JOHN LOCKE
(1632-1704)
HAYAGRIVA: Dans son livre Essai sur l’entendement humain, Locke écrit : « L’argument du consentement universel, auquel on recourt pour démontrer les principes innés, me semble être une démonstration qu’ils n’existent pas, car il n’est aucun principe auquel l’humanité entière accorde un consentement universel. » C’est-à-dire qu’on ne saurait prétendre que tous ont une idée innée de Dieu. Mais les idées innées doivent-elles s’avérer universelles ? Ne pourraient-elles pas différer d’une personne à une autre ?
SRILA PRABHUPADA: Les idées innées reposent sur le développement de la conscience. Les animaux n’ont pas d’idée innée de Dieu à cause de leur conscience non développée. Les membres de toute société humaine ont cependant une idée innée d’une puissance supérieure. À titre d’exemple, les aborigènes vénèrent la foudre. Vénérer ce qui s’avère merveilleux ou puissant est inné à l’être humain. Les animaux n’ont pas une conscience assez développée pour faire preuve de vénération. L’être conscient de Krishna est celui qui a développé cette idée innée dans sa pleine mesure.
HAYAGRIVA: Ne serait-il pas préférable de dire que l’être vivant naît avec certaines tendances, qu’il garde de sa vie passée, et qu’il lui suffit de quelque stimulant pour qu’elles se manifestent ?
SRILA PRABHUPADA: En effet. À titre d’exemple, quand l’animal naît, il cherche naturellement les mamelons de sa mère. Ce qui signifie que l’animal sait où trouver sa nourriture grâce au vécu d’une vie antérieure, et ce même s’il ne voit pas encore. Ceci démontre la continuité éternelle de l’âme. J’habite actuellement cette maison; si je la quitte pour y revenir dans dix ans, je me souviendrai de l’emplacement de la salle de bains et du salon. Ces souvenirs résultent du fait que j’ai déjà vécu ici. Au sein de l’existence matérielle, l’être vivant habite différentes formes ou espèces.
HAYAGRIVA: Locke soutiendrait que l’idée de Krishna n’est pas innée puisqu’on ne l’accepte pas universellement. Comme tous ne reconnaissent pas que Krishna est Dieu, Locke dirait que cette idée n’est pas mentalement innée.
SRILA PRABHUPADA: Dans l’Univers matériel, différents êtres vivants ont différentes idées. Celles d’une personne à la conscience développée diffèrent de celles d’une autre à la conscience non développée. Si quelqu’un se révèle conscient de Krishna peu après sa naissance, il nous faut comprendre qu’il avait jadis médité sur Lui. Sri Krishna dit dans la Bhagavad-Gîtâ (6:43) :
tatra tam buddhi-samyogam labhate paurva-dehikam
yatate ca tato bhûyah samsiddhau kuru-nandana
« Alors, il recouvre la conscience divine acquise dans sa vie passée et reprend sa marche vers la perfection. » Le développement de notre conscience de Krishna n’est jamais perdu; il s’accroît jusqu’à la perfection. Voilà pourquoi Krishna déclare :
nehâbhikrama-nâso ’sti pratyavâyo na vidyate
svalpam apy asya dharmasya trâyate mahato bhayât
« Aucun effort dans cette voie n’entraîne la moindre perte, et tout progrès, si modeste soit-il, prévient du plus redoutable danger. » (Gîtâ 2:40) À titre d’exemple, Ajâmil cultiva la conscience de Krishna durant les premières années de sa vie, mais tomba dans la débauche effrénée. Néanmoins, s’étant souvenu de Nârâyan à la fin de sa vie, il a obtenu le salut.
SYAMASUNDAR: Locke soutient qu’il existe deux idées fondamentales : celles qui proviennent des sensations, de l’expérience, et celles que procure la réflexion.
SRILA PRABHUPADA: C’est ce qu’on appelle pratyaksha pramâna. Il faut toutefois s’élever au-delà. Il existe différents degrés du savoir. Pratyaksha est synonyme de connaissance directe; paro’ksha est le savoir acquis auprès d’autrui; et anoumâna, la déduction, est le savoir acquis après avoir considéré la connaissance directe et le savoir reçu d’autorités. Adhokshaja désigne le savoir au-delà des limites de la perception directe, et aparâjita, la connaissance spirituelle. Tous ces degrés de connaissance conduisent au savoir spirituel. La perception directe, elle, est matérielle.
SYAMASUNDAR: Locke affirme que le mental ne peut réfléchir qu’après avoir acquis quelque perception sensible. En d’autres mots, seulement après avoir acquis quelque connaissance du monde grâce aux sens peut-on avoir des pensées et des idées.
SRILA PRABHUPADA: Oui, quoique mes idées pourraient ne pas toujours s’avérer vraies. Connaissant or et montagne, je pourrais rêver d’une montagne d’or, mais de telles montagnes n’existent pas dans le monde extérieur.
SYAMASUNDAR: Locke établit une distinction entre les idées simples et complexes. On compte quatre types d’idées simples : celles perçues à l’aide d’un seul organe des sens – le son, le toucher, etc.; celles perçues par plusieurs sens – l’espace ou le mouvement; celles issues de la réflexion – se souvenir, raisonner, savoir et croire; celles issues de la réflexion et des sensations – les idées d’existence ou d’unité.
SRILA PRABHUPADA: Celles-ci sont toutes suscitées par différentes conditions matérielles. À titre d’exemple, comment faire l’expérience de l’éther ? Grâce au son. Nous ne pouvons ni voir ni toucher l’éther. La perception sensible change avec les conditions matérielles. Nous pouvons percevoir l’air et l’eau par le toucher, le feu à travers la forme, et l’arôme grâce à l’odorat. Initialement, l’être vivant possède un mental, une intelligence et un ego, mais ceux dont il est doté à présent sont tout aussi faux que son corps actuel. L’âme a un corps, mais celui-ci est recouvert au même titre que le mental, l’ego et l’intelligence sont recouverts par le conditionnement matériel. Une fois ceux-ci découverts, nous acquerrons nos purs mental, intelligence et identité. Par service de dévotion, on entend amener l’âme à sa condition initiale de pureté. Tout est pur dans la conscience de Krishna : le mental, l’ego et l’intelligence. Tat-paratvena nirmalam (Nârada-pañcharâtra). Tout se purifie au contact de l’Âme Suprême. Une fois purifiés, nous n’aurons rien en partage avec le corps, le mental, l’ego ou l’intelligence matériels. Nous serons purement spirituels.
SYAMASUNDAR: Locke cherche un fondement au savoir dont la perception sensible forme les prémices. Il affirme que le mental reçoit des sens le savoir sur lequel il peut ensuite réfléchir.
SRILA PRABHUPADA: Nous admettons que le mental acquiert le savoir à travers les sens. Pensée, émotion et volonté s’ensuivent. Sans oublier jugement et action. Nous recevons plusieurs impressions et nous planifions ensuite. Nous pensons et ressentons, puis nous passons à l’action. Cette action est le processus du travail.
SYAMASUNDAR: Locke déclare que ces idées simples se combinent pour former des idées complexes ou abstraites comme la conception de Dieu. Il s’agit d’un élargissement des idées simples de l’existence, du savoir, du temps, du pouvoir, et ainsi de suite. Nous combinons celles-ci pour former une idée complexe comme l’idée de Dieu.
SRILA PRABHUPADA: Dieu n’incarne pas une idée complexe mais bien une idée parfaite. Toutefois, Dieu est si grand qu’Il devient naturellement complexe aux yeux de l’homme moyen.
SYAMASUNDAR: Locke affirme qu’on compte trois classes d’idées complexes : celles qui dépendent de substances dont la rondeur, la dureté, etc.; les relations entre les idées, concordant ou non entre elles; les substances ou corps subsistant pour soi et procurant le fondement de l’expérience. Ne pouvant connaître que la qualité d’une substance, nous ne pouvons connaître ni la substance en soi, ni son origine ou la façon dont elle est produite. La nature de l’ultime réalité ne peut être connue ou démontrée.
SRILA PRABHUPADA: C’est un fait qu’elle ne peut être connue par de telles spéculations intellectuelles, mais une personne connaissant l’ultime réalité peut nous la révéler. Locke ne la connaît peut-être pas, mais une autre personne peut la connaître. Chacun pense qu’autrui lui ressemble. Lorsqu’il ne sait pas, il croit qu’il en va de même pour tous. Mais il n’en est rien. Il peut exister quelqu’un qui sait :
tad-vijñârtham sa gurum evâbhigacchet
samit-pânih srotriyam brahma-nistham
« Afin d’apprendre la science de l’Absolu, il faut approcher un maître spirituel authentique appartenant à une succession disciplique et établi dans la Vérité Absolue. » (Mundaka Upanishad 1.2.12) Les Védas nous disent de rechercher cette personne qui sait : l’authentique gourou. Caitanya Mahâprabhu définit un tel gourou comme celui qui sait que Krishna incarne l’ultime réalité. Telle sera sa plus importante qualification.
kibâ vipra, kibâ nyâsî, sûdra kene naya
yei krsna-tattva-vettâ, sei ’guru’ haya
« Que l’on soit un brahmane, un sannyâsî ou un shoûdra – peu importe –, on peut devenir maître spirituel si l’on est versé dans la science de Krishna. » (Caitanya-caritâmrta, Madhya 8:128)
SYAMASUNDAR: Locke prétend que la réalité objective possède des qualités primordiales, inséparables de l’objet en soi, tout comme la couleur rouge est inséparable d’un objet rouge.
SRILA PRABHUPADA: On appelle dharma ce qui s’avère inséparable de son objet. C’est la caractéristique particulière d’une entité spécifique. Le dharma de tout être vivant consiste à servir Krishna, l’Être Suprême. Telle est la libération, telle est la perfection de l’existence.
HAYAGRIVA: Certains prétendent se rappeler d’épisodes de leurs vies antérieures. En quoi ces souvenirs sont-ils différents des idées innées ?
SRILA PRABHUPADA: Les idées innées sont incontournables. L’idée que Dieu est grand et que je suis subordonné est innée partout. Parfois, il arrive cependant que par ignorance, on cherche à devenir Dieu. Ce qui s’avère impossible. C’est ce qu’on nomme mâyâ, et il n’en résulte que de la souffrance. Dieu est grand et l’être vivant est un serviteur : voilà une idée innée en l’être.
HAYAGRIVA: Locke écrit également : « La connaissance de notre propre être s’acquiert par l’intuition. L’existence de Dieu nous est clairement révélée par la raison. Notre connaissance de l’existence d’un Dieu est plus certaine que celle de tout ce que nos sens peuvent découvrir. » Comment est-ce possible ? S’il en est ainsi, pourquoi certaines personnes n’ont-elles aucune conception de Dieu ?
SRILA PRABHUPADA: Chacun nourrit une conception de Dieu, mais sous l’empire de mâyâ, l’être vivant cherche à recouvrir celle-ci. Comment une personne saine d’esprit pourrait-elle nier l’existence de Dieu ? Il doit exister quelque puissance supérieure qui crée le vaste océan, la terre et le ciel. Personne ne peut rejeter toute conception de Dieu, quoiqu’on puisse s’y efforcer de façon aussi artificielle que sotte. C’est ce qu’on appelle l’athéisme, une attitude qui ne saurait durer, car notre sottise finira par être révélée.
SYAMASUNDAR: Locke recommande quatre épreuves afin de déterminer si la connaissance est vraie, et grâce auquel on peut percevoir s’il y a accord ou désaccord entre les idées.
SRILA PRABHUPADA: Que nous soyons d’accord ou non, la vérité est la vérité. Ça ne dépend pas de mon accord ou de mon désaccord.
SYAMASUNDAR: Nous pouvons étudier quelque chose de façon objective afin de voir s’il y a accord ou désaccord. Le savoir ne dépend pas de notre opinion subjective. Il doit en exister une preuve scientifique.
SRILA PRABHUPADA: Le témoignage des Védas, voilà notre épreuve de vérité. À titre d’exemple, les Védas affirment que la bouse de vache est pure. Nous admettons qu’il en est ainsi. On ne saurait arriver à cette conclusion par l’argumentation.
SYAMASUNDAR: Locke déclare que Dieu doit être une entité pensante puisque la matière, qui est inanimée, ne pourrait jamais engendrer la perception, l’expérience sensible et les pensées.
SRILA PRABHUPADA: Assurément. Par définition, Dieu connaît parfaitement tout. Krishna dit :
vedâham samatîtâni vartamânâni cârjuna
bhavisyâni ca bhûtâni mâm tu veda na kascana
« Ô Arjuna, parce que Je suis Dieu, la Personne Suprême, Je sais tout du passé, du présent et de l’avenir. Je connais tous les êtres, mais Moi, nul ne Me connaît. » (Gîtâ 7:26) Krishna informa également Arjuna qu’Il avait enseigné au déva du soleil, il y a plusieurs millions d’années, la philosophie de la Bhagavad-Gîtâ, ajoutant qu’Arjuna L’accompagnait alors même s’il n’en gardait aucun souvenir. Krishna sait tout. Telle est l’omniscience.
SYAMASUNDAR: Locke ajoute que comme les idées innées n’existent pas, les valeurs morales, religieuses et politiques doit être considérées comme des produits de l’expérience.
SRILA PRABHUPADA: Comprenons bien en quoi consiste l’expérience par excellence. À titre d’exemple, nous considérons Manou comme l’autorité en matière de politique et de sociologie. Manur iksvâkave ’bravit : Manou a enseigné son fils Ikshvâkou (Gîtâ 4:1) . Si c’est une question d’expérience, il s’agit alors de tirer parti d’une expérience aussi parfaite que sans mélange.
SYAMASUNDAR: Locke affirme que les valeurs doivent se conformer à la volonté de Dieu qu’expriment la loi naturelle, les lois sur lesquelles les humains se sont mis d’accord – dont le contrat social –, ainsi que les traditions, coutumes et opinions établies de l’humanité. Il déclare que nos lois doivent être respectées de telle façon que nous vivions dans l’harmonie.
SRILA PRABHUPADA: Et en quoi consiste cette harmonie ? L’harmonie parfaite, c’est savoir qu’on fait partie intégrante de Dieu. Notre corps comporte différentes parties, dont chacune remplit une fonction spécifique. Quand chaque partie accomplit sa fonction, le tout est harmonieux. La main a été conçue pour toucher, soulever et saisir; mais si elle décidait de marcher, un manque d’harmonie en résulterait. Faisant partie intégrante de Dieu, nous devons remplir une fonction précise pour que règne l’harmonie. Sinon, il y aura un manque d’harmonie. La loi de la Nature veut qu’on œuvre en harmonie avec le désir du Seigneur.
mayâdhyaksena prakrtih sûyate sa-carâcaram
hetunânena kaunteya jagad viparivartate
« La Nature matérielle agit sous Ma direction, ô fils de Kuntî, engendrant tous les êtres, mobiles et immobiles. Régi par ses lois, le cosmos est créé puis anéanti dans un cycle sans fin. » (Gîtâ 9:10) Sous la direction de Krishna, tout fonctionne de façon harmonieuse. Les événements ne surviennent pas de façon aveugle. Toute organisation comporte une autorité suprême dont les ordres font en sorte que tout opère de manière harmonieuse. L’harmonie implique l’existence d’un maître suprême. On dit généralement que l’obéissance est le premier principe de la discipline. Aucune harmonie ne peut régner sans l’obéissance.
SYAMASUNDAR: Locke dirait qu’il faut obéir aux lois de la Nature.
SRILA PRABHUPADA: Tous obéissent d’ores et déjà aux lois de la Nature. Yasyajñayâ bhramati : la Brahma-samhitâ (5:52) affirme que le soleil parcourt son orbite fixée par la loi de Govinda. L’Être Suprême a également imposé des limites à l’océan. La Nature entière agit selon la loi divine.
SYAMASUNDAR: Locke croit qu’il faut obéir aux lois que nous acceptons, c.-à-d. le contrat social.
SRILA PRABHUPADA: Voici la loi : il faut s’abandonner à Krishna. Accepter les lois du Suprême – voilà en quoi consiste la religion.
SYAMASUNDAR: Les hommes acceptent socialement de ne pas voler la propriété d’autrui ou de s’entre-tuer. Ne devons-nous pas obéir à ces lois ?
SRILA PRABHUPADA: Les lois des hommes imitent celles de Dieu, selon lesquelles le Seigneur est maître et possesseur de tout ce qui existe en cet Univers, de l’animé comme de l’inanimé (îsâvâsyam idam sarvam). [Sri Îsopanishad 1] Chaque être vivant est fils de Dieu et a le droit de vivre à Ses frais. Chacun se nourrit d’aliments que le Seigneur lui procure. Les animaux mangent ce qui leur est destiné. Pourquoi tuer la vache qui se nourrit d’herbe ? Ceci va à l’encontre de la loi divine. Riz, céréales, fruits, légumes…, tels sont les aliments qui furent conçus pour nous. Les tigres ne mangent pas nos fruits ou nos céréales; pourquoi alors les tuerait-on ? Ils n’empiètent pas sur nos droits.
HAYAGRIVA: Locke plaide en faveur de la propriété privée donnée aux humains par Dieu. Il croit que chacun peut être intendant d’une certaine quantité de propriétés. Est-ce en accord avec l’enseignement de l’Îsopanishad ?
SRILA PRABHUPADA: Oui. Tena tyaktena bhuñjîthâ : « Chacun doit donc prendre uniquement la part qui lui est assignée selon ses besoins. » (Îsopanishad 1) Tout appartient à Dieu. Le père de plusieurs fils peut être l’ultime propriétaire de sa maison, mais il n’en cédera pas moins différentes pièces à ses fils. Un fils obéissant saura se satisfaire de ce que son père lui assigne. Le fils désobéissant, par contre, n’aspire qu’à perturber ses frères; voilà pourquoi il revendique leurs chambres. Une telle attitude engendre le chaos et la confusion dans le monde. L’Organisation des Nations Unies fut créée pour unifier les nations, mais en vain. On continue d’empiéter sur la propriété d’autrui. Résultat : aucune paix. En acceptant Dieu comme le possesseur suprême et en étant satisfait de ce qu’Il nous assigne, finis les problèmes. Hélas, on n’est jamais satisfait.
SYAMASUNDAR: L’éthique utilitaire de Locke veut que le bonheur soit le souverain bien et que l’obéissance à la loi morale conduise au bonheur.
SRILA PRABHUPADA: Le problème c’est qu’en l’Univers matériel, le bonheur se révèle temporaire. Quand bien même on respecterait les lois morales, autrui nous causera des ennuis. Certains s’en fichent que vous soyez moral ou immoral. La Bhagavad-Gîtâ (8:15) confirme que le bonheur n’est pas de ce monde : « En ce monde transitoire règne la souffrance. » (duhkhâlayam asâsvatam) Il nous faut donc chercher le lieu où règne le vrai bonheur : le monde spirituel. Le bonheur ici-bas n’est qu’une autre illusion. Impossible d’être heureux en ce bas monde. Comment connaître le bonheur ici quand Krishna Lui-même déclare qu’il s’agit d’un lieu de souffrance ? Dans la Bhagavad-Gîtâ (6:21), Krishna décrit le vrai bonheur :
sukham âtyantikam yat tad buddhi-grâhyam atîndriyam
vetti yatra na caivâyam sthitas calati tattvatah
« En cet heureux état, on jouit, à travers des sens purifiés, d’un bonheur spirituel infini. Cette perfection atteinte, l’âme sait que rien n’est plus précieux, et ne s’écartera pas désormais de la vérité. » Le véritable bonheur se trouve au-delà de la portée des sens. Il est atîndriya. En d’autres mots, nous devons purifier nos sens afin de le connaître. Ce que confirme Rishabhadeva :
nâyam deho deha-bhâjâm nrloke kastân kâmân arhate vid-bhujâm ye
tapo divyam putrakâ yena sattvam suddhyed tasmâd brahma-saukhyam tv anantam
« D’entre tous les êtres ayant revêtu en ce monde des corps matériels, ceux auxquels une forme humaine a été octroyée ne devraient pas peiner jour et nuit en vue du seul plaisir des sens, accessible même aux chiens et aux porcs qui se nourrissent d’excréments. Ils devraient plutôt pratiquer la pénitence et l’austérité pour atteindre le niveau divin du service de dévotion. Grâce à cette pratique, le cœur se purifie et on découvre alors une existence éternelle et toute de félicité, qui transcende le bonheur matériel et dure à jamais. » (Bhâgavatam 5.5.1) Pour l’instant, notre existence est impure. Les sucreries ont un goût amer pour qui souffre de la jaunisse. Pour goûter au vrai bonheur, nous devons purifier nos sens. Le matérialiste croit que dès qu’il aura des rapports sexuels, il connaîtra le bonheur, mais tel n’est pas le véritable bonheur. Nous ne pouvons même pas jouir de ce bonheur. Conclusion : ne recherchons pas le bonheur comme le feraient chats, chiens et porcs, mais en tant qu’être humains. Ce qui signifie tapasya, ou la purification des sens. Il s’agit d’abord de se guérir de la maladie matérielle; on pourra ensuite goûter au vrai bonheur lorsqu’on recouvrera la santé. L’être sain d’esprit sait qu’il est une âme spirituelle recouverte de matière. Laissons le service de dévotion nous laver de ce voile. Tat-paratvena nirmalam (Nârada-pañcharâtra). En s’engageant dans le service de dévotion, on lève ce voile et nos véritables sens apparaissent. Nous pourrons alors tirer jouissance de ceux-ci en servant Krishna.
SYAMASUNDAR: Locke dit également que tous les humains naissent aussi libres qu’égaux dans l’état de nature et qu’ils ont conclu un contrat social. Par conséquent, le gouvernement doit être fondé sur et être sujet au consentement mutuel de tous les citoyens.
SRILA PRABHUPADA: On peut arriver à pareil accord quand tous se situent au niveau spirituel. Sur le plan matériel, on est soumis aux trois modes d’influence de la Nature matérielle : Vertu, Passion et Ignorance. Comment le vote d’une personne à la conscience divine et celui d’un ivrogne pourraient-ils être égaux ? L’égalité s’avère impossible à moins que tous s’élèvent au niveau spirituel.
SYAMASUNDAR: Est-il vrai que tous les humains naissent aussi libres qu’égaux ?
SRILA PRABHUPADA: Oui, c’est un fait. À moins d’être libres, comment pourrions-nous pécher ? Pécher signifie être libre de commettre des péchés. Et par égalité, on entend le fait d’être doté d’une certaine indépendance. Nous sommes égaux en ce sens que nous pouvons faire un bon ou mauvais usage de cette dernière. De par notre indépendance, nous sommes tous égaux. En faisant un mauvais usage de celle-ci, on déchoit tandis qu’un bon usage nous élèvera. Nous jouissons de droits égaux dans l’usage que nous faisons de notre indépendance.