GEORGE BERKELEY
(1685-1753)

HAYAGRIVA: Berkeley semble argumenter contre la réalité objective. À titre d’exemple, trois hommes debout dans un champ à regarder un arbre pourraient en avoir différentes impressions ou idées. Le problème, c’est que malgré ces trois impressions, l’arbre en tant que tel n’existe pas. Maintenant, comment existe-t-il comme tel ? Dans l’esprit de Dieu ? Est-ce possible pour l’âme conditionnée de percevoir l’essence ou l’être de quoi que ce soit ?

SRILA PRABHUPADA: Puisque tout est Dieu, ou une émanation de Son énergie, comment l’arbre ou tout autre objet existerait-il indépendamment de Dieu ? Un pot d’argile n’est pas différent de la terre. Puisque tout est l’énergie de Dieu, comment pourrions-nous L’écarter ? Puisque rien ne saurait avoir d’existence indépendante de Lui, tout ce que nous voyons doit nous renvoyer au Seigneur. Dès qu’on aperçoit un pot d’argile, on se souvient du potier. Dieu est non seulement le Créateur originel; Il est également l’ingrédient, la catégorie et la substance originelle. Selon l’entendement védique, Dieu est tout. Il s’agit là d’un concept non duel. En séparant quoi que ce soit de Dieu, on ne pourrait plus affirmer : sarvam khalv idam brahma – « Tout est Brahman. » (Chândogya Upanishad 3.14.1) Tout nous renvoie à Dieu et tout Lui appartient; tout ce qui existe doit donc être employé dans Son service. Tel est le but de notre Mouvement pour la Conscience de Krishna.

SYAMASUNDAR: Berkeley soutient que rien n’existe hors de la perception. La matière n’est que perception. À titre d’exemple, cette table n’est qu’une substance immatérielle qui pénètre mon esprit. Elle n’est pas faite de matière.

SRILA PRABHUPADA: Qu’est-ce que ton esprit alors ? Serait-il aussi immatériel ? Telle est la position des Shoûnyavâdîs, qui croient que tout est zéro.

SYAMASUNDAR: Berkeley dit que tout est spirituel, et non que tout est zéro.

SRILA PRABHUPADA: Le spirituel est réalité et non qu’une idée. Les Shoûnyavâdîs ne peuvent comprendre que le spirituel revêt une forme. Ils n’ont aucune conception de la forme spirituelle, toute de félicité (sach-chid-ânanda-vigraha). En fait, ils n’ont aucune notion de l’existence spirituelle.

SYAMASUNDAR: Berkeley dit que tout possède une forme, mais que celle-ci n’est pas faite de matière.

SRILA PRABHUPADA: Voilà qui est bien dit. Tout a une forme, mais celle-ci n’est pas nécessairement matérielle. Nous affirmons que Dieu possède une forme spirituelle.

SYAMASUNDAR: Mais Berkeley va jusqu’à dire que tout est de nature spirituelle.

SRILA PRABHUPADA: En effet, selon un entendement supérieur, tout est spirituel. Nous enseignons toujours que le matérialisme est synonyme d’oubli de Krishna. Dès que nous relions tout à Krishna, rien n’est plus matériel, tout devient spirituel.

SYAMASUNDAR: Berkeley cite l’exemple d’un livre posé sur la table. La seule façon dont le livre existe, c’est à travers l’idée ou l’impression sensible imprimée sur le mental. Il ne pénètre pas le mental sous une forme matérielle, mais bien spirituelle ou immatérielle.

SRILA PRABHUPADA: Immatériel, il est donc de nature spirituelle. Mais si tout est spirituel, pourquoi établir une différence entre le livre et l’idée du livre ?

SYAMASUNDAR: Berkeley ne voit aucune différence.

SRILA PRABHUPADA: Mais il explique que le livre n’est pas matériel. Si tout est spirituel, l’idée l’est tout autant que le livre. Pourquoi établir une distinction ? Sarvam khalv idam brahma (C.U. 3.14.1). Si tout est Brahman, pourquoi faire une distinction entre le livre et l’idée du livre ? Pourquoi se donne-t-il tant de mal pour donner une explication ?

SYAMASUNDAR: Berkeley dit également que Dieu a créé tous les objets.

SRILA PRABHUPADA: C’est exact. Aucun objet n’est faux par conséquent. On ne saurait dire qu’une fausseté émane d’une vérité. Si Dieu est vérité, alors tout ce qui émane de Lui est également vérité. C’est la philosophie mâyâvâdî qui voudrait que tout ce que nous voyons soit faux : brahma satyam jagan mithyâ.

SYAMASUNDAR: Berkeley affirme que c’est réel parce que Dieu le perçoit.

SRILA PRABHUPADA: Si c’est réel, et que mon idée l’est aussi, tout alors est réalité. Pourquoi établir quelque distinction ? Notre philosophie abolit ces distinctions. Émanant de Dieu, le monde peut-il être faux ? Si tout est spirituel, pourquoi établit-il une distinction en disant que ce n’est pas de la matière, mais autre chose ? Dès qu’on introduit la notion de matière, nous sous-entendons que celle-ci représente une entité distincte. En d’autres mots, il y a dualité. Dès que vous dites que ce n’est pas de la matière, vous faites de la matière une fausse entité. Si tout émane de Dieu et s’avère donc vrai, il ne saurait être question de quelque fausse entité. Si tout est de nature spirituelle, de telles distinctions s’estompent. Quand Berkeley dit : « Ce n’est pas de la matière », il sous-entend l’existence de la matière quelque part. Si tout est spirituel, pas question alors d’existence matérielle.

SYAMASUNDAR: Berkeley affirme qu’il existe deux classes d’objets : ceux que nous sentons, percevons et expérimentons activement, et ceux qui sont sentis, perçus et expérimentés passivement. Les deux sont fondamentalement identiques car également spirituels.

SRILA PRABHUPADA: Ces deux classes traduisent la dualité. Comment distingue-t-il la première de la deuxième ? Il établit une distinction entre les sens et les objets des sens. Si tout est spirituel, nous pouvons dire alors que la variété spirituelle existe. Mais les sens et leurs objets sont tous réalité.

SYAMASUNDAR: Non, il dit qu’ils sont réels et spirituels. Ils ne sont pas réels dans ce sens qu’ils seraient faits de matière.

SRILA PRABHUPADA: Je ne saisis pas sa logique. Si tout est spirituel, pourquoi fait-il de telles distinctions ? Cela n’est pas nécessaire quand on a réalisé son identité spirituelle. On pourrait plutôt dire qu’il s’agit de variétés spirituelles. À titre d’exemple, on pourra dire que la pierre n’est pas de l’eau, que l’air n’est pas de la pierre, que l’eau n’est pas de l’air et ainsi de suite. Ce sont là toutes des variétés spirituelles. Le terme sanskrit exact ici serait savishesha, ce qui indique que tout est spirituel mais la variété n’en existe pas moins.

SYAMASUNDAR: Berkeley affirme que si personne – même pas Dieu – n’expérimente une chose, celle-ci ne saurait exister. Les choses ne peuvent exister seulement lorsqu’elles sont perçues par Dieu.

SRILA PRABHUPADA: Ce qui signifie en un mot qu’il n’y a d’autre existence que Dieu, que rien n’existe sauf Dieu.

SYAMASUNDAR: Berkeley cite l’exemple de la face éloignée de l’étoile Polaire, que nous ne pourrons jamais percevoir de notre point de vue. Toutefois, comme Dieu peut la percevoir, elle doit exister.

SRILA PRABHUPADA: Voilà qui est bien dit. L’idée qu’une chose n’existe pas parce que je ne peux la percevoir n’est pas très logique. Tant de choses peuvent échapper à ma perception, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles n’existent pas. Au début, j’ai cru comprendre que tu disais que c’était ce qu’affirmait Berkeley. Une telle logique s’avère contradictoire. La perception de Dieu diffère de la nôtre. Nous sommes limités quand Lui est sans limites. Et Sa perception l’est tout autant. De sorte que des variétés illimitées d’existence n’ont pas encore été perçues de nous. Nous ne pouvons affirmer que des objets n’existent pas uniquement parce que nous sommes incapables de les percevoir.

SYAMASUNDAR: Berkeley dit que les objets existent à cause de la perception, que ce soit la nôtre ou celle de Dieu.

SRILA PRABHUPADA: La perception de Dieu est tout autre. Le terme chétana sert à traduire la perception. Nityo nityânâm cetanas cetanânâm (Katha Upanishad 2.2.13) Chétana signifie « vivant ». Nous vivons et Dieu de même, mais Il est l’Être vivant suprême. Nous sommes des entités subordonnées. Notre perception est limitée quand celle de Dieu s’avère sans limites. Nous admettons que tout existe de par la perception du Seigneur. Car plusieurs objets existent au-delà de notre expérience ou perception. Mais Dieu connaît tout. Dans la Bhagavad-Gîtâ (7:26), Krishna dit qu’Il connaît tout : le passé, le présent et le futur. Rien n’est au-delà de Son expérience.

SYAMASUNDAR: Berkeley dit que Dieu connaissant tous les objets, ceux-ci peuvent alors être perçus par le mental humain.

SRILA PRABHUPADA: Je suis d’accord, car en progressant dans la conscience de Krishna, on perçoit les objets à travers Dieu, et non directement. C’est ce que déclarent les Védas : yasmin vijñate sarvam eva vijñatam bhavanti. Dieu connaît tout par expérience; si nous acquérons notre expérience auprès de Lui, nous sommes évolués. Nous prêchons que les gens doivent acquérir expérience et perception à travers Krishna. Évitons de spéculer puisque la spéculation demeure toujours imparfaite. Nous recherchons la source première de tout, et Krishna dit : aham sarvasya prabhavah (Gîtâ 10:8). Krishna incarne l’origine de toutes les émanations, de toute la Création. Il faut donc en conclure que nous devons acquérir notre expérience grâce à Dieu; voilà pourquoi nous acceptons l’expérience des Védas. Ceux-ci furent énoncés par Dieu et contiennent un savoir donné par Lui. Le mot véda signifie « savoir », et le savoir védique s’avère parfait. On qualifie la tradition védique de srouti-pramânam. Dès qu’une expérience est corroborée ou vérifiée par les assertions védiques, elle devient parfaite. Pas besoin de philosopher. Pourquoi spéculer quand on peut puiser directement un savoir parfait dans les Védas ? Pourquoi se donner inutilement tant de mal ?

dharmah svanusthitah pumsâm visvaksena-kathâsu yah
notpâdayed yadi ratim srama eva hi kevalam

« Les occupations, les devoirs [dharma], de l’homme, accomplis par chacun selon sa position, sont autant d’efforts inutiles s’ils ne suscitent en lui un attrait pour le message du Seigneur Suprême. » (Bhâgavatam 1.2.8) Mes spéculations demeuremt toujours imparfaites, car je suis imparfait.

SYAMASUNDAR: Une tendance inhérente à l’homme le pousse à vouloir connaître les choses de première main plutôt qu’à travers autrui.

SRILA PRABHUPADA: Dès notre tendre enfance, nous connaissons les choses à travers quelque autorité. L’enfant acquiert son expérience en questionnant ses parents. Ignorant tout du feu, il désire y toucher à cause de sa rougeur. Mais ses parents l’informent qu’il ne faut pas y toucher. Ainsi, l’enfant en vient-il à comprendre certaines lois fondamentales de la Nature. Or, les Védas nous disent qu’il faut approcher un gourou pour apprendre la science transcendantale de Krishna. Nous ne pouvons pas spéculer sur Dieu, le monde spirituel ou la spiritualité.

SYAMASUNDAR: Berkeley affirme que le monde est réel parce que s’il ne l’était pas, nous ne pourrions en faire l’expérience.

SRILA PRABHUPADA: Telle est aussi notre opinion. Le monde est réel, car Dieu l’a créé. Mais les Mâyâvâdîs prétendent que l’Univers est irréel : brahma satyam jagan mithyâ.

SYAMASUNDAR: Berkeley déclare que la seule façon de savoir que la table existe serait grâce à nos sens. Mais de telles impressions sensibles sont subtiles et non matérielles.

SRILA PRABHUPADA: Au lieu de dire qu’elles ne sont pas matérielles, il devrait préciser qu’elles sont abstraites. L’abstrait représente la position originelle. Les Shoûnyavâdîs ne peuvent pas comprendre l’abstrait; aussi le qualifient-ils de zéro, de néant. Mais l’abstrait n’est pas rien.

SYAMASUNDAR: Berkeley dit que si la table était formée de matière, nous ne pourrions pas en faire l’expérience, car les seuls objets que nous puissions percevoir doivent être des substances sensibles.

SRILA PRABHUPADA: Krishna n’est pas différent de tout, car tout est Krishna. Voyant la Déité, les sots disent : « Ce n’est pas Krishna, mais bien de la pierre. » Comme le sot ne peut que voir la pierre, Dieu lui apparaît dans cet élément. Les athées infortunés font de telles distinctions. Ils disent : « Tout est Brahman, mais pas cette Déité sculptée dans la pierre. » Ou encore : « Pourquoi aller au temple pour l’adoration quand Dieu est partout ? » Ce qu’ils veulent dire en réalité, c’est que Dieu est partout mais non dans le temple. Ce qui signifie qu’ils n’ont pas d’idée précise. Nous voyons que tout a une forme. Faut-il assumer que nous possédons une forme, mais que Dieu en est dépourvu ? Les impersonnalistes n’ont aucune conception de la forme originelle de Krishna. Krishna a l’obligeance et la grâce d’apparaître devant nous afin que nous puissions Le percevoir. En dernière analyse, il n’y a pas de distinction entre la matière et l’esprit. Mais comme dans l’immédiat, je ne peux concevoir la forme spirituelle, Dieu apparaît dans la forme de la Déité. Krishna dit :

kleso ’dhikataras tesâm avyaktâsakta-cetasâm
avyaktâ hi gatir duhkham dehavadbhir avâpyate

« Pour ceux dont le mental s’attache au non-manifesté, à l’aspect impersonnel de l’Absolu, il est fort pénible de progresser, car cette voie s’avère toujours ardue pour l’être incarné. » (Gîtâ 12:5) Les gens se donnent inutilement beaucoup de mal pour méditer sur une entité impersonnelle. N’ayant aucune notion de Dieu, ils disent superficiellement : « Tout est Dieu. » Pourtant, ils ne peuvent pas voir Dieu dans Sa forme d’archa-vigraha dans le temple. Ils ne peuvent comprendre pourquoi tous les âchâryas comme Râmânoujâchârya et Madhvâchârya ont établi des temples. Ces âchâryas étaient-ils simples d’esprit  ? L’adoration de la Déité existe depuis des temps immémoriaux. Tous ceux qui y ont pris part étaient-ils des sots ?

SYAMASUNDAR: Berkeley dit que l’esprit est la seule substance véritable, qu’aucune substance n’existe sans la pensée. En d’autres mots, même des objets dont la table requièrent qu’on y pense. La table est faite de substance spirituelle, ce qui est synonyme de pensée et de réflexion.

SRILA PRABHUPADA: Voilà qui est bien dit. Sa conclusion veut que tout soit Brahman, car la pensée est également Brahman. À l’heure actuelle, nous sommes incapables de percevoir le spirituel; aussi Dieu, dans Son infinie bonté, Se présente à nous sous une forme réduite, concrète autant que tangible, que nous pouvons habiller, nourrir et manipuler. On ne saurait dire que cette forme soit différente de Dieu.

arcye visnau silâdhîr gurusu nara-matir vaisnave jâti-buddhih

« Quiconque considère l’archa-moûrti ou la vénérable Déité du Seigneur Vishnou comme faite de pierre, le maître spirituel comme un être humain ordinaire et le Vaishnava comme appartenant à une caste ou foi particulière, possède une intelligence dite diabolique et court à sa perte. » (Padma Purâna) Quelle horreur que de penser à ces variétés spirituelles de façon aussi matérialiste ! Nous devons toujours offrir nos respects tout en pensant que Krishna est présent. Évitons de penser que la Déité n’est que de la pierre et ne peut ainsi ni voir ni entendre. Le Nectar de la Dévotion (Bhakti-rasâmrita-sindhou) cite soixante-quatre items qui nous guident dans l’adoration de la Déité.

HAYAGRIVA: Dans son dernier dialogue, Berkeley écrit : « La perception d’une Divinité lointaine dispose naturellement les humains à négliger leurs œuvres morales, dont ils seraient plus circonspects s’ils La croyaient immédiatement présente et agissant sur leur mental sans interposition de matière, ou de causes secondaires involontaires. »

SRILA PRABHUPADA: Les shâstras védiques enseignent que Dieu est partout : Il n’est pas loin. Les prières de la reine Kountî précisent que le Seigneur est aussi loin que proche. La proximité de Dieu se manifeste dans Son aspect de Paramâtmâ, vivant dans le cœur de chacun : îsvarah sarva-bhûtânâm hrd-dese ’rjuna tisthati (Gîtâ 18:61) Présent dans le cœur, comment serait-Il lointain ? Dans un même temps, Il réside en Son aspect personnel à Goloka Vrindâvan, bien au-delà de cet Univers matériel. Telle est l’omniprésence de Dieu : quoique très loin, Il n’en demeure pas moins très proche. Le soleil peut se trouver très loin dans le ciel, mais sa lumière éclaire néanmoins notre chambre. Dans un même ordre d’idées, Dieu est à la fois loin et présent dans notre cœur. L’âme apte à voir Dieu Le contemple de ces deux manières. Goloka eva nivasaty akhilâtma bhûtah (Brahma-samhitâ 5:37) Même s’Il vit dans Sa propre demeure, Se divertissant éternellement avec Son entourage, Il demeure présent en tous lieux. Voilà ce qu’on entend par « Dieu ».

HAYAGRIVA: De quelle manière Dieu Se soucie-t-Il des actions morales ou immorales de l’humanité ? Serait-Il indifférent dans ce contexte ou a-t-Il simplement mis en branle les lois de la Nature, permettant aux humains de suivre leur propre ligne de conduite et de récolter les fruits de leur karma personnel ?

SRILA PRABHUPADA: Ayant désobéi à Dieu, nous sommes précipités dans ce monde de matière et placés sous la surveillance de la Nature matérielle pour qu’elle nous corrige. Tant que nous serons dans l’Univers matériel, la distinction entre moralité et immoralité subsistera. En réalité, ces deux mots sont sans signification, mais les habitants du monde matériel nourrissent de telles conceptions qu’on ne retrouve pas cependant dans le monde spirituel. À titre d’exemple, les gopîs se rendirent auprès de Krishna au cœur de la nuit, une activité normalement jugée immorale. Mais parce qu’elles allaient voir Krishna, leur rendez-vous n’était pas immoral. Dans un sens, dans le monde spirituel, tout est moral. Dans l’Univers matériel, il y a dualité afin que la Création matérielle opère comme il se doit.

SYAMASUNDAR: Berkeley invoque deux arguments en faveur de l’existence de Dieu : primo, les choses qu’on perçoit dans l’état d’éveil sont plus vives que celles qu’on imagine ou voit en songe, et ce parce que l’esprit de Dieu les active.

SRILA PRABHUPADA: Nous admettons cet argument. Dieu est le mental suprême et, parce qu’Il voit, nous voyons également. Parce qu’Il marche, nous en faisons autant. Ce que reconnaît aussi la Brahma-samhitâ (5:40) : yasya prabhâ prabhavato jagadanda-koti : de par la radiance corporelle de Krishna, des myriades d’univers furent créés. Au sein de ceux-ci que de variétés, que de planètes peuplées de légions d’êtres vivants. Toute cette variété existe parce qu’elle émane de Krishna.

SYAMASUNDAR: Secundo, les choses que nous percevons ne comblent pas nos désirs comme le fait notre imagination, mais y résistent puisqu’elles obéissent à la volonté divine. Étant arbitraire, cette volonté ne peut être prédite.

SRILA PRABHUPADA: Il vaut donc mieux toujours obéir aux directives du Seigneur. En faisant ce qu’Il nous dit, nous sommes parfaits. Quoi qu’il en soit, toutes ces spéculations sont superflues. La preuve fondamentale de l’existence de Dieu, c’est Dieu. Krishna dit : « Je suis Dieu. » Nârada, Vyâsadeva et Arjuna sont d’accord : « Oui, Tu es le Seigneur. » En acceptant que Krishna est Dieu, nous nous épargnons tant de labeur. Pourquoi spéculer ? Dans l’océan Causal, quand Mahâ-Vishnou inspire et expire, de multiples univers sont manifestés puis détruits par Son souffle. Lorsqu’Il expire, tous les univers sont créés; lorsqu’Il inspire, ils sont résorbés en Lui. L’entière Création incarne un rêve de Dieu, qu’on nomme Mahâ-Vishnou.

SYAMASUNDAR: Berkeley soutient que nos rêves sont imparfaits; mais en ouvrant les yeux, nous voyons que tout est parfait. Il doit donc exister une personne parfaite, dont les rêves seraient parfaits.

SRILA PRABHUPADA: Mais quand on ouvre les yeux sur cette perfection, c’est aussi un rêve. Or, le rêve de l’être parfait s’avère lui-même parfait. C’est absolu. À moins d’accepter l’Absolu, comment pourrait-on dire que Son rêve serait parfait ? Le rêve de l’Absolu se révèle également parfait.

SYAMASUNDAR: Berkeley soutient aussi une doctrine d’arbitraire divin. La volonté de Dieu étant arbitraire, on ne saurait prédire ce qui adviendra.

SRILA PRABHUPADA: Exactement. Aussi le Vaishnava dit-il : « Si Krishna le veut, je ferai ceci. » Il ne dira jamais : « Je ferai ceci. » Si Krishna le désire, un projet se réalisera. Le Vaishnava se considère toujours impuissant sans Dieu. Nous demeurons toujours, quant à nous, incapables.

SYAMASUNDAR: Berkeley affirme que l’expérience que nous aurons accumulée discernera l’activité ou volonté constante de Dieu, et qu’en faisant l’expérience de la Nature, nous pourrons comprendre que la volonté divine est constante. En d’autres mots, nous pouvons comprendre les habitudes de Dieu en observant les lois de la Nature.

SRILA PRABHUPADA: En effet. Krishna dit dans la Bhagavad-Gîtâ (9:10) que la Nature opère sous Sa direction. La Nature n’est pas aveugle mais parfaite, car elle agit sous la direction de Dieu.

SYAMASUNDAR: Berkeley déclare également qu’il n’y a pas de relation de cause à effet nécessaire, mais plutôt que les choses se succèdent de façon séquentielle dans le temps.

SRILA PRABHUPADA: En l’absence d’une cause, pourquoi dire que cause et effet se succèdent de façon séquentielle ? Voilà des propos contradictoires. Krishna incarne la cause suprême, la cause première de toutes les causes. Dans ce sens, on ne saurait dire qu’il n’existe pas de cause. La cause ultime est le Suprême, et aux yeux de Krishna, il n’existe aucune différence entre cause et effet. Étant la cause suprême, Il agit sur tout. Dans l’absolu, il n’existe aucune différence entre cause et effet.

SYAMASUNDAR: À titre d’exemple, Berkeley dirait qu’une pierre ne fera pas forcément une grande gerbe en tombant dans l’eau, mais qu’il s’ensuit normalement de façon séquentielle qu’elle le fasse.

SRILA PRABHUPADA: Mais nous disons que si Dieu ne veut pas que cela arrive, il n’en sera rien. Tout dépend de la volonté suprême. Il n’est ni nécessaire ni obligatoire que la pierre fasse une grande gerbe d’eau. Si Dieu le veut, elle flottera tout simplement. Nous admettons que la volonté divine agit sur tout. Le mieux à faire pour nous serait de dépendre entièrement de Sa volonté.