GOTTFRIED WILHELM LEIBNIZ
(1646-1716)
SYAMASUNDAR: Leibniz, philosophe et mathématicien allemand, soutient qu’en l’Univers, tout acte vise un but; celui de l’Univers consisterait à réaliser le but exposé par Dieu.
PRABHUPADA: En réalité, le but est d’atteindre Dieu. Mais l’ignorant n’en sait rien. Au contrarie, il aspire à ce qui ne sera jamais. Telle est la version du Srimad-Bhâgavatam (7.5.31) :
na te viduh svârtha-gatim hi visnum durâsayâ ye bahir-artha-mâninah
andhâ yathândhair upanîyamânâs te ’pîsa-tantryâm uru-dâmni baddhah
« Les êtres hantés par le désir de jouir de l’existence matérielle, et ayant dès lors accepté pour maître ou pour gourou un autre aveugle également attaché aux objets des sens, ne peuvent comprendre que le but de la vie consiste à retourner dans leur demeure originelle pour y servir Dieu, Vishnou. De même que des aveugles guidés par un autre aveugle s’écartent du chemin et tombent dans un ravin, les hommes attachés à la vie matérielle qui se laissent guider par d’autres hommes eux aussi d’esprit matérialiste, se voient liés par les cordes très robustes de l’action intéressée et poursuivent sans fin leur existence matérielle, assujettis aux trois formes de souffrances. » À travers l’Histoire, on a cherché à modifier les circonstances en manipulant l’énergie externe, matérielle, mais sans savoir qu’on était pieds et poings liés par les lois de la Nature matérielle, lois que nul ne peut violer. Comme l’explique Caitanya Mahâprabhu :
krsna bhuli’ sei jîva anâdi-bahirmukha
ataeva mâyâ târe deya samsâra-duhkha
« Plongé dans l’oubli de Krishna, l’être vivant s’est laissé séduire par Son énergie externe depuis des temps immémoriaux. Voilà pourquoi l’énergie d’illusion lui fait subir toutes sortes de souffrances en ce monde matériel. » (Caitanya-caritâmrta, Madhya 20:117) Mâyâ, l’énergie d’illusion, tient l’être vivant en laisse comme on le ferait pour un chien. Mais ce dernier pense : « Je suis si libre et heureux sous le contrôle de mon maître. » On lit également dans la Bhagavad-Gîtâ (3:27) :
prakrteh kriyamânâni gunaih karmâni sarvashah
akankâra-vimûdhâtmâ kartâham iti manyate
« L’âme égarée par le faux ego croit être l’auteur d’actes qui sont en réalité accomplis par les trois modes d’influence de la Nature matérielle. » Prakriti, la Nature matérielle, domine l’être vivant à l’aide de ses différents modes d’influence; mais par ignorance, l’être pense : « J’invente, j’agis, je progresse. » Voilà ce qu’on appelle mâyâ, l’illusion. Personne ne peut progresser ou s’améliorer sans la conscience de Krishna. Les êtres distincts sont venus en l’Univers matériel parce qu’ils voulaient imiter Krishna. La possibilité de jouissance apparente leur fut donc accordée. Dans un même temps, Krishna est si bon qu’Il leur donne les Védas, les bonnes directives, en leur disant : « D’accord, si tu veux jouir de la vie, fais-le d’une telle manière qu’un jour, tu puisses revenir auprès de Moi. » Si l’enfant insiste à agir de travers, le père prendra bien soin de lui donner ce qu’il veut, tout en le guidant comme il se doit.
L’action est d’une double variété : 1) pravritti, par laquelle nous nous attachons grandement à l’Univers matériel; 2) nivritti, grâce à laquelle on acquiert le détachement. Toutes deux sont citées dans les Védas. Mais il existe un plan d’ensemble. Comme l’être a oublié Krishna ou Lui a désobéi pour chercher à jouir de la vie en L’imitant, il fut placé dans l’Univers matériel. Sous la tutelle de Dourgâ, régente de ce monde de matière, l’être peut regagner sa demeure première auprès de Dieu. Voilà le plan d’ensemble auquel il n’existe pas vraiment d’alternative. Chacun d’entre nous doit réintégrer le royaume de Dieu, notre demeure première. En s’y mettant volontiers et sans délai, on gagne du temps; autrement, on en perd. D’où ce passage de la Bhagavad-Gîtâ (7:19) : bahûnâm janmanâm ante; après plusieurs vies d’efforts, le sage s’abandonne à Krishna. Il s’agit en dernière analyse de s’abandonner à Lui; mâyâ tourmentera l’être de diverses façons afin qu’il en arrive à cette conclusion. Quand l’être devient frustré dans ses efforts pour satisfaire ses sens, comprenons qu’une grâce spéciale lui est accordée. L’être veut toujours s’attarder, mais Krishna lui temoigne une faveur particulière en l’attirant à Lui de force. C’est ce qu’explique le Caitanya-caritâmrta. L’âme désire Krishna, ou Dieu, mais dans un même temps, elle aspire à jouir de l’Univers matériel. Ce qui s’avère contradictoire, car désirer Dieu revient à rejeter le monde matériel. L’être se retrouvant parfois coincé entre ces deux désirs, Krishna le place alors dans une condition désespérée. Privé de tout argent, l’être constate que tous ses soi-disant proches et amis le délaissent en disant : « Cet homme est inutile, car il n’a pas un sou. » Dans son désespoir, le voilà qui s’abandonne à Krishna.
Tous les êtres cherchent le bonheur en l’Univers matériel, mais le dessein de la Nature est de le harceler. En d’autres mots, toute quête de bonheur sera frustrée afin que l’être se tourne avec le temps vers Krishna. Tel est le plan d’ensemble : ramener l’âme auprès de Dieu, en sa demeure première. Ceci ne s’applique pas qu’à quelques-uns. N’allons pas penser que certains resteront en ce monde tandis que d’autres rejoindront le Seigneur. Non. Le plan d’ensemble veut que tous regagnent le royaume de Dieu. Mais certaines âmes sont aussi obstinées que des mauvais garçons. Quand leur père dit : « Venez », eux répondent : « Pas question ». Le père se doit alors de les ramener de force. En guise de conclusion à la Bhagavad-Gîtâ (18:64), Krishna dit :
sarva-guhyatamam bhûyah srnu me paramam vacah
isto ’si me drdham iti tato vaksyâmi te hitam
« Parce que tu es Mon ami très cher, Je vais te révéler Ma suprême instruction, la plus confidentielle. Écoute Mes paroles, car Je les dis pour ton bien. » Puis, Il ajoute : « Abandonne-toi à Moi, et Je te protégerai de tout péril. » (Gîtâ 18:66) Dans la Bhagavad-Gîtâ, Krishna enseigne à Arjuna le karma-yoga, le jñâna-yoga et d’autres yogas, mais l’abandon à Sa Personne représente Son ultime enseignement.
SYAMASUNDAR: Leibniz reconnaît que les mécanismes de la Nature servent à accomplir les desseins du Seigneur.
PRABHUPADA: Exactement ! Toutes les lois naturelles opèrent sous la direction de Krishna.
mayâdhyaksena prakrtih sûyate sa-carâcaram
hetunânena kaunteya jagad viparivartate
« La Nature matérielle agit sous Ma direction, ô fils de Kuntî, engendrant tous les êtres, mobiles et immobiles. Régi par ses lois, le cosmos est créé puis anéanti dans un cycle sans fin. » (Gîtâ 9:10) La déesse Dourgâ, personnification de la Nature matérielle, supervise cette véritable forteresse dont nul ne saurait s’échapper. Servante digne de foi de Krishna, Dourgâ doit s’acquitter de la tâche très ingrate consistant à châtier les diaboliques qui pensent : « J’adorerai mère Durgâ. » Mais ces derniers ignorent qu’elle doit infliger des châtiments.
Elle n’est pas une mère ordinaire, car elle accorde aux êtres démoniaques tout ce qu’ils désirent : « Donnez-moi de l’argent, une bonne épouse, une belle réputation et de la puissance. » Et la déesse de répondre : « D’accord, mais elles t’apporteront également la frustration. » D’une part, l’être reçoit ce qu’il désire; d’autre part, il s’attire frustration et châtiment. Ainsi le veut la loi de la Nature, laquelle agit sous la direction de Krishna. Les êtres qui peuplent l’Univers matériel se sont révoltés contre Krishna. Ayant voulu L’imiter en Sa qualité de jouissant, Krishna leur donne toutes les ressources favorisant la jouissance matérielle, tout en les punissant.
Telle est la puissance de la déesse Dourgâ qu’elle peut créer, maintenir et dissoudre; mais elle opère telle une ombre qui ne se déplace pas d’elle-même. Le mouvement vient plutôt de Krishna. L’insensé croit que la Nature matérielle n’existe que pour son plaisir. Ainsi pense le matérialiste. Voyant une fleur, il se dit : « La Nature a créé cette fleur pour moi. Tout n’est que pour moi seul. » La Bible dit que les animaux sont sous la domination, ou la protection, des humains. Or, ces derniers pensent à tort : « Ils nous furent donnés pour qu’on les tue et qu’on les mange. » Si je te confie à quelqu’un, conviendrait-il qu’il te dévore ? Serait-ce une preuve d’intelligence ? Tout cela résulte d’une absence de conscience de Krishna.
SYAMASUNDAR: Leibniz croit que la vérité pourrait être représentée par une science de symboles, aussi exacte que mathématique, qui formerait un langage universel, un calcul linguistique. Il croit en un monde rationnel et un monde empirique, qui s’opposent mutuellement. Il estime que chacun d’eux possède sa propre vérité, qui s’applique à lui, et que chacun doit être compris selon sa propre logique. Ainsi pour Leibniz, il existerait deux variétés de vérité. L’une serait la vérité rationnelle, c.-à-d. a priori. C’est un savoir inné que nous possédons avant et indépendamment de notre vécu en ce monde. L’autre serait a posteriori, c.-à-d. un savoir issu de l’expérience. Il s’agirait d’un savoir fortuit en ce sens qu’il n’est pas nécessaire.
PRABHUPADA: La vérité, c’est que Dieu a un plan d’ensemble qu’il importe d’apprendre auprès de qui le connaît. C’est ce qu’explique le Chaitanya-charitâmrita (Madhya-Lila 22:107) :
nitya-siddha krsna-prema ’sâdhya’ kabhu naya
sravanâdi-suddha-citte karaye udaya
« Le pur amour pour Krishna réside éternellement dans le cœur des êtres vivants et n’a besoin d’être puisé à aucune autre source extérieure. Lorsque le cœur se purifie par l’écoute et le chant, l’être s’éveille tout naturellement. » La vérité existe, mais nous l’avons oubliée. Grâce au chant et à l’écoute, nous pouvons raviver cette vérité, à savoir que nous sommes les serviteurs éternels de Krishna. L’être vivant est bon par nature, car il fait partie intégrante de l’Infiniment Bon; mais le contact de la matière l’a conditionné. Il s’agit maintenant de faire ressortir cette bonté grâce à la conscience de Krishna.
SYAMASUNDAR: Comme vérité innée ou a priori, Leibniz cite l’exemple d’un triangle : les trois angles d’un triangle doivent toujours égaler deux angles droits. Voilà une vérité rationnelle qui est nécessairement permanente. Fortuite et issue de l’expérience, l’autre forme de vérité ne serait pas nécessaire. À titre d’exemple, nous voyons que la neige est blanche, mais elle pourrait bien être rouge.
PRABHUPADA: Que les trois angles d’un triangle doivent toujours égaler deux angles droits est une vérité également issue de l’expérience.
SYAMASUNDAR: Mais elle existe indépendamment.
PRABHUPADA: Comment ça ? Tous ne savent pas ce qui forme un triangle. Seule l’étude de la géométrie confère cette compréhension. On ne pourrait questionner à ce sujet un enfant ou un adulte qui ne connaît pas la géométrie.
SYAMASUNDAR: Qu’ils la connaissent ou non, cette vérité existe.
PRABHUPADA: Mais la vérité existe par définition même. Il ne s’agit pas ici de cette vérité ou de celle-là. La vérité existe, que vous la connaissiez ou non. Pourquoi alors cite-t-il cet exemple ?
SYAMASUNDAR: Parce qu’il existe une autre forme de vérité qui veut que la neige soit blanche, mais cette vérité n’est pas absolue puisque la neige pourrait être rouge en théorie. Mais le triangle doit toujours posséder certaines propriétés innées. C’est une vérité nécessaire.
PRABHUPADA: On peut en dire autant de tout calcul mathématique. Pourquoi citer cet exemple ? Deux plus deux font quatre. Ce qui est toujours vrai selon les principes mathématiques.
SYAMASUNDAR: Leibniz cherche à démontrer que certaines vérités ne peuvent être réfutées, qu’elles existent indépendamment de notre savoir et s’avèrent fondamentales. D’autres vérités – que la neige est blanche par exemple – peuvent être vraies ou non, car nos sens nous induisent en erreur.
PRABHUPADA: Mais cela n’est dû qu’à nos sens imparfaits. C’est un fait que la neige est blanche. Pourquoi donc serait-elle rouge ? De toute façon, nous n’avons jamais vu de neige rouge. La neige est blanche par nature. Elle peut emprunter une autre couleur au contact d’autres substances, mais sa vraie couleur est blanche. Que les trois angles d’un triangle doivent toujours égaler deux angles droits, que la neige est blanche, que l’eau est liquide, que la pierre est dure et que le sucre est sucré – voilà des vérités aussi innées que fondamentales qu’on ne saurait changer. De même, l’être vivant est le serviteur éternel de Dieu : telle est sa condition naturelle. L’eau peut se durcir lorsque la température se refroidit; mais dès que celle-ci s’élève, l’eau redevient liquide. La liquidité de l’eau est donc vérité, sa condition naturelle, car l’eau est par définition un élément liquide.
Dans un même ordre d’idées, la blancheur de la neige et la nature de serviteur de l’être vivant sont vérité. Dans le monde des conditions, l’être sert Mâyâ, ce qui n’est pas vérité. On ne saurait considérer l’existence de deux formes de vérités. La vérité est une. Ce que nous ne considérons pas vrai est mâyâ. Il ne peut exister deux vérités. Mâyâ n’a aucune réalité, mais semble vraie ou factuelle à cause de nos sens imparfaits. L’ombre n’a pas de vie, mais ressemble à ce qui la projette. Dans un miroir, on peut voir son visage tel qu’il existe; mais ce n’est pas la vérité. La vérité est une : il ne peut exister deux vérités. Ce qu’on considère maintenant comme la vérité s’appelle mâyâ.
SYAMASUNDAR: Leibniz dit que les vérités innées sont régies par le principe de contradiction. C.-à-d. le contraire de la vérité serait impossible à concevoir.
PRABHUPADA: Ce contraire, c’est mâyâ.
SYAMASUNDAR: À titre d’exemple, il serait impossible de concevoir que les trois angles d’un triangle ne puissent égaler deux angles droits.
PRABHUPADA: Je voulais dire qu’il n’existe pas deux sortes de vérité. Ce serait une erreur de croire qu’une telle chose soit possible. Il serait erroné de penser que deux et deux font cinq. Deux plus deux font quatre, et c’est la vérité. De même, la neige est toujours blanche. Penser qu’elle serait rouge revient à penser que deux et deux font cinq. C’est une contre-vérité. On ne peut dire que la blancheur de la neige est une vérité de nature différente. Vous pouvez penser à tort que la neige est rouge; mais une telle erreur ne saurait invalider la vérité de la blancheur de la neige ou de la liquidité de l’eau. Il n’existe qu’une vérité; toute autre vérité n’est qu’une ombre, une fausseté. Notre langage doit être précis. Le visage dans le miroir peut sembler identique au vôtre, mais ce n’est qu’une ombre et non la réalité. Vous ne pouvez dire que ce reflet représente une vérité de nature différente.
SYAMASUNDAR: Leibniz dirait qu’il s’agit d’une vérité conditionnelle.
PRABHUPADA: Cette vérité conditionnelle n’est pas la vérité. Citons un exemple : l’être cherche à devenir maître de l’Univers matériel; il pense : « Je domine tout ce qui m’entoure. » Mais il n’en est rien. En vérité, il est l’éternel serviteur de Dieu. On ne saurait dire qu’il est Dieu parce qu’il cherche à imiter le Seigneur. Il ne peut exister un second Dieu. Dieu est Un, et c’est la Vérité Absolue. Nous ne pouvons reconnaître l’existence de deux vérités. Des vérités relatives existent; mais Krishna incarne la Vérité Absolue. Krishna est la substance dont tout émane grâce à Ses énergies. L’eau représente l’une des énergies de Krishna, mais elle n’est pas la Vérité Absolue. Que l’eau demeure toujours un liquide, voilà une vérité relative. La Vérité Absolue est Une. Leibniz aurait dû préciser qu’il y a Vérité Absolue et vérité relative, au lieu de dire qu’il existe deux sortes de vérité.
SYAMASUNDAR: Selon la loi de continuité de Leibniz, tout dans la Nature procède par étapes et non par bonds. En d’autres termes, il n’existe pas d’interruption dans la Nature. Tout est relié et il existe une différenciation graduelle.
PRABHUPADA: Il existe au contraire deux processus : graduel et immédiat. Il est évident que dans un sens, tout est graduel, mais lorsque le processus graduel s’opère rapidement, il peut sembler immédiat. À titre d’exemple, si vous désirez monter sur le toit d’un édifice, vous pouvez gravir l’escalier une marche à la fois, c.-à-d. graduellement. Mais vous pouvez aussi prendre l’ascenseur, ce qui ne requiert peut-être que quelques secondes. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’ascension, fût-elle très rapide ou graduelle. Des sots disent que la fleur est créée par la Nature, alors qu’en fait elle s’épanouit de par l’énergie de Krishna. Cette énergie s’avère si parfaite qu’Il n’est pas obligé de prendre un pinceau et une toile pour s’efforcer de peindre une fleur comme l’artiste. Au contraire, la fleur apparaît et s’épanouit automatiquement. Krishna est si puissant que tout ce qu’Il désire survient séance tenante. Si rapide, ce processus opère comme par magie, mais il existe bel et bien.
SYAMASUNDAR: Leibniz voit dans la Nature une alliance de forces ou d’activités à l’œuvre. Selon la loi de la dynamique, un corps en mouvement comporte une série ininterrompue de changements en progression régulière. Tout en roulant sur le plancher, la balle se déplace progressivement, sans interruption ou changement brusque.
PRABHUPADA: J’ai déjà expliqué ce point. Le mouvement dans sa totalité fait partie du même processus. Toutefois, la balle en soi n’a pas le pouvoir de se déplacer. Lorsqu’on la pousse d’une certaine façon, elle roule lentement; quand on la pousse différemment, elle roule rapidement. Tous ces processus merveilleux surviennent spontanément dans la Nature matérielle à cause de la volonté suprême de Dieu, le Créateur de la Nature, qui les amorcent. À l’origine, la Nature matérielle n’était pas manifestée. Mais les trois modes ou attributs sont apparus et de leur interaction sont nées plusieurs manifestations successives : d’abord l’espace, puis le ciel, le son… L’impulsion donnée par Krishna s’avère si parfaite que tout se manifeste spontanément et selon une séquence parfaite. Des sots pensent que tout survient automatiquement sans impulsion initiale, sans toile de fond. Aussi croient-ils que Dieu n’existe pas. Le cosmos n’est pas apparu spontanément. Krishna en est le Créateur, Celui qui confère à la Nature sa raison d’être initiale. Le potier peut créer un vase d’argile sur son tour, mais ce dernier n’est pas la cause originelle du vase. C’est le potier qui fournit au tour son énergie. Des sots croient que le tour bouge de lui-même alors que derrière ce mouvement se trouve le potier. N’allons donc pas croire que la Nature puisse créer d’elle-même. Tout découle de Dieu, Krishna.
Dès qu’on parle d’un processus, on sous-entend une chaîne d’ensemble, une séquence d’événement consécutifs. Telles sont les voies de la Nature. La première création fut celle du mahat-tattva, l’énergie matérielle dans son tout. Survient ensuite l’interaction entre les trois gounas – ou attributs de la matière – puis le mental, l’ego et l’intelligence. Ainsi se déroule la Création. On en trouve d’ailleurs l’explication dans le second Chant du Srimad-Bhâgavatam. Le Seigneur Suprême féconde la matière, prakriti, en posant Son regard sur elle. Dans l’Univers matériel, la fécondation s’opère à travers les rapports sexuels; or, les Védas enseignent que Krishna féconde l’énergie matérielle totale grâce à Son seul regard. Voilà la preuve de Sa toute-puissance. Quand Krishna pose Son regard sur la Nature matérielle, celle-ci se met aussitôt en branle et provoque une chaîne d’événements. Le regard de Krishna représente ainsi la cause originelle de la Création. Les matérialistes ne peuvent comprendre comment Krishna peut mettre en mouvement la Nature matérielle par Son seul regard. Mais cela n’est dû qu’à leur conception matérielle de l’existence.
SYAMASUNDAR: Leibniz dit qu’espace et temps ne sont qu’apparences et que la réalité ultime serait de nature différente.
PRABHUPADA: Krishna incarne l’ultime réalité, la Cause de toutes les causes : sarva-kârana-kâranam (Brahma-samhitâ 5:1).
SYAMASUNDAR: Leibniz qualifie les entités, ou particules, ultimes de « monades », mot qui signifierait « unité » ou « identité ». Les monades seraient la substance dont sont formés tous les atomes.
PRABHUPADA: Cette particule n’est pas ultime – Krishna y réside : andântara-stha- paramânu-cayântara-stham (Brahma-samhitâ 5:35).
SYAMASUNDAR: Leibniz affirme que ces monades sont individuelles, conscientes, actives et vivantes. En qualité, elles vont de la variété la plus basse (la matière) jusqu’à la plus haute monade (Dieu), en passant par les variétés supérieures dont les âmes.
PRABHUPADA: Dit-il que l’âme serait présente dans l’atome ?
SYAMASUNDAR: La théorie de Leibniz veut que même les atomes soient composés de ces monades, lesquelles seraient douées d’activité, de conscience, d’individualité et d’autres qualités inhérentes. La monade serait la force ou l’action qui constitue l’essence d’une substance.
PRABHUPADA: La Brahma-samhitâ (5:35) nous fait réaliser la présence dans l’atome de Krishna, Lui qui incarne la substance, le summum. Infiniment petit, Il est omniprésent. Telle est Sa nature.
SYAMASUNDAR: Comment expliquer alors les individualités ?
PRABHUPADA: Chaque âme individuelle reçoit sa part d’indépendance, car chacune fait partie intégrante de Dieu. Ainsi possède-t-elle une quantité infime d’indépendance. Telle est son individualité. Considérant l’atome comme la plus petite particule de matière, nous enseignons néanmoins que Krishna incarne la force dans l’atome. Leibniz suggère l’existence d’une force ou puissance, mais nous affirmons sans détour que Krishna incarne cette force, cette puissance.
SYAMASUNDAR: Mais selon Leibniz, la force ou puissance dans chaque atome serait individuelle, distincte, différente.
PRABHUPADA: Il en est effectivement ainsi. De par Sa toute-puissance, Krishna peut Se multiplier en d’innombrables formes. Advaitam acyutam anâdim ananta-rûpam (Brahma-samhitâ 5:33). Le mot ananta signifie « illimité ». Les mots andântara-stha affirment d’ailleurs clairement Sa présence dans l’atome.
SYAMASUNDAR: Est-Il présent dans chaque atome en tant qu’entité individuelle, différente de toute autre ?
PRABHUPADA: Oui. Si Krishna est là, il s’agit d’une présence individuelle.
SYAMASUNDAR: En quoi chaque Krishna est-Il différent ? Comment est-Il un individu dans chaque atome ?
PRABHUPADA: Pourquoi ne le serait-Il pas ? Krishna demeure toujours un individu, une personne. Il est la Personne Suprême et peut Se multiplier à l’infini.
SYAMASUNDAR: Et Paramâtmâ est-Il une personne ?
PRABHUPADA: Oui, chaque émanation est une personne. Émanations infinitésimales de Krishna, nous sommes tous des personnes distinctes. Paramâtmâ est également une émanation, mais d’une toute autre nature.
SYAMASUNDAR: Et l’âme individuelle, ou jîvâtmâ, serait-elle aussi une personne ?
PRABHUPADA: Oui. Sinon, comment expliquerait-on les différences ? Nous sommes tous des personnes différentes. Tu peux accepter ou non mon opinion, mais de toute façon, tu demeures un individu. Krishna est également une entité individuelle. Nityo nityânâm. Il existe des myriades d’âmes individuelles, mais Il est la Personne individuelle Suprême. Maintenant, Leibniz peut bien dire que dans l’atome se trouve une monade, ou je ne sais quoi – on peut lui donner le nom qu’on voudra –, mais Krishna est la force qui réside en l’atome.
SYAMASUNDAR: Leibniz soutient que la moindre des monades se trouve dans les atomes matériels; elle évoluera ensuite vers les monades supérieures que sont les âmes.
PRABHUPADA: Nous préférons dire carrément « Krishna », ce qui est aussitôt spirituel.
SYAMASUNDAR: Leibniz affirme que chaque monade aurait sa propre activité intérieure ou mentale, sa propre spiritualité.
PRABHUPADA: Dès qu’on dit « Krishna », tout est inclus.
SYAMASUNDAR: Une vie ou force spirituelle habiterait donc même l’atome matériel ?
PRABHUPADA: Oui, le mot force est synonyme de force spirituelle.
SYAMASUNDAR: Selon Leibniz, tous les corps seraient des quanta ultimes de force, cette force qui serait la nature essentielle de tous les corps.
PRABHUPADA: Oui, cette force c’est l’âme spirituelle. Sans l’âme, le corps perd sa force et devient un cadavre.
SYAMASUNDAR: Mais même dans le cadavre se trouvent des forces, celle de la décomposition par exemple.
PRABHUPADA: Krishna réside dans l’atome et le corps est une alliance de tant d’atomes; la force essentielle à la création d’autres êtres vivants se retrouve donc même dans le processus de décomposition. Quand la force de l’âme individuelle cesse d’habiter un corps particulier, on qualifiera ce dernier de cadavre. Néanmoins, la force de Krishna y demeure du fait que le corps est une combinaison d’atomes.
SYAMASUNDAR: Leibniz dit que ce qui se manifeste à nos sens, ce qui occupe de l’espace et existe dans le temps, ne serait qu’un effet de la nature fondamentale, qui transcende la nature physique. Cette dernière ne serait qu’un effet de la nature supérieure.
PRABHUPADA: La nature physique est un dérivé. J’ai déjà expliqué qu’on reçoit ou qu’on crée un corps selon notre désir. La nature physique est soumise à l’âme.
SYAMASUNDAR: Selon Leibniz, les monades créeraient des corps.
PRABHUPADA: En effet. À l’heure de la mort, on pense d’une certaine façon, créant ainsi notre prochain corps. Ce nouveau corps sera donc créé selon notre karma.
SYAMASUNDAR: Mais la monade d’une molécule d’hydrogène, par exemple, crée-t-elle son propre corps ? Est-ce par hasard qu’elle devient partie intégrante d’une molécule d’eau ?
PRABHUPADA: Rien n’est laissé au hasard.
SYAMASUNDAR: Désire-t-elle alors aussi devenir une molécule d’eau ? L’hydrogène désire-t-il se combiner avec l’oxygène et devenir ainsi de l’eau ?
PRABHUPADA: Non. Le désir ultime appartient à Krishna. En considérant la chose ainsi, Krishna est présent dans chaque atome et désire par conséquent que soit tout ce qui est. Aussi veut-Il que ces deux éléments se combinent pour ne faire qu’un; par suite, les molécules se combinent pour créer l’eau, ou toute autre substance selon le cas. De sorte qu’il y a une chaîne de création perpétuelle. Quoi qu’il en soit, le cerveau ultime qui régit toute création appartient à Krishna.
SYAMASUNDAR: Mais la molécule d’hydrogène est-elle animée d’un désir indépendant ?
PRABHUPADA: Non. Les atomes se combinent de par la présence de Krishna en eux. Ce ne sont pas les atomes matériels qui veulent indépendamment se combiner; au contraire, puisque Krishna réside en eux, Il sait que grâce à certaines combinaisons, certaines créations en résulteront.
SYAMASUNDAR: Mais l’âme individuelle a-t-elle quelque liberté de choix ?
PRABHUPADA: Non. La Bhagavad-Gîtâ enseigne que lorsque l’âme distincte désire agir, Krishna donne les ordres. « L’homme propose et Dieu dispose. »
SYAMASUNDAR: Nous n’avons donc aucun libre arbitre ?
PRABHUPADA: Pas sans la sanction de Krishna. Sans Lui, nous ne pouvons rien faire. Il incarne par conséquent la cause ultime.
SYAMASUNDAR: Mais je croyais que vous disiez que nous jouissons d’une certaine indépendance.
PRABHUPADA: Nous conservons l’indépendance en ce sens qu’on peut affirmer ou nier, mais sans la sanction de Krishna, on ne peut rien.
SYAMASUNDAR: Quand nous éprouvons quelque désir, celui-ci nous contraint à revêtir un corps. Maintenant, une molécule d’hydrogène peut-elle désirer faire partie intégrante de l’eau et recevoir un corps en conséquence ? A-t-elle la liberté de désir ?
PRABHUPADA: Les Védas nous permettent de comprendre que Krishna est présent dans le paramânu [l’atome] : andântara-stha-paramânu-cayântara-stham (Brahma-samhitâ 5:35). Mais on n’y affirme pas la présence de l’âme dans le paramânu.
SYAMASUNDAR: L’âme distincte n’est donc pas présente dans l’atome ?
PRABHUPADA: Non, mais Krishna l’est.
SYAMASUNDAR: L’opinion de Leibniz ne concorderait donc pas avec les Védas ?
PRABHUPADA: Non.
SYAMASUNDAR: Est-ce parce qu’il affirme que la matière manifeste également cette individualité ?
PRABHUPADA: Cette individualité réside en Krishna. Je le répète, Krishna sait qu’un certain élément sera formé par la combinaison d’une quantité précise d’atomes. Ce n’est pas l’âme individuelle qui réalise cette combinaison, mais Krishna Lui-même et ce, directement.
SYAMASUNDAR: Mais quand on parle des êtres vivants, l’âme distincte est-elle également présente ?
PRABHUPADA: Oui, elle habite le corps. Les deux sont présents : Krishna et l’âme individuelle.
SYAMASUNDAR: Selon Leibniz, la substance serait par définition capable d’agir.
PRABHUPADA: La substance est l’origine et les émanations sont des catégories. Comme la substance représente la cause originelle, Elle est parfaitement apte à l’action. Être signifie agir. Sans activité, à quoi rime l’existence ?
SYAMASUNDAR: Leibniz affirme que les monades changent d’apparence parce que leur désir inné les oblige à passer d’une représentation phénoménale à l’autre.
PRABHUPADA: La monade ne change pas, mais le mental change. De toute façon, j’ignore ce qu’entend Leibniz par « monade ». Il ne fait que nous compliquer l’existence.
SYAMASUNDAR: Par définition, la monade est un petit élément, une unité qui serait la substance à l’origine de tout, même l’atome.
PRABHUPADA: Ce serait donc Krishna, Lequel est pleinement indépendant.
SYAMASUNDAR: Et pourtant, Leibniz dit que la monade change d’apparence selon ses désirs.
PRABHUPADA: Il en est ainsi des âmes individuelles, mais non de Krishna. Étant achyouta, Krishna ne change pas. C’est Lui qui crée l’entière énergie cosmique. De par Ses desseins, tant de créations sont divisées en différentes parties, et elles changent. Les objets matériels changent selon la volonté de Dieu, de Krishna. Ces monades individuelles sont plus précisément l’Âme Suprême présente dans la matière, dans l’atome.
SYAMASUNDAR: Leibniz dirait que chaque particule de l’Âme Suprême, ou chaque monade, est indépendante, qu’il n’y a ni perte ou gain de force.
PRABHUPADA: En effet, chacune est éternelle.
HAYAGRIVA: Quant à la relation entre l’âme et le corps, Leibniz écrit : « Dans la mesure où l’âme est douée de perfection et de pensées distinctes, Dieu a adapté le corps à l’âme et a préalablement fait en sorte que le corps soit obligé d’en exécuter les ordres. »
PRABHUPADA: La Bhagavad-Gîtâ (18:61) explique que le corps s’apparente à une machine. L’âme désirant marcher ou se déplacer d’une certaine façon, elle reçoit cet instrument. L’âme est habitée de désirs spécifiques que Dieu assouvit à travers Son représentant matériel, c.-à-d. un type particulier de corps. Aussi voyons-nous des oiseaux qui volent, des poissons qui nagent, des animaux chassant dans la forêt, des humains peuplant les villes, etc. Selon le Padma Purâna, il existerait 8 400 000 différents corps créés pour assouvir les désirs de l’âme. Voilà pourquoi la Nature produit cette machine qu’est le corps sous les ordres de Dieu.
HAYAGRIVA: Selon Leibniz, l’âme domine le corps en autant qu’elle soit parfaite. Toutefois, « dans la mesure où l’âme est imparfaite et ses perceptions confuses, Dieu a adapté l’âme au corps de telle sorte que l’âme soit influencée par les passions nées des représentations corporelles. »
PRABHUPADA: La Bhagavad-Gîtâ (18:40) explique que l’âme, dans l’Univers matériel, subit l’influence des trois modes de la Nature matérielle :
na tad asti prthivyâm vâ divi devesu vâ punah
sattvam prakrti-jair muktam yad ebhih syât tribhir gunaih
« Nul être, que ce soit sur Terre ou parmi les dévas sur les systèmes planétaires supérieurs, n’est libre de l’influence des trois gunas issus de la Nature matérielle. » L’âme acquiert un corps particulier selon son statut quant aux trois modes. Si son appétit est insatiable et qu’elle mange sans discernement, elle revêtira le corps d’un porc. Si elle désire tuer et se nourrir de chair et de sang, elle prendra le corps d’un tigre. Mais qu’elle désire se nourrir de Krishna-prasâdam et elle obtiendra le corps d’un brahmane. Différents corps nous sont donc accordés selon nos désirs. Les gens cherchent à assouvir leurs désirs, croyant ainsi connaître le bonheur. Hélas, ils ignorent qu’ils ne seront heureux qu’en obéissant parfaitement aux directives du Seigneur. Krishna vient en personne prier l’être de renoncer à ses désirs matériels et d’agir conformément à Ses directives.
HAYAGRIVA: Leibniz écrit dans Monadologie : « L’âme change de corps que de façon graduelle et par degrés, afin de n’être jamais privée de tous ses organes à la fois. Une métamorphose s’opère souvent chez les animaux, mais il ne saurait jamais être question de métempsychose ou de transmigration des âmes. »
PRABHUPADA: Quelle est sa compréhension de l’âme ?
HAYAGRIVA: Leibniz croit que l’âme ne peut être entièrement séparée du corps. En ce qui concerne les êtres vivants, l’âme doit toujours s’accompagner d’un corps.
PRABHUPADA: Selon l’entendement védique, le corps change mais l’âme demeure éternelle. Même au cours d’une même vie, on peut voir que le corps matériel change de l’enfance à la jeunesse, puis de la jeunesse à la vieillesse. Pourtant, l’âme demeure la même. Quand le corps meurt, l’âme en revêt un nouveau. Voilà le premier enseignement de la Bhagavad-Gîtâ. L’âme étant distincte du corps, il est absurde de prétendre qu’elle ne pourrait exister sans lui.
HAYAGRIVA: Leibniz élabore : « Il n’existe, à proprement parler, ni naissance absolue ni mort totale consistant en la séparation de l’âme du corps. Ce qu’on appelle naissance est synonyme de croissance ou développement; ce qu’on nomme la mort n’est qu’enveloppement et diminution. »
PRABHUPADA: Mais telle est la transmigration des âmes. Pourquoi le nie-t-il ? La diminution s’avère temporaire. L’être n’est pas mort; il continue d’exister et développe un nouveau corps.
HAYAGRIVA: Leibniz semble dire qu’aussitôt qu’elle quitte le corps, l’âme humaine doit immédiatement en habiter un autre.
PRABHUPADA: Il en est ainsi, en effet. C’est ce qu’on appelle la transmigration des âmes. Pourquoi alors en nie-t-il l’existence ?
HAYAGRIVA: Leibniz nie l’existence de l’âme distincte de quelque corps matériel. Il écrit : « Dieu seul est entièrement sans corps. »
PRABHUPADA: C’est-à-dire qu’Il n’a pas un corps matériel. Il ne transmigre pas. Selon la Bhagavad-Gîtâ (9:11), les moûdhas – les sots – considèrent le corps de Krishna comme identique à celui d’un humain :
avajânanti mâm mûdha mânusîm tanum âsritam
param bhâvam ajânanto mam bhûta-mahesvaram
« Les sots Me dénigrent lorsque sous forme humaine Je descends en ce monde. Ils ignorent que, Seigneur Suprême de tout ce qui est, Ma nature est transcendantale. » Krishna ne change pas de corps comme le commun des mortels. Il est la Personne Suprême. Puisqu’Il ne change pas de corps, Il n’oublie rien du passé. Lorsque nous revêtons un corps, nous oublions nos vies antérieures; mais Krishna en garde le souvenir car Son corps ne change jamais. Dieu n’a pas de corps en ce sens que Son corps n’est pas de nature matérielle.
SYAMASUNDAR: Appliquant sa doctrine de l’harmonie préétablie, Leibniz compare l’âme et le corps à deux horloges parfaitement synchronisées, distinctes mais fonctionnant à la même vitesse.
PRABHUPADA: L’âme est effectivement différente du corps, mais ce dernier se manifeste de par le désir de l’âme. Le corps est l’instrument de l’âme.
SYAMASUNDAR: Le corps influe-t-il parfois sur l’âme ?
PRABHUPADA: L’âme n’est pas touchée par le corps, mais ce dernier aide l’âme à combler ses désirs. J’utilise ce microphone à mes propres fins, mais il n’exerce aucune influence sur moi. Ce n’est pas lui qui veut que je dicte ceci ou cela. Le corps est une combinaison d’atomes. Si Krishna réside dans les atomes, les monades des atomes et la monade qui habite le corps s’avèrent différentes. Lorsqu’il décrit la monade comme une infime particule unitaire, Leibniz parle de l’Âme Suprême. Quoique Celle-ci semble légion, Elle est une en réalité. On lit dans la Sri Ishopanishad (7) :
yasmin sarvâni bhûtâny âtmaivâbhûd vijânatah
tatra ko mohah kah soka ekatvam anupasyatah
« Celui qui constamment voit en chaque être l’étincelle spirituelle, en qualité identique à Dieu, connaît la vraie nature des choses. Comment l’illusion ou l’angoisse pourraient-elles s’emparer de lui ? Bien qu’omniprésente, l’Âme Suprême demeure une. Krishna dit dans la Bhagavad-Gîtâ (13:28)
:
samam sarvesu bhûtesu tisthantam paramesvaram
vinasyatsv avinasyantam yah pasyati sa pasyati
« Celui qui voit que l’Âme Suprême accompagne l’âme individuelle dans tous les corps périssables et que ni l’une ni l’autre ne meurent jamais, voit les choses telles qu’elles sont. » Le dévot du Seigneur voit toujours tout en Krishna, et Krishna en tout. Voilà la vraie vision de l’unicité.
SYAMASUNDAR: Leibniz croit que Dieu crée le principe de l’harmonie préétablie, qu’Il lance le balancier des deux horloges en les synchronisant. Le corps agit, mais étant indépendante, l’âme n’est pas vraiment touchée par le corps.
PRABHUPADA: Nous sommes d’accord sur ce point. Mais pourquoi utiliser l’exemple des horloges ? Pourquoi ne pas analyser le rapport âme / corps ? On ne peut les considérer séparément puisqu’ils sont combinés. Ce qui est faux dans cette analogie, c’est que les deux horloges ne sont jamais combinées.
SYAMASUNDAR: Leur synchronisation constitue leur point commun.
PRABHUPADA: Mais une horloge finira par avancer. On ne peut considérer le corps et l’âme comme des entités entièrement séparées et fonctionnant de façon indépendante. Les shâstras védiques enseignent que l’âme est maître du corps; on ne saurait donc dire que le corps fonctionne de manière autonome. Si je dis à mon corps de placer une main ici, ma main obéira. Ce n’est pas que ma main se déplacerait soudain sans que je le désire.
SYAMASUNDAR: Leibniz dirait que l’acte de désirer et celui de la main se déplaçant sont simultanés mais distincts.
PRABHUPADA: Cet argument porte le nom sanskrit de kâkatâlîya-nyâya. Un jour, lorsqu’un corbeau se posa sur la branche d’un arbre tâl, un fruit s’en détacha aussitôt et tomba au sol. Un premier observateur déclara que l’oiseau s’était d’abord posé et que le fruit était tombé ensuite; un second observateur affirma que le fruit était tombé avant que le corbeau n’ait pu se poser. Ce genre d’argument n’a aucune valeur. Nous enseignons que si Krishna le désire, une pierre peut flotter sur l’eau et ce, malgré les lois de la gravité. Bien que celles-ci opèrent en ce monde, tant d’immenses planètes flottent néanmoins dans l’espace. Toutes ces lois obéissent aux désirs de Krishna. Les lois de la gravité auraient dû faire tomber tous ces astres dans l’océan Causal, où ils auraient percuté contre la tête de Garbhodakashâyî Vishnu, qui repose sur ces eaux. Mais de par Son ordre, toutes ces planètes flottent dans l’espace. De même, si Dieu le désire, une pierre tombera dans l’eau sans couler à pic. Ce qui est possible du fait que le Seigneur incarne l’ultime monade. Tout ce que Dieu veut se réalise.
SYAMASUNDAR: Leibniz admet que les monades sont de nature spirituelle et donc immortelles.
PRABHUPADA: Nous sommes d’accord sur ce point. Et Krishna et l’être vivant sont des entités spirituelles. En dernière analyse, tout est spirituel car tout représente une énergie de Krishna. Si Krishna est le cause première, la matière peut être spiritualisée et l’esprit changé en matière. L’électricité peut réchauffer ou refroidir; mais dans un cas comme dans l’autre, elle demeure l’énergie initiale. Dans un même ordre d’idée, Krishna incarne la cause initiale; Il possède donc le pouvoir de changer la matière en esprit, ou l’esprit en matière.
SYAMASUNDAR: Leibniz affirme que contrairement aux autres monades, Dieu est nécessité absolue et vérité éternelle, régi par le principe de contradiction. À savoir, il est impossible de concevoir l’inexistence de Dieu.
PRABHUPADA: Les athées disent que Dieu n’existe pas, quoiqu’Il existe bel et bien. Sinon, d’où viendrait la notion de Dieu ? L’athée refuse d’accepter Dieu. De même, l’impersonnaliste refuse l’existence d’une Personne Suprême. En l’absence de la notion de personnalité, comment pourrait-il considérer Dieu comme impersonnel ? Tout cela est le fruit de la frustration.
HAYAGRIVA: Leibniz décrit une cité de Dieu qui ressemble beaucoup à celle de saint Augustin. Il écrit : « Dieu est le monarque de la plus parfaite république formée de tous les esprits, et le bonheur de cette cité divine, tel est Son principal dessein. »
PRABHUPADA: Exactement. Si tous deviennent conscients de Krishna et agissent conformément à Ses directives, ce monde infernal se transformera en la cité de Dieu.
HAYAGRIVA: Leibniz écrit encore : « Il ne faut ainsi pas douter que Dieu a tout décrété afin que les esprits non seulement vivent à jamais, car cela est inévitable, mais qu’ils conservent toujours leur moralité, pour que Sa cité ne perde jamais une personne. »
PRABHUPADA: Ainsi se définit la conscience qui imprègne Vaikountha. Nous lisons dans la Bhagavad-Gîtâ (8:21) :
avyakto ’ksara ity uktas tam âhuh paramâm gatim
yam prâpya na nivartante tad dhâma paramam mama
« Cet endroit dont on ne retombe jamais une fois qu’on l’a atteint, on le dit non manifesté et impérissable; cette destination ultime est Ma demeure suprême. » Ce monde spirituel, ou cité de Dieu, est bien connu de ceux et celles qui étudient les Védas.
HAYAGRIVA: Leibniz ne croit pas que la cité de Dieu soit isolée du monde physique. Il écrit dans Monadologie : « L’assemblée de tous les esprits doit composer la cité de Dieu, c.-à-d. le plus parfait des États possibles et du plus parfait des monarques [Dieu]. La cité de Dieu – cette monarchie véritablement universelle – est un monde moral au sein du monde physique, ainsi que la plus haute et la plus divine des œuvres du Seigneur. »
PRABHUPADA: En effet. Et nous pouvons immédiatement réaliser cette cité si nous prenons conscience que la planète n’appartient à aucune nation, mais à Dieu Lui-même. Si les peuples de la Terre acceptaient ce principe, le monde entier deviendrait la cité de Dieu. À l’heure actuelle, les Nations Unies cherchent à résoudre tous les problèmes du monde, mais les leaders possèdent eux-mêmes une mentalité animale. Ils pensent : « Je suis le corps, je suis Américain, je suis Indien… » Il faut renoncer à ces désignations et comprendre notre véritable identité en tant que parties intégrantes de Dieu. La planète entière appartient au Seigneur. Étant Ses fils, il nous est possible d’y vivre en paix en comprenant que notre Père nous procure tout. S’il y a quelque pénurie, ce n’est dû qu’à une répartition inégale des ressources. Si tous respectent les directives du Seigneur, si toute production est partagée entre les enfants de Dieu, il ne saurait être question de pénurie. Mais parce qu’on nie le fait indéniable que tout appartient à Dieu et qu’on s’accapare tout, il y a pénurie. Ceux qui continueront de faire preuve de conscience animale continueront de souffrir. Mais s’ils viennent à la conscience de Krishna, ils réaliseront la cité de Dieu même en cet Univers matériel.
SYAMASUNDAR: Leibniz ajoute que le monde aurait pu être autrement si Dieu l’avait désiré, mais qu’Il a choisi cet arrangement particulier comme étant le meilleur arrangement possible.
PRABHUPADA: En effet. Dieu peut faire ce qui Lui plaît, mais ce monde ne fut pas exactement conçu par Dieu. Il est plutôt offert aux êtres vivants qui désirer L’imiter. Le plan en fut conçu selon les désirs des âmes qui désiraient dominer la Nature matérielle. Tel n’est pas le plan du Seigneur. L’Univers matériel ressemble à une prison subventionnée par l’État à cause de la présence d’éléments criminels dans la société. Le plan de Dieu veut que toutes les âmes peuplant l’Univers matériel renoncent à leur lutte pour l’existence et retournent auprès de Lui, en leur demeure première.
SYAMASUNDAR: Mais vu sous l’angle des éléments dont est formé notre monde, est-ce le meilleur des mondes possibles ?
PRABHUPADA: Le monde spirituel est le meilleur des mondes possibles. La Terre n’est pas une si bonne planète; plusieurs autres planètes de l’Univers matériel lui sont mille fois supérieures. Plus élevés sont les systèmes planétaires, plus les conditions de vie y sont idylliques. Le système planétaire immédiatement au-dessus du nôtre lui est mille fois supérieur; et ainsi de suite jusqu’à Brahmaloka, la planète la plus évoluée où vit Brahmâ dont on ne saurait même concevoir la durée d’un jour.
SYAMASUNDAR: Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Leibniz accepte les conditions de l’Univers matériel comme les meilleures qu’on puisse espérer.
PRABHUPADA: Mais la Bhagavad-Gîtâ (8:16) enseigne que c’est un lieu de souffrance :
âbrahma-bhuvanâl lokâh punar âvartino ’rjuna
mâm upetya tu kaunteya punar janma na vidyate
« Ô fils de Kuntî, toutes les planètes de l’Univers, de la plus évoluée à la plus basse, sont des lieux de souffrance où se succèdent la naissance et la mort. Mais il n’est plus de renaissance pour l’âme qui atteint Mon royaume. » C’est un lieu de souffrance où l’on ne peut rester très longtemps, même en acceptant de vivre dans des conditions si déplorables. Dans l’ensemble, l’existence matérielle s’avère misérable. Pas question donc de bonheur.
SYAMASUNDAR: Leibniz ajoute que du fait que le bien surpasse le mal en ce monde, sa création s’en trouve justifiée.
PRABHUPADA: Cela dépend de notre point de vue. Les habitants de l’Univers matériel se plaignent constamment et sont en détresse, mais le dévot du Seigneur considère qu’il n’y a pas vraiment de détresse. Tout est synonyme de bonheur pour lui parce qu’il vit avec Krishna. Comme il harmonise tout avec Krishna, y compris sa propre personne, il n’existe aucune souffrance pour lui.
SYAMASUNDAR: Leibniz dit encore que Dieu n’aurait pas créé le monde si cela n’en valait pas la peine. Le fait qu’Il l’ait créé démontre la pertinence de la Création.
PRABHUPADA: C’est ce qu’enseignent les Védas :
om pûrnam adah pûrnam idam pûrnât pûrnam udacyate
pûrnasya pûrnam âdâya pûrnam evâvasisyate
« Dieu, la Personne Suprême, est parfait et complet, et Sa perfection étant totale, tout ce qui émane de Lui, comme le monde phénoménal, constitue également une totalité complète en elle-même. Tout ce qui provient du Tout est un tout en soi, et parce que Dieu est le Tout complet, Il demeure entier, bien que d’innombrables unités, complètes elles aussi, émanent de Lui. » (Ishopanishad, invocation) Le Créateur est complet, et de même la Création. Rien d’incomplet ne peut être créé par le Tout complet. En ce sens, tout ce qui est requis en ce monde s’y trouve. C’est un arrangement aussi parfait que complet.