériel en vue d’y satisfaire leurs sens sont dites nitya-baddha, éternellement conditionnées. Par éternellement, on entend que nul ne peut estimer la durée de leur séjour dans le royaume de la matière. La Création se déroule selon un cycle perpétuel : elle est ainsi tantôt manifestée, tantôt non manifestée. Sans la conscience de Krishna, les âmes conditionnées perpétuent leur existence ici-bas. Avant la Création, elles existent à l’état latent; quand la manifestation cosmique surgit de Mahâ-Vishnou, les âmes distinctes s’éveillent. Pour les délivrer, Dieu, l’Être Suprême, descend Lui-même ou délègue Son incarnation – ou encore Son dévot – pour rappeler les nitya-baddhas auprès de Lui, en leur demeure originelle. Les âmes fortunées profiteront d’une telle opportunité. Les moins fortunées ne sont guère intéressées par cette idée; elles perpétuent ainsi leur conditionnement au sein de l’Univers matériel, lequel est créé, puis anéanti. D’où leur souffrance.

HAYAGRIVA: Plotin estime que l’âme est aussi éternelle qu’incorporelle chez les humains, les animaux, voire les plantes. En cela, il se distingue de plusieurs autres philosophes de son temps.

SRILA PRABHUPADA: La conclusion védique (sarva-yonisu) veut aussi que l’âme vivante, qui fait partie intégrante de Dieu, existe dans toutes les espèces de vie. Des insensés croient que l’animal n’a pas d’âme; cette croyance ne repose cependant sur aucune base rationnelle. L’animal peut s’avérer moins intelligent que l’être humain, tout comme l’enfant comparé à son père. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’a pas d’âme. Cette mentalité ruine actuellement la civilisation. Les gens se sont à ce point dégradés qu’ils pensent que l’embryon n’a pas d’âme. Or, Krishna nous informe que chacun possède une âme, que celle-ci habite sans aucun doute toutes les formes de vie.

L’âme distincte évolue d’un corps inférieur à une forme supérieure; voilà ce qu’on entend par évolution spirituelle. Une fois atteinte la forme humaine, l’âme peut saisir les enseignements de la Bhagavad-Gîtâ et, si tel est son désir, s’abandonner au Seigneur pour retourner auprès de Lui. Dans le cas contraire, elle restera en ce monde de matière pour y subir les tribulations répétées de la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort. Ainsi revêtira-t-elle une nouvelle forme corporelle.

HAYAGRIVA: Plotin voit l’âme retourner auprès de Dieu, l’Un, à travers trois étapes. À la première étape, l’âme distincte doit apprendre à se détacher de ce monde. À la seconde, elle se sépare du procédé dialectique même. Voilà la plus haute cime que puisse atteindre la philosophie ou la spéculation intellectuelle. À la troisième, l’intellect se transcende dans l’inconnu, l’Un. Plotin écrit : « De par sa nature même, l’intellect contemple ce qu’il contemple [l’Un] en raisonnant sur ce qui en lui n’est pas intellect. »

SRILA PRABHUPADA: Les Védas mentionnent également trois étapes : le karma, le jñâna et le yoga. Les karmîs cherchent à améliorer leur sort par la science et l’éducation matérielles. Certains s’efforcent d’atteindre les planètes célestes par l’accomplissement d’œuvres de piété. Les jñânîs, qui spéculent sur la Vérité Absolue et en concluent que Dieu est impersonnel, excellent les karmîs. Les yogis tentent d’acquérir quelques pouvoirs surnaturels par la pratique du yoga. Ainsi acquièrent-ils huit différentes perfections, appelées asta-siddhis. Ils peuvent devenir infiniment légers, infiniment petits ou infiniment grands. Le vrai yoga consiste toutefois à voir le Suprême au plus profond de son propre cœur. Ces trois procédés exigent un effort soutenu. Le bhakti-yoga incarne la voie par excellence, grâce à quoi on s’abandonne simplement à l’Être Suprême. L’Un confère au bhakti-yogi l’intelligence par quoi il peut s’affranchir des chaînes de la matière.

tesâm satata-yuktânâm
bhajatâm prîti-pûrvakam
dadâmi buddhi-yogam tam
yena mâm upayânti te

« Ceux qui toujours Me servent et M’adorent avec amour et dévotion, Je leur donne l’intelligence par quoi ils pourront venir à Moi. » (Bhagavad-Gîtâ 10:10)

HAYAGRIVA: Pour Plotin, la matière est synonyme de mal en autant qu'elle emprisonne l’âme; et pourtant, le cosmos visible est de toute beauté. Le mal ne procède pas du Créateur.

SRILA PRABHUPADA: Fascinée par l’énergie d’illusion, l’âme distincte vient en ce monde pour y satisfaire ses sens. Le Seigneur ne veut pas qu’elle y vienne, mais elle y est poussée par ses désirs égoïstes. Dieu accorde la liberté à l’être, dont la vie conditionnée en l’Univers matériel s’amorce à un niveau très élevé. Parfois, il jouit des pouvoirs de Brahmâ, mais à cause de ses activités matérielles, il s’empêtre et déchoit. Ainsi peut-il tomber du poste de Brahmâ jusqu’à devenir un simple ver dans les excréments. Aussi retrouvons-nous tant d’espèces de vie.

L’élévation et la déchéance ont donc cours et l’être tantôt s’élève tantôt s’abaisse. Ainsi va sa souffrance. Lorsqu’il comprend sa situation, il commence à chercher l’Un, le Suprême : Krishna. Par Sa grâce, il rencontre un maître spirituel authentique; puis, par leur miséricorde conjuguée, il se voit offrir l’occasion d’adopter le service de dévotion. Avec un peu d’effort et de sincérité, l’être conditionné par la matière atteint la perfection dévotionnelle et retourne auprès de Dieu.

HAYAGRIVA: Bien que la presque totalité de sa philosophie traite d’impersonnalisme, Plotin écrit : « Fuyons vers notre bien-aimée patrie qui, pour nous, est ce lieu d’où nous sommes venus. Là se trouve le Père. »

SRILA PRABHUPADA: Tant que nous spéculons, nous serons confus et ne pourrons déterminer si la Vérité Absolue est personnelle ou impersonnelle. Toutefois, dès qu’il est question d’amour entre l’Absolu et les âmes distinctes, on doit parler de concept personnel. En vérité, Dieu est une personne. Quand l’être, par sa grâce, contacte un dévot, ses conceptions impersonnelles se subordonnent à l’aspect personnel; il adore alors Krishna et Son dévot.

HAYAGRIVA: Quant au conditionnement – ou la chute – de l’âme, Plotin croit que l’âme humaine ne quitte jamais entièrement le monde intelligible, ou spirituel.

SRILA PRABHUPADA: Puisque l’être est une entité spirituelle éternelle, il ne constitue pas un produit de ce monde de matière. Infime partie de l’Un, il est revêtu d’un corps composé d’éléments matériels. Alors que ceux-ci se transforment, il vieillit. Quand nos vêtements ne nous vont plus, ou qu’ils s’usent, il faut en acquérir des neufs. L’existence matérielle est synonyme de changement; or, en tant qu’âmes, nous sommes éternels et immuables. La vie matérielle n’est guère joyeuse, car elle change sans cesse. Que nos conditions de vie soient confortables ou misérables, elles changeront pour le meilleur ou pour le pire. Quoi qu’il en soit, nous devons échapper à ces changements de corps répétés. Si nous désirons conserver notre forme spirituelle originelle, il nous faut alors adopter la conscience de Krishna.

HAYAGRIVA: Plotin écrit encore : « Si les âmes demeurent dans le monde intelligible avec l’Âme, aucun mal ne peut les atteindre et elles peuvent participer à Son gouvernement. Elles sont comme des rois qui vivent avec l’Empereur et gouvernent avec et comme Lui, ne descendant jamais du palais... Mais vient un temps où elles tombent de cette condition, de dimensions cosmiques, à un état d’individualité. Elles aspirent à l’indépendance... Lorsqu’une âme se retranche longtemps dans une telle aliénation du Tout, sans jamais un regard vers l’intelligible, elle devient fragmentée, isolée, faible. »

SRILA PRABHUPADA: Ainsi se traduit sa chute, qui marque le début de ses tribulations matérielles. Tant que l’être est maintenu dans cet Univers matériel, il rêve de bonheur matériel et, selon les lois de la Nature, il accepte une variété de corps. Même conditionnée, l’âme demeure une partie intégrante du Seigneur Souverain. Néanmoins, selon les circonstances, elle pense en fonction d’un corps particulier, se croyant chien, homme, aquatique... Selon l’estimation matérielle, elle s’imagine américaine, indienne, hindoue, musulmane, mâle ou femelle. Toutes ces désignations naissent du corps. Quand on comprend que l’on est différent de notre corps, commence notre éducation spirituelle. Se savoir un fragment éternel de Dieu mène à la libération. Lorsque l’être progresse, il saisit que la Vérité Absolue est la Personne Suprême, Krishna. Il s’engage alors à Son service. Ainsi s’exprime concrètement sa spiritualité. Krishna habite les planètes Vaikounthas du monde spirituel, auxquelles peut être promu le dévot. Il peut aussi atteindre la planète suprême : Goloka Vrindâvan, où il vivra heureux en compagnie de Krishna et ce, pour l’éternité.

HAYAGRIVA: Plotin conçoit l’âme comme étant fondamentalement partagée en deux parties : une partie inférieure dirigée vers le corporel, et une partie supérieure, orientée vers le spirituel.

SRILA PRABHUPADA: En effet, et cela signifie que l’âme est prédisposée à choir de sa position. Parce que très infime, l’âme distincte a cette tendance, tout comme une étincelle peut tomber du feu. Étant de minuscules fragments de Dieu, nous pouvons nous prendre dans les filets de Son énergie externe – la matière. L’homme sans intelligence peut commettre un crime et être incarcéré; mais n’allons pas croire pour autant qu’il fut créé pour vivre en prison. On dit que ceux qui viennent en ce monde sont moins intelligents, car ils pensent pouvoir jouir de la vie indépendamment de Krishna. Le fils du riche croit pouvoir vivre sans son père, mais c’est là sa sottise. Le Père Suprême possède pleinement toutes les opulences. Si nous nous plaçons sous Sa protection, nous vivrons naturellement de façon très confortable. Lorsque l’homme d’intelligence réalise être le fils de Krishna, il se dit : « Retournons auprès de notre Père. » Voilà comment il faut utiliser son intelligence. Une personne sagace sait fort bien qu’elle sera heureuse avec Krishna et malheureuse sans Lui. Apprendre cette vérité fait partie du procédé de la conscience de Krishna. Sans cette conscience, l’être humain ne saurait trouver le bonheur.

HAYAGRIVA: Plotin estime également que l’ordre cosmique récompense et punit chacun selon son mérite.

SRILA PRABHUPADA: Lorsqu’un père voit son fils s’égarer, il cherche à le ramener à la maison, soit en le punissant, soit d’une autre manière. Tel est le devoir d’un père affectueux. Les êtres qui souffrent sottement en l’Univers matériel sont punis afin qu’ils se corrigent. Cela en vue de les ramener à leur juste position. Qui a suffisamment d’intelligence s’abandonne à Krishna, rétablit sa position constitutionnelle et atteint le plan spirituel où règnent félicité et savoir.

HAYAGRIVA: Plotin emploie la métaphore suivante : « Nous sommes comme une chorale qui permettrait à l’auditoire de détourner son attention du conducteur. Si, cependant, nous nous tournions vers ce dernier, nous chanterions comme il se doit et serions vraiment avec lui. Nous faisons toujours partie de l’entourage de l’Un. Autrement, nous nous dissoudrions et cesserions d’être.

«Pourtant, notre regard ne reste pas fixé sur Lui. Quand nous Le regardons, nos désirs prennent fin et nous trouvons le repos. C’est alors que, toute discorde passée, nous dansons avec inspiration autour de Lui. Dans cette danse, l’âme contemple la Source de la Vie, de l’Intelligence, la racine de l’Être, la cause du Bien, la racine de l’Âme. Toutes ces entités émanent de l’Un sans aucune diminution, car il ne s’agit pas d’un masque matériel. »

SRILA PRABHUPADA: Voilà une belle métaphore. Dieu est un individu et de même les légions d’âmes. Parfois, celles-ci chantent juste, parfois leur attention est détournée par l’auditoire. Dans ce cas, elles chantent faux. Pareillement, quand nous détournons notre attention vers la puissance d’illusion, nous tombons de notre position. Bien sûr, nous continuons de faire partie du Seigneur, mais l’influence de l’énergie matérielle nous recouvre et nous nous identifions aux éléments bruts, vie après vie. Nous nous identifions au corps, qui n’est qu’un vêtement en perpétuelle mutation. Il s’agit donc d’abord de comprendre que nous ne sommes pas cette enveloppe de matière brute. C’est ce qu’enseigne Krishna au tout début de la Bhagavad-Gîtâ, quand Il explique à Arjuna que n’étant pas le corps, celui-ci ne doit pas considérer la bataille de Kurukshétra sous un angle matériel, corporel. Nous sommes des âmes, des parties intégrantes de l’Âme Suprême. Agissons donc conformément à Ses instructions. Ainsi affranchis de toute désignation matérielle, nous développerons peu à peu notre conscience de Krishna.

HAYAGRIVA: Plotin explique ainsi le conditionnement de l’âme : « Comment alors les âmes oublient-elles la Divinité qui les engendra ? Ce malheur qui les frappe puise son origine dans la volonté, la naissance, la métamorphose et le désir d’indépendance. Ayant goûté aux joies de l’indépendance, elles usent de leur liberté pour suivre toute direction qui les éloigne de leur origine. Lorsqu’elles s’en éloignent trop, elles oublient même qu’elles en émanent. »

SRILA PRABHUPADA: C’est juste. Plus on se détourne de Krishna, plus on se dégrade. J’ai déjà expliqué que l’être vivant peut commencer sa vie matérielle comme Brahmâ, pour éventuellement se dégrader jusqu’à devenir un ver dans les excréments. À nouveau, par les voies de la Nature, il évoluera vers la forme humaine, qui lui fournit l’occasion de comprendre comment il est tombé de sa position première.

En embrassant la conscience de Krishna, il peut stopper cette transmigration. Chacun doit quitter son corps matériel; mais le dévot qui quitte le sien n’est pas contraint d’en revêtir un autre. Il est aussitôt transféré au monde spirituel. Mâm eti : « Il vient à Moi [Krishna]. » (Bhagavad-Gîtâ 4:9) Pour le dévot, la mort revient à quitter son corps de matière pour ne garder que sa forme spirituelle, originelle. Il est dit que le dévot vive ou meure, son occupation demeure la même : le service de dévotion. Ceux que l’existence matérielle dégrade – les bouchers, par exemple, qui égorgent chaque jour tant d’animaux – se voient conseiller : « Ne vivez pas, mais ne mourez pas non plus. » Leur vie présente est abominable et leur vie future sera saturée de souffrance. Le dévot, lui, est libéré puisque la vie et la mort le laissent indifférent. Il est jîvan-moukta, ce qui dénote que bien que son corps pourrisse dans l’Univers matériel, lui est libéré. Krishna affirme dans la Bhagavad-Gîtâ (7:14) que Son dévot n’est pas soumis aux modes d’influence de la Nature matérielle :

daivî hi esâ gunamayî
mama mâyâ duratyayâ
mâm eva ye prapadyante
mâyâm etâm taranti te

« L’énergie que constituent les trois sources d’influence matérielle [Vertu, Passion et Ignorance], cette énergie divine – la Mienne –, on ne peut sans mal la dépasser. Mais qui s’abandonne à Moi en franchit facilement les limites. »

Le dévot se situe donc au niveau de Brahman. Notre position constitutionnelle consiste à servir, que l’on serve Mâyâ ou Krishna. Jîvera ’svarûpa’ haya – krsnera ’nitya-dâsa’ (C.C. Madhya 20.108); Chaitanya Mahâprabhou définit notre véritable identité comme étant celle de serviteur éternel de Krishna. Présentement, chacun sert sa famille, sa communauté, son pays... Lorsqu’on sert Krishna à cent pour cent, on est libéré. À cause de leur maigre savoir, les impersonnalistes croient que la libération (moukti) est synonyme d’inaction, mais cette croyance ne repose sur aucun fondement. Par nature, l’âme s’avère active, et parce qu’elle habite le corps, celui-ci accomplit tant d’activités. Le corps en soi est inactif, mais de par la présence de l’âme, il agit. Si nous renonçons au concept matériel de l’existence, pourquoi cesserions-nous pour autant d’agir ?

Les Mâyâvâdîs ne peuvent saisir que l’âme incarne le principe agissant. Lorsqu’il quitte le corps, on dit que ce dernier est mort. Même les êtres libérés du corps matériel doivent agir. C’est ce qu’explique le Bhakti-shâstra :

sarvopâdhi-vinirmuktam
tat-paratvena nirmalam
hrsîkena hrsîkesa-
sevanam bhaktir ucyate

« La bhakti, le service de dévotion, consiste à utiliser ses sens au service du Seigneur, le Maître de tous les sens. Lorsque l’âme sert l’Être Suprême, deux effets secondaires en résultent : elle s’affranchit de toute désignation matérielle et ses sens se purifient par le simple fait d’être employés au service de Dieu. » (Nârada-pañcharâtra)

HAYAGRIVA: Plotin écrit : « L’âme ainsi conditionnée [par l’oubli] peut être réorientée vers le monde d’en haut et l’Être Suprême, l’Un. Cela peut s’accomplir par une double discipline : en lui montrant la piètre valeur des choses qu’elle estime actuellement, et en l’informant de sa nature et de sa valeur – qu’elle a oubliées !»

SRILA PRABHUPADA: Voilà le procédé qu’il faut appliquer. On peut comprendre ou non, mais celui qui sert Krishna sous la direction du maître spirituel renonce automatiquement à servir Mâyâ et obtient la libération.

visayâ vinivartante
nirâhârasya dehinah
rasa-varjam raso ’py asya
param drstvâ nivartate

« Même à l’écart des plaisirs matériels, l’âme incarnée peut encore éprouver quelque désir pour eux. Mais qu’elle goûte une joie supérieure, et elle perdra ce désir, pour demeurer dans la conscience spirituelle. » (Bhagavad-Gîtâ 2:59)

Mais si volontairement, elle accepte encore de servir Mâyâ, elle se reconditionne à nouveau. En servant Krishna sous la tutelle du guru authentique, on en vient à comprendre tout ce qu’il faut savoir. Le dévot ne spécule pas sur sa position; il la connaît par la grâce de Krishna.

tesâm satata-yuktânâm
bhajatâm prîti-pûrvakam
dadâmi buddhi-yogam tam
yena mâm upayânti te

tesâm evânukampârtham
aham ajñâna-jam tamah
nâsayâmy âtma-bhâvastho
jñâna-dîpena bhâsvatâ

« Ceux qui toujours Me servent et M’adorent avec amour et dévotion, Je leur donne l’intelligence par quoi ils pourront venir à Moi. Vivant dans leur cœur et plein pour eux de compassion, Je dissipe, du flambeau lumineux de la connaissance, les ténèbres nées de l’ignorance. » (Bhagavad-Gîtâ 10:10-11)

HAYAGRIVA: On considère généralement Origène comme le fondateur de la philosophie chrétienne officielle, car il est le premier à s’efforcer d’établir le christianisme autant sur la philosophie que sur la foi. Il croit que l’ultime réalité spirituelle consiste en une Personne Suprême et Infinie – Dieu – et les personnes individuelles. La réalité ultime peut être définie sous forme de relations interpersonnelles, et ce, même avec l’Infinie Personne. Ce point de vue distingue Origène des Grecs, lesquels s’avèrent fondamentalement impersonnalistes.

SRILA PRABHUPADA: Notre conception védique rejoint presque la sienne. Les âmes individuelles, que nous nommons « êtres vivants », existent de toute éternité, et une relation intime unit chacune d’elles à Dieu, la Personne Suprême. Dans la vie matérielle, ou conditionnée, l’être oublie cette relation. En pratiquant le service de dévotion, il atteint le niveau de la libération et rétablit sa relation avec le Souverain Seigneur.

HAYAGRIVA: Origène adhère à la doctrine de la Trinité dans laquelle Dieu le Père est suprême. Dieu le Fils – appelé Logos – est subordonné au Père. C’est le Fils qui crée l’Univers matériel. C’est-à-dire que Dieu le Père n’est pas le Créateur immédiat; plutôt, c’est le Fils qui joue ce rôle, à l’instar de Brahmâ. Le troisième aspect de la Trinité – le Saint-Esprit – est, Lui, subordonné au Fils. Selon Origène, ces trois aspects sont divins et coéternels. Ils ont toujours existé en tant que la Divine Trinité.

SRILA PRABHUPADA: Selon les Védas, Krishna est Dieu, la Personne Suprême. La Bhagavad-Gîtâ (10:8) le confirme : aham sarvasya prabhavah – « De tous les mondes, spirituels et matériels, Je suis la source. » Peu importe si vous appelez cette source le Père, le Fils ou l’Esprit Saint. La conception védique reconnaît deux sortes d’émanations: 1) les émanations personnelles de Dieu, dites Vishnou-tattva; 2) Ses parties intégrantes, ou parcelles, nommées jîva-tattva.

Il existe également plusieurs variétés d’émanations personnelles : les pourousha-avatars, les shaktyâvesh-avatars, les manvantara-avatars [Manous]. Pour réaliser la création de l’Univers matériel, le Seigneur Se multiplie en Brahmâ, Vishnou et Maheshvara [Shiva]. Vishnou est une émanation, alors que Brahmâ demeure un jîva-tattva. Entre ces deux catégories existe une sorte d’émanation intermédiaire, appelée Shiva, ou Maheshvara. Les éléments matériels sont fournis à Brahmâ, qui orchestre alors une réaction spécifique, que Vishnou maintiendra et que Shiva détruira. Telle est la nature de l’énergie externe d’être créée, préservée, puis dissoute. Le Chaitanya-charitâmrita offre une analyse beaucoup plus détaillée de ce thème. Quoi qu’il en soit, les êtres vivants, – les jîvas – sont tous fils de Dieu, qu’ils soient libérés ou conditionnés. Les premiers jouissent de la compagnie personnelle du Seigneur; les seconds, qui peuplent ce monde, ont oublié Dieu. Aussi souffrent-ils ici-bas en diverses formes corporelles. Ils peuvent toutefois s’élever en pratiquant la conscience de Krishna, sous la direction des shâstras [Écritures] et du guru authentique.

HAYAGRIVA: Origène estime que c’est par l’effort conjugué de la grâce divine et du libre arbitre de l’humain que l’âme distincte accède à la perfection, qui consiste à développer une relation personnelle avec la Personne Infinie.

SRILA PRABHUPADA: Voilà ce qu’on appelle bhakti-mârga [voie de la dévotion]. La Vérité Absolue se manifeste sous trois aspects : Brahman, Paramâtmâ et Bhagavân. Ce troisième est Son aspect personnel et le Paramâtmâ, sis dans le cœur de chacun, peut se comparer au Saint-Esprit. Brahman, Lui, est omniprésent. La plus haute perfection spirituelle inclut la compréhension de l’aspect personnel du Seigneur. Celui qui comprend Bhagavân Le sert. Ainsi, l’être se situe dans sa position originelle, naturelle, et connaît la félicité éternelle.

HAYAGRIVA: Origène considère que le libre arbitre humain peut hâter notre chute, mais aussi nous apporter le salut. L’humanité peut retourner à Dieu en pratiquant le détachement de la matière. Un tel détachement est rendu possible par l’aide du Logos, du Christ.

SRILA PRABHUPADA: Telle est également notre conception. L’âme déchue transmigre au sein de cet Univers matériel, s’élevant ou se dégradant en diverses formes de vie. Lorsque sa conscience évolue suffisamment, Dieu peut l’éclairer à travers les enseignements de la Bhagavad-Gîtâ. Grâce à l’aide du maître spirituel, elle peut être parfaitement éclairée. Réalisant dès lors son niveau d’extase spirituelle, elle délaisse automatiquement tout attachement au corps. Ainsi acquiert-elle la liberté. L’être atteint sa condition constitutionnelle lorsqu’il s’établit comme il se doit dans son identité spirituelle, en s’engageant au service du Seigneur.

HAYAGRIVA: Origène croit que tous les éléments du corps matériel se retrouvent également dans le corps spirituel, qu’il appelle « l’homme intérieur ». Voici ce qu’il écrit dans ce contexte : « En chacun de nous vivent deux hommes... De même que chaque homme extérieur a pour homonyme l’homme intérieur, il en est ainsi pour tous ses membres; on peut donc dire que chaque membre de l’homme extérieur peut être découvert sous ce nom dans l’homme intérieur... » De sorte que pour chaque membre dont est doté le corps extérieur, on retrouve la contrepartie dans le corps intérieur, ou spirituel.

SRILA PRABHUPADA: L’âme spirituelle habite présentement un corps matériel, mais à l’origine, elle en était dépourvue. Le corps spirituel de l’âme existe de toute éternité. Celui de matière n’est qu’une enveloppe recouvrant la forme spirituelle de l’être. La forme matérielle de celui-ci épouse, comme un costume, celle du corps spirituel. Les éléments matériels – la terre, l’eau, l’air, le feu... – forment une sorte d’argile lorsqu’on les amalgame et ils recouvrent ainsi l’âme spirituelle. Puisque celle-ci possède une forme, l’enveloppe matérielle en revêt également une. En réalité, le corps de matière n’a rien en commun avec le corps spirituel; ce n’est qu’une souillure dont souffre l’âme. Dès que cette souillure matérielle enveloppe l’âme, celle-ci s’identifie à ce vêtement, oubliant son vrai corps spirituel. Voilà ce qu’on nomme mâya – ignorance, ou illusion. Cette ignorance se perpétue tant que nous ne sommes pas pleinement conscients de Krishna. Quand nous le serons, nous comprendrons que le corps matériel n’est qu’un vêtement externe, dont nous sommes différents. Avec cette pure compréhension, s’atteint le niveau du brahma-bhoûta. Lorsque l’âme, qui est brahman, subit l’illusion du conditionnement corporel, matériel, elle évolue alors sur le plan du jîva-bhoûta. On accède au brahma-bhoûta en cessant de s’identifier au corps matériel pour s’identifier plutôt à l’âme, qui l’habite. Une fois atteint ce niveau, nous y trouvons la joie.

brahma-bhûtah prasannâtmâ
na socati na kânksati
samah sarvesu bhûtesu
mad-bhaktim labhate parâm

« Celui qui atteint le niveau spirituel réalise du même coup le Brahman Suprême, et y trouve une joie infinie. Jamais il ne s’afflige, jamais il n’aspire à quoi que ce soit; il se montre égal envers tous les êtres. Celui-là obtient alors de Me servir avec un amour et une dévotion purs. » (Bhagavad-Gîtâ 18:54) De cette position, on peut voir comme des âmes spirituelles tous les êtres vivants; on ne voit plus alors le vêtement extérieur. Au lieu de voir un chien, on contemple une âme recouverte par une forme canine. La Bhagavad-Gîtâ (5:18) décrit également cet état :

vidyâ-vinaya-sampanne
brâhmane gavi hastini
suni caiva svapâke ca
panditâh sama-darsinah

« L’humble sage, éclairé du vrai savoir, voit d’un œil égal le brahmane noble et érudit, la vache, l’éléphant, ou encore le chien et le mangeur de chien. » Qui habite un corps animal ne saurait comprendre son identité spirituelle. La civilisation humaine qui adhère à l’institution du varnâshram offre la meilleure chance qui soit de réaliser cette identité. Cette institution divise la vie en quatre ashrams (brahmane, kshatriya, vaishya, shoûdra) et quatre varnas (brahmachârî, grihastha, vânaprastha, sannyâsî). La plus haute position est celle du brahmane-sannyâsî, qui offre l’occasion rêvée de réaliser notre condition première, d’agir en conséquence et d’atteindre ainsi la délivrance, ou moukti. Ce qui revient à comprendre notre position constitutionnelle pour agir conformément à celle-ci. L’existence conditionnée, vie d’asservissement, revient à s’identifier au corps en agissant à ce niveau. Sur le plan de la moukti, nos activités diffèrent de celles accomplies par conditionnement. Ainsi en est-il des activités dévotionnelles. Lorsque nous pratiquons le service de dévotion, nous maintenons notre identité spirituelle et sommes donc libérés, même si nous habitons un corps matériel, conditionné.

HAYAGRIVA: Origène croit également que l’homme intérieur, ou le corps spirituel, jouit aussi de sens spirituels permettant à l’âme de goûter, de voir, de toucher et de contempler ce qui est de Dieu.

SRILA PRABHUPADA: Ainsi se définit la vie dévotionnelle.

HAYAGRIVA: De son vivant, Origène fut un maître célèbre et très demandé. Pour lui, prêcher signifie expliquer la Parole de Dieu, sans rien y ajouter. Il croit que le prédicateur doit d’abord entrer en contact avec Dieu par la prière, en évitant de prier pour des biens matériels, mais plutôt pour une meilleure compréhension des Écritures.

SRILA PRABHUPADA: Telle est la définition d’un vrai prédicateur. Comme l’explique la littérature védique : sravanam kîrtanam. Il s’agit, avant tout, de devenir parfait par l’écoute, qu’on appelle sravanam. Après s’être ainsi établi par une écoute parfaite auprès d’une personne accréditée, commence la seconde étape, celle de la prédication – kîrtanam. Dans le monde matériel, tous écoutent autrui. Pour réussir un examen, l’étudiant doit écouter son professeur. Puis, il peut devenir lui-même professeur. Si nous écoutons un être spiritualisé, nous deviendrons parfaits, de vrais prédicateurs. Il faut annoncer les gloires de Vishnou en Son Nom, et non en celui de quelque habitant de l’Univers matériel. Nous devons écouter et annoncer les gloires de la Personne Suprême, la Divinité transcendantale. Tel est le devoir de l’âme libérée.

HAYAGRIVA: Quant aux contradictions et aux apparentes absurdités scripturaires, Origène les considère comme des pierres d’achoppement auxquelles Dieu permet d’exister afin que l’homme en dépasse le sens littéral. Il écrit dans ce sens : « Tout dans les Écritures possède une signification spirituelle, mais pas nécessairement un sens littéral. »

SRILA PRABHUPADA: D’une façon générale, chaque mot des Écritures possède un sens littéral, mais les gens ne peuvent le comprendre comme il se doit, car ils ne prêtent pas l’oreille à la bonne personne. Ils préfèrent interpréter les Écritures. Nul besoin d’interpréter la Parole de Dieu. Parfois, celle-ci ne peut être comprise par une personne ordinaire; aussi avons-nous besoin d’un intermédiaire « transparent », le guru. Celui-ci étant pleinement conscient de la Parole de Dieu, il est recommandé de recevoir le message des Écritures à travers lui. Aucune ambiguïté ne ternit la Parole divine, mais notre savoir imparfait la rend parfois impossible à saisir. Nous cherchons alors à l’interpréter; or, étant imparfaits, nos interprétations le sont également. L’enseignement à en tirer est que la Parole du Divin – les Écritures – doit être comprise auprès d’une personne ayant réalisé Dieu.

HAYAGRIVA: Origène admet deux formes de renaissance : la première est le baptême, qui représente, en quelque sorte, une union mystique entre le Christ et l’âme. Il marque la première étape de la vie spirituelle, d’où l’on peut progresser ou régresser. On le compare à un reflet de l’ultime renaissance, qui est purification totale et renaissance dans le monde spirituel avec le Christ. Lorsque l’âme renaît avec le Christ, elle reçoit un corps spirituel comme celui du Christ, qu’elle contemple alors face à face.

SRILA PRABHUPADA: Quelle est la position du Christ ?

HAYAGRIVA: Il est assis à la droite du Père, dans le Royaume de Dieu.

SRILA PRABHUPADA: Mais quand le Christ était présent sur la Terre, plusieurs l’ont vu.

HAYAGRIVA: Ils le virent de diverses façons, de même que différentes personnes virent Krishna différemment.

SRILA PRABHUPADA: Serait-ce que le Christ peut être vu dans son corps purement spirituel ?

HAYAGRIVA: Quand l’âme renaît avec le Christ, elle contemple le corps spirituel du Christ à l’aide de sens spirituels.

SRILA PRABHUPADA: Telle est également notre pensée.

HAYAGRIVA: Origène ne croit pas que l’âme distincte existe de toute éternité : elle fut créée. Aussi écrit-il : « Les natures rationnelles qui furent conçues au commencement n’existèrent pas toujours; elles virent le jour quand elles furent créées. »

SRILA PRABHUPADA: Voilà qui est inexact. Et l’être et Dieu existent éternellement et simultanément; l’être fait d’ailleurs partie intégrante du Divin. Bien qu’il existe à tout jamais, l’être change de corps. Na hanyate hanyamâne sarire (Bhagavad-Gîtâ 2:20). Les corps sont créés et détruits l’un après l’autre, mais l’être, lui, est éternel. Nous ne sommes donc pas d’accord avec Origène, lorsqu’il dit que l’âme fut créée. Notre identité spirituelle n’est jamais créée; voilà ce qui distingue l’esprit de la matière. La matière est créée, mais le spirituel n’a pas de commencement.

na tv evâham jâtu nâsam
na tvam neme janâdhipâh
na caiva na bhavisyâmah
sarve vayam atah param

« Jamais ne fut le temps où nous n’existions, Moi, toi et tous ces rois; et jamais aucun de nous ne cessera d’être. » (Bhagavad-Gîtâ 2:12)

HAYAGRIVA: Origène, qui croit en la transmigration des âmes, se distingue ainsi de la doctrine qu’adopta plus tard l’Église. Même s’il croit que l’âme fut créée à l’origine, il pense néanmoins qu’elle transmigre, car elle peut toujours refuser de se donner à Dieu. Il voit donc l’âme distincte s’élever et retomber de façon perpétuelle sur l’échelle évolutive. Plus tard, la doctrine de l’Église soutiendra qu’on choisit son éternité en cette seule vie. Selon Origène, l’âme distincte, manquant d’atteindre le but ultime, se réincarne encore et toujours.

SRILA PRABHUPADA: Telle est la version védique. À moins d’atteindre la libération et de gagner le Royaume de Dieu, l’être doit transmigrer d’un corps matériel à un autre. Le corps de matière se développe, dure quelque temps, se reproduit, vieillit, puis devient inutile. Il faut alors le quitter pour un autre. Dès que l’être habite un nouveau corps, il essaie à nouveau de combler ses désirs, et à nouveau il subit la mort, pour accepter une fois de plus un corps matériel. Ainsi s’opère la transmigration des âmes.

HAYAGRIVA: Il est intéressant de noter que ni Origène ni le Christ ne rejettent la transmigration des âmes. Ce n’est que depuis Augustin qu’on refuse de l’admettre.

SRILA PRABHUPADA: Cette transmigration est un fait. On ne peut porter les mêmes vêtements toute sa vie. Ceux-ci se font vieux et usés, et il nous faut les changer. L’être vivant est certes éternel, mais il doit accepter de revêtir un corps matériel pour la jouissance matérielle. Or, un tel corps ne saurait durer à jamais. La Bhagavad-Gîtâ (2:13 / 15:8) explique tout cela de manière approfondie :

dehino ’smin yathâ dehe
kaumâram yauvanam jarâ
tathâ dehântara-prâptir
dhîras tatra na muhyati

« À l’instant de la mort, l’âme prend un nouveau corps, aussi naturellement qu’elle est passée, dans le précédent, de l’enfance à la jeunesse, puis à la vieillesse. Ce changement ne trouble pas qui a conscience de sa nature spirituelle. »

sarîram yad avâpnoti
yac câpy utkrâmatîsvarah
grhîvaitâni samyâti
vâyur gandhân ivâsayât

« Comme l’air emporte les odeurs, l’être vivant, en ce monde de matière, emporte avec lui, d’un corps à un autre, les diverses manières dont il conçoit la vie. »

HAYAGRIVA: Saint Augustin considérait l’âme de nature spirituelle et incorporelle, mais il croyait aussi que l’âme distincte n’existait pas avant la naissance. Elle ne devient immortelle qu’à la mort, pour ensuite vivre éternellement.

SRILA PRABHUPADA: Si l’âme est créée, comment peut-on dire qu’elle est immortelle ? Comment serait-elle parfois non éternelle ?

HAYAGRIVA: Augustin dirait qu’elle atteint l’immortalité après avoir été créée à un moment précis.

SRILA PRABHUPADA: Comment alors voit-il la mort ?

HAYAGRIVA: Il reconnaît deux formes de mort : la mort physique, où l’âme quitte le corps, et la mort de l’âme, quand Dieu l’abandonne. Les damnés subissent et la mort physique et la mort spirituelle de l’âme.

SRILA PRABHUPADA: Au figuré, qui oublie sa position meurt en quelque sorte, mais l’âme est éternelle. Ce que saint Augustin nomme la mort spirituelle n’est qu’oubli. Dans l’inconscience, on oublie son identité; mais le mort ne peut ranimer sa conscience. Bien sûr, tant qu’on ne s’affranchit pas de l’existence matérielle, on demeure spirituellement mort, même si on continue d’exister sur le plan matériel. L’oubli de notre véritable identité représente une certaine forme de mort, car seul l’être conscient de Dieu vit vraiment. De toute façon, l’âme est éternelle; elle ne meurt pas avec le corps.

HAYAGRIVA: Augustin croyait qu’en certains cas, cet oubli s’avérait éternel.

SRILA PRABHUPADA: Au contraire, notre conscience peut toujours être ravivée; telle est la conviction du Mouvement pour la Conscience de Krishna. L’homme assoupi est inconscient, mais dès qu’on l’appelle à plusieurs reprises, le son de son nom pénètre son oreille et il s’éveille. De même, le chant du mahâ-mantra [Hare Krishna, Hare Krishna, Krishna Krishna, Hare Hare / Hare Râma, Hare Râma, Râma Râma, Hare Hare] ranime notre conscience spirituelle, nous éveillant ainsi à la spiritualité.

HAYAGRIVA: Augustin dirait que Dieu abandonne à jamais l’âme damnée à la perdition éternelle.

SRILA PRABHUPADA: On peut être « éternellement abandonné » en ce sens que notre oubli peut durer des millions d’années, et sembler ainsi perpétuel. Mais notre conscience spirituelle peut se raviver en tout temps au contact d’âmes élevées, par le chant et l’écoute. Aussi le service de dévotion commence-t-il par l’écoute (sravanam). Ce procédé est très important, surtout au début. Si on entend la vérité des lèvres d’une âme réalisée, on peut s’éveiller à la spiritualité et se garder spirituellement vivant dans le service dévotionnel.

HAYAGRIVA: Dans La Cité de Dieu, Augustin fait allusion à deux cités ou sociétés : l’une divine et l’autre, démoniaque. Dans la première, l’amour de Dieu et de l’âme est le facteur unificateur; dans la seconde, l’amour du monde et de la chair domine : « Il existe deux amours : l’un saint, social, soumis à Dieu; l’autre, impie, individualiste et hostile à Dieu. »

SRILA PRABHUPADA: Une allégorie semblable est présentée dans le Srîmad-Bhâgavatam [4ème Chant, chap. 27-28] : le corps y est comparé à une cité, dont le roi serait l’âme. Cette cité possède neuf portes par lesquelles le roi peut la quitter. Des descriptions détaillées en sont offertes dans le Srîmad-Bhâgavatam.

HAYAGRIVA: Augustin semble admettre la transcendance de Dieu, mais non Son omniprésence en tant que Paramâtmâ, qui accompagne chaque âme distincte : « Dieu n’est pas l’Âme de toutes choses, mais le Créateur de toutes les âmes. »

SRILA PRABHUPADA: La Brahma-samhitâ et la Bhagavad-Gîtâ (13:23) confirment que Paramâtmâ est l’Âme Suprême :

upadrastânumantâ ca
bhartâ bhoktâ mahesvarah
paramâtmeti câpy ukto
dehe ’smin purusah parah

« Mais il est, dans le corps, un autre bénéficiaire, lequel transcende la matière; et c’est le Seigneur, le possesseur suprême, témoin et consentant, qu’on nomme l’Âme Suprême. »

Dieu est présent dans chaque atome :

vistabhâham idam krtsnam
ekâmsena sthito jagat

« Car l’Univers entier, par une simple étincelle de Ma Personne, Je le pénètre et le soutiens. » (Bhagavad-Gîtâ 10:42)

vadanti tat tattva-vidas
tattvam yaj jñânam advayam
brahmeti paramâmeti
bhagavân iti sabdyate

« Les doctes et sages spiritualistes qui connaissent la Vérité Absolue nomment cette substance unique, au-delà de toute dualité, du non de Brahman, Paramâtmâ et Bhagavân. » (Srîmad-Bhâgavatam 1.2.11) On ne saurait donc nier l’omniprésence du Seigneur.

HAYAGRIVA: Augustin rejette l’assertion d’Origène selon laquelle le corps serait une prison : « Si Origène et ses partisans disent vrai – que la matière fut créée pour que les âmes puissent être encastrées dans des corps, sortes de pénitenciers où expier leurs péchés – alors les corps supérieurs, plus légers, seraient destinés à ceux dont les fautes furent moindres, tandis que les corps inférieurs, plus lourds, seraient réservés à ceux dont les crimes furent plus sérieux. »

SRILA PRABHUPADA: L’âme fait essentiellement partie intégrante de Dieu, mais elle se voit incarcérée dans divers types de corps. Krishna dit dans la Bhagavad-Gîtâ (14:4) :

sarva-yonisu kaunteya

mûrtayah sambhavanti yâh
tâsâm brahma mahad yonir
aham bîja-pradah pitâ

« Comprends cela, ô fils de Kuntî, que toutes espèces de vie procèdent du sein de la nature matérielle, et que J’en suis le père, qui donne la semence. »

De notre mère, la nature matérielle, procèdent différentes espèces de vie qu’on retrouve partout : dans la terre, dans l’eau, dans l’air, voire dans le feu. L’âme distincte, toutefois, est une infime partie du Suprême, qui l’injecte dans la matière. L’être vivant naît alors dans l’Univers matériel à travers le sein d’une mère. Il semble que l’âme surgisse de la matière, mais elle n’est pas formée d’éléments matériels. Fragment éternel de Dieu, elle ne fait qu’emprunter divers corps selon ses actes et désirs, pieux ou coupables. Les aspirations de l’âme déterminent ainsi ses corps inférieurs ou supérieurs. Quoi qu’il en soit, l’âme demeure immuable. Aussi dit-on que ceux au degré de conscience spirituelle élevé voient une même substance transcendantale dans chaque corps, fût-ce celui d’un chien ou d’un brahmane :

vidyâ-vinaya-sampanne
brâhmane gavi hastini
suni caiva svapâke ca
panditâh sama-darsinah

« L’humble sage, éclairé du pur savoir, voit d’un œil égal le brâhmana noble et érudit, la vache, l’éléphant, ou encore le chien et le mangeur de chien. » (Bhagavad-Gîtâ 5:18)

HAYAGRIVA: Augustin voit en Adam la source du genre humain : « Dieu savait combien il serait bon pour cette communauté de souvent se rappeler que la race humaine prend sa source dans un seul homme, pour montrer précisément comme il est agréable à Dieu que les humains, bien que multiples, ne fassent qu’un. »

SRILA PRABHUPADA: La conception védique est presque identique. Elle veut que l’humanité procède de Manou. De ce nom dérive le mot sanskrit mânousah, signifiant « être humain » ou « venant de Manou ». Manou lui-même descend de Brahmâ, le premier être créé. Les êtres vivants procèdent donc d’autres êtres, non de la matière. Brahmâ, en tant que rajo-gouna-avatar, vient, à son tour, du Seigneur. En vérité, Brahmâ incarne la Passion (rajo-gouna). Tous les êtres vivants ont comme source ultime l’Être Suprême.

HAYAGRIVA: Comme Origène, Augustin considère que l’âme fut créée à un moment précis, mais contrairement à lui, il rejette la réincarnation :

« Que les platoniciens cessent de nous menacer avec leur réincarnation comme châtiment pour notre âme. Quelle idée ridicule! Il n’est pas de retour à cette vie pour le châtiment de l’âme. Tout mortels que Dieu nous ait créés, en quoi le retour dans un corps, don du Seigneur, serait-il un châtiment ? »

SRILA PRABHUPADA: Ne croit-il pas que de revêtir le corps d’un porc ou d’une autre créature inférieure soit un châtiment ? Pourquoi quelqu’un obtient-il le corps du roi Indra – ou de Brahmâ – et un autre celui d’un insecte ou d’un porc? Comment explique-t-il ce dernier corps ? Si le corps est un don de Dieu, il peut aussi incarner un châtiment divin. En guise de récompense, on obtient le corps d’un Brahmâ ou d’un Indra; comme châtiment, on assumera un corps porcin.

HAYAGRIVA: Le corps humain, lui, serait-il une récompense ou un châtiment ?

SRILA PRABHUPADA: Plusieurs humains vivent dans l’aisance, alors que d’autres souffrent. Plaisir et souffrance dépendent ainsi du corps, comme l’explique la Bhagavad-Gîtâ (2:14) :

mâtrâ-sparsâs tu kaunteya
sîtosna-sukha-duhkha-dâh
âgamâpâyino ’nityâs
tâms titiksasva bhârata

« Éphémères, joies et peines, comme étés et hivers, vont et viennent, ô fils de Kuntî. Elles ne sont dues qu’à la rencontre des sens avec la matière, ô descendant de Bharata, et il faut apprendre à les tolérer, sans en être affecté. »

Le vieillard peut être très sensible au froid, tandis que l’enfant n’en sera même pas conscient. La perception dépend du corps. L’animal peut errer nu sans ressentir le froid, mais pas l’être humain. Le corps représente donc une source de plaisir ou de souffrance, une récompense ou un châtiment.

HAYAGRIVA: Pour Augustin, l’âme de chaque homme n’est pas nécessairement condamnée à vivre sur la Terre à cause d’un désir ou péché personnel; c’est plutôt à cause du péché originel d’Adam, le premier homme :

« Quand le premier couple [Adam et Ève] fut puni par Dieu, l’entière race humaine... était présente dans le premier homme. Et ce qui naquit alors n’était pas la nature humaine telle que créée à l’origine, mais telle qu’elle devint après la faute et le châtiment des premiers parents – du moins, en ce qui concerne l’origine du péché et de la mort. » En ce sens, l’individu partage le karma de la race entière.

SRILA PRABHUPADA: S’il en est ainsi, pourquoi qualifie-t-il le corps de don ? Pourquoi dit-il que ce n’est pas un châtiment ? Le premier homme fut puni, le second aussi, et ainsi de suite. Parfois, le fils hérite de la maladie dont souffrait son père. N’est-ce pas là une punition ?

HAYAGRIVA: La forme humaine serait donc un châtiment en soi ?

SRILA PRABHUPADA: Oui. Dans un même temps, on peut néanmoins considérer la vie humaine comme un don, car c’est Dieu qui l’offre. Songeons que c’est une grâce de Sa part si, en guise de punition, Il nous donne ce corps, car ce châtiment nous purifie et nous aide à progresser vers Lui. Ainsi pense le dévot. Il voit le corps comme une récompense, car en acceptant ce châtiment, il évolue vers la réalisation de Dieu. Mais s’Il nous le donne pour nous corriger, le corps peut ainsi être vu comme un don.

HAYAGRIVA: Selon Augustin, le corps physique précède le spirituel : « On sème un corps matériel, il ressuscite un corps spirituel. S’il y a un corps naturel, il y a aussi un corps spirituel... Mais ce n’est pas le spirituel qui paraît d’abord, c’est le physique. Le premier homme, tiré de la terre, est terrestre; le second homme est du ciel... Mais le corps qui, de l’esprit vivifiant, deviendra spirituel et immortel ne pourra en aucune circonstance mourir. Il sera immortel, au même titre que l’âme créée. »

SRILA PRABHUPADA: Pourquoi parle-t-il d’immortalité uniquement en rapport avec l’homme ? Chaque être vivant possède un corps immortel. Nous l’avons déjà dit, le fait d’habiter un corps mortel représente une certaine forme de châtiment. L’individu évolue des espèces inférieures aux formes supérieures de vie. Chaque âme est une infime partie de Dieu, mais à cause de quelque faute, elle vient en cet Univers matériel. La Bible dit qu’Adam et Ève, chassés du Paradis, durent séjourner en ce monde parce qu’ils avaient désobéi à Dieu. Le royaume des cieux, les planètes de Krishna – voilà la demeure originelle de l’âme qui, pour une raison quelconque, choit en ce monde et revêt un corps matériel.

Ses activités ici-bas l’élèvent ou la dégradent, de sorte qu’elle sera tantôt un déva, tantôt un humain, un animal, un arbre ou une plante. Quoi qu’il en soit, l’âme demeure toujours distincte du corps, comme le confirme la littérature védique. Notre vraie vie spirituelle commence quand nous sommes affranchis de toute souillure matérielle, ou de la réincarnation.

HAYAGRIVA: Augustin écrit : « La paix entre l’homme mortel et son Créateur consiste à obéir, guidé par la foi, aux lois éternelles de Dieu; la paix entre humains consiste en une sobre amitié. La paix de la Cité céleste réside dans la communion parfaitement ordonnée et harmonieuse de ceux qui trouvent leur joie mutuelle et individuelle en le Seigneur. En dernière analyse, la paix est le calme qui résulte de l’ordre.»

SRILA PRABHUPADA: La paix implique qu’on entre au contact de Dieu, la Personne Suprême. L’ignorant croit être le bénéficiaire de ce monde; toutefois, lorsqu’il contacte Dieu, il comprend que c’est Lui le véritable bénéficiaire, le Maître Absolu, dont nous sommes les serviteurs, créés pour Son plaisir. Le serviteur subvient aux besoins de son maître. À vrai dire, le maître n’a nul besoin à combler; néanmoins, il goûte la compagnie de ses serviteurs, qui apprécient en retour sa présence. Le fonctionnaire est très heureux d’obtenir un bon poste, et le maître se réjouit d’acquérir un serviteur très loyal. Telle est la relation qui unit l’âme distincte à Dieu. Or, quand elle se brise, on dit que l’âme sombre dans mâyâ [l’illusion]; une fois rétablie, l’individu retrouve sa conscience spirituelle, que nous appelons la conscience de Krishna, et comprend que Dieu est l’Être Suprême, mais aussi le vrai bénéficiaire et possesseur. Appréciant les attributs spirituels du Seigneur, nous connaîtrons alors paix et bonheur.

HAYAGRIVA: Augustin estime que l’action et la méditation doivent se compléter, au lieu d’être exclusives :

« Aucun humain ne doit s’abîmer dans la contemplation jusqu’au mépris des besoins de son prochain, ni s’absorber dans l’action jusqu’au mépris de la contemplation de Dieu. »

SRILA PRABHUPADA: À moins de penser à Dieu, comment peut-on Le servir activement ? La véritable méditation consiste à méditer sur le Seigneur – ou l’Âme Suprême – sis dans le cœur. L’action et la méditation doivent toutefois aller de pair. Il est louable de s’asseoir et de penser à Dieu, mais celui qui agit en Son Nom et selon Son désir se situe à un niveau supérieur. C’est bien si, par amour, vous pensez à moi. Cela peut être qualifié de méditation. Il serait cependant préférable que vous suiviez mes directives. C’est plus important.

HAYAGRIVA: Augustin concevait un monde spirituel, où les évolutions des corps immatériels « seront d’une beauté si incroyable que j’ose seulement dire : Il y aura une assurance, une grâce et une beauté dignes d’un lieu où l’on ne trouve rien qui soit déplacé. En un éclair, le corps se transportera là où l’esprit le désire... Dieu y sera la source de toute satisfaction, la perfection de tous nos désirs, l’objet de notre vision ininterrompue, de notre amour inaltérable, de nos louanges inlassables... Les âmes bienheureuses jouiront toujours de leur libre arbitre, quoique le péché ne puisse plus les tenter. »

SRILA PRABHUPADA: En effet, le péché ne saurait toucher qui demeure toujours en contact avec Dieu. Selon nos désirs, nous venons au contact des trois influences de la Nature matérielle, acquérant ainsi différents corps. Agent de Krishna, la Nature nous offre certaines facilités en nous donnant un corps pareil à une machine. Quand son fils demande avec insistance : « Papa, donne-moi un vélo », tout père affectueux accédera à sa demande. Telle est la relation typique qui unit père et fils. Comme l’explique la Bhagavad-Gîtâ (18:61) :

îsvarah sarva-bhûtânâm
hrd-dese ’rjuna tisthati
bhrâmayan sarva-bhûtâni
yantrârûdhâni mâyayâ

« Le Seigneur Suprême Se tient dans le cœur de tous les êtres, ô Arjuna, et dirige leurs errances à tous, qui se trouvent chacun comme sur une machine, constituée d’énergie matérielle. »

Krishna, le Père Suprême, réside dans le cœur de chacun, auquel Il donne un corps façonné selon ses désirs par la Nature matérielle. Ce corps est destiné à la souffrance, mais les corps spirituels des planètes Vaikunthas ne connaissent ni la naissance, ni la maladie, la vieillesse, la mort, ou les trois formes de souffrances. Éternels, ils sont riches en savoir et félicité.

HAYAGRIVA: Pour Augustin, le mental, la raison et l’âme ne font qu’un.

SRILA PRABHUPADA: Au contraire, il s’agit d’entités bien distinctes. Le mental agit en accord avec l’intelligence, mais l’intelligence de divers êtres varie, et de même leur mental. L’intelligence du chien n’égale pas celle de l’humain; n’allons pas croire pour autant que le premier n’a pas d’âme. L’âme est placée dans différents corps dotés d’intelligences variées et divers modes de pensée, d’émotion et de volonté.

HAYAGRIVA: En identifiant l’âme au mental et à la raison, Augustin pouvait ainsi justifier la mise à mort des animaux : « En vérité, certains essaient d’inclure dans l’interdiction [Tu ne tueras point] les bêtes et le bétail, afin qu’il soit interdit de les tuer. Mais alors, pourquoi ne pas inclure aussi les plantes et tout ce qui prend racine et se nourrit du sol?... Écartant ces inepties, nous n’appliquons le commandement Tu ne tueras point ni aux plantes – car elles ne ressentent rien – ni aux animaux irrationnels qui volent, nagent, marchent ou rampent, puisqu’ils n’ont aucun lien commun avec l’humain. Par le sage décret du Créateur, morts ou vivants, ils sont destinés à notre usage. Il ne nous reste ainsi qu’à appliquer ce commandement aux seuls humains, c’est à dire. autrui et soi-même. »

SRILA PRABHUPADA: La Bible dit sans réserve «Tu ne tueras point ». Notre philosophie védique reconnaît que chaque espèce vivante sert de nourriture à une autre. C’est naturel. Le Srîmad-Bhâgavatam (1.13.47) dit que les animaux sans mains sont la proie de ceux qui en ont; les végétaux et les êtres immobiles sont la nourriture des quadrupèdes. Ainsi du faible se nourrit le fort. C’est une loi naturelle.

ahastâni sahastânâm
apadâni catus-padâm
phalgûni tatra mahatâm
jîvo jîvasya jîvanam

Mais la philosophie de la conscience de Krishna ne repose pas sur la notion que les végétaux sont moins sensibles que les animaux, et ceux-ci moins que l’être humain. Nous considérons tous les humains, animaux, plantes et arbres comme des êtres vivants, des âmes. Que nous mangions un animal ou un légume, c’est forcément un être vivant que nous mangeons. Il s’agit donc d’une question de choix. Mais végétarisme ou non, nous ne mangeons que les reliefs de la nourriture de Krishna (prasâdam), qui nous dit dans la Bhagavad-Gîtâ (9:26) :

patram puspam phalam toyam
yo me bhaktyâ prayacchati
tad aham bhakty-upahrtam
asnâmi prayatâtmanah

« Que l’on M’offre, avec amour et dévotion, une feuille, une fleur, un fruit, de l’eau, et cette offrande, Je l’accepterai. » Telle est notre philosophie. Notre seul souci : honorer les reliefs de la nourriture de Krishna, nourriture que nous appelons prasâdam, ou miséricorde. Nous ne touchons ni viande ni quoi que ce soit qu’on ne puisse offrir à Krishna.

yajña-sistâsinah santo
mucyante sarva-kilbisaih
bhuñjate te tv agham pâpâ
ye pacanty âtma-kâranât

« Parce qu’ils ne mangent que des aliments offerts en sacrifice, les dévots du Seigneur sont affranchis de toute faute. Mais ceux qui préparent des mets pour leur seul plaisir ne se nourrissent que de péché. » (Bhagavad-Gîtâ 3:13)

HAYAGRIVA: Saint Thomas d’Aquin compila l’entière doctrine et philosophie officielle de l’Église catholique romaine dans son Summa Theologiae. Contrairement à saint Augustin, il n’établit pas une nette distinction entre les mondes matériels et spirituels, ou la société séculaire et la Cité de Dieu. Pour lui, les créations matérielle et spirituelle ont pour origine le Seigneur. Dans un même temps, il admet que le monde spirituel est supérieur à l’Univers matériel.

SRILA PRABHUPADA: Nous employons l’expression «Univers matériel» pour désigner ce qui est temporaire. Selon certains philosophes, dont les Mâyâvâdîs, ce monde serait faux, mais les Vaishnavas préfèrent dire qu’il est temporaire, ou illusoire. C’est un reflet du monde spirituel, mais qui n’a aucune réalité en soi. On compare donc parfois l’Univers matériel à un mirage dans le désert. Ici-bas n’existe aucun bonheur, bien que l’extase et la joie du monde spirituel s’y reflètent. Les gens sans intelligence poursuivent un bonheur illusoire, oubliant le vrai bonheur inhérent à la spiritualité.

HAYAGRIVA: Comme Abélard et saint Anselme, il dit : « Je crois pour comprendre » et « je comprends pour croire. » Ainsi, raison et révélation se complètent comme voies d’accès à la vérité.

SRILA PRABHUPADA: La raison humaine étant imparfaite, la révélation s’avère également indispensable. La vérité s’acquiert par la logique, la philosophie et la révélation. Selon la Tradition vaishnava, on accède à la vérité par l’entremise du guru – ou maître spirituel – considéré comme le représentant de Dieu, la Vérité Absolue. Il transmet un message véridique, car il a vu l’Absolue Vérité à travers la succession disciplique. Si nous acceptons le maître authentique et savons le combler par notre service et notre soumission, nous pourrons alors, en vertu de sa grâce et de sa satisfaction, comprendre Dieu et le monde spirituel par la révélation. Aussi offrons-nous nos respects au maître spirituel par cette prière :

yasya prasâdâd bhagavat-prasâdo
yasyâprasâdân na gatih kuto ’pi
dhyâyan stuvams tasya yasas tri-sandhyam
vande guroh sri-caranâravindam

« Par la grâce du maître spirituel, on peut recevoir la miséricorde de Krishna; sans elle, nul ne peut réaliser le moindre progrès. Aussi dois-je toujours me souvenir de mon maître, le louer, et au moins trois fois chaque jour, rendre mon hommage respectueux à ses pieds pareils-au-lotus. » (Sri-Gurv-astaka 8)

Nous pourrons comprendre Dieu quand le maître spirituel, qui transmet sans spéculer Son message, sera satisfait de nous. Il est dit : sevonmukhe hi jihvâdau svayam eva sphuraty adah (Padma Pourâna) – le Seigneur Se révèle à qui emploie ses sens à Son service.

HAYAGRIVA: Pour Thomas d’Aquin, Dieu représente la seule et unique essence constituée de forme pure. Il estime que la matière n’est que potentiel, qui, pour devenir réalité, doit assumer une certaine forme. En d'autres mots, l’être vivant doit acquérir une forme individuelle pour s’actualiser. Quand la matière s’unit à la forme, celle-ci lui donne personnalité et individualité.

SRILA PRABHUPADA: La matière est dépourvue en soi de forme, mais non l’âme. La matière recouvre la forme réelle de l’âme. Puisque l’âme a une forme, la matière semble aussi en posséder une. La matière est comme un tissu, qu’on taille de telle sorte qu’il épouse la forme du corps. Dans le monde spirituel, cependant, tout a une forme : Dieu comme les légions d’âmes.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin croit que seuls Dieu et les anges possèdent une forme immatérielle. Il n’existe aucune différence entre la forme de Dieu et Son Moi spirituel.

SRILA PRABHUPADA: Et Dieu et l’âme distincte possèdent une forme bien réelle. Alors que la forme matérielle n’est qu’un vêtement qui recouvre le corps spirituel.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin présente cinq arguments fondamentaux démontrant l’existence de Dieu :

1. Dieu existe inévitablement en tant que cause première; 2. l’Univers matériel n’ayant pu naître de lui-même, il dut être créé par une cause extérieure, spirituelle; 3. qui dit Univers dit Créateur; 4. la perfection relative de ce monde implique nécessairement une perfection absolue qui le sous-tende; 5. puisque la Création possède ordre et dessein, elle fut donc conçue par un Créateur.

SRILA PRABHUPADA: Nous acceptons également ces arguments. Sans père ni mère, aucun enfant ne peut être créé. Les philosophes modernes oublient cette preuve irréfutable de l’existence de Dieu. Selon la Brahma-samhitâ (5:1) :

îsvarah paramah krsnah
sac-cid-ânanda-vigrahah
anâdir âdir govindah
sarva-kârana-kâranam

« Krishna, aussi nommé Govinda, est le Maître Absolu, à la forme toute d’éternité, de connaissance et de félicité. De tout l’Origine, Il n’a Lui-même nulle origine : Il est la Cause de toutes les causes. » Tout a une cause et Dieu incarne la Cause ultime.

HAYAGRIVA: Il affirme aussi que la perfection relative de ce monde rend nécessaire l’existence d’une perfection absolue.

SRILA PRABHUPADA: En effet. Le monde spirituel incarne la perfection absolue et cet Univers matériel, temporaire, n’en est que le reflet. Toute perfection qui puisse exister ici dans la matière prend sa source dans le monde spirituel. Selon le Védânta-soutra (2) : janmâdy asya yatah – tout émane de la Vérité Absolue.

HAYAGRIVA: Comme d’Aquin, certains savants admettent même, aujourd’hui, qu’une cause extérieure – ou spirituelle – est requise pour la Création initiale, car rien en l’Univers matériel ne peut s’auto créer.

SRILA PRABHUPADA: Effectivement. Toute montagne, si imposante soit-elle, n’est que pierre et ne peut créer ou façonner quoi que ce soit; mais l’humain peut par contre façonner la pierre.

HAYAGRIVA: Contrairement à Platon et Aristote, Thomas d’Aquin maintient que Dieu a tiré l’Univers du néant.

SRILA PRABHUPADA: Non. L’Univers fut certes créé par Dieu, mais le Seigneur et Ses énergies existent de toute éternité. On ne peut prétendre en toute logique que l’Univers fut tiré du néant.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin soutient que l’Univers matériel n’ayant pu émaner de la nature spirituelle de Dieu, il fut forcément tiré du néant.

SRILA PRABHUPADA: La Nature matérielle compte aussi parmi les énergies de Dieu, comme le confirme Krishna dans la Bhagavad-Gîtâ (7:4) :

bhûmir âpo ’nalo vâyuh
kham mano buddhir eva ca
ahankâra itîyam me
bhinnâ prakrtir astadhâ

« Terre, eau, feu, air, éther, mental, intelligence et faux ego, ces huits éléments, distincts de Moi-même, constituent Mon énergie matérielle. »

Tous ces éléments émanent de Dieu, par conséquent, ils sont bien réels. On les dit inférieurs parce qu’ils constituent Son énergie matérielle et sont distincts de Lui. Le son d’une voix provenant d’un magnétophone peut imiter en tous points celle qu’elle reproduit. L’enregistrement est désormais distinct de celle, ou celui, dont émane la voix. Qui ne peut voir d’où vient cette voix peut conclure que cette personne est présente, même si elle se trouve peut-être au loin. De même, l’Univers matériel procède de l’énergie de Dieu; n’allons donc pas croire qu’il fut tiré du néant. Émanation de la Vérité Suprême, il appartient néanmoins à Son énergie inférieure, distincte. L’énergie supérieure règne dans le monde spirituel, royaume de la réalité. Quoi qu’il en soit, on ne peut accepter que le monde matériel procède du néant.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin dirait qu’il fut tiré du néant par Dieu.

SRILA PRABHUPADA: On ne saurait prétendre que l’énergie du Seigneur est néant. Son énergie est manifestée et existe éternellement avec Lui. Il ne peut en être autrement. S’Il ne possède pas d’énergie, comment serait-Il Dieu ?

na tasya kâryam karanam ca vidyate
na tat-samas câbhyadhikas ca drsyate
parâsya saktir vividhaiva srûyate
svâ-bhâvikî jñâna-bala-kriyâ ca

« Il ne possède pas de corps matériel comme le commun des êtres. Il n’existe aucune différence entre Son Corps et Son Âme; Il est absolu. Tous Ses sens sont de nature transcendantale et chacun d’eux peut remplir les fonctions de n’importe quel autre. Personne ne L’égale ni L’excelle. Ses pouvoirs sont infinis et naturellement, la succession de Ses hauts faits n’a également pas de fin. » (Svetâshvatara Upanishad 6:8)

Dieu est le maître de multiples énergies; l’énergie matérielle n’en est qu’une parmi tant d’autres. Dieu étant tout ce qui est, on ne peut dire que l’Univers matériel fut tiré du néant.

HAYAGRIVA: Comme Augustin, Thomas d’Aquin croit que l’être humain et le péché vont de pair. À cause du péché originel d’Adam, tous les humains ont besoin de salut, lequel ne s’acquiert que par la grâce divine. Mais l’individu doit consentir à la recevoir, pour qu’elle opère.

SRILA PRABHUPADA: C’est ce consentement qu’on nomme bhakti, ou service de dévotion.

atah sri-krsna-nâmâdi na bhaved grâhyam indriyaih
sevonmukhe hi jihvâdau svayam eva sphuraty adah

« Les sens matériels ne peuvent apprécier le Saint Nom, la Forme, les Attributs et les Divertissements de Krishna. Quand l’âme conditionnée s’éveille à la conscience de Krishna et utilise sa langue pour chanter le Nom du Seigneur et goûter les reliefs de la nourriture qu’on Lui offre, elle s’en trouve purifiée et on en vient graduellement à comprendre en vérité Krishna. » (Padma Pourâna)

La bhakti étant notre occupation éternelle, elle nous confère le salut, la libération, lorsqu’on la pratique. L’accomplissement d’activités chimériques, par contre, nous plonge dans l’illusion (mâyâ). La libération – ou moukti – consiste à maintenir notre position constitutionnelle. Dans l’Univers matériel, nous nous livrons à diverses activités, mais elles se rapportent toutes au corps de matière. Dans le monde spirituel, toutefois, l’âme sert le Seigneur; ainsi se définit le salut, la libération.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin voit deux sortes de péché : véniel et mortel. Le premier peut être pardonné, mais non le second, car il souille l’âme.

SRILA PRABHUPADA: Quand l’être désobéit à Dieu, il se retrouve dans l’Univers matériel : tel est son châtiment. Il peut alors soit se corriger au contact d’âmes élevées, soit subir la transmigration. En revêtant des corps successifs, il souffre les affres de l’existence matérielle. L’âme n’est pas souillée, mais elle peut s’impliquer dans des actes coupables. Bien que l’eau et l’huile ne se mélangent point, l’huile qui flotte à la surface de l’eau est emportée par celle-ci. Dès que nous entrons en contact avec la Nature matérielle, nous tombons sous l’emprise de cet Univers.

prakrteh kriyamânâni
gunaih karmâni sarvasah
ahankarâ-vimûdhâtmâ
kartâham iti manyate

« Sous l’influence des trois gunas [Vertu, Passion, Ignorance], l’âme égarée par le faux ego croit être l’auteur de ses actes, alors qu’en réalité, ils sont accomplis par la Nature. » (Bhagavad-Gîtâ 3:27)

Dès qu’il vient en ce monde, l’être perd tout pouvoir personnel, devenant totalement prisonnier des griffes de la Nature matérielle. L’huile ne se mélange jamais avec l’eau, mais elle peut être emportée par ses vagues.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin estime que les vœux monastiques de pauvreté, de célibat et d’obédience mènent directement à Dieu, mais de telles austérités ne sont guère destinées aux masses. Il voit la vie comme un pèlerinage à travers l’univers des sens jusqu’au monde spirituel du Divin, de l’imperfection à la perfection. Les vœux monastiques sont censés nous aider sur cette voie.

SRILA PRABHUPADA: L’enseignement védique nous exhorte à emprunter la voie de l’abnégation volontaire (tapasya). Tapasâ brahmacharyena : l’austérité (tapasya) commence par le célibat (brahmacharya). Nous devons avant tout apprendre à maîtriser l’impulsion sexuelle. Voilà les prémices du tapasya. Il faut maîtriser les sens et le mental, puis sacrifier tous nos biens pour servir le Seigneur. En suivant la voie de la vérité et en restant purs, nous pourrons pratiquer le yoga. Ainsi est-il possible de progresser vers le royaume spirituel. Tout cela se réalise, toutefois, en adoptant le service de dévotion. En devenant dévot de Krishna, on recueille automatiquement les fruits de l’ascèse et ce, sans effort additionnel. D’un seul coup, on acquiert les bienfaits de toute autre méthode en adoptant la vie dévotionnelle.

HAYAGRIVA: Selon Thomas d’Aquin, l’âme en soi ne peut être séparée d’une forme spécifique. Dieu n’a pas créé une âme capable d’habiter n’importe quel corps ou forme; au contraire, Il aurait créé l’âme angélique, l’âme humaine, l’âme animale, l’âme végétale. Là encore, nous retrouvons le concept de la création de l’âme.

SRILA PRABHUPADA: L’âme n’est pas créée, mais existe éternellement avec Dieu. Elle jouit d’une certaine indépendance qui permet de se détourner de Lui; elle ressemble alors à l’étincelle qui quitte le brasier et s’éteint. De toute façon, l’âme distincte existe de toute éternité. Ni le Maître ni Ses serviteurs ne cessent jamais d’être. On ne peut dire que les différentes parties du corps furent séparément créées. Dès que le corps se forme, il apparaît doté de tous ses membres. La Bhagavad-Gîtâ (2:20) confirme dès le début que l’âme n’est jamais créée, et ne meurt en aucun temps :

na jâyate mriyate vâ kadâcin
nâyam bhûtvâ bhavitâ vâ na bhûyah
ajo nityah sâsvato ’yam purâno
na hanyate hanyamâne sarîre

« L’âme ne connaît ni la naissance ni la mort. Vivante, elle ne cessera jamais d’être. Non née, immortelle, originelle, éternelle, elle n’eut jamais de commencement, et jamais n’aura de fin. Elle ne meurt pas avec le corps. »

Parce qu’elle accepte de revêtir un corps matériel, l’âme semble naître et mourir. Lorsque meurt le corps de matière, l’âme pénètre dans un nouveau corps. Une fois libérée, elle n’a plus à prendre d’autres corps matériels; elle peut alors gagner, dans sa forme originelle, spirituelle, sa demeure première auprès de Dieu. Jamais créée, l’âme existe à jamais avec Dieu. S’il n’en était ainsi, on serait en droit de se demander si Dieu – l’Âme Suprême – ne fut pas Lui aussi créé. Bien sûr, il n’en est rien. Dieu est l’Éternel, et Ses parties intégrantes sont tout aussi éternelles. À la différence que Dieu ne revêt jamais de corps matériel, alors que l’âme distincte, n’étant qu’un infime fragment, succombe parfois à l’énergie matérielle.

HAYAGRIVA: L’âme existe-t-elle éternellement dans une forme spirituelle auprès de Dieu ?

SRILA PRABHUPADA: Oui.

HAYAGRIVA: Elle possède donc une forme incorruptible. N’est-ce pas là celle du corps matériel ?

SRILA PRABHUPADA: Ce corps n’est qu’une imitation, c’est un faux. Puisque le corps spirituel a une forme, celui de matière – tel un vêtement – en assume également une. Je l’ai déjà expliqué, le tissu ne possède pas de forme précise, mais le tailleur peut le couper pour qu’il s’adapte à une forme. En réalité, cette forme matérielle n’est qu’illusion; elle n’existe que pour un temps. Devenue aussi usée qu’inutile, elle se dissout. La Bhagavad-Gîtâ (18:61) compare le corps à une machine. L’âme possède une forme qui lui est propre, mais on lui donne ce corps, cette machine, qui lui permet de parcourir l’Univers, en quête de plaisir.

HAYAGRIVA: Je pense que le problème réside, en partie, dans le fait que ni Augustin ni Thomas d’Aquin ne peuvent concevoir la forme spirituelle. Quand ils parlent de forme, ils croient qu’elle doit nécessairement être matérielle. D’Aquin adhère aux doctrines d’Augustin et de Platon, qui soutiennent que si l’âme était indépendante de la matière, l’humain perdrait son unité fondamentale. D’Aquin voit l’être humain comme étant l’âme et le corps. Pour lui, il incarne un type particulier d’âme habitant un corps spécifique.

SRILA PRABHUPADA: Lorsqu’on est vêtu, il semble que nous ne sommes pas différents de nos habits. Ceux-ci imitent tous nos gestes, mais nous n’en sommes pas moins entièrement distincts.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin ne croit pas que l’être vivant possède une forme purement spirituelle. La matière est requise pour donner une forme à l’âme.

SRILA PRABHUPADA: Non, celle-ci possède une forme originale.

HAYAGRIVA: Est-ce celle du corps ?

SRILA PRABHUPADA: C’est celle de l’esprit. Le corps emprunte une forme parce que l’esprit en possède une. La matière est informe, mais comme elle recouvre la forme spirituelle de l’âme, elle prend ainsi elle-même une forme.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin estime que la sexualité est exclusivement destinée à la procréation, et que les parents sont responsables de l’éducation spirituelle de leurs enfants.

SRILA PRABHUPADA: Les Védas enjoignent aussi qu’on ne doit pas procréer à moins de pouvoir libérer nos enfants du cycle des morts et des renaissances.

gurur na sa syât sva-jano na sa syât
pitâ na sa syâj jananî na sa syât
daivam na tat syân na patis ca sa syân
na mocayed yah samupeta-mrtyum

« Celui qui ne peut délivrer du cycle des morts et des renaissances ceux qui dépendent de lui, ne devrait jamais devenir maître spirituel, père, mari, mère ou déva. » (Srîmad-Bhâgavatam 5.5.18)

HAYAGRIVA: D’Aquin soutient que les activités sexuelles ne visant pas la propagation de l’espèce sont « répugnantes au bien de la nature, qui consiste en la préservation des espèces. » Vu la surpopulation actuelle, cet argument tient-il encore ?

SRILA PRABHUPADA: La préservation des espèces n’y est pour rien. La sexualité illicite est répréhensible, car elle vise les plaisirs des sens plutôt que la procréation. Or, toute forme de jouissance matérielle s’avère coupable.

HAYAGRIVA: Quant à l’État, Thomas d’Aquin croit, comme Platon, en une monarchie éclairée. Mais, dans certains cas, il juge nécessaire pour l’homme de désobéir aux lois humaines, si celles-ci s’opposent au bien de l’humanité et deviennent des instruments de violence.

SRILA PRABHUPADA: Oui, mais avant tout, il faut savoir en quoi consiste notre bien-être. Hélas, avec le progrès de l’éducation matérialiste, le but de la vie nous échappe. Le Védânta-soutra (1) déclare franchement que la vie a pour but de comprendre la Vérité Absolue (athâto brahma-jijñâsâ). La civilisation védique repose sur ce principe. La civilisation moderne, égarée, se voue à ce qui ne peut nous épargner les affres de la naissance, de la maladie, de la vieillesse et de la mort. Le soi-disant progrès scientifique n’a pas résolu les vrais problèmes de l’existence. Éternels, nous sommes pourtant sujets présentement à la naissance et à la mort. En cet âge de Kali, les gens tardent à apprendre la réalisation spirituelle. Créant leur propre mode de vie, ils sont aussi infortunés que perturbés.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin conclut que si les lois divines et humaines s’opposent, il faut alors obéir aux lois de Dieu.

SRILA PRABHUPADA: En effet. Nous pouvons aussi obéir aux humains qui observent les lois divines. Inutile d’obéir à une personne imparfaite, car c’est comme un aveugle qui en conduit un autre. Le leader qui ne suit pas les instructions du Maître Suprême ne peut qu’être aveugle; comment pourrait-il nous guider ? Pourquoi risquer notre vie à suivre des aveugles, qui se croient bien informés, mais ne le sont guère ? Choisissons plutôt d’apprendre auprès de Krishna, Lui la Personne Suprême, qui connaît tout parfaitement. Connaissant le passé, le présent et l’avenir, Il sait aussi ce qui vaut mieux pour nous.

HAYAGRIVA: Selon Thomas d’Aquin, toutes les puissances terrestres n’existent que par la sanction de Dieu. Étant Son émissaire sur la Terre, l’Église devrait aussi contrôler le pouvoir séculier. Il estime donc que les dirigeants séculiers doivent rester soumis à l’Église, qui pourrait excommunier et détrôner le monarque.

SRILA PRABHUPADA: Les affaires de ce monde doivent être ainsi ordonnées que Dieu soit le but ultime du savoir. Quoique l’Église, ou les brahmanes, ne doivent pas remplir directement des tâches administratives, le gouvernement doit fonctionner sous leur supervision et leurs directives. Ainsi le veut le système védique. Les administrateurs – ou kshatriyas – étaient conseillés par les brahmanes, qui étaient aptes à leur enseigner la spiritualité. La Bhagavad-Gîtâ (4:1) mentionne que Krishna donna la science du yoga, voici plusieurs millions d’années, au déva du Soleil, lui l’origine des kshatriyas. S’il suit les instructions des Védas, ou d’autres Écritures, à travers les brahmanes – ou une Église de bon aloi – le roi est aussi considéré comme une âme sainte. Les kshatriyas obéissent aux brahmanes, et les vaishyas aux kshatriyas. Les shoûdras, eux, doivent suivre les instructions des trois classes supérieures.

HAYAGRIVA: Sur la beauté de Dieu, Thomas d’Aquin écrit : « Dieu est beau en Lui-même et non en relation avec quelque terminaison limitée. Il est clair que la beauté de toutes choses découle de la beauté divine. Dieu désire autant que possible multiplier Sa propre beauté, c.-à-d. en communiquant Sa ressemblance. En vérité, tout fut créé dans le but d’imiter de quelque façon la beauté du Divin. »

SRILA PRABHUPADA: Oui, Dieu incarne la source de toute beauté, sagesse, puissance, renommée, richesse et renoncement. Étant le réservoir de tout ce qui est, toute beauté que nous contemplons émane d’un infime fragment de la beauté divine.

yad yad vibhûtimat sattvam
srîmad ûrjitam eva vâ
tad tad evâvagaccha tvam
mama tejo ’msa-sambhavam

« Tout ce qui est beau, puissant, glorieux, éclot, sache-le, d’un simple fragment de Ma splendeur. » (Bhagavad-Gîtâ 10:41)

HAYAGRIVA: Quant au rapport entre théologie et philosophie, Thomas d’Aquin écrit : « De même que la doctrine sacrée repose sur la lumière de la foi, la philosophie s’appuie sur la lumière naturelle de la raison... Toute assertion des philosophes qui s’oppose à la foi n’est donc plus philosophie, mais un abus de celle-ci, résultant d’une erreur de raisonnement. »

SRILA PRABHUPADA: Très juste. L’existence conditionnée par la matière rend tous les humains imparfaits. La philosophie de gens imparfaits ne saurait aider la société. La philosophie parfaite vient de qui est en contact avec Dieu, l’Être Suprême; une telle philosophie s’avère bénéfique. Les philosophes aptes à spéculer fondent leurs croyances sur des chimères.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin conclut que la révélation divine est absolument indispensable, car si peu d’hommes peuvent accéder à la vérité par la méthode philosophique, voie jonchée d’erreurs dont la traversée requiert tant de temps.

SRILA PRABHUPADA: C’est un fait. Nous devons directement contacter Krishna, la Personne Suprême au savoir parfait, dont nous devons comprendre les instructions et chercher à les mettre en pratique.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin croit que l’auteur des Saintes Écritures ne peut être que Dieu, qui sait non seulement « ajuster les mots à leur signification, ce que même l’homme peut faire, mais aussi ajuster les choses en soi. » Les Écritures ne seraient d’ailleurs pas limitées à une seule signification.

SRILA PRABHUPADA: La signification des Écritures est une, mais les interprétations peuvent différer. La Bible affirme que Dieu créa l’Univers et c’est un fait. Certains pourront conjecturer que l’Univers fut créé à partir d’un amas quelconque, ou d’une sorte de masse informe, mais évitons d’interpréter ainsi les Écritures. Nous présentons la Bhagavad-Gîtâ telle qu’elle est, sans interprétation ou motivation personnelle. On ne peut changer la Parole de Dieu. Hélas, plusieurs interprètes ont détruit la conscience divine de la société.

HAYAGRIVA: Dans ce contexte, Thomas d’Aquin semble en désaccord avec la doctrine officielle de l’Église catholique, qui n’admet que l’interprétation du pape. Pour lui, les Écritures peuvent comporter plusieurs significations, selon notre degré de réalisation.

SRILA PRABHUPADA: Leur signification est une; mais les âmes non réalisées leur prêtent de nombreuses significations. Nous lisons dans la Bible, comme dans la Bhagavad-Gîtâ (10:8), que Dieu créa l’Univers :

aham sarvasya prabhavo
mattah sarvam pravartate

« De tous les mondes, spirituels et matériels, Je suis la source, de Moi tout émane. » S’il est vrai que tout émane de l’énergie de Dieu, pourquoi accepter une autre signification ou interprétation ? Quelle serait-elle ?

HAYAGRIVA: La Bible dit qu’après avoir créé l’Univers, Dieu Se promena dans le Paradis durant l’après-midi. Thomas d’Aquin estime que cette assertion possède une signification ésotérique, ou métaphorique.

SRILA PRABHUPADA: Si Dieu peut créer, Il peut également marcher, parler, toucher et voir. Si c’est une personne, à quoi bon chercher une autre signification ? Quelle serait-elle ?

HAYAGRIVA: Une spéculation impersonnaliste.

SRILA PRABHUPADA: Si Dieu est le Créateur de toutes choses, Il doit être une personne. Les choses semblent provenir de sources secondaires, mais en réalité, tout fut créé par le Créateur Suprême.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin semble encourager l’interprétation individuelle lorsqu’il écrit :

« Il est de la dignité des Écritures divines de contenir plusieurs significations dans un seul texte, de sorte qu’il s’adapte aux diverses compréhensions humaines, pour que chacun s’émerveille de pouvoir découvrir la vérité qu’il conçoit en son propre esprit exprimée dans les textes divins. »

SRILA PRABHUPADA: Non. Un esprit parfait peut en révéler une signification, mais, selon nous, s’il est parfait, pourquoi chercherait-il à changer la Parole de Dieu ? S’il est imparfait, quelle serait la valeur des changements qu’il apporterait ?

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin n’emploie pas le mot « changement. »

SRILA PRABHUPADA: Interprétation et changement sont synonymes. L’être humain est imparfait; comment pourrait-il alors changer la Parole de Dieu ? Les paroles qu’on peut changer ne sauraient être parfaites. On pourrait alors se demander si elles furent vraiment énoncées par Dieu ou par un être imparfait ?

HAYAGRIVA: Les différents cultes protestants naquirent de telles interprétations. Quelle surprise de découvrir un tel point de vue chez Thomas d’Aquin.

SRILA PRABHUPADA: Dès qu’on interprète, ou change, les Écritures, celles-ci perdent leur autorité. Un autre homme les interprétera ensuite à sa façon, puis un troisième, suivi d’un quatrième. Ainsi se perd le message originel des Écritures.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin croit qu’on ne peut voir Dieu dans cette vie : « Dieu, dans Son essence, ne peut être vu par qui n’est qu’un homme, s’il n’est détaché de cette existence mortelle... La divine essence ne peut être connue à travers la nature des choses matérielles. »

SRILA PRABHUPADA: Qu'entend-il par essence divine ? Pour nous, elle s’avère de nature personnelle. Qui ne peut concevoir la Personne de Dieu, perçoit partout Son aspect impersonnel. L’âme plus évoluée voit Dieu dans son cœur en tant que Paramâtmâ. Tel est le fruit de la méditation yogique.

Enfin, l’âme très élevée peut contempler Dieu face à face. Quand Krishna était présent sur la Terre, les gens Le voyaient face à face, comme ils virent également le Christ, que les chrétiens acceptent comme le Fils de Dieu. Thomas d’Aquin ne reconnaît-il pas le Christ comme l’essence divine du Seigneur Dieu ?

HAYAGRIVA: Le chrétien doit voir le Christ comme l’essence divine.

SRILA PRABHUPADA: Plusieurs ne l’ont-ils pas vu ? Comment Thomas d’Aquin peut-il dire alors que Dieu ne peut être vu ?

HAYAGRIVA: Il s’avère difficile de déterminer si Thomas d’Aquin est fondamentalement personnaliste ou impersonnaliste.

SRILA PRABHUPADA: Cela signifie qu’il est un spéculateur.

HAYAGRIVA: Voici ce qu’il écrit sur l’aspect personnel : « La nature de Dieu étant si infiniment parfaite qu’on doit Lui attribuer toutes les perfections, il convient d’employer le mot personne pour Le décrire. Cet emploi ne correspond pas exactement à celui se rapportant aux êtres créés; on l’emploie plutôt dans un sens supérieur... La dignité de la nature divine excelle certes toute autre nature; il convient donc tout à fait d’appeler Dieu une personne. » Thomas d’Aquin n’est guère plus explicite sur ce point.

SRILA PRABHUPADA: Si on accepte le Christ comme le Fils de Dieu, et qu’on peut le voir, pourquoi ne pourrait-on pas voir le Père ? Si le Christ est le Fils de Dieu, qui est Dieu ? Dans la Bhagavad-Gîtâ (10:8), Krishna dit : aham sarvasya prabhavah - « De Moi tout émane. » Le Christ dit être le Fils de Dieu, c.-à-d. qu’il émane de Lui. Il est une personne au même titre que Dieu. Aussi appelons-nous Krishna « Dieu, la Personne Suprême ».

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin écrit au sujet des Noms divins: « Puisque que Dieu est simple et existant, nous Lui attribuons des Noms simples et abstraits, indiquant Sa simplicité comme Sa perfection. Quoique ces deux sortes de noms ne réussissent pas à exprimer Sa façon d’être, notre intellect ne Le connaissant pas, en cette vie, tel qu’Il est. »

SRILA PRABHUPADA: Un des attributs de Dieu est l’être, l’existence; voilà pourquoi on Le nomme l’Être Suprême. Un second attribut est l’attrait qu’Il exerce sur tout. Krishna signifie d’ailleurs « l’Infiniment fascinant ». Quel mal y a-t-il donc à nommer Dieu « Krishna ». Puisque Krishna aime Râdhârânî, on L’appelle aussi Râdhikâ-ramana. Dans un sens, Dieu n’a pas de nom; par contre, on Lui en attribue des millions selon Ses activités.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin maintient que même si ces Noms s’appliquent à Dieu pour signifier une réalité, ils ne sont pas synonymes, car ils la signifient sous divers aspects.

SRILA PRABHUPADA: Les Noms de Dieu existent du fait qu’Il manifeste diverses activités et caractéristiques.

HAYAGRIVA: Mais Thomas d’Aquin soutient qu’aucun nom ne sied à Dieu dans le même sens qu’il sied aux êtres créés.

SRILA PRABHUPADA: Leur nom dérive également de Dieu. À titre d’exemple, Hayagrîva est l’Avatar-Cheval, d’où le nom Hayagrîva dâs – signifiant « serviteur de Dieu » - qu’on donne à l’un de Ses dévots. Ce nom n’est pas une invention; il désigne au contraire les activités du Seigneur.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin croit que les noms divins impliquant un lien avec des créatures Lui sont attribués temporairement : « Quoique Dieu existe avant les êtres créés, néanmoins, puisque le mot Seigneur inclut la notion de serviteur et vice versa, ces deux termes relatifs – Seigneur et serviteur – sont par nature simultanés. Dieu n’était donc pas Seigneur avant qu’une créature ne Lui fut soumise... Aussi, ces noms qui impliquent un lien avec les êtres créés ne s’appliquent que provisoirement à Lui, et non de toute éternité, Dieu étant au-delà de l’ordre entier de la Création. »

SRILA PRABHUPADA: Dieu demeure toujours le Seigneur et Ses serviteurs existent à jamais avec Lui. Comment serait-Il le Seigneur sans serviteurs ? Comment Dieu serait-Il sans serviteurs ?

HAYAGRIVA: Le point de litige est que les êtres furent créés à un moment précis; Dieu devait donc être seul auparavant.

SRILA PRABHUPADA: Il s’agit là d’un concept matériel. L’Univers matériel fut créé, non le monde spirituel. Le royaume spirituel et Dieu existent de toute éternité. Les corps des êtres qui peuplent le cosmos matériel furent créés; mais Dieu habite toujours le monde spirituel, entouré de légions de serviteurs. Notre philosophie veut que les êtres vivants soient sans nombre. Ceux qui détestent servir sont placés en cet Univers matériel. Quant à notre identité de serviteur, elle s’avère éternelle, que nous soyons dans le monde matériel ou spirituel. Si nous ne servons pas Dieu dans le royaume spirituel, nous tombons alors dans la matière pour y servir Sa puissance d’illusion. Quoi qu’il en soit, Dieu demeure toujours le maître, et l’être un serviteur. Ici, l’être se croit le maître, bien qu’il soit serviteur. Voilà une fausse conception qui crée de nombreux problèmes. Un tel oubli, une telle méprise, est impossible dans le monde spirituel, où les âmes réalisées sont conscientes de leur position, en tant que serviteurs éternels de Dieu, l’éternel maître spirituel.

HAYAGRIVA: Selon Thomas d’Aquin, plus le Nom du Divin sera vague, plus il sera absolu, universel. Il croit ainsi qu’il n’y a aucun nom qui Lui sied mieux que « Celui qui est ».

SRILA PRABHUPADA: Pourquoi donc ? Si Dieu agit, s’Il a créé l’Univers entier, quel mal y aurait-il à Le nommer selon Ses attributs, selon Ses activités ?

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin prétend que le seul fait que Dieu existe – le fait qu’Il est – représente l’essence même de Son Être.

SRILA PRABHUPADA: « Il est » certes, mais cela signifie qu’Il existe dans Son royaume avec Ses serviteurs, Ses compagnons de jeu, Ses divertissements et tout ce qui L’entoure. Tout est là. Il faut se demander quelle est la signification ou la nature de Son Être.

HAYAGRIVA: Il semble que Thomas d’Aquin soit fondamentalement un impersonnaliste.

SRILA PRABHUPADA: Non. Il ne pouvait déterminer si Dieu est de nature personnelle ou impersonnelle. Enclin à servir un Dieu personnel, il ne pouvait concevoir, cependant, Sa Personne de façon précise. Voilà pourquoi il s’adonne à la spéculation.

HAYAGRIVA: Retrouve-t-on, dans les Védas, l’équivalent de « Celui qui est » ?

SRILA PRABHUPADA: Oui, le mantra impersonnel Om tat sat, qui peut se prolonger dans Om namo bhagavate vâsoudévâya. Le mot vâsoudéva signifie « Celui qui vit partout »; il désigne Bhagavân, Dieu, la Personne Suprême. Dieu est à la fois personnel et impersonnel, quoique Son aspect impersonnel soit secondaire. Bhagavân Sri Krishna dit dans la Bhagavad-Gîtâ (14:27) :

brahmano hi pratisthâham amrtasyâvyayasya ca sâsvatasya ca dharmasya sukhasyaikântikasya ca

« Je suis le fondement du Brahman impersonnel, qui est immortel, intarissable, éternel, et qui constitue le principe même du bonheur ultime. » Quelle teneur et portée suit ce passage ?

HAYAGRIVA: « Immortalité, éternité et bonheur constituent la nature du Brahman intarissable. La réalisation du Brahman représente la première étape de la réalisation spirituelle. Celle du Paramâtmâ, de l’Âme Suprême, la seconde, et celle de Bhagavân, Dieu, la Personne Suprême, la réalisation ultime de la Vérité Absolue. »

SRILA PRABHUPADA: Telle est l’essence divine.

HAYAGRIVA: Thomas d’Aquin est peut-être l’auteur le plus prolifique que connut l’Église. Son Summa Theologiae sert toujours de doctrine officielle à l’Église catholique romaine. Les paroles du Christ se révélant souvent allégoriques, elles se sont toujours prêtées à de nombreuses interprétations.

SRILA PRABHUPADA: Ce qui est fort regrettable.

HAYAGRIVA: Le Christ eut recours à plusieurs paraboles pour simplifier son message spirituel. À titre d’exemple, il compare la parole annonçant le Royaume de Dieu à une graine qui tombe tantôt parmi les ronces – ou sur un sol rocheux – tantôt sur une terre fertile, où elle germera.

SRILA PRABHUPADA: On retrouve, dans les Upanishads, une description semblable qui compare l’être à une étincelle, et Dieu à un brasier. Au sein du feu, les étincelles brillent, mais non lorsqu’elles en tombent sur la pierre, l’eau ou le sol, de la même façon que l’être peut tomber dans les modes d’influence de l’Univers matériel : sattva-gouna, rajo-gouna et tamo-gouna [Vertu, Passion et Ignorance].

HAYAGRIVA: Tandis que Schopenhauer parle de la volonté aveugle de l’individu comme la force motrice fondamentale qui nous retient prisonniers de l’existence matérielle, de la transmigration, Nietzsche, lui, parle de la « volonté de puissance » (der wille zur macht). Cette volonté d’un type différent n’est pas tant l’assujettissement d’autrui que la maîtrise de notre nature inférieure. Elle se caractérise par la maîtrise de soi et l’intérêt pour les arts et la philosophie. La plupart des gens envient leurs semblables; or, le philosophe doit transcender cette envie par la volonté seule. Selon ses propres mots, le philosophe « se défait avec un haussement d’épaules d’une quantité de vermine qui se serait enfouie en autrui. » Quand il s’est affranchi de l’envie et de la rancune, le philosophe peut même embrasser ses ennemis dans une sorte d’amour chrétien. Socrate nous en offre un exemple quand il affronte la mort avec joie et courage.

SRILA PRABHUPADA: Voilà ce qu’on nomme la force spirituelle. L’envie est un symptôme de l’existence conditionnée. Le Srimad-Bhâgavatam déclare que le néophyte qui commence à comprendre les Écritures védiques ne doit faire preuve d’aucune envie. Dans l’Univers matériel, chacun brûle d’envie. Les gens se montrent même envieux de Dieu et de Ses instructions. Par conséquent, ils hésitent à accepter celles de Krishna. Bien que Krishna soit Dieu, la Personne Suprême, et reconnu comme tel par tous les âchâryas, certains moûdhas rejettent Son enseignement ou cherchent à en tirer quelque signification contraire. Une telle envie est typique des âmes conditionnées. À moins d’être affranchi de l’existence conditionnée, nous restons confus sous l’influence de l’énergie externe, matérielle. Tant que nous n’accédons pas au plan spirituel, il n’est guère possible d’échapper à l’envie et à l’orgueil par quelque prétendu pouvoir. La Bhagavad-Gîtâ (18:54) décrit le niveau de la transcendance par les mots brahma-bhûtah prasannâtmâ samah sarvesu bhûtesu. Quand nous atteindrons ce plan, nous pourrons voir chacun d’un même œil spirituel.

HAYAGRIVA: Nietzsche appelle l’homme jouissant d’une telle puissance spirituelle Ubermensch (littéralt: « au-dessus de l’homme »), qu’on traduit souvent par « surhomme ». L’Ubermensch est entièrement assuré, simple, indépendant, intelligent et ne craint pas la mort. Il n’a besoin d’aucun soutien et s’avère si puissant qu’il peut transformer la vie d’autrui par son seul contact. Nietzsche ne qualifie aucune personne historique de « surhomme », pas plus qu’il ne se considère tel.

SRILA PRABHUPADA: Nous acceptons le guru comme « surhomme », car on l’honore au même titre que Dieu. Yasya prasâdâd bhagavat-prasâdah (Gurv-astaka 8) : par la grâce du surhomme, on peut atteindre Dieu, la Personne Suprême. Chaitanya Mahâprabhou admet aussi cette vérité :

brahmânda bhramite kona bhâgyavân jîva guru-krsna-prasâde pâya bhakti-latâ-bîja

« Selon leur karma, tous les êtres vivants errent à travers l’Univers. Certains d’entre eux sont élevés aux systèmes planétaires supérieurs; d’autres descendent vers les systèmes inférieurs. Parmi ces êtres sans nombre, certains, plus fortunés, auront l’occasion, par la grâce de Krishna, de rencontrer un maître spirituel authentique. Une telle personne, par la grâce de Krishna et du guru, recevra la graine de la plante de la dévotion. » (Chaitanya-charitâmrita, Madhya 19:151)

Par la grâce de Krishna et du guru, ou surhomme, nous apprenons à connaître la spiritualité de façon à retourner auprès de Dieu, en notre demeure première. Sri Chaitanya Mahâprabhou demande à chacun de devenir guru, ou surhomme. Celui-ci dissémine le savoir absolu en se conformant rigoureusement à la version autorisée, reçue de son supérieur. C’est ce qu’on appelle la paramparâ, ou succession de maître à disciple. Le surhomme transmet cette science suprême, qu’énonça à l’origine le Seigneur Lui-même, et ce, à un autre surhomme.

HAYAGRIVA: Dans son livre Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche conclut que tous les hommes aspirent au pouvoir. Au sommet de la hiérarchie, dans cette quête du pouvoir, se trouvent l’ascète et le martyr. Le surhomme serait celui qui vainc ses passions et acquiert toutes les vertus. Ses actions s’avèrent créatrices et il n’envie personne. Toujours conscient que la mort le guette sans répit, il se révèle d’une telle supériorité qu’il en est presque comme Dieu dans le monde.

SRILA PRABHUPADA: En sanskrit, le surhomme, l’Ubermensch, est appelé swâmî ou goswâmî. Rupa Goswami en donne la description suivante :

vâco vegam manasah krodha-vegam jihvâ-vegam udaropastha-vegam etân vegân yo visaheta dhîrah sarvâm apîmâm prthivîm sa sisyât

« L’être sobre, capable de résister aux tentations du verbe, aux sollicitations du mental, aux incitations à la colère et aux impulsions de la langue, de l’estomac et des organes génitaux, trouve qualité pour faire des disciples par toute la Terre. » (Upadesâmrita 1)

On dénombre six impulsions qui poussent l’homme à l’action : la parole, la langue, le mental, la colère, l’estomac et les organes génitaux. Le goswâmî peut les maîtriser toutes, surtout les organes génitaux, l’estomac et la langue, qui s’avèrent presque irrépressibles. Bhaktivinoda Thâkour ne dit-il pas : tâ’ra madhye jihvâ ati, lobhamoy sudurmati, tâ’ke jetâ kathina samsâre - « De tous les sens, la langue est le plus vorace, le plus difficile à maîtriser. » (Gîtâvalî: Prasâda-sevâya 1) La langue jouit d’une grande force, et pour la satisfaire, nous avons créé tant de comestibles artificiels. Des inepties comme le tabagisme, l’alcool et la viande furent introduites dans la société par les impulsions de la langue. Personne n’a vraiment besoin de ces indésirables, dont l’absence n’a jamais tué personne. Au contraire, on peut s’élever, lorsqu’on s’en prive, jusqu’au plus haut niveau. La langue a donc transformé les gens en esclaves du tabac, de la viande, de l’alcool et des conversations futiles. Aussi dit-on que qui parvient à maîtriser cet organe, peut aussi résister aux impulsions des autres sens. D’où le nom de swâmî ou goswâmî – ou, comme dirait Nietzsche, Ubermensch. Ce titre ne saurait toutefois s’appliquer au commun des mortels.

HAYAGRIVA: Nietzsche croit que chacun recherche le pouvoir, mais le faible y aspire en vain. Au lieu de chercher à se dominer, il s’efforce de dominer autrui : telle est la volonté de la puissance, fourvoyée ou mésinterprétée. À titre d’exemple, Hitler, dans sa volonté de puissance, voulut subjuguer le monde, mais échoua finalement et se ruina ainsi que l’Allemagne. L’Ubermensch, par contre, s’efforce de se maîtriser, exigeant plus de lui-même que d’autrui. Luttant pour atteindre la perfection, il transcende l’homme ordinaire.

SRILA PRABHUPADA: Les politiciens comme Hitler ne peuvent dominer l’incitation à la colère. Le roi et le politicien doivent employer la colère à bon escient. Narottam Dâs Thâkour nous conseille de contrôler nos pouvoirs pour les appliquer au moment approprié. Manifestons notre colère, non sans restriction, mais selon le temps et les circonstances. Même s’il n’est pas de nature coléreuse, le roi doit se fâcher contre les criminels. Il ne doit pas chercher à maîtriser son courroux quand un crime survient.

Aussi Narottam Dâs Thâkour dit-il que la colère se dompte en l’utilisant judicieusement. Kâma-krodha-lobha-moha : kâma désigne la concupiscence, krodha la colère, lobha l’avidité, et moha, l’illusion. Celles-ci peuvent toutes être utilisées à bon escient. Kâma, le désir ardent, ou désir lascif, peut nous aider à atteindre les pieds pareils-au-lotus de Krishna. Le fait de désirer ardemment Krishna est certes très louable. La colère peut s’employer judicieusement, dans un même ordre d’idée. Bien que Chaitanya Mahâprabhou enseigne qu’il faut être très soumis, plus humble que l’herbe, plus tolérant que l’arbre, Il bouille de colère quand Il voit Jagâi et Mâdhaî blesser Nityânanda Prabhou. Tout peut donc être bien utilisé au service de Krishna, mais non pour se mettre en avant. Dans l’Univers matériel, chacun recherche certes le pouvoir, quoique le vrai surhomme n’y aspire point pour lui-même. Mendiant, ou sannyâsî, il acquiert le pouvoir pour servir le Seigneur. À titre d’exemple, je suis venu en Amérique, non en quête de quelque puissance matérielle, mais bien pour diffuser la conscience de Krishna. Par la grâce de Krishna, toutes les facilités me furent offertes et désormais, d’un point de vue matériel, j’ai acquis un certaine puissance. Non pour ma jouissance personnelle, mais uniquement pour répandre la conscience de Krishna. En conclusion, le pouvoir employé pour servir Krishna s’avère très précieux, mais il devient répréhensible lorsqu’il sert à assouvir nos passions.

HAYAGRIVA: Nietzsche n’est pas très clair quant à l’utilisation du pouvoir, mais il conclut qu’il résulte de la maîtrise de soi. Selon lui, personne n’a jamais atteint le niveau du surhomme.

SRILA PRABHUPADA: On ne peut rien sans le pouvoir. Il est requis pour le service de Krishna, plutôt que pour la satisfaction de nos sens. Qui peut agir selon ce principe est un surhomme. De façon générale, les gens utilisent le pouvoir pour satisfaire leurs propres sens. Aussi n’est-il pas facile de trouver quelqu’un établi au niveau du surhomme.

HAYAGRIVA: Nietzsche affirme qu’ayant dompté ses propres passions, l’Ubermensch est au-delà du bien et du mal, au-delà des dualités de ce monde.

SRILA PRABHUPADA: Parce qu’il agit pour Dieu, le surhomme est transcendantal. Au début de la Bhagavad-Gîtâ, Arjuna pensait comme le commun des mortels en se montrant peu disposé à tuer ses proches. D’un point de vue matériel, la non-violence représente une bonne qualification. Bien qu’ils l’aient insulté, lui et son épouse, et usurpé son royaume, Arjuna leur pardonnait, implorant Krishna en leur nom, objectant qu’il valait mieux les laisser jouir du royaume. « Je ne combattrai pas », dit-il alors. Sur le plan matériel, ceci paraît très louable, mais non d’un angle spirituel, car Krishna voulait qu’il combatte. Finalement, Arjuna exécuta l’ordre de Krishna l’exhortant au combat. De toute évidence, il ne combat pas ici par souci d’autoglorification, mais bien pour servir Krishna. En utilisant sa puissance au service du Seigneur, Arjuna devint un surhomme.

HAYAGRIVA: Concernant la religion, Nietzsche estime que, les disciples mêmes du Christ l’ayant mal compris, le christianisme comme tel n’a jamais existé. « Le dernier chrétien est mort sur la Croix », écrit-il. Bien que le Christ fut d'une pureté absolue et libre de toute rancune ou envie, dès le début même du christianisme, rancune et envie en furent les points centraux. Et ce, bien qu’il se qualifie de « religion de l’amour ». Aussi Nietzsche proclame-t-il « Dieu est mort », en ce sens que le Dieu du christianisme est mort.

SRILA PRABHUPADA: Si vous créez un dieu artificiel, mieux vaut qu’il soit mort, de peur qu’il n’inflige d’autres blessures.

HAYAGRIVA: Mieux vaut donc n’avoir aucune conception de Dieu que d’en nourrir une mauvaise ?

SRILA PRABHUPADA: À coup sûr. Mais le Christ est la tolérance incarnée. Cela ne fait aucun doute.

HAYAGRIVA: Nietzsche ne critique pas le Christ, mais bien ses adeptes.

SRILA PRABHUPADA: Nous pouvons d’ailleurs voir que les chrétiens haïssent les Juifs, parce qu’ils ont crucifié le Christ. Ils se servent même du symbole de la croix pour que personne ne l’oublie. Même dans les églises, on trouve des représentations du Seigneur Jésus, une couronne d’épines sur la tête, contraint à porter sa croix. Ainsi rappelle-t-on aux gens tout ce que le Christ a subi aux mains des Juifs. Attirer l’attention sur la crucifixion est une façon de perpétuer la rancune envers le peuple juif. Alors qu’en fait, la vie du Christ comporte plusieurs autres activités, sur lesquelles on n’insiste guère. En vérité, il est très pénible pour un dévot de voir son maître crucifié. Malgré la réalité de la crucifixion, on ne devrait pas attirer autant l’attention sur cette scène de la vie du Christ.

HAYAGRIVA: Selon Nietzsche, le bouddhisme et l’hindouisme seraient supérieurs au christianisme, bien qu’il n’aime pas le nihilisme des bouddhistes et le système de caste des hindous, surtout en ce qui concerne le sort qu’ils réservent aux intouchables.

SRILA PRABHUPADA: Il s’agit là d’une invention récente des hindous à l’esprit de caste. La vraie religion védique ne fait jamais mention d’intouchables. Chaitanya Mahâprabhou le démontra Lui-même en acceptant des soi-disant intouchables comme Haridâs Thâkour, né d’une famille musulmane. Bien que la société hindoue ait rejeté Haridâs, Chaitanya indiqua personnellement que le Thâkour était le plus élevé. Ne voulant pas faire des histoires, Haridâs ne fréquentait pas le temple de Jagannâth, mais Chaitanya rendait chaque jour visite au Thâkour. Un des principes de base de la religion védique veut qu’on ne se montre envieux de personne. Ce que confirme Krishna Lui-même dans la Bhagavad-Gîtâ (9:32) :

mâm hi pârtha vyapâsritya ye pi syuh pâpa-yonayah striyo vaisyâs tathâ sûdrâs tepi yânti parâm gatim

« Quiconque en Moi prend refuge, ô fils de Prithâ, fût-il de basse naissance, une femme, un vaisya, ou même un sûdra, peut atteindre le but suprême. » Même né d’une famille humble, le dévot est apte à pratiquer la conscience de Krishna et à retourner auprès de Dieu, à condition de posséder les qualifications spirituelles requises.

HAYAGRIVA: Nietzsche croit qu’en insistant trop sur l’Univers de la Transcendance, on en viendrait à détester le monde où nous vivons. Aussi rejette-t-il toute religion officielle.

SRILA PRABHUPADA: Le monde matériel est décrit comme un lieu de souffrance. Âbrahma-bhuvanâl lokâh punar âvartino ’rjuna : « Toutes les planètes de l’Univers, de la plus évoluée à la plus basse, sont lieux de souffrance, où se succèdent la naissance et la mort. » (Bhagavad-Gîtâ 8:16) J’ignore si c’est son cas, mais qui comprend vraiment l’âme peut réaliser que ce monde est le royaume de la souffrance. Partie intégrante de Dieu, l’âme possède les mêmes qualités que Lui. Dieu est sac-chid-ânanda-vigraha: éternel, tout de savoir et d’extase, et Il Se divertit éternellement entouré de Ses compagnons. Les êtres vivants jouissent de la même nature, mais dans l’existence matérielle, le savoir, l’extase et l’éternité brillent par leur absence.

Mieux vaut donc apprendre à détester et à délaisser ce mode de vie. Param drstvâ nivartate (Bhagavad-Gîtâ 2:59). Les Védas nous conseillent de comprendre le monde spirituel et de chercher à y retourner : tamasi mâ jyotir gama – le monde spirituel est le royaume de la Lumière, l’Univers matériel est celui des ténèbres. Plus vite nous apprendrons à fuir l’univers ténébreux pour regagner le royaume lumineux, mieux ça vaudra.

HAYAGRIVA: Nietzsche fut très influencé par les Grecs d’antan, s’étonnant même que du sein d’un si petit nombre, tant de grands hommes surgirent. Il croit que l’humanité doit sans cesse s’efforcer de produire de telles âmes, qui maîtrisent leurs instincts destructeurs. Il y voit l’unique devoir de la race humaine.

SRILA PRABHUPADA: Chacun s’efforce d’atteindre la grandeur humaine, mais on reconnaît la grandeur d’une personne à sa réalisation de Dieu, à sa connaissance de l’enseignement des Védas (véda signifie « savoir »). Le but du savoir, tel que décrit dans la Bhagavad-Gîtâ, est Dieu, ou le soi. Puisque l’individu fait partie de Dieu, on entend par « âme réalisée » quiconque réalise le soi, ou le Divin. Il existe différentes méthodes de réalisation spirituelle, laquelle est certes difficile. Mais qui réalise Dieu se réalise naturellement du même coup. Lorsque brille le soleil, nous pouvons tout voir clairement. Nous lisons dans les Védas : yasmin vijñate sarvam eva vijñatam bhavanti. En comprenant Dieu, on comprend tout et on devient automatiquement joyeux. Brahma-bhûtah prasannâtmâ (Bhagavad-Gîtâ 18:54); le mot prasannâtmâ signifie « joyeux ». Samah sarvesu bhûtesu (B-G 18:54): nous pouvons alors voir que nous sommes tous semblables, étant tous des fragments du Seigneur Suprême. C’est ici que débute le service offert à Dieu, où l’on accède au plan du savoir, de l’extase et de l’éternité.

HAYAGRIVA: Nietzsche insiste qu’il n’y eut jamais de surhomme : « Tous les hommes se ressemblent trop. Vraiment, même le plus grand d’entre eux ne m’apparaît que trop humain. » Le surhomme n’évolue pas non plus comme l’entend Darwin. L’Ubermensch serait possible maintenant si l’humain employait toutes ses énergies physiques et spirituelles. Mais comment pourrait-il exister si ses énergies spirituelles n’ont pas d’objet ?

SRILA PRABHUPADA: Nous devenons des surhommes en nous engageant au service de la Personne Suprême. L’Être Suprême est une personne, et de même le surhomme.

Nityo nityânâm cetanas cetanânâm (Katha Upanishad 2.2.13) : Dieu est la plus grande de toutes les entités personnelles. Le surhomme n’a d’autre souci que de suivre les directives du Suprême.

anyâbhilâsitâ-sûnyam
jñâna-karmâdy-anâvrtam
ânukûlyena krsnânu-
sîlanam bhaktir uttamâ

« L’on doit servir favorablement le Seigneur Suprême, Sri Krishna, avec un amour et une dévotion purement spirituels, en s’abstenant d’y mêler des motifs qui relèvent de l’intérêt personnel ou de la spéculation intellectuelle (jñâna) et rechercher par là quelque récompense matérielle. Telle est l’uttama bhakti, la dévotion parfaite. » (Bhakti-rasâmrita-sindhu 1.1.11)

Krishna vient en ce monde pour faire de chacun un surhomme. Aussi recommande-t-Il : sarva-dharmân parityajya mâm ekam saranam vraja: « Délaisse tout et abandonne-toi à Moi. » (Bhagavad-Gîtâ 18:66) Seuls les surhommes peuvent comprendre cette instruction. Si nous pouvons nous en remettre à Krishna, c’est que nous sommes des surhommes.

bahûnâm janmanâm ante
jñânavân mâm prapadyate
vâsudevah sarvam iti
sa mahâtmâ sudurlabhah

« Après de nombreuses renaissances, lorsqu’il sait que Je suis tout ce qui est, la cause de toutes les causes, l’homme au vrai savoir s’abandonne à Moi. Rare un tel mahâtmâ. » (Bhagavad-Gîtâ 7:19) L’homme moyen pense : « Étant indépendant, je peux me débrouiller seul. Pourquoi m’en remettre à quiconque ? » Or, dès qu’on réalise qu’on n’a d’autre devoir en ce monde matériel que de s’abandonner à Krishna, on devient un surhomme. Cette conscience s’atteint après maintes et maintes vies.

HAYAGRIVA: Nietzsche rejette la dépendance sur tout ce qui serait extérieur au surhomme, c.-à-d. tout support. Mais n’est-il pas impossible pour l’humain de s’élever à ce niveau sans le Seigneur Suprême ?

SRILA PRABHUPADA: Bien sûr. Aussi Krishna dit-Il : « Dépends de Moi. » Vous êtes dépendant; si vous ne dépendez pas de Krishna, il vous faudra dépendre des dictées de mâyâ, l’illusion. Plusieurs philosophes et politiciens dépendent d’autrui, ou de leurs propres élucubrations; mais nous ne devons dépendre que des instructions parfaites de Dieu. Le fait est que toute créature est dépendante; il ne peut en être autrement. En dépendant volontiers des instructions divines, on devient un surhomme.

HAYAGRIVA: Le surhomme de Nietzsche ressemble au hatha-yogi, qui s’élève en apparence sans Dieu.

SRILA PRABHUPADA: Oui, en apparence. Dès qu’il acquiert quelque pouvoir extraordinaire, le hatha-yogi croit être devenu Dieu. Voilà une autre erreur, car nul ne peut devenir Dieu. Dans une certaine mesure, le yogi peut obtenir quelque pouvoir magique par la pratique – ou par la grâce divine –, pouvoir qui ne saurait toutefois lui permettre d’être Dieu. Plusieurs croient que la méditation, ou le hatha-yoga, peut faire d’eux l’égal du Seigneur. Mais ce n’est là qu’une autre illusion, une autre insinuation de mâya, qui nous souffle toujours à l’oreille : « Pourquoi dépendre de Dieu ? Tu peux toi-même devenir Lui. »

HAYAGRIVA: L’indépendance semble être un point central de la philosophie de Nietzsche. Dans un sens, son surhomme ressemble à Hiranyakashipou, dont les austérités faisaient trembler les dévas.

SRILA PRABHUPADA: En effet. Et ce dernier fut finalement déjoué par le Suprême en personne. Il n’est pas bon de chercher à acquérir le pouvoir matériel et la domination sur autrui. En devenant le serviteur de Dieu, on devient automatiquement un surhomme, se gagnant ainsi de nombreux partisans subordonnés. Il n’est pas nécessaire d’entreprendre des austérités pour contrôler autrui. Tout peut être réalisé d’un seul coup. Dès qu’on devient un serviteur sincère de Dieu, plusieurs se joindront à nous. Pas besoin donc de fournir quelque autre effort en ce sens.

HAYAGRIVA: Qu’en est-il de la maîtrise des sens ?

SRILA PRABHUPADA: Elle viendra d’elle-même.

yasyâsti bhaktir bhagavaty akiñcanâ sarvair gunais tatra samâsate surâh
harâv abhaktasya kuto mahad-gunâ manorathenâsati dhâvato bahih<
P> « Tous les dévas avec leurs éminentes vertus, comme la religion, le savoir et le renoncement, se manifestent chez la personne qui a développé une dévotion pure et sans mélange pour Dieu, la Personne Suprême, Vâsoudéva. Au contraire, l’être dénué de dévotion et accaparé par des actes matériels ne possède aucune qualité. Même s’il est versé dans la pratique de l’astânga-yoga ou s’il se montre très capable d’entretenir honnêtement sa famille et ses proches, il ne peut en effet qu’être entraîné par ses propres élucubrations mentales et se vouer au service de l’énergie externe du Seigneur. Comment de louables qualités pourraient-elles habiter un tel homme ? » (Srîmad-Bhâgavatam 5.18.12)

En devenant un dévot du Seigneur, on acquiert la maîtrise des sens et de plusieurs autres êtres. Mais ne pensons jamais être devenu Dieu, ou le vrai maître du pouvoir qui nous vient naturellement du Seigneur.

HAYAGRIVA: Un dernier point : Nietzsche croit en l’éternel retour – c.-à-d. une fois l’Univers détruit, il sera recréé après des éternités.

SRILA PRABHUPADA: Il est dit dans la Bhagavad-Gîtâ (8:19) : bhûtvâ bhûtvâ pralîyate. Manifesté à une période précise, l’Univers existe un certain temps, puis est détruit. Brahmâ, Vishnou et Shiva sont respectivement chargés de la création, de la préservation et de la destruction cosmiques. Au-delà Se trouve Krishna, le Dieu personnel Suprême. C’est la nature de tout ce qui est matière de traverser ces trois étapes.

HAYAGRIVA: Voilà un exemple de répétition générale. Mais Nietzsche croit que tout se répète à l’infini et dans les moindres détails. C’est-à-dire les agencements détaillés de ce monde se reproduisent éventuellement dans le futur.

SRILA PRABHUPADA: La Création se répètera en détail en autant que les 24 éléments seront assemblés à nouveau : les 5 éléments bruts – terre, eau, feu, air et éther; les 3 éléments subtils – mental, intelligence, ego; les 10 organes des sens et les 5 objets des sens. Tout cela sera recréé.

HAYAGRIVA: Voilà un type de détail. Mais il croit qu’éventuellement, Friedrich Nietzsche revivra à nouveau de 1844 à 1900.

SRILA PRABHUPADA: L’an 1844 est un élément temporel; on peut, dès l’aube de la Création assigner ainsi des dates. Cette date [1844] pourrait donc survenir à nouveau. Chaque jour est nouveau, mais 6 hrs, 8 hrs... reviennent chaque fois. Il y a donc répétition automatique.

HAYAGRIVA: Dans ce cas, s’il faut continuer d’être Friedrich Nietzsche, comment la libération est-elle possible ?

SRILA PRABHUPADA: L’Univers matériel est créé pour l’âme conditionnée, qu’on y place pour qu’elle apprenne qu’elle est l’éternelle servante de Dieu. Brahmâ, le premier être créé de l’Univers, reçoit l’enseignement védique, qu’il transmet ensuite grâce à la succession disciplique – de lui à Nârada, de Nârada à Vyâsadéva, de Vyâsadéva à Soukadéva Goswami... Cet enseignement encourage l’âme conditionnée à retourner auprès de Dieu, en sa demeure première. En refusant cette sagesse, elle demeure en l’Univers matériel jusqu’à sa destruction. Sombrant alors dans l’inconscience, un peu comme l’enfant dans le sein, elle reprendra conscience avec le temps pour renaître. Il faut comprendre ici que tous peuvent profiter du savoir védique pour retourner auprès du Seigneur. Hélas, les êtres conditionnés sont si attachés à la matière qu’ils désirent revêtir à répétition un corps matériel. Ainsi se répète l’Histoire, avec ses créations, préservations et destructions successives.

HAYAGRIVA: Nietzsche croit que les moindres détails se reproduiront, à savoir qu’il sera à nouveau Friedrich Nietzsche, vivant en Allemagne, répétant les mêmes activités, écrivant les mêmes livres...

SRILA PRABHUPADA: Pourquoi tant d’attachement à l’Allemagne ? Voilà qui traduit son attachement à mâyâ. Sous l’influence mâyîque, nous croyons revenir dans ce même corps pour refaire les mêmes actions. Désirant cette répétition, les gens consultent parfois un astrologue, auquel ils demandent : « Pourrait-on revenir comme mari et femme ? » Tout ceci naît de l’attachement. Il peut y avoir un retour accidentel; on sera à nouveau le mari d’une femme, mais pas exactement la même dame. C’est une fausse conception. À quoi bon réunir les mêmes conjoints ? Les êtres vivants s’unissent pour quelques plaisirs des sens, qu’ils obtiennent d’ailleurs, fût-ce avec ce mari-ci ou cette femme-là. Le but est le même, bien que les menus détails varient.

HAYAGRIVA: Les gens parlent parfois de « déjà vu », croyant s’être déjà trouvés au même endroit et posant les mêmes gestes. D’où la conviction de Nietzsche quant à la pensée de l’éternel retour.

SRILA PRABHUPADA: Les gens aspirent simplement au même environnement et ce, à cause de l’influence de mâyâ.

HAYAGRIVA: Francis Bacon est généralement reconnu comme le père fondateur de la science moderne en Angleterre. Même s’il ne travaillait pas dans un laboratoire moderne comme les savants de nos jours, il inspira ce qu’il convient désormais d’appeler la méthode scientifique. Il croyait que la science permettrait à l’être humain de dominer la Nature, de façon à améliorer sa vie terrestre. Pour Bacon, la science n’est pas une entreprise purement intellectuelle ou académique, elle s’avère aussi utilitaire.

SRILA PRABHUPADA: Bacon, ou tout autre scientifique, aurait tort de penser que la science puisse dominer la Nature. Il est impossible de dominer la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort. De notre vivant, nous pourrons peut-être provoquer quelques changements et offrir certaines facilités, mais tel n’est pas le but ultime.

HAYAGRIVA: Bacon détestait toute spéculation intellectuelle sur Dieu, puisqu’on ne peut s’attendre qu’Il Se conforme à nos conceptions personnelles. Vu Son infinité, aucune conception de Dieu ne peut sembler incroyable. De façon générale, Bacon relègue la théologie au domaine de la foi et la science à celui de la connaissance du monde.

SRILA PRABHUPADA: C’est bien d’être un maître architecte et de concevoir une maison dotée de toutes les commodités modernes, mais si celles-ci nous font oublier le vrai but de l’existence, lourde sera notre perte. Mieux vaut se priver de facilités, évacuer dans la Nature et se baigner dans l’eau d’une rivière, que de se soucier à outrance de commoditiés modernes favorisant une vie de confort. En oubliant notre vraie raison d’être – qui consiste à ressusciter notre conscience de Dieu – nous ne progressons pas; au contraire, nous régressons.

HAYAGRIVA: Bacon ne conçoit pas la science comme un facteur de désunion relativement à la religion ou Dieu. Au contraire, il croit que la science favorisera le progrès de la civilisation. Elle pourrait ainsi servir de lien puissant entre Dieu et l’humanité.

SRILA PRABHUPADA: Voilà certes une excellente idée, mais plusieurs hommes de science nient désormais l’existence de Dieu. Nombreux sont ceux qui prétendent que Dieu est mort, qu’on n’a guère besoin de Lui, ou qu’on peut inventer l’homme et le Seigneur à notre guise.

HAYAGRIVA: Bacon considère certaines connaissances comme surnaturelles en ce qu’elles viennent de Dieu, alors que d’autres formes de savoir s’acquièrent par les propres efforts de l’homme. Il admet l’imperfection des sens matériels qui, comme de faux miroirs, déforment le monde réel. Ainsi l’être humain est-il constamment trompé.

SRILA PRABHUPADA: En effet. Bien qu’il fait progresser la cause de la science matérielle, ce faisant, il oublie Dieu. Là réside sa pire dégradation. L’être humain doit démontrer, par la méthode scientifique, l’existence de Dieu, par qui tout s’accomplit. Les savants doivent user de cette méthode pour comprendre comment agit l’Intelligence Suprême. La connaissance scientifique de Dieu est parfaite, et tout savoir qui s’y conforme s’avère excellent. Mais si l’humanité défie Dieu dès qu’elle obtient quelque savoir, celui-ci devient alors vain. Par conséquent, le maigre savoir humain se révèle maintenant très dangereux.

HAYAGRIVA: Bacon abonde dans le même sens : « Il est vrai qu’un peu de philosophie incite mentalement l’homme à l’athéisme; mais l’approfondissement philosophique orientera sa pensée vers la religion. »

SRILA PRABHUPADA: Effectivement. Krishna dit dans la Bhagavad-Gîtâ (14:4)

sarva-yonisu kaunteya
mûrtayah sambhavanti yâh
tâsâm brahma mahad yonir
aham bîja-pradah pitâ

« Comprends cela, ô fils de Kuntî, que toutes espèces de vie procèdent du sein de la Nature matérielle, et que J’en suis le Père, qui donne la semence. » Si nous méditons sur ce verset avec un certain degré d’intelligence, nous comprendrons que tous les êtres vivants procèdent d’une matrice. Puisque chacun naît d’une mère, tous ont également un père. Arrivés à maturité, il s’agit de comprendre notre père, ce qu’il désire et ce qu’il possède. Comment pourrait-on nier l’existence d’un Père universel ?

HAYAGRIVA: Bacon conclut : « Pour un temps, la pensée humaine considère des causes secondaires dispersées. Parfois, elle s’y arrête sans chercher plus loin. Mais lorsqu’elle contemple cette chaîne de causes, associées et liées entre elles, elle doit absolument se réfugier auprès de la Providence, auprès de la Divinité. »

SRILA PRABHUPADA: Telle est également la version de la Bhagavad-Gîtâ (10:8) :

aham sarvasya prabhavo
mattah sarvam pravartate

« De tout Je suis la source; de Moi tout émane. » Ce que confirme le Védânta-soutra (1) : janmâdy asya yatah – « L’Être Suprême est Celui dont tout émane. » C’est un fait qu’il doit exister une source universelle; le rôle de la philosophie consiste à la découvrir. Il n’est ni scientifique ni philosophique d’essayer d’obscurcir ou d’ignorer cette source première.

HAYAGRIVA: Bacon écrit sur la superstition : « Mieux vaut n’avoir aucune opinion de Dieu que d’en épouser une qui soit indigne de Lui. Car l’une est incrédulité et l’autre insolence. »

SRILA PRABHUPADA: Pourquoi rester superstitieux ? Pourquoi ne pas introduire une éducation qui permette à chacun de comprendre la nature de Dieu ? Nous cherchons à établir une telle institution sous la forme de notre Mouvement pour la Conscience de Krishna. Si le gouvernement coopère et prend part à ce projet, les masses pourront appréhender cette science divine et en être bénéficiaires.

HAYAGRIVA: Bacon distingue les sectes des religions : les sectes changent alors que la vraie religion « est bâtie sur le roc; les autres sont balayées par les vagues du temps... »

SRILA PRABHUPADA: La vraie religion vient directement de Dieu, car qui dit religion dit Loi divine. Il nous faut donc comprendre, avec science et philosophie, Dieu et Sa loi. Ainsi se définit la perfection du savoir.

HAYAGRIVA: Plusieurs sectes de l’Inde connaissent un certain succès en Amérique, car leurs maîtres à penser n’imposent aucune restriction.

SRILA PRABHUPADA: N’ayant aucune conception de Dieu, ils sont à la recherche de quelque gain matériel, et cela se révèle avec le temps.

HAYAGRIVA: Bacon croit également au droit divin des rois; il soutient en effet que le monarque est investi de pouvoirs par Dieu pour légiférer. Il estime aussi qu’une Église nationale pourrait mieux répondre aux besoins spirituels des gens.

SRILA PRABHUPADA: Il faut que le roi soit ainsi formé qu’il n’abusera point de son pouvoir. Selon le système védique, le monarque apprenait à obéir aux instructions d’âmes saintes : les brahmanes. Ceux-ci le conseillaient et le roi respectait leur désir. Tout souverain qui abuse de son pouvoir n’est qu’un vaurien. Sa monarchie abolie, les gens lui trouveront un substitut.

HAYAGRIVA: Pascal voit l’homme situé dans l’Univers entre deux extrêmes : l’infini et le néant. L’homme a un corps comme les animaux et un intellect comme les anges ou les dévas. Comme tel, il n’est ni ange ni bête, mais se situe quelque part entre les deux. Il est assez intelligent pour savoir que sa condition est misérable, malgré son désir ardent d’être heureux. L’homme se livre à toutes sortes de divertissements et de distractions pour oublier sa misère; or, rien n’y fait. Ce que l’homme possédait, mais a désormais perdu, c’est le bonheur parfait. Tous les humains souffrent et se plaignent, peu importe leur condition. Pascal croit que le vide que ressent l’homme ne peut être comblé que par Dieu.

SRILA PRABHUPADA: En effet. Vie après vie, l’être poursuit le bonheur, mais il sombre toujours plus dans la morosité, car il ne prend pas refuge en Krishna. Inventant de nouvelles façons de se divertir, il parcourt les profondeurs sous-marines et l’espace grâce à toutes les facilités requises que Dieu lui procure : « Tu veux t’envoler, deviens un oiseau. Préfères-tu la plongée ? Sois un poisson. » Parfois, après avoir cherché le bonheur de diverses manières, on renoncera à ses projets pour s’en remettre à Krishna, qui dit : « Abandonne-toi à Moi; Je te rendrai heureux. » Dieu vient Lui-même en la personne de Sri Râmachandra, Sri Krishna et Sri Chaitanya Mahâprabhou, pour nous enseigner comment pratiquer cet abandon et accéder au bonheur.

HAYAGRIVA: Tandis que Descartes souligne l’importance de la raison, Pascal croit que les principes compris du cœur s’avèrent absolument certains et adéquats pour surmonter tout doute ou scepticisme. Serait-ce parce que la voix de l’Âme Suprême retentit dans le cœur ?

SRILA PRABHUPADA: Oui. Krishna dit dans la Bhagavad-Gîtâ (10:10) :

tesâm satata-yuktânâm
bhajatâm prîti-pûrvakam
dadâmi buddhi-yogam tam
yena mâm upayânti te

« Ceux qui toujours Me servent et M’adorent avec amour et dévotion, Je leur donne l’intelligence par quoi ils pourront venir à Moi. »

Chaque être vit avec Dieu, mais l’ignorance lui cache cette vérité. Nous avons déjà cité l’exemple de deux oiseaux perchés sur l’arbre qu’est le corps. L’un en goûte les fruits, l’autre l’observe simplement. Dieu nous instruit sur le retour en notre demeure originelle, mais le non-dévot refuse Ses instructions. Le dévot s’en tient strictement aux directives divines, alors que les démoniaques agissent selon leur caprice, même s’ils connaissent les désirs de Dieu. Il ne fait aucun doute que Dieu nous donne Ses instructions : extérieurement, à travers Son agent – le maître spirituel – et les Écritures, intérieurement, par l’entremise de la conscience, l’Âme Suprême.

SYAMASUNDAR: Pascal est un mystique qui croit profondément en Dieu, mais il est aussi sceptique en ce qu’il estime qu’on ne peut démontrer Son existence par la raison ou de toute autre façon. Par conséquent, il insiste que nous devons croire en Dieu avec notre cœur.

SRILA PRABHUPADA: C’est un fait. Nos sens matériels ne peuvent nous aider à prouver l’existence de Dieu.

atah srî-krsna-nâmâdi
na bhaved grâhyam indriyaih
sevonmukhe hi jihvâdau
svayam eva sphuraty adah

« Les sens matériels ne peuvent apprécier le Saint Nom, la Forme, les Attributs et les Divertissements de Krishna. Lorsque l’âme conditionnée s’éveille à la conscience de Krishna, utilisant sa langue pour chanter le Saint Nom du Seigneur et goûter les reliefs de la nourriture qu’on Lui offre, celle-ci s’en trouve purifiée et l’âme en vient graduellement à comprendre en vérité Krishna. » (Padma Pourâna) Les sens sont inaptes à apprécier Dieu; si vous aspirez à Le connaître, il faut Lui offrir quelque service. Alors Il Se fera connaître à vous. Plus nous Le servons, plus Dieu Se révèle. Nos sens ne pouvant Le percevoir, on Le nomme donc Adhokshaja : Celui qui demeure au-delà de la portée des sens. Nous adorons la forme du Seigneur dans le temple, mais le bas matérialiste ne pourra jamais comprendre, par la perception sensorielle, que c’est Dieu. Il prétendra que ce n’est qu’une statue. Il faut donc croire en Dieu avec notre cœur. Voilà pourquoi l’athée ne voit qu’une forme sculptée.

SYAMASUNDAR: « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point », dit Pascal.

SRILA PRABHUPADA: Oui, la raison n’est qu’un instrument, sans finalité. Le cerveau, à titre d’exemple, est également un instrument au même titre que le magnétophone. Derrière la raison – le mental – se trouve l’intelligence, et au-delà, l’âme.

HAYAGRIVA: Pascal croit à la doctrine du péché originel, qui veut que l’homme perdit la grâce pour quelque péché, d’où sa position actuelle entre les anges et les bêtes. En d’autres mots, le péché originel expliquerait l’emprisonnement de l’être humain dans la matière.

SRILA PRABHUPADA: Telle est aussi notre philosophie.

HAYAGRIVA: Et le péché originel ?

SRILA PRABHUPADA: C’est la désobéissance – le refus de servir Krishna. Parfois, le serviteur pense : « Pourquoi servir ce maître ? Il me faut devenir moi-même un maître. » L’être vivant fait éternellement partie de Dieu, et son devoir consiste à Le servir. Lorsqu’il pense : « Pourquoi servir Dieu ? Jouissons plutôt de la vie », il provoque sa chute. Le péché originel, c’est donc refuser de servir le Seigneur et chercher à usurper Sa position. Les Mâyâvâdîs, par exemple, s’acharnent encore à devenir Dieu, malgré tout leur savoir, leur philosophie. Si on pouvait devenir Dieu par la méditation ou quelque entreprise matérielle, le mot Dieu perdrait toute signification. Chercher à devenir Dieu, voilà le péché originel, qui marque le début d’une existence coupable.

HAYAGRIVA: Pascal croit que l’homme ne peut ni concevoir l’Univers ni la place qu’il y occupe. On ne saurait chercher de certitude ou de stabilité en l’Univers matériel, nos facultés étant toujours induites en erreur. L’homme doit ainsi s’en remettre aux dictées de son cœur et à Dieu.

SRILA PRABHUPADA: Telle est bien notre position. Sauf que nous ne nous fions guère à notre cœur, dont les dictées ne sont pas appréciées par les non-dévots. La Bhagavad-Gîtâ nous offre des instructions directes, que nous explique d’ailleurs le maître spirituel. En suivant les conseils de Dieu et de Son représentant, nous éviterons d’être induits en erreur.

HAYAGRIVA: Voici, selon Pascal, la chose la plus étrange en ce monde:

« L’homme sombre pendant plusieurs jours et nuits dans le désespoir et la rage, s’il perd son emploi ou s’il croit qu’on l’a injurié. Or, il ne s’émeut ni ne s’angoisse à l’idée de tout perdre aux mains de la mort. N’est-il pas monstrueux de voir un cœur si sensible à de telles vétilles demeurer si insensible aux priorités (dont la mort). Quel insondable enchantement, quelle surnaturelle somnolence qui dénote la toute-puissance de sa cause. »

SRILA PRABHUPADA: Selon la Bhagavad-Gîtâ, Dieu apparaît comme la mort aux incroyants et à qui Lui désobéit. Tout pouvoir, orgueil, rêve ou projet est alors anéanti. On risque ensuite de se voir accorder un corps animal, pour avoir voulu faire la bête en cette vie. Ainsi s’opère la transmigration des âmes, synonyme de souffrance.

HAYAGRIVA: Pascal écrit : « Si nous soumettons tout à la raison, notre religion perdra tout élément de mystère, de surnaturel. Si nous offensons les principes de la raison, elle sera aussi absurde que ridicule. »

SRILA PRABHUPADA: C’est un fait. Les commandements de Dieu constituent la religion; quiconque les garde fait preuve de piété. Les pseudo-religions, les religions fallacieuses, sont condamnées par le Srimad-Bhâgavatam (1.1.2). Toute religion sans conception de Dieu, et qui change annuellement de résolutions, n’est qu’une farce.

HAYAGRIVA: Pascal semble affirmer qu’il ne faut pas croire aveuglément, mais dans un même temps, qu’il ne faut pas espérer être aptes à tout comprendre.

SRILA PRABHUPADA: Exactement. Le père peut prier l’enfant de faire quelque chose, même si ce dernier n’y comprend rien. De toute façon, nous comprenons que les plans du père sont parfaits et bénéfiques pour le fils. Si celui-ci s’écrie : « Non, je refuse », ce sera peut-être sa perte. Les directives de Dieu constituent la religion; pas question toutefois de les suivre aveuglément. Comprenant la nature du Seigneur, réalisons qu’Il est infiniment parfait. Ainsi comprendrons-nous que toutes Ses paroles sont synonymes de perfection et que mieux vaut donc les accepter. Si de par notre raison finie, nous cherchons à modifier Ses instructions selon notre caprice, nous en souffrirons.

SYAMASUNDAR: Pascal prétend que par foi, nous devons prendre une décision inéluctable, ou ce qu’il appelle un pari religieux. Nous devons soit tout parier sur Dieu – nous n’avons alors rien à perdre en cette vie et tout à gagner dans la suivante –, soit nier Son existence et compromettre notre statut éternel.

SRILA PRABHUPADA: Tel est notre raisonnement. Si deux personnes ne connaissent pas vraiment Dieu, l’une dira qu’Il existe et l’autre affirmera le contraire. Accordons donc à chacune leur chance. Celle qui ne croit pas en Dieu bannit toute l’affaire de son esprit, mais l’autre doit se montrer prudente. Elle ne saurait faire preuve d’irresponsabilité. Si Dieu existe vraiment, elle ne peut courir de risques. En fait, elle courent toutes deux un risque, car ni l’une ni l’autre ne sait en vérité si Dieu existe. Mieux vaut croire cependant.

SYAMASUNDAR: Pascal dit que nous avons une chance sur deux.

SRILA PRABHUPADA: Oui, prenez donc cette chance de gagner.

SYAMASUNDAR: C’est également ce que préconise Pascal. Nous n’avons rien à perdre, mais tout à gagner.

SRILA PRABHUPADA: Précisément. Nous conseillons aussi aux gens de chanter le mantra Hare Krishna. N’ayant rien à perdre, mais tout à gagner, pourquoi ne pas l’essayer ?

SYAMASUNDAR: Le pari religieux de Pascal repose sur l’hypothèse que Dieu punira l’incroyant et récompensera quiconque croit en Lui.

SRILA PRABHUPADA: Dieu est l’Être Suprême qui récompense et châtie selon le cas. Le Seigneur Vishnou porte quatre symboles dans Ses mains : la conque et le lotus servent à protéger les dévots, tandis que la masse et le disque punissent les incroyants.

HAYAGRIVA: Pascal écrit : « La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable... Ces misères prouvent la grandeur de l’homme. Ce sont misères de grand seigneur, misères d’un roi dépossédé. » (Pensées, 397-398)

SRILA PRABHUPADA: Nous voulons vivre de longues années, mais l’arbre jouit d’une longévité supérieure à la norme humaine, souligne le Srimad-Bhâgavatam. L’arbre aurait-il atteint la perfection pour autant ? Analysons ainsi diverses conditions de vie et nous verrons que la perfection revient à développer notre conscience divine, pour comprendre Dieu et la relation nous unissant à Lui.

HAYAGRIVA: Pour Pascal, le savoir ne s’acquiert qu’en domptant ses passions, en s’abandonnant à Dieu et en acceptant Sa révélation. Pascal se considère comme un chrétien.

SRILA PRABHUPADA: Qui dit irréligion dit animalité. Jamais l’animal ne parle de Dieu ou n’a la moindre notion religieuse. À l’heure actuelle, la société se dégrade, car l’État interdit qu’on discute de Dieu dans les écoles et collèges. Ce qui ne peut qu’accroître la souffrance.

HAYAGRIVA: Bien qu’on le qualifie de grand philosophe, Pascal conclut que la philosophie en soi ne mène qu’au scepticisme. La foi est également nécessaire. « Écoutez Dieu », voilà sa devise préférée.

SRILA PRABHUPADA: La philosophie consiste à comprendre la vérité. Parfois, des philosophes perdent leur temps à spéculer sur la sexualité et se dégradent. Or, la sexualité existe autant chez l’animal que chez l’humain. Elle n’incarne pas la vie en soi, elle n’en est qu’un symptôme. En n’insistant que sur celui-ci, les résultats ne seront guère philosophiques. Par philosophie, on entend la quête de la Vérité Absolue. Et le vrai sujet de la philosophie : Brahman, Paramâtmâ et Bhagavân.

HAYAGRIVA: Darwin fonde sa conception de l’évolution sur la prémisse qu’une véritable variation génétique s’opère de génération en génération. Autrement dit, il rejette l’eidos (idée, type ou essence) platonique d’une espèce. Alors que Krishna déclare être la semence génératrice de toute vie, Darwin refuserait l’existence d’une semence particulière pour un type spécifique. Pour lui, pas question d’espèces immuables, mais plutôt de formes physiques changeantes, évoluant, en perpétuelle mutation.

SRILA PRABHUPADA: Au contraire, ces formes existent dès l’aube même de la Création. L’évolution n’en demeure pas moins un fait, mais Darwin croit que c’est le corps qui évolue, ce qui s’avère inexact. Jamais le corps n’évolue; c’est plutôt l’âme en lui qui évolue et transmigre d’un corps à un autre, selon son désir. Un homme voulant changer de résidence déménagera d’un appartement à un autre. Mais c’est lui qui change d’appartement et non ce dernier qui se transforme.

SYAMASUNDAR: Darwin est à l’origine de la doctrine de la sélection naturelle et de la survivance des plus forts. Un animal, soutient-il, se développera de la façon la plus appropriée à la survie dans son environnement, transmettant ses qualités supérieures à sa progéniture. Certaines espèces survivent, tandis que d’autres – moins adaptées à l’environnement – s’éteignent.

SRILA PRABHUPADA: Le serpent donne naissance à plusieurs centaines d’autres à la fois; si tous survivaient, cela poserait un problème. Aussi, par la loi de la Nature, les gros serpents dévorent les petits. Les lois naturelles ne sont pas aveugles, car derrière on découvre une intelligence : Dieu.

mayâdhyaksena prakrtih
sûyate sa-carâcaram
hetunânena kaunteya
jagad viparivartate

« La Nature matérielle agit sous Ma direction, ô fils de Kuntî, sous Ma direction elle engendre tous les êtres, mobiles et immobiles. Par Mon ordre encore, elle est créée puis anéantie, dans un cycle sans fin. » (Bhagavad-Gîtâ 9:10)

Tout ce qui survient au sein de la Nature est dicté par le Seigneur Souverain, qui maintient tout en ordre. Quand une espèce devient trop dominante, la Nature prend des mesures pour la restreindre. Selon la théorie de Malthus, chaque fois qu’il y a surpopulation, cela finit par entraîner guerres, épidémies ou séismes. Ces phénomènes naturels ne surviennent pas par hasard; ils sont planifiés. Si Darwin parle de hasard, c’est à cause de ses connaissances insuffisantes.

SYAMASUNDAR: Darwin voit également un plan dans la Nature.

SRILA PRABHUPADA: Il faut alors se demander « Qui l’a conçu? » Dès qu’on reconnaît l’existence d’un plan, on doit aussi admettre celle de son créateur. Il serait absurde de prétendre que la Nature agit simplement de façon mécanique. Si on admet cette hypothèse, il doit donc exister un mécanicien qui la met en mouvement. Le soleil se lève à la minute – voire à la seconde – près, et les saisons se succèdent également comme prévu. Derrière l’immense mécanique de la Nature, se trouve une intelligence qui l’agence. Nous définissons la source, l’origine de tout comme étant Brahman, Krishna, la Vérité Absolue. Les scientifiques admettent ignorer d’où viennent toutes choses; mais dès qu’ils les voient, ils disent soudain les avoir inventées. Or, il n’en est rien : elles existaient déjà.

SYAMASUNDAR: La recherche scientifique nous permet de conclure qu’à travers les années, les animaux évoluent – à partir de formes aquatiques très simples – vers des formes toujours plus complexes, dont les dinosaures. Ces formes ont disparu avec le temps, mais d’autres ont évolué à partir de celles-ci.

SRILA PRABHUPADA: Vous voulez dire qu’elles n’existent plus sur la Terre. Mais comment pouvez-vous affirmer qu’elles ne vivent pas ailleurs? Maintenant, selon la théorie évolutionniste de Darwin, le corps humain s’est développé à partir des simiens.

SYAMASUNDAR: Il prétend qu’un lien les rapproche, qu’ils procèdent d’un même ancêtre.

SRILA PRABHUPADA: Ça c’est une autre histoire. Tout est relié. Mais selon lui, le corps du singe – ou de l’anthropoïde – évolua en un corps humain. Si c’est le cas, pourquoi les simiens n’ont-ils pas cessé d’être ?

Nous voyons les singes, humains et anthropoïdes exister simultanément. Aucun homme de science ne peut prouver que les humains ne vivent pas depuis ses siècles et des éternités. Si l’homme descend du singe, ce dernier ne devrait plus exister désormais. Kârya-kârana : devant l’effet, la cause s’estompe.

SYAMASUNDAR: Le singe ne causa pas l’existence de l’homme; ils procèdent plutôt d’un ancêtre commun.

SRILA PRABHUPADA: Nous affirmons que tous procèdent de Dieu, notre père et ancêtre commun; ce père originel, c’est Krishna.

sarva-yonisu kaunteya
mûrtayah sambhavanti yâh
tâsâm brahma mahad yonir
aham bîja-pradah pitâ

« Comprends cela, ô fils de Kuntî, que toutes espèces de vie procèdent du sein de la Nature matérielle, et que J’en suis le père, qui donne la semence. » (Bhagavad-Gîtâ 14:4)

SYAMASUNDAR: Quoi qu’il en soit, la théorie de Darwin veut qu’il y ait évolution des formes plus simples, dont les « animaux » unicellulaires, aux animaux plus complexes comme l’homme.

SRILA PRABHUPADA: Mais à l’heure actuelle, les formes simples et les formes complexes coexistent. Les premières n’ont pas évolué vers les secondes. Mon corps présent s’est développé à partir de mon corps d’enfant, mais ce dernier n’existe plus. Mais les espèces simples et complexes coexistent présentement.

SYAMASUNDAR: Mais ils ne trouvent aucune preuve que toutes ces formes complexes existaient jadis.

SRILA PRABHUPADA: Là n’est pas la question. En présence des 8 400 000 espèces, comment pourrait-il être question d’évolution ? Vous ignorez ou n’avez peut-être aucune preuve que ces formes existaient jadis, mais cela n’est dû qu’à votre savoir imparfait. Toutes ces espèces existent aujourd’hui et ce, depuis des millions d’années. Vous n’en avez peut-être aucune preuve, mais ça c’est une autre histoire.

Nous acceptons le principe de l’évolution, mais en reconnaissant que toutes les espèces existent encore simultanément; si ce n’est sur cette planète, on les retrouvera sur une autre. De toute évidence, Darwin n’eut pas le loisir d’étudier cela. Nous admettons la prémisse d’un processus évolutif des espèces aquatiques aux insectes, aux oiseaux, aux animaux et enfin, aux humains. Mais non la théorie de Darwin voulant qu’une espèce disparaisse alors qu’une autre survit. Toutes existent simultanément.

SYAMASUNDAR: Mais plusieurs formes sont extinctes sur notre planète.

SRILA PRABHUPADA: Darwin a-t-il scruté tous les astres, tous les univers ? A-t-il le pouvoir de tout voir ? Nos facultés étant limitées, nous ne saurions conclure qu’une espèce particulière ait disparue. Les scientifiques n’acceptent pas, bien sûr, que nos organes de perception sont limités, mais ils le sont bel et bien. Il n’est guère possible de fouiller la Terre entière; nous ne pouvons que prélever quelques échantillons. Le premier défi que nous lançons à Darwin, c’est de prouver que la vie humaine n’a pas toujours existé. Les corps des diverses espèces n’évoluent pas, ils existent d’ores et déjà. Au contraire, c’est l’âme qui poursuit son évolution en transmigrant d’un corps à un autre.

HAYAGRIVA: Darwin écrit sur l’âme : « Certains sont angoissés devant l’impossibilité de déterminer l’instant précis où, au cours de son développement depuis la première trace d’un infime vésicule germinal, l’homme devient un être immortel, et il n’est de pire cause d’angoisse, car on ne peut le déterminer dans l’échelle organique à la gradation ascendante. » C’est-à-dire qu’on ne peut savoir quand l’âme immortelle vient habiter ces espèces.

SRILA PRABHUPADA: L’âme incarne le facteur le plus important; mais pour la comprendre, une certaine éducation est requise. L’âme anime le corps, fût-ce celui d’une fourmi, d’une bactérie, d’un humain, d’un animal... Rien ne peut bouger en l’absence de l’âme; de plus, chaque âme distincte est immortelle.

SYAMASUNDAR: Répétons-le, Darwin n’accepte pas qu’il existe un nombre déterminé d’espèces. Au contraire, il soutient qu’elles peuvent varier à diverses époques selon la sélection naturelle. De nouvelles espèces se développeraient constamment.

SRILA PRABHUPADA: Mais qu’en sait-il ? Possède-t-il la liste complète de toutes les espèces qui peuplent l’Univers ? Le Padma Pourâna nous apprend qu’il en existe 8 400 000. Comprenons d’abord en quoi elles consistent. [aquatiques: 900 000 espèces; végétaux: 2 000 000; insectes et reptiles: 1 100 000; oiseaux: 1 000 000; mammifères: 3 000 000; humains: 400 000] Au marché, vous pouvez voir plusieurs sortes de gens qui, au fil de vos pas, continuent de se diversifier. Pouvez-vous dire qu’une race particulière n’existe plus parce que vous n’en voyez aucun représentant ? Il faut réaliser ici qu’on ne peut en comprendre ni le commencement ni la fin.

SYAMASUNDAR: Mais ils avancent que tout a commencé avec un « animal » unicellulaire ?

SRILA PRABHUPADA: Et d’où venait-il ?

SYAMASUNDAR: De combinaisons d’éléments chimiques.

SRILA PRABHUPADA: Et qui a créé ces éléments ?

SYAMASUNDAR: Cela n’intéresse pas autant les hommes de science que les phénomènes existants.

SRILA PRABHUPADA: La seule étude des phénomènes s’avère puérile. La vraie science consiste à découvrir la cause première. Darwin a peut-être étudié cette île-ci ou celle-là, il peut avoir fait des fouilles dans ce désert-ci ou celui-là. Mais il n’a rien vu des millions de planètes qui constellent l’Univers. Pas plus qu’il n’en a fouillé les profondeurs. Comment ose-t-il alors conclure qu’il n’existe rien d’autre ? Il parle de sélection naturelle, mais sans avoir parfaitement étudié la Nature. Il n’en a étudié les mécanismes qu’en un lieu spécifique, et infime de surcroît. Par Nature, on entend prakriti – l’Univers. On compte des millions d’univers que Darwin n’a pas étudié; ce qui ne l’empêche pas de tirer toutes ses conclusions. La sélection naturelle existe certes, bien qu’il ignore comment elle s’opère. Darwin ne possède aucune connaissance de l’âme; voilà sa tare.

SYAMASUNDAR: Le fait demeure que des fouilles entreprises de par le monde entier ont démontré l’existence d’espèces désormais extinctes sur notre planète.

SRILA PRABHUPADA: Mais la Nature n’est pas limitée à notre seule planète. Qui dit Nature dit toutes les planètes de l’Univers.

SYAMASUNDAR: Mais les scientifiques n’ont aucune preuve que toutes les espèces aient existé depuis des temps immémoriaux.

SRILA PRABHUPADA: On ne peut démontrer que le soleil existait il y a des millions d’années; nous concluons néanmoins que c’est un fait. L’astre solaire ne fut pas créé ce matin. En lui tout existe, et son existence en implique d’autres. Darwin tire des conclusions sur la Nature d’après une étude réduite de notre seule planète. Telle n’est pas la connaissance totale. Si votre savoir est imparfait, pourquoi accepterions-nous vos théories ? La question n’est pas de savoir si des formes de vie complexes vivaient sur la Terre voici des millions d’années. Toutes ces formes existent dans la Nature. Selon les Védas, le nombre d’espèces est fixé à 8 400 000. Qu’elles existent ou non dans votre région n’est guère important. Le nombre en est fixé et elles existent simultanément. Peut-être y a-t-il évolution de formes simples aux formes complexes, mais ce n’est pas qu’une espèce disparaît. La véritable évolution est celle de l’âme qui progresse à travers les espèces existantes. Maintenant, nous admettons qu’à cause des changements saisonniers – ou du froid et de la chaleur extrême –, des variations peuvent surgir, mais ce n’est pas qu’une nouvelle espèce est créée. S’il y a déluge, et que tous les humains de la Terre se noient, l’espèce humaine n’est pas extincte pour autant. L’humanité peut survivre ou non à certains cataclysmes; cela n’affecte en rien l’espèce. Au lieu de disparaître, disons plutôt que vu les circonstances, l’être humain a (ou n’a pas) survécu. De toute façon, les humains continueraient d’exister ailleurs.

SYAMASUNDAR: Que faut-il comprendre quand le Padma Pourâna affirme l’existence de 400 000 espèces humaines ?

SRILA PRABHUPADA: Des différences existent au niveau de la culture et du corps. Les hommes de science diront que les humains appartiennent tous à la même espèce. Le mot espèce revêt toutefois une signification différente pour eux. À titre d’exemple, les Védas préciseraient que les Noirs et les Aryens représentent deux espèces différentes. La conscience de Krishna n’accorde pas d’importance aux différences corporelles. Notre classification repose sur l’âme, qui demeure inchangée malgré les différents corps qu’elle habite. Une, l’âme ne change jamais.

vidyâ-vinaya-sampanne
brâhmane gavi hastini
suni caiva svapâke ca
panditâh sama-darsinah

« L’humble sage, éclairé du pur savoir, voit d’un œil égal le brahmane noble et érudit, la vache, l’éléphant, ou encore le chien et le mangeur de chien. » (Bhagavad-Gîtâ 5:18)

Celui qui voit jusqu’au fond des choses voit l’âme. Privés de la science de l’âme, Darwin et d’autres savants matérialistes n’ont rien compris. Au niveau matériel, une forme peut se révéler supérieure à une autre, de même qu’un appartement peut en surpasser un autre. Mais il s’agit là de considérations matérielles. Maintenant, selon notre condition, nous pouvons évoluer d’un appartement inférieur à un logement supérieur. L’inverse peut cependant se produire. Si nous ne pouvons en payer le loyer, il faudra quitter notre logement supérieur pour en habiter un autre de moindre qualité. L’âme n’évolue pas forcément d’une forme inférieure à un corps supérieur.

SYAMASUNDAR: Darwin dirait que toute vie sur la Terre évolue vers un niveau supérieur.

SRILA PRABHUPADA: On peut généralement admettre cette idée car, à certaines époques, les gens peuvent construire certains types d’appartements, mais ces logements mêmes n’évoluent point. L’évolution s’opère dans l’appartement, selon le désir du jîva, de l’être vivant. Darwin pense que c’est le logement qui change, alors qu’en fait, c’est le désir du jîva. Selon notre état mental à l’heure de la mort, nous obtenons un certain type d’appartement. Quoi qu’il en soit, celui-ci existe déjà sans que j’aie à le créer. Les variétés d’appartements sont fixées à 8 400 000, dont nous pouvons habiter celui de notre choix. Vous ne pouvez en concevoir d’autres au-delà de ce nombre. Sachant que différentes personnes désirent diverses facilités, l’hôtelier s’arrange pour recevoir toutes sortes de clients. De même, conscient des divers modes de pensée et de désir de l’être, Dieu a créé toutes les espèces qui peuplent Sa Création. Quand l’être pense d’une certaine façon, Il lui dit :« Voici le corps de ton choix. »

prakrteh kriyamânâni
gunaih karmâni sarvasah
ahankâra-vimûdhâtmâ
kartâham iti manyate

« Sous l’influence des trois gounas, l’âme égarée par le faux ego croit être l’auteur de ses actes, alors qu’en réalité, ils sont accomplis par la Nature. » (Bhagavad-Gîtâ 3:27) La Nature nous offre toutes les facilités. En tant que Paramâtmâ sis dans le cœur de chacun, Dieu sait ce que l’être désire et Il ordonne à la Nature de le lui accorder.

SYAMASUNDAR: Mais nous voyons, à l’heure actuelle, qu’aucun dinosaure ne vit plus sur cette planète. Ce type d’« appartement » n’est donc plus disponible désormais.

SRILA PRABHUPADA: Je l’ai déjà dit, que vous ayez vu ou non des dinosaures, vous n’avez certes pas vu les 8 400 000 espèces vivantes. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elles n’existent plus. Elles peuvent vivre sur d’autres planètes sans que vous n’en sachiez rien. Les scientifiques réalisent des expériences à l’aide de leurs sens imparfaits, mais notre source de savoir est tout autre. Malgré toutes les recherches scientifiques, les conclusions demeurent toujours imparfaites à cause de l’imperfection des sens.

HAYAGRIVA: Darwin fut d’abord chrétien, mais sa foi en l’existence d’un Dieu personnel s’est évanouie avec le temps : « Toute l’affaire dépasse la portée de l’intellect humain... Le mystère de la genèse s’avère insoluble pour nous, et je dois, quant à moi, me contenter de demeurer un agnostique... » Son livre De l’origine des espèces repose sur les preuves qu’il a amassées entre 1830 et 1836, lors d’un voyage à travers le monde.

SRILA PRABHUPADA: Quoi qu’il en soit, ses recherches étaient limitées. Il n’a certes pas pu examiner toutes les espèces qui peuplent la planète.

HAYAGRIVA: Il passera le reste de ses jours à écrire sur les données accumulées durant son voyage. Selon sa théorie de sélection naturelle, les plus aptes et les plus forts survivent; il s’ensuit que la race s’améliore forcément et graduellement. Mais, le Kali-yuga n’est-il pas synonyme de dégénérescence constante ?

SRILA PRABHUPADA: En effet. Nous pouvons voir en réalité que la race humaine s’est dégradée.

HAYAGRIVA: Quelle en est la cause ?

SRILA PRABHUPADA: Une éducation inadéquate. Chaque personne distincte est une âme, dotée d’un type de corps spécifique. La forme humaine requiert plus particulièrement une éducation. L’âme évolue à travers diverses espèces selon ses aspirations. La Nature matérielle fournit les corps, conformément aux directives de Dieu. Le Seigneur vit au tréfonds du cœur de chacun. Quand l’âme distincte désire quelque chose, la Nature lui offre – en accord avec Dieu – un corps, qui n’est somme toute qu’une machine. Parvenus à la forme humaine, nous pouvons soit régresser vers un corps animal, soit évoluer sur le plan spirituel. L’animal éprouve aussi certains désirs, mais il change de corps et d’espèce selon les lois naturelles. La forme humaine fut spécifiquement conçue pour nous aider à comprendre Dieu, agir en conséquence et retourner auprès de Lui, en notre demeure première. Si nous négligeons cette occasion qui s’offre à nous, nous régresserons vers les espèces inférieures.

SYAMASUNDAR: Selon les Védas, des formes de vie supérieures peuplaient-elles notre planète il y a des millions d’années ?

SRILA PRABHUPADA: Oui. Les Védas nous informent que Brahmâ, le premier être créé de l’Univers, est aussi le plus intelligent. Comment accepter alors la théorie selon laquelle l’intellect se développerait au fil de millions d’années ? Nous recevons le savoir védique de Brahmâ, qui en fut instruit par Krishna. La théorie de Darwin sur le développement de l’intellect n’a rien de scientifique. Ce n’est guère plus qu’une proposition, une conjecture.

SYAMASUNDAR: Lorsque Brahmâ créait, d’autres formes de vie évoluées existaient-elles à part l’être humain ?

SRILA PRABHUPADA: Toutes les formes exitent depuis la Création.

SYAMASUNDAR: Quelle preuve possédons-nous que des formes supérieures vivaient sur cette planète, voici des millions d’années ?

SRILA PRABHUPADA: L’autorité de la littérature védique.

SYAMASUNDAR: Mais ne pourrait-on accepter une autre autorité ? Si nous exhumons un os et l’analysons à l’aide de nos sens, cela ne fait-il pas autorité ?

SRILA PRABHUPADA: Oui, mais c’est une autorité « osseuse ». Si elle vous satisfait, nous lui préférons, quant à nous, une autre autorité qui nous est propre. Là n’est pas la question. L’autorité et le savoir scientifique demeurent toujours relatifs. Leurs théories sont toujours contredites par d’autres hypothèses. Darwin a-t-il exploré les profondeurs océaniques ? Qui a creusé les strates du sol sous-marin pour découvrir ce qu’il cache? La connaissance du Professeur Grenouille se limite aux trois mètres de largeur et de profondeur de son puits. Si vous lui révélez l’existence de l’océan Atlantique, il demandera : « Quelles en sont les dimensions ? Est-il deux fois plus grand que mon puits ? Dix fois plus grand ? » Il ne pourra jamais concevoir la grandeur de l’océan, à quoi serviraient alors ses recherches ? Il faut donc s’informer auprès du créateur de l’Atlantique. Ainsi notre savoir sera-t-il parfait.

SYAMASUNDAR: Mais certaines théories de Darwin semblent factuelles. Nul ne peut, par exemple, nier la survie du plus apte.

SRILA PRABHUPADA: On peut chercher à ajuster les choses, mais sans la sanction du Suprême, on ne saurait réussir. Selon les voies de la Nature, les parents éprouvent de l’affection pour leurs enfants qui, sans leurs soins, périraient. Mais l’attention parentale n’est pas tout. Si l’enfant est condamné par le Seigneur, il ne pourra vivre malgré tous les soins de ses parents. En d’autres mots, pour survivre à tout, il faut approcher l’Être Suprême. Si Krishna ne désire pas notre survie, aucun effort ne pourra nous sauver. Toutes les lois naturelles obéissent à un maître : Dieu. L’électricité peut servir à plusieurs fins, mais la centrale électrique est une et produit de l’énergie pour tous. Nous pouvons utiliser le même courant électrique à diverses fins, mais son pouvoir demeure inchangé.

SYAMASUNDAR: La même énergie peut circuler dans le cerf comme dans le tigre, mais ce dernier peut tuer le premier. Dans cet exemple, l’un survit et l’autre meurt.

SRILA PRABHUPADA: La loi du karma ne permet à personne de survivre. Le corps constitue notre champ d’action, où il nous est permis d’agir pendant quelque temps. Voilà tout. Pas question, donc, de survivre.

SYAMASUNDAR: Par survie, Darwin entend la survie de l’espèce.

SRILA PRABHUPADA: Ce n’est pas une question de survie; les espèces existent de tout temps.

SYAMASUNDAR: Mais pourquoi n’y a-t-il aucune preuve de l’existence d’une civilisation humaine sur la Terre, voici des millions d’années ?

SRILA PRABHUPADA: La preuve d’une civilisation védique antérieure réside dans le témoignage oral (shrouti). Vyâsadéva, par exemple, reçut la science védique de Nârada, qui l’acquit lui-même de Brahmâ, il y a plusieurs millions d’années. On peut à peine estimer la durée d’un seul jour de Brahmâ, durant lequel quatorze Manous vivent et meurent. Chaque Manou vit 306 720 000 ans. Des estimations couvrant des millions, des milliards – voire des billions d’années – sont chose courante dans les Védas. Lorsque naquit Brahmâ, Dieu l’instruisit. Ce qui signifie que la philosophie védique existait déjà à l’époque.

SYAMASUNDAR: Mais si la Terre est si ancienne, elle a dû subir de multiples transformations.

SRILA PRABHUPADA: En effet, mais qu’importe. Après chaque jour de Brahmâ, survient une dévastation. Brahmâ vit cent ans, composés de jours inconcevablement longs, qui se terminent tous sur une dévastation. Ce thème n’a donc rien d’étonnant pour nous, pas plus d’ailleurs que le passage de milliards ou de billions d’années. Tout cela n’est que poussières, selon l’historique védique. Même si nous ne trouvons aucune preuve de civilisation terrestre remontant à des millions d’années, au lieu de conclure à sa non-existence, convenons que notre savoir est imparfait.

HAYAGRIVA: William Jennings Bryan, célèbre avocat et politicien, conteste le darwinisme comme suit : « Les partisans de Darwin n’osent pas admettre que tout commence et finit par Dieu... Darwin dit que l’origine de toutes choses demeure un mystère irrésolu. Il ne prétend pas nous apprendre comment tout cela a commencé. »

SRILA PRABHUPADA: Une fois l’Univers matériel créé, les êtres vivants ont la liberté d’y œuvrer. Puisque ceux-ci émanent tous de Dieu, le Seigneur dit :

« Sache-le, ô fils de Prithâ, Je suis de tous les êtres la semence première. » (bîjam mâm sarva-bhûtânâm viddhi pârtha sanâtanam) (Bhagavad-Gîtâ 7:10) La Nature matérielle est la Mère, et Dieu, le Père qui donne la semence (bîjam). Le sein de la mère ne peut créer en soi; mais quand la semence spirituelle y est déposée, le corps peut se former, se développer. L’être vivant, partie éternelle de Dieu, est placé dans le sein de la Nature, où il développe un corps selon son désir. Voilà qui marque le vrai commencement de la vie.

HAYAGRIVA: Selon la Bible, Dieu créa l’homme à Son image il y a quelque six mille ans.

SRILA PRABHUPADA: La Création ne fut pas si récente; selon les Védas, elle remonte à plusieurs millions d’années. Quoi qu’il en soit, Dieu créa cette manifestation cosmique, l’imprégnant d’êtres pour qu’ils y apparaissent dans diverses espèces, selon leurs désirs. L’âme distincte propose et Dieu dispose. Toutes les espèces existent depuis l’aube de la Création. Ce n’est pas que la forme humaine n’existait pas alors. C’est simple comme bonjour. La Nature matérielle crée le corps; l’âme, partie intégrante de Dieu, vient habiter le corps de ses désirs. L’énergie matérielle est appelée la puissance inférieure de Dieu, et l’être – ou l’âme distincte – la puissance supérieure. Toutes deux procèdent du Seigneur, d’où l’on dit que Dieu, Vérité Absolue, est Celui dont tout émane.

HAYAGRIVA: Dans son livre De la descendance de l’homme, Darwin écrit : « L’idée d’un Créateur universel, bienfaisant, ne semble point surgir dans l’esprit humain, jusqu’à ce qu’une longue et constante culture l’ait élevé. »

SRILA PRABHUPADA: La culture est, en effet, très importante, car on peut être élevé par des contacts spirituels. Selon notre vie culturelle, nous serons promus aux systèmes planétaires supérieurs, nous resterons où nous sommes, ou nous retournerons en notre demeure première, auprès de Dieu. La culture revêt donc une importance capitale.

SYAMASUNDAR: Darwin pense que nous pourrions maîtriser le processus évolutif, à condition de le comprendre adéquatement. On parle aujourd’hui de conquérir la Nature; on prétend que l’être humain vit désormais plus longtemps, et en meilleure santé que jamais.

SRILA PRABHUPADA: Encore des inepties ! Ma grand-mère vécut quatre-vingt-seize ans, mais je ne pense pas vivre aussi longtemps. La longévité diminue. Les gens ne jouissent pas d’une bonne santé, car ils ne mangent pas adéquatement. Où est le remède qui guérira toutes les maladies ? Chaque fois qu’on découvre un nouveau médicament, surgit une nouvelle maladie. Impossible donc d’y mettre un terme. Même en trouvant un remède au cancer, vous ne pourrez arrêter la mort pour autant. Malgré tous les progrès de la science, on ne peut jamais tenir en échec la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort. Essayer constitue une pure perte de temps. Notre devoir consiste à employer notre temps de façon à retourner auprès de Dieu, après avoir quitté ce corps de matière.

SYAMASUNDAR: Darwin présente l’évolution des espèces d’une façon si mécaniste que Dieu est rayé de la scène. Comme si des combinaisons d’ingrédients avaient créé des animaux, qui se seraient développés les uns à partir des autres.

SRILA PRABHUPADA: Qui dit combinaisons dit Dieu, puisque c’est Lui qui les réalise. Elles ne surviennent pas automatiquement. En préparant ses mets, le cuisinier combine divers ingrédients, qui ne peuvent se mélanger par eux-mêmes. Darwin aurait dû se demander comment s’opèrent ces combinaisons, mais il semble ne pas s’être même posé la question. Les éléments, ou ingrédients, matériels ne s’amalgament jamais sans l’intervention d’un être vivant.

SYAMASUNDAR: Une théorie veut que tout émane de quelque énergie.

SRILA PRABHUPADA: Cette énergie appartient nécessairement à quelqu’un. Pour que l’ordinateur fonctionne, quelqu’un doit l’allumer. Selon les Védas, dès que Dieu le désire, l’énergie matérielle se met aussitôt en œuvre. Seulement alors les choses apparaissent-elles automatiquement. Certains humains diront qu’il n’est aucun Dieu derrière l’énergie matérielle; mais s’Il leur retirait la parole, ils seraient même incapables de nier Son existence. Afin de supporter les théories de Darwin, les philosophes et historiens d’Occident n’admettent pas que la littérature védique fut rédigée depuis plusieurs millénaires. Mais la découverte des grottes d’Ajanta prouve que des êtres très intelligents vivaient à l’époque. Mais ces scientifiques ne cherchent que des ossements. Qu’est-ce qui s’avère plus important ? Le Râmâyana de Vâlmîki ou un tas d’ossements ?

Jadis, les étudiants jouissaient d’une mémoire très perçante, étant de purs brahmachârîs, pratiquant la continence totale. Il n’était donc pas nécessaire de coucher par écrit de tels ouvrages. Selon l’école de la shrouti, l’étudiant en écoutait une seule fois la matière auprès du maître spirituel, pour ensuite se rappeler de chaque mot. Maintenant, Darwin et d’autres savants matérialistes essaient de comprendre le monde phénoménal – cette énergie de Krishna – mais sans se soucier d’en découvrir la source. Krishna dit : « De tous les mondes, matériels et spirituels, Je suis la source. » (aham sarvasya prabhavah) (Bhagavad-Gîtâ 10:8). En étant conscients de Krishna, nous saurons qu’Il incarne la source première de toute énergie. Le chimiste et le physicien doivent démontrer cette vérité. Alors leurs données chimiques ou physiques seront parfaites. Les gens aspirent au savoir acquis par la méthode scientifique; les vrais hommes de science doivent donc prouver que l’énergie matérielle émane de Krishna. Le biologiste et le naturaliste, doivent démontrer que toutes formes de vie émanent de Krishna. Hélas, les savants pensent : « Nous allons créer. » Or, ils en sont incapables, car c’est Dieu qui crée tout. Ils cherchent à L’imiter comme l’enfant qui, voyant sa mère cuisiner, se dit : « Je vais aussi faire la cuisine. » Ce n’est qu’un jeu d’enfant, mais auquel ils sacrifient tant de labeur et d’argent. Ils cherchent à créer un homme-éprouvette, alors que chaque jour voit naître plusieurs humains. Ils veulent simplement créer quelque artifice, voilà tout. Grâce aux multiples énergies de Dieu, tout se crée automatiquement. Tous les ingrédients sont fournis par Krishna, qui vous donne également corps et intelligence – bref, tout. Que pouvons-nous sans Lui ? Par nos actions, nous devons chercher à Le satisfaire, ce qui les couronnera de succès. Impossible de franchir les frontières établies par Krishna.

HAYAGRIVA: Marx est le descendant de rabbins, tant du côté paternel que du côté maternel. Toutefois, son père se convertit au christianisme et Marx reçut une éducation chrétienne. Quoi qu’il en soit, Marx lui-même s’oppose au christianisme comme au judaïsme. À l’âge de 23 ans, après avoir étudié quelque peu la philosophie à l’université, il devient un athée avoué. Lorsque Hegel écrit : « Puisque le hasard n’existe pas, Dieu – ou l’Absolu – est », Marx commente : « Il est évident qu’on peut aussi affirmer le contraire. » C’est-à-dire, comme Dieu n’existe pas, le hasard, lui, existe.

SRILA PRABHUPADA: Quel homme sensé accepterait que tout naît du hasard ? La naissance d’un enfant est-elle accidentelle ? Un père et une mère ont dû s’unir pour qu’elle ait lieu. Marx, à titre d’exemple, ne voulait peut-être pas mourir, mais il y fut contraint. Comment serait-ce là le fruit du hasard ? Il doit exister une puissance supérieure. On peut vouloir éviter tout accident, mais il en survient néanmoins. C’est une question de bon sens. Dans la Nature, nous voyons de nombreuses planètes flotter dans l’espace; sans se heurter fortuitement, elles restent sur leur orbite. Le Soleil se lève selon des calculs précis. Puisque l’ordre universel s’opère de façon si systématique, une intelligence le régit certes. Cette intelligence suprême, c’est Dieu. Comment le nier ?

HAYAGRIVA: Marx estime que la vraie philosophie dirait : « En vérité, je hais tous les dieux. » Il voit cela comme « l’aveu même de la philosophie, son propre jugement contre toutes les déités célestes et terrestres ne reconnaissant pas la conscience humaine comme la divinité suprême. Elle doit être sans égale. »

SRILA PRABHUPADA: Comment l’intelligence humaine pourrait-elle être parfaite sans comprendre la Vérité Absolue, la Cause première de tout ? Notre conscience doit progresser, c.-à-d. évoluer vers le but ultime. Si l’être humain ignore la cause suprême, le but ultime, que vaut son intelligence ?

HAYAGRIVA: Marx considère la religion comme un divertissement d’hommes dégradés, cherchant à fuir la réalité : « La religion est le soupir de la créature en détresse, l’âme d’un monde cruel, l’esprit d’un état de choses privé d’esprit, l’opium du peuple. » Illusion, la religion ne résoudrait aucun des problèmes humains, mais les compliquerait seulement : « Plus l’homme investit en Dieu, moins il garde en lui-même », écrit Marx.

SRILA PRABHUPADA: En réalité, on peut voir que les communistes ne sont guère favorisés sans Dieu. Maintenant, les Chinois et les Russes sont en désaccord. Les différences d’opinion existeront toujours, que les gens nient ou non l’existence de Dieu. En quoi alors ont-ils amélioré la situation ? Et les communistes et les capitalistes doivent comprendre la nature de Dieu. Nous avons vu que nier Son existence pour agir indépendamment n’a pas apporté la paix pour autant.

SYAMASUNDAR: Marx croit que tout résulte de la lutte économique, et que la religion est une stratégie inventée par la bourgeoisie – ou les capitalistes – pour dissuader les masses de se révolter, en leur promettant une vie meilleure après la mort.

SRILA PRABHUPADA: Mais il a lui-même créé une philosophie, qu’on impose présentement par la contrainte et la mise à mort. Nous l’avons souvent expliqué, la religion est cette partie permanente de notre nature à laquelle nous ne saurions renoncer. Nul ne peut délaisser sa religion. Mais en quoi consiste celle-ci ? À servir. Marx veut servir l’humanité en présentant sa philosophie; voilà donc sa religion. Chacun cherche à rendre quelque service. Le père essaie de servir sa famille, l’homme d’État sert son pays et le philanthrope, l’humanité entière. Que vous soyez Karl Marx, Staline, Gandhi, hindou, musulman ou chrétien – vous devez servir. Parce que nous servons actuellement tant de gens et de concepts, nous baignons dans la confusion. Aussi Krishna nous conseille-t-Il de laisser tout autre service pour ne servir que Lui.

HAYAGRIVA: Comme Comte, Marx espère que l’ouvrier éliminera la religion avec le temps : « L’émancipation politique des juifs, des chrétiens – de l’homme religieux en général – correspond à l’émancipation étatique du judaïsme, du christianisme, de la religion en général. » Ainsi, l’ouvrier deviendrait le sauveur de l’humanité en l’affranchissant d’une religion qui adore un être surnaturel.

SRILA PRABHUPADA: Est-ce devenu réalité ? Marx est mort et enterré, mais on peut voir à ce jour que l’application de sa théorie communiste n’a libéré personne. Maintenant, Russes et Chinois ne s’entendent plus. Et pourquoi donc ? Ils ont aboli Dieu et ont établi la classe ouvrière. Pourquoi le désaccord et le désir règnent-ils alors ?

HAYAGRIVA: Marx croit que la religion bloque la voie du bonheur humain : « L’abolition de la religion comme bonheur illusoire du peuple correspond à la revendication de son vrai bonheur. La revendication de l’abandon des illusions relatives à sa condition revient à l’abandon d’une situation qui nécessite l’illusion. Par conséquent, la critique de la religion est... une critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole. »

SRILA PRABHUPADA: Un système religieux se détériore quand on n’en comprend pas le fondement philosophique. Les gens sont aptes à rejeter ces religions sentimentales. Il faut comprendre que Dieu est au faîte de toutes les fonctions et manifestations cosmiques. Les lois données par le Maître Suprême du Cosmos constituent ce que nous appelons la religion. Si nous créons nos propres religions en fonction de sentiments, elles ne produiront que problèmes et malentendus. Sachons qu’une intelligence se trouve derrière toute manifestation cosmique; quand nous en connaîtrons la nature et les voies, nous atteindrons le vrai savoir scientifique.

HAYAGRIVA: Marx encourage le travail, non pour la construction de temples, mais pour le bénéfice de l’être humain même : « L’être ultime, à qui appartiennent le travail et ses fruits, et que nous servons par ce labeur dont il est le bénéficiaire, c’est l’humain. »

SRILA PRABHUPADA: Comprenons qu’il est bénéfique pour l’être humain d’adhérer aux directives de Dieu. Toute organisation requiert un directeur, même dans les pays communistes. Les leaders sont nécessaires; or, Dieu est le leader suprême. Ce n’est pas que les communistes peuvent se passer de leaders. Karl Marx joua lui-même ce rôle. Maintenant, les gens doivent choisir le leadership sous lequel ils préfèrent travailler : celui de Dieu ou celui de Marx et Lénine. On ne saurait abolir tout leadership. La question se pose toujours : « Quel leadership est parfait ? » Voilà ce qu’il nous faut déterminer.

HAYAGRIVA: Comme Comte encore, Marx croit que l’athéisme s’avère inutile, étant un refus négatif, tandis que le socialisme constitue une assertion positive : « Le socialisme incarne la conscience positive de l’homme, qui n’est plus négociée en supprimant la religion, tout comme la vraie vie correspond à la réalité humaine positive via le communisme. »

SRILA PRABHUPADA: Nous avons déjà établi que la vraie religion n’est pas sentimentale et qu’il accepter un leadership, fût-il communiste, théiste ou athée. Une fois ce leadership choisi et des instructions données par celui qui l’incarne, on pourra lui donner un nom en « isme ». Il n’en demeure pas moins que la religion consiste à accepter les directives et le leadership de Dieu. Je doute que les communistes puissent fondamentalement changer ce concept. Eux aussi ont un leader – Marx, Lénine ou Staline – qui énonce aussi ses directices aux masses. Dans un même ordre d’idée, nous adhérons aux instructions de Krishna. Où est la différence ? Il y a autorité dans les deux cas. Nous devons choisir le meilleur leader, comme il faut également choisir un critère pour l’établir.

HAYAGRIVA: Pour Marx, il n’y a rien de spirituel dans l’Univers :

« Une substance incorporelle serait tout aussi contradictoire qu’un corps incorporel. Corps, être, substance sont une seule et même réalité. On ne saurait séparer la pensée de la matière qui pense. »

SRILA PRABHUPADA: Quand aucune âme spirituelle n’habite le corps, on le dit mort. Sinon, qu’est-ce qui distingue un organisme vivant d’un cadavre ?

HAYAGRIVA: Marx écrit encore :

« Puisque seule la matière peut être perçue – connue –, on ne sait rien de l’existence de Dieu. Je ne suis convaincu que de ma propre existence. »

SRILA PRABHUPADA: Mais sans connaître l’âme spirituelle, comment peut-il être certain de sa propre existence ? Comment conçoit-il la vie ? Pourquoi le corps est-il comme une pierre inerte quand la vie s’achève ? Il doit d’abord comprendre en quoi consiste la vie.

HAYAGRIVA: Marx estime que la conscience est essentiellement sociale:

« Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience... La conscience serait donc dès le début même un produit social, et ce, tant que les humains existent. »

SRILA PRABHUPADA: Pourquoi alors la vie s’achève-t-elle ? Pourquoi Marx cesse-t-il d’exister ? Quelle est la réponse à cette question ? L’âme existe en l’être humain, pourquoi alors meurt-il ? La mort est un fait qu’on ne saurait nier. De notre vivant, on peut parler très fort, mais une fois mort, plus un seul mot ne s’échappe de nos lèvres. Qu’est devenue la conscience ?

HAYAGRIVA: Marx s’oppose à Comte, qui prône l’adoration de la femme; il refuse également le culte de Dieu dans la Nature :

« Il ne fait aucun doute que l’industrie et les sciences modernes ont révolutionné la Nature dans son tout, mettant fin à l’attitude puérile de l’homme envers celle-ci, ainsi qu’à d’autres formes d’enfantillage... Le culte de la femme est identique à celui de la Nature. »

SRILA PRABHUPADA: Mais en quoi la science a-t-elle surmonté les lois fondamentales de la Nature ? L’homme a-t-il enrayé la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort ? Sinon, à quoi sert de conquérir ou de révolutionner la Nature ? Les lois naturelles opèrent toujours. Avant Marx, son père et sa mère sont également morts, et de même leurs parents avant eux, et ce, depuis la nuit des temps. En quoi l’homme a-t-il conquis la Nature ? La maladie, la vieillesse et la mort règnent encore. Où est l’amélioration?

HAYAGRIVA: S’il n’y a aucune amélioration, il estime que c’est parce que la religion lui fait obstacle.

SRILA PRABHUPADA: Cela n’a aucun rapport avec la religion, c’est l’œuvre de la Nature. Dès sa naissance, l’être humain est confronté à la mort. En quoi la science a-t-elle révolutionné cette situation ? La Nature poursuit son œuvre malgré toutes les théories de Marx et compagnie. Comment dire alors qu’ils ont surpassé les lois naturelles ?

HAYAGRIVA: Marx pense que la religion est source d’antagonisme constant entre humains :

« L’antagonisme qui oppose juifs et chrétiens revêt son aspect le plus persistent dans la religion. Comment résoudre un antagonisme ? En le rendant impossible. En abolissant la religion, on rendrait impossible tout antagonisme religieux. »

SRILA PRABHUPADA: Toute question d’antagonisme est résolue quand on connaît Dieu et ce qu’Il désire. Tout antagonisme disparaît quand on connaît le gouvernement et ses lois. L’antagonisme surgit lorsque de pseudo-institutions religieuses ne connaissent pas Dieu. La Bhagavad-Gîtâ décrit clairement le Seigneur et Ses prescriptions; aussi en préconisons-nous la lecture pour que les gens apprennent à connaître Dieu. Nous l’avons déjà dit, la religion consiste à comprendre le Seigneur de façon systématique. Dieu est le Possesseur Suprême, le meilleur ami de chacun et le bénéficiaire de tout. Certains proclament que leur religion surpasse celle d’autrui; encore faut-il savoir ce qu’on entend par religion. Celle-ci consiste à connaître les directives du possesseur suprême et à vivre en conséquence. Ignorant ce qu’est la religion, pourquoi la critiquer et créer de l’antagonisme ?

HAYAGRIVA: Marx croit que chrétiens et juifs doivent rejeter leur religion respective, « comme n’étant que différentes étapes de l’évolution de l’esprit humain, diverses peaux de serpent dont se dépouille l’Histoire. » Cessant d’être harcelés par les antagonismes religieux, l’homme et la femme jouiront de relations humaines et scientifiques.

SRILA PRABHUPADA: Quand les gens se disent chrétiens, juifs, hindous et musulmans sans connaître ni Dieu ni Ses desseins, des antagonismes surgissent naturellement. Il faut donc comprendre de façon scientifique ce qu’est la religion et qui est Dieu. Ce qui mettra fin à tout antagonisme.

HAYAGRIVA: Marx croit que l’État doit éventuellement assumer le rôle du Christ : « La religion n’est que la reconnaissance indirecte de l’homme à travers un médiateur. L’État sert de médiateur entre l’humanité et la liberté humaine. Comme le Christ qui incarne le médiateur sur qui l’humain reporte son entière divinité et tout son fardeau religieux, l’État est le médiateur sur qui il dépose toute son impiété, tout son fardeau humain. »

SRILA PRABHUPADA: Le Christ donna le savoir qui peut nous soulager du corps matériel, rôle que doit aussi remplir toute Écriture sainte en nous informant de la position exacte de Dieu. Quand les gens connaîtront de façon scientifique l’existence de Dieu et la relation qui les unit à Lui, tout s’arrangera. Notre Mouvement pour la Conscience de Krishna s’efforce de donner aux masses une idée précise de Dieu, grâce à des définitions exactes et des instructions spécifiques.

HAYAGRIVA: Voici un point que la plupart des communistes préfèrent ignorer :

« Pratiquer sa propre religion est explicitement inclus dans les droits de l’homme et de la femme. Le privilège de la religion est un droit universel », écrit Marx.

SRILA PRABHUPADA: C’est toujours le devoir de l’État de s’assurer qu’on respecte la liberté de religion et que toute personne qui dissémine une forme particulière de religion agit en accord avec celle-ci.

HAYAGRIVA: Marx juge, toutefois, que la religion doit être individuelle, au lieu de communautaire :

« Cependant, la liberté en tant que droit humain ne repose pas sur les contacts interpersonnels, mais plutôt sur la séparation. C’est le droit de séparation, le droit de l’individu limité, limité à lui-même. »

SRILA PRABHUPADA: Il ne saurait être question de séparation. Reconnaissant en Dieu le Père Suprême, nous voyons en Ses fils des frères qui Lui doivent obéissance. Si nous obéissons tous au Père Souverain, comment y aurait-il différence d’opinion ? Quand on ne Le connaît point et qu’on Lui désobéit, surgit la discorde. C’est le devoir du fils d’obéir au père et de bénéficier de sa propriété. Il s’agit ici de mettre le père au centre.

HAYAGRIVA: Marx croit que si l’être humain persiste à adorer Dieu, il doit le faire en privé plutôt qu’en communauté.

SRILA PRABHUPADA: Si Dieu existe et si l’humain doit L’adorer, pourquoi pas le faire en communauté ? Pense-t-il que chaque personne doit inventer son propre dieu et l’adorer ? Dieu est le Père Suprême, le Père de chaque femme et homme, de chaque être vivant. Comment serait-Il différent pour chacun ? Une famille peut compter dix enfants, mais le père, lui, est un. Chaque enfant ne saurait dire : « Je choisirai mon propre père. » C’est impossible. Personne ne connaît le Père Suprême et n’est disposé à suivre Ses directives – voilà le problème.

HAYAGRIVA: Marx espérait que l’isolement de la religion mènerait à sa dissolution.

SRILA PRABHUPADA: Une telle dissolution serait synonyme d’animalité; voilà où nous en sommes dans l’Histoire humaine, voilà la faille qui existe dans la société moderne. Si les gens sont sérieux quant à la religion, qu’ils se réunissent pour reconnaître Dieu comme le Père Suprême. Alors cesseront-ils de se battre entre eux. De toute façon, la réligion ne se dissoudra pas, car c’est une qualité inhérente à chaque être. Durant mon séjour en Russie, j’ai pu constater que même les jeunes s’intéressaient à Dieu. On ne peut écarter la croyance en Dieu.

SYAMASUNDAR: La philosophie politique de Marx veut qu’on cherche à transformer le monde, au lieu de l’interpréter. Le matérialisme dialectique repose sur la dialectique hégélienne de la thèse, l’antithèse et la synthèse, que Marx applique à l’économie et à la sociologie. La thèse est la bourgeoisie capitaliste; l’antithèse, le prolétariat, et la synthèse – une société communiste ou sans classes.

SRILA PRABHUPADA: Mais comment la société serait-elle sans classes ? Nous voyons qu’il existe par nature différentes classes d’êtres humains. Krishna dit : « J’ai créé les quatre divisions de la société en fonction des trois gunas et des devoirs qu’ils imposent à l’homme. » (câtur-varnyam mayâ srstam guna-karma-vibhâgasah) (Bhagavad-Gîtâ 4:13) Et encore :

brâhmana-ksatriya-visâm
sûdrânâm ca parantapa
karmâni pravibhaktâni
svabhâva-prabhavair gunaih

« Brahmanas, ksatriyas, vaisyas et sûdras se distinguent par les qualités qu’ils manifestent dans l’action, ô vainqueur des ennemis, selon l’influence des trois gounas. » (Bhagavad-Gîtâ 18:41) Puisqu’il en est ainsi, comment pourrait-on amener différentes natures au même niveau?

SYAMASUNDAR: Marx estime que c’est le mode de production qui détermine nos croyances et notions : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. » (Contribution à la critique de l’économie politique, préface, 1859)

SRILA PRABHUPADA: C’est une question de formation. La question suivante sera : « Quel sera le centre – la devise – de cette formation ?»

SYAMASUNDAR: « Chacun selon ses aptitudes, chacun selon ses besoins. »

SRILA PRABHUPADA: La contribution de différents êtres varie selon le cas. L’ouvrier, le philosophe et le scientifique apportent différentes contributions. Les arbres, les oiseaux et les autres animaux en font autant. La vache contribue en donnant du lait et le chien, en montant la garde. Chacun contribue, donne et prend. Cet arrangement existe déjà par nature. Mais comment Marx conçoit-il la société sans classes ?

SYAMASUNDAR: Il juge que les moyens de production doivent devenir propriété collective, afin que ne survienne aucune exploitation des ouvriers.

SRILA PRABHUPADA: Comment serait-il question d’exploitation ? Je suis un prédicateur religieux et ma contribution, c’est le savoir spirituel. Où est l’exploitation ? Quant à la société sans classes, lors d’un séjour à Moscou, j’ai vu des femmes balayer les rues pendant que les grands patrons surveillaient de leurs voitures. Où est-elle cette société sans classes ? Qui dit société dit distinction entre supérieur et inférieur. Toutefois, si le centre est un, peu importe à quel niveau on travaille. Nos corps comportent bien différentes parties qui contribuent au tout.

SYAMASUNDAR: Ils disent considérer la chose selon cette même optique. L’homme de science ou le directeur jouit certes d’une position prestigieuse, mais eux considèrent que l’ouvrier occupe un poste tout aussi glorieux.

SRILA PRABHUPADA: Nous avons vu à Moscou que tous ne sont pas satisfaits. Un garçon s’est plaint à nous qu’on ne lui permettait pas de quitter le pays. Le fait est que jamais vous ne pourrez rendre tous les gens heureux. Pas plus que n’existera un jour une société sans classes, car les mentalités diffèrent. Comment nos mentalités pourraient-elles être identiques ?

SYAMASUNDAR: Marx pense qu’il est possible d’établir l’uniformité des idées et desseins, si les moyens de production sont contrôlés. Le problème est que les capitalistes, à qui appartiennent ces moyens, contrôlent les pensées des gens.

SRILA PRABHUPADA: Il n’est guère possible pour tous de penser uniformément; on peut toutefois trouver un intérêt central. Au sein de notre Association pour la Conscience de Krishna, à titre d’exemple, nous centrons nos intérêts sur Krishna. On y œuvre de diverses façons, mais chacun est convaincu qu’il sert Krishna.

SYAMASUNDAR: Pour Marx, le centre c’est l’État, qui, avec le temps, s’amenuisera. Alors surgira une société sans classes.

SRILA PRABHUPADA: Mais en faisant de l’État le centre, il n’est plus question de société sans classes. Dans l’État, on retrouve toujours un leader, un président ou un premier ministre. Khrouchtchev était à la tête du pays; mais il perdit le pouvoir quand le peuple russe fut mécontent de lui. Ce qui signifie que le leader, étant imparfait, ne put satisfaire le peuple. Cela arrive même dans les pays non communistes. En quoi la théorie de Marx diffère-t-elle d’autres théories ? L’insatisfaction ne règne pas qu’en Russie; on la rencontre aussi ailleurs. La personne qui occupe un poste clé doit d’abord être parfaite, avant qu’on puisse en dire autant de ses directives. À quoi sert de changer de gouvernement, si c’est pour accorder le pouvoir à des dirigeants imparfaits ? La même corruption prévaudra.

SYAMASUNDAR: Je présume que le parfait leader sera qui adhère parfaitement à la philosophie de Marx.

SRILA PRABHUPADA: Mais sa philosophie est loin d’être parfaite. Il propose une société sans classes, ce qui n’adviendra jamais. Pour que l’État fonctionne, il doit engager des administrateurs, mais aussi des balayeurs de rues. Comment cette société sans classes verra-t-elle le jour ? Quand le balayeur sera-t-il comblé de voir quelqu’un jouir d’un poste administratif ? Maintenant, dans notre Association pour la Conscience de Krishna, je m’assois sur un vyâsâsana et vous m’offrez des guirlandes de fleurs. Pourquoi ? Vous le faites spontanément en voyant un être parfait qui peut vous guider. À moins d’être convaincu de la perfection du leader, pas question de se prosterner devant lui ou de peiner dur comme d’humbles serviteurs.

SYAMASUNDAR: Aux yeux des communistes, Lénine était un homme parfait.

SRILA PRABHUPADA: Mais qui suit son exemple ? La perfection de Lénine fut de détrôner la famille royale. A-t-il offert d’autres perfections ? La seule lecture d’ouvrages ne saurait apporter le bonheur aux gens, un bonheur qu’on ne peut d’ailleurs imposer de façon artificielle. À moins qu’un homme parfait, idéal, ne soit au centre, aucune société sans classes ne pourrait exister. C’est impossible. Nous avons vu qu’en Russie, les gens ne croient pas que le centre soit parfait.

SYAMASUNDAR: Le but consiste à produire des biens pour le bien-être matériel de tous.

SRILA PRABHUPADA: C’est peine perdue. Nous avons vu que la production en Amérique est sans égale dans le monde entier, bien que ce soit une société capitaliste. Pourtant, malgré toute cette production, les gens demeurent insatisfaits. Les jeunes hommes sont plus particulièrement confus. Il est absurde de croire qu’en augmentant la production, vous pourrez satisfaire le peuple. L’être humain ne fut pas créé que pour manger. Doté d’un cerveau, il a également des besoins intellectuels et spirituels à combler. En Inde, on voit des gens qui, assis en silence dans un lieu solitaire, pratiquent le yoga. Pas question de les satisfaire par quelque production. La proposition voulant que chacun soit satisfait par une production accrue s’adresse aux animaux. Ce principe de base absurde résulte d’un savoir insuffisant. Peut-être Marx pense-t-il ainsi parce qu’il vient d’un pays où régnait la famine. Il n’aurait donc aucune conception du vrai bonheur.

Le bonheur consiste à comprendre les vérités de la Bhagavad-Gîtâ. Nous serons heureux quand nous comprendrons que Dieu est le Possesseur de tout et qu’Il est le Jouissant Suprême. Nous sommes tous, quant à nous, des ouvriers et non des jouissants. On retrouve naturellement ces deux catégories. Dans votre corps, par exemple, l’estomac jouit et toutes les autres parties travaillent pour sa satisfaction.

L’estomac satisfait, le corps entier s’en trouve nourri. Où que nous regardions, nous voyons certains se divertir et d’autres travailler. Ce n’est pas une question de société communiste ou capitaliste. Vous ne pouvez ignorer le fait qu’il doit exister des directeurs – ou jouissants – et des ouvriers. il s’agit donc de découvrir comment l’un comme l’autre peuvent vivre un bonheur égal. Il faut coopérer dans un même but central, et une société sans classes n’est possible que lorsque Krishna en est le centre, c.-à-d. que brahmanes, kshatriyas, vaishyas et shoûdras travaillent tous pour Le satisfaire.

yatah pravrttir bhûtânâm
yena sarvam idam tatam
svakarmanâ tam abhyarcya
siddhim vindati mânavah

« En adorant le Seigneur, l’Omniprésent, à l’origine de tous les êtres, l’homme peut, dans l’accomplissement de son devoir propre, atteindre la perfection. » (Bhagavad-Gîtâ 18:46)

Chaque classe travaille à sa façon pour satisfaire Krishna; chacun apporte une contribution différente :

samo damas tapah saucam
ksântir ârjavam eva ca
jñânam vijñânam âstikyam
brahma-karma svabhâva-jam

sauryam tejo dhrtir dâksyam
yuddhe câpy apalâyanam
dânam îsvara-bhâvas ca
ksâtram karma svabhâva-jam

krsi-goraksya-vânijyam
vaisya-karma svabhâva-jam
paricaryâtmakam karma
sûdrasyâpi svabhâva-jam

« Sérénité, maîtrise de soi, austérité, pureté, tolérance, intégrité, sagesse, savoir et piété, – telles sont les qualités qui accompagnent l’acte du brâhmana. Héroïsme, puissance, détermination, ingéniosité, courage au combat, générosité, art de régir, – telles sont les qualités qui accompagnent l’acte du kshatriya. L’aptitude à la culture des terres, au soin du bétail et au négoce, voilà qui est lié à l’acte du vaishya. Quant au shoûdra, il est dans sa nature de servir les autres par son travail. » (Bhagavad-Gîtâ 18:42-44)

SYAMASUNDAR: En quoi cela diffère-t-il de l’État communiste, où balayeurs de rues, administrateurs, cultivateurs et militaires contribuent tous au même but central : l’État ?

SRILA PRABHUPADA: Si l’État n’est pas parfait, nul ne sera disposé à lui apporter sa contribution. On peut évidemment y contraindre les gens; ça c’est une autre histoire. Mais leur contribution ne sera volontaire que s’ils sont convaincus que le centre est parfait. Quoi qu’il en soit, il n’existera jamais de société sans classes, car il y aura toujours une classe d’intellectuels, une classe administrative, une classe mercantile et une classe ouvrière. Le peuple ne trouvant jamais de perfection dans l’État, les ouvriers seront toujours insatisfaits. Sinon, pourquoi chasseraient-ils toujours leurs leaders de leurs postes ?

SYAMASUNDAR: En étudiant l’Histoire, Marx nota que le gros de la production chez les Grecs et Romains d’antan était réalisé par des esclaves, remplacés par les serfs à l’époque féodale.

SRILA PRABHUPADA: Mais les communistes ont aussi créé des esclaves : ils les nomment « ouvriers ». Les ouvriers doivent être dirigés par quelqu’un, d’où les dictateurs. Toute société requiert administrateurs et ouvriers; mais ils devraient être si satisfaits qu’ils en oublient leurs différences. C’est-à-dire qu’aucune envie ne doit régner. Si vous ne mettez pas Krishna au centre, vous n’aurez que des activités matérialistes. Qui dit matérialisme dit exploitation. La seule solution : la conscience de Krishna. Plaçons donc Krishna au centre et travaillons pour Lui.

Voici comment procéder : arrosez la racine de l’arbre et toutes les branches, feuilles et brindilles seront nourries. De même, en satisfaisant Krishna, on satisfait tous les êtres. De nombreux problèmes tourmentaient Arjuna, mais en donnant satisfaction à Krishna, il les résolut tous. Lorsque Krishna Se trouve au centre de tous nos actes, ceux-ci revêtent un caractère absolu. Qu’on écrive des livres ou qu’on lave la vaisselle, nos activités ne se heurteront donc pas. À Vrindâvan, certaines âmes sont des petits pâtres, d’autres des vaches, ou encore des arbres... Mais tous sont satisfaits, Krishna étant le centre qu’ils sont heureux d’aimer. Quand les gens deviendront conscients de Krishna, naîtra une société sans classes. Sinon, cela demeure impossible, imaginaire, voire utopique.

SYAMASUNDAR: Marx estime que dans l’État capitaliste, quelques hommes contrôlent tout aux dépens des masses.

SRILA PRABHUPADA: On peut en dire autant du Kremlin. Marx voulait changer la société, mais force est de constater qu’elle demeure inchangée. On ne peut la transformer qu’en lui donnant Krishna pour centre. Les membres de l’Association Internationale pour la Conscience de Krishna ont vraiment transformé leur mode de vie. Comment la structure sociale pourrait-elle changer si la conscience populaire n’en fait pas autant ? Réformons avant tout les consciences, puis la société changera. Sinon, comment acceptera-t-on une nouvelle théorie ? Il s’agit d’abord d’opérer une transfiguration du cœur, et tel est bien le processus de la conscience de Krishna. En chantant le Saint Nom, on purifie le miroir du mental : ceto-darpana-mârjanam (Shikshâstaka 1).

Si les consciences ne changent point, à quoi servirait de changer le mode de gouvernement ? La même situation prévaudra, peu importe comment on considère la chose. Il y aura toujours des riches et des affamés. Les gens auront toujours des idées et des aptitudes différentes. Ils ne seront jamais parfaitement identiques. Éphémères, les situations créées par les matérialistes ou les lois naturelles vont et viennent. Krishna nous dit de s’établir au niveau absolu, sans se soucier de ces phénomènes temporaires : âgamâpâyino ’nityâs titiksasva (Bhagavad-Gîtâ 2:14). L’homme sain d’esprit ne doit pas se préoccuper de ces théories éphémères. Nous n’appuyons ni le capitalisme ni le communisme, ni cette théorie ni celle-là. Notre seul souci : comment satisfaire Krishna. Nous savons fort bien que tous ces systèmes vont et viennent; s’ils existent aujourd’hui, ils disparaîtront demain. Nous devons nous établir dans l’éternel.

SYAMASUNDAR: Dans la société selon Marx, la propriété privée serait abolie et les moyens de production deviendraient propriété collective. C’est-à-dire que tout serait propriété de l’État.

SRILA PRABHUPADA: Nous avons vu, à Moscou, que les gens n’aiment pas magasiner, car ils doivent faire la queue pendant des heures. Ce système ne semble donc pas fonctionner si bien. À quoi servent les magasins, si l’on ne peut obtenir ce qu’on désire ? D’ailleurs, qu’est-ce que l’État sinon un prolongement du moi individuel ? Le moi se prolonge dans la famille, les enfants, la communauté, le pays. Les soi-disant nationalismes et communisme ne sont que prolongements du moi. Seule l’étiquette varie, la qualité, elle, demeure-la même. Qu’on vole ou qu’on fasse voler autrui pour soi, où est la différence ?

Nous pouvons dire « rien ne m’appartient », car c’est un fait. Mais nous ajoutons « tout appartient à Dieu ». Nous pouvons vivre très confortablement en ce monde, tout en étant conscients que tout est propriété divine. Puisqu’Il nous offre la chance de vivre ici-bas, nous devons glorifier Dieu et Le satisfaire.

SYAMASUNDAR: Marx considère les capitalistes comme des parasites vivant aux crochets des ouvriers.

SRILA PRABHUPADA: Mais les communistes en font autant. Ils touchent des salaires élevés pendant que d’autres balayent les rues. Où est la différence ?

SYAMASUNDAR: Marx estime que le prix d’un produit doit égaler le labeur qu’il a requis.

SRILA PRABHUPADA: Nous voyons qu’en Inde, le prix du ghee a augmenté, mais on continue d’en acheter. Qu’il se vende deux ou deux cents roupies le kilo, qui doit en acheter le fera, peu importe le prix.

SYAMASUNDAR: Marx dirait qu’il ne faut réaliser aucun produit sur le ghee.

SRILA PRABHUPADA: Il ne fait que souligner certaines anomalies, auxquelles même les communistes ne peuvent mettre fin. Elles surgiront de diverses façons, car telle est la nature de l’existence matérielle. Celle-ci étant synonyme d’exploitation, ces anomalies ne peuvent être enrayées que par la conscience de Krishna. Vous pouvez stipuler que nul ne doit faire de profit, mais personne n’acceptera une telle théorie. La tendance à faire du profit existe, et on ne peut y mettre un terme. Le communiste, comme le capitaliste, est habité par un mental exploiteur.

Ce qu’on nomme mâyâ-tattva en bengali. Certains insectes ne vivent que pour sucer le sang d’autrui. L’hiver, ils se dessèchent, mais dès que revient l’été, ils recommencent leur manège. Dans l’Univers matériel, on est porté à exploiter les autres et à s’engraisser à leurs dépens. Qu’on soit communiste l’hiver ou capitaliste l’été, cette tendance demeure. Si l’occasion s’en présente, on s’engraisse aussitôt en suçant le sang d’autrui. À moins d’opérer une transfiguration des cœurs, nul ne peut empêcher cela.

SYAMASUNDAR: Marx estime que seuls les ouvriers ont droit à la plus-value d’un produit.

SRILA PRABHUPADA: Mais dès que l’ouvrier acquiert de l’argent, il devient propriétaire et profite de sa position pour devenir capitaliste. À quoi bon changer de dénomination ? C’est la mentalité qui doit changer.

SYAMASUNDAR: Le capital n’étant pas essentiel à la production, Marx exhorte les ouvriers à s’unir pour renverser violemment les capitalistes.

SRILA PRABHUPADA: Quand on est très pauvre, on favorise ses pairs qui travaillent dur. Mais dès qu’on acquiert de l’argent, on devient capitaliste, car chacun en ce monde matériel pense : « je serai seigneur et maître ». Au sein de l’existence matérielle, tous recherchent quelque gain, renom ou gloire. Comment mettre de force tout le monde sur un pied d’égalité ? C’est impossible.

SYAMASUNDAR: Les communistes ont misé sur ce mercantilisme. Si l’ouvrier produit davantage, l’État le glorifie et lui accorde une petite prime de rendement.

SRILA PRABHUPADA: Ce qui révèle sa tendance à jouir de la Création, dont il désire quelque profit, quelque pot-de-vin. Chacun aspire au profit, tendance que l’État ne peut détruire ni par loi ni par force.

SYAMASUNDAR: Les communistes s’efforcent de tout centraliser – l’argent, les communications et les moyens de transport – en remettant tout entre les mains de l’État.

SRILA PRABHUPADA: À quel avantage ? Dès que toutes les richesses seront centralisées, les membres du gouvernement central se les approprieront à l’instar de Staline et Khroutchtchev. Toutes ces notions s’avèrent inutiles tant que la tendance à exploiter n’est pas réformée. Les Russes ont façonné leur pays selon les théories de Marx; pourtant, tous leurs leaders se sont révélés des tricheurs. Que proposent-ils pour réformer cette prédisposition à tricher ? De toute façon, les leaders ne pourront jamais former les gens à penser que tout appartient à l’État. Cette idée n’est qu’une utopie absurde.

SYAMASUNDAR: Voici un autre slogan de Marx : « La nature humaine est sans réalité. » Il croit que cette nature change à travers l’Histoire selon les circonstances matérielles.

SRILA PRABHUPADA: Que connaît-il de la nature humaine ? Il est certes vrai que tout dans la Création cosmique – ou jagat – évolue. Votre corps change à chaque jour. Tout change comme les vagues de l’océan. Pas besoin d’une philosophie très élaborée pour comprendre cette vérité. La théorie de Marx change également; elle ne saurait perdurer. Cependant, la nature fondamentale, spirituelle, de l’être humain ne change jamais. Nous enseignons l’art d’agir en fonction de cette nature immuable, c.-à-d. servir Krishna. Si nous cherchons à Le servir maintenant, nous Le servirons aussi à Vaikunthas, le monde spirituel. Par conséquent, on qualifie d’éternel (nitya) le service d’amour offert à Krishna :

satatam kîrtayanto mâm
yatantas ca drdha-vratâh
namasyantas ca mâm bhaktyâ
nitya-yuktâ upâsate

« Chantant toujours Mes gloires, se prosternant devant Moi, grandement déterminés dans leur effort spirituel, ces âmes magnanimes M’adorent éternellement avec amour et dévotion. » (Bhagavad-Gîtâ 9:14)

Les communistes veulent remplacer Krishna par l’État, espérant que les gens penseront : « Rien pour moi, tout pour l’État. » Mais une telle proposition sera toujours refusée, car elle relève de l’impossible. Ces imposteurs ne peuvent que forcer les gens à travailler, comme fit Staline. Et dès que quelqu’un s’opposait à lui, Staline le faisait mettre à mort sur-le-champ. La même maladie sévit encore de nos jours. Comment leur programme serait-il couronné de succès ?

SYAMASUNDAR: Marx croit en outre que la nature humaine est fonction de l’environnement. Selon lui, envoyer un homme à l’usine et faire en sorte de s’identifier à l’État le transformerait en une personne désintéressée.

SRILA PRABHUPADA: L’envie : voilà la maladie fondamentale qui rend l’homme égoïste aussi longtemps qu’il en souffre. Travaillant d’arrache-pied, mais voyant les profits lui échapper, l’homme sent aussitôt son enthousiasme se relâcher. Un proverbe bengali dit : « Propriétaire, je peux changer le sable en or; mais dès que je ne le suis plus, l’or redevient sable. » Voilà où en sont les Russes. Moins riches que les Américains et les Européens, ils sont malheureux. Si on ne peut tirer profit de son travail, on se désintéresse éventuellement de son pays. L’homme moyen songe alors : « Que je travaille ou non, j’obtiens le même résultat : je ne peux nourrir ou vêtir adéquatement ma famille. » Pensant ainsi, il ne sera guère incité à travailler. Et l’homme de science réalisera que, malgré son poste élevé, sa femme et ses enfants sont vêtus comme de simples ouvriers.

SYAMASUNDAR: Marx croit que les travaux industriels et scientifiques constituent la plus haute forme d’activité.

SRILA PRABHUPADA: À moins de réaliser un profit substantiel, ni les industriels ni les scientifiques ne seront enclins à travailler pour l’État.

SYAMASUNDAR: Le but des Russes réside dans la production de biens matériels en vue d’accroître le bien-être humain.

SRILA PRABHUPADA: Par bien-être humain, Staline entend : « Si tu ne partages pas mon avis, je te tuerai. » Quiconque n’était pas d’accord avec lui fut exécuté ou incarcéré. On dit que la minorité doit souffrir pour la majorité, mais nous avons pu voir par nous-mêmes qu’aucune joie ou prospérité générale ne règne en Russie. À Moscou, par exemple, aucun des édifices majeurs n’était de construction récente, mais tous plutôt vieux et ravagés, ou mal rénovés. Et de longues files de gens attendaient à la porte des magasins. Voilà qui indique la nature chancelante de l’économie russe.

SYAMASUNDAR: Lénine renforça toutes les théories de Marx, auxquelles il ajouta quelques-unes de son cru. Voyant l’Histoire évoluer par bonds et progresser vers l’ère communiste, il désirait voir la Russie bondir vers la dictature du prolétariat, qu’il nommait l’étape finale de l’évolution historique.

SRILA PRABHUPADA: Nous pouvons dire sans risque de nous tromper – et ils peuvent en prendre bonne note – qu’à la Révolution bolchevique en succéderont d’autres. Car tant qu’on vivra sur le plan mental, il y aura des révolutions. Notre proposition : renoncer à toutes ces élucubrations mentales pour accéder au niveau spirituel où ne subsiste aucune révolution. Comme disait Dhruva Mahârâja : « Maintenant que je vois Dieu, j’en suis pleinement satisfait. Désormais, je n’ai plus besoin de théories. » La conscience divine représente la révolution ultime. Des révolutions répétées surviendront dans l’Univers matériel, tant qu’on évitera la conscience de Krishna. Les gens s’efforcent d’atteindre un objectif, sans savoir que Krishna incarne le but ultime. Ils essaient d’ajuster les choses à force de révolutions matérialistes, ignorant être des entités spirituelles qui, sans Dieu, ne peuvent connaître de bonheur. Fragments de l’Âme Suprême – Krishna –, nous l’avons quitté pour tomber du monde spirituel et ce, à cause de notre désir de jouir de la matière. À moins d’appréhender à nouveau notre position spirituelle et de regagner le Royaume de Dieu, nous ne serons jamais heureux, pas plus que le poisson hors de l’eau. Nous pouvons brûler plusieurs vies à élaborer diverses théories, les révolutions ne s’en succéderont pas moins sans fin. L’Histoire se répète. L’ordre ancien change, cédant sa place au nouveau.

SYAMASUNDAR: Marx croit que la Révolution communiste sera la dernière, car c’est la réponse parfaite à toutes les contradictions sociales.

SRILA PRABHUPADA:Tant que le communisme demeure matérialiste, il ne saurait constituer la dernière révolution. Il faut d’abord le spiritualiser. Les communistes croient que tout appartient à l’État, alors que Dieu en est le véritable possesseur. Lorsqu’ils parviendront à cette conclusion, leur communisme sera parfait. Notre Association Internationale pour la Conscience de Krishna pratique le parfait communisme spirituel, en faisant tout pour Krishna. Nous savons qu’Il est le bénéficiaire ultime des fruits de toute action. La philosophie communiste, telle qu’on l’applique aujourd’hui, est plutôt vague. Elle deviendra parfaite quand on acceptera cette conclusion de la Bhagavad-Gîtâ (5:29) :

bhoktâram yajña-tapasâm sarva-loka-mahesvaram
suhrdam sarva-bhûtânâm jñâtvâ mâm sântim rcchati

Krishna est le possesseur suprême, le bénéficiaire ultime et le meilleur ami de tous les êtres. On se méfie maintenant de l’État; mais quiconque reconnaît en Krishna un ami aura pleinement confiance en Lui, comme Arjuna sur le champ de bataille de Kurukshétra. La victoire incomparable des Pândavas démontre qu’Arjuna eût raison de placer sa confiance en Krishna.

yatra yogesvarah krsno
yatra pârtho dhanur-dharah
tatra srîr vijayo bhûtir
dhruvâ nîtir matir mama

« Où que Se trouve Krishna, le maître de tous les yogis, où que se trouve Arjuna, l’archer sublime, là règnent l’opulence, la victoire, la puissance formidable et la moralité. Telle est ma pensée. » Si on fait de Krishna le centre de la société, les gens seront en parfaite sécurité et leur prospérité sera totale. Le communisme est le bienvenu, à condition d’y remplacer l’État par Dieu. Ainsi se définit la spiritualité.