JOHN STUART MILL
(1806-1873)
HAYAGRIVA: Dans Essay on Nature, Mill écrit : « L’ordre de la Nature, dans la mesure où l’homme ne l’a pas modifié, s’avère tel que nul Être dont les attributs sont justice et bienveillance l’aurait établi dans l’intention que ses créatures rationnelles s’inspirent de cet exemple… Il ne pourrait qu’exister en tant qu’œuvre imparfaite à dessein pour que l’humain, dans sa sphère limitée, l’amende avec justice et bienveillance. »
SRILA PRABHUPADA: On qualifie l’homme d’animal rationnel, car la nature animale et la nature rationnelle cohabitent en lui. Manger, dormir, s’accoupler et se défendre sont des activités animales, mais l’être humain doit cultiver sa nature rationnelle. Grâce à la raison, par exemple, il peut comprendre qu’il n’est pas nécessaire de manger de la viande pour être en bonne santé. Non pas que l’homme doive se laisser emporter par les voies de la Nature, qui veulent qu’il mange de tout. Les humains sont habitués à manger des choses abominables; c’est ainsi qu’ils se compromettent. Au-delà des quatre activités animales citées plus haut, l’humanité doit rechercher la Vérité Absolue. Voilà un usage approprié de la rationalité humaine, sans lequel on demeure animal.
SYAMASUNDAR: Mill avance que le monde – ou la Nature – peut être amélioré par l’effort humain, quoique la perfection demeure impossible.
SRILA PRABHUPADA: C’est juste dans un certain sens. Le monde est ainsi fait que même en le rendant parfait aujourd’hui, il se détériorerait demain. Néanmoins, la conscience de Krishna pourrait améliorer la situation mondiale en transmettant le message de Krishna à tous ceux qui viendraient en contact avec elle. Voilà la meilleure œuvre sociale qu’on puisse accomplir.
SYAMASUNDAR: Les utilitaristes se fixaient le but plus spécifique d’obtenir tout ce dont les gens avaient besoin ou désiraient.
SRILA PRABHUPADA: Ils désirent le bonheur. Les utilitaristes s’efforcent de leur procurer un bonheur artificiel, sans Krishna, alors que nous cherchons à leur offrir un bonheur immédiat avec Krishna. En purifiant notre existence, nous pouvons accéder au bonheur spirituel, éternel. Tous travaillent dur en vue d’être heureux, mais comment connaître le bonheur quand on est malade ? La maladie matérielle est un obstacle au bonheur; il s’agit donc de s’en guérir.
HAYAGRIVA: Mill estime que des vertus comme le courage, la propreté et la maîtrise de soi ne sont pas instinctives chez l’humain, mais doivent être cultivées. Il écrit dans Nature : « La vérité veut qu’il y ait à peine un point d’excellence propre au tempérament humain, qui ne soit franchement répugnant aux sentiments primitifs de la nature humaine.»
SRILA PRABHUPADA: Oui. Aussi existe-t-il diverses méthodes pédagogiques dans la société humaine. Les êtres humains doivent être éduqués selon les instructions des Écritures védiques, dont la Bhagavad-Gîtâ est le résumé exhaustif. Tous doivent donc la lire telle qu’elle est, car il n’est pas nécessaire de l’interpréter.
SYAMASUNDAR: Pour Mill, il existe plusieurs façons de vérifier la connaissance. À titre d’exemple, on peut déterminer la cause et les effets des choses en déterminant si les phénomènes à l’étude n’ont qu’une circonstance en commun. Dans l’affirmative, nous pouvons conclure que la circonstance à elle seule est la cause derrière l’effet.
SRILA PRABHUPADA: La loi naturelle de cause à effet existe certes. Mais si nous poursuivons plus avant nos recherches pour déterminer une cause, nous parviendrons finalement jusqu’à Krishna. Tout a une origine, une cause première. Chercher la cause des choses à l’aide de recherches, voilà ce qu’on appelle darshana, ce qui signifie « découvrir la cause ». D’où vient qu’on qualifie la philosophie de darshana-shâstra, qu’on traduit par « découvrir la cause première d’une cause ». Il s’agit ici d’aboutir à Krishna, la cause originelle de tout ce qui existe.
SYAMASUNDAR: À quelle sorte de test pourrait-on soumettre les phénomènes pour en découvrir la cause ? Comment établir que Dieu est la cause derrière tout ?
SRILA PRABHUPADA: Pour chaque phénomène existe une cause; nous savons d’ailleurs que Dieu incarne la cause ultime. Mill peut bien présenter plusieurs façons d’étudier les causes immédiates, mais c’est la cause ultime de tout qui nous intéresse. Celle-ci est entièrement libre de tout faire et ce, au-delà de toute estimation de notre part. Tout ce que nous voyons n’est que l’effet de Son impulsion originelle.
SYAMASUNDAR: Si en voyant la pluie tomber, nous désirons prouver que Dieu en est la cause, quel test faudrait-il réaliser ?
SRILA PRABHUPADA: Celui des Écritures (shâstras) védiques à travers lesquelles on nous conseille de voir puisqu’il s’avère impossible pour nous de le faire directement. À cause de nos sens imparfaits, la perception directe n’a aucune valeur. Il faut ainsi acquérir le savoir à travers un enseignement avéré.
SYAMASUNDAR: En d’autres mots, ce sont les yeux des shâstras qui nous permettraient de voir Dieu dans la pomme qui tombe de l’arbre ?
SRILA PRABHUPADA: Dieu a élaboré des lois si parfaites qu’une cause provoque un effet qui, à son tour, en occasionne un second et ainsi de suite. En voyant une pomme, on peut expliquer que sa croissance est l’œuvre de la Nature, mais celle-ci agit selon certaines lois spécifiques établies par Krishna. D’où la couleur et la saveur propres à la pomme. Les énergies parfaites de Krishna opèrent parfaitement. Tout se déroule selon des lois systématiques, même si on ne perçoit pas celles-ci.
SYAMASUNDAR: Les savants admettent que rien ne peut sortir du néant.
SRILA PRABHUPADA: Lorsqu’une chose surgit, il doit en exister une cause à l’arrière-plan. Nous enseignons que la cause première de tout est Brahman, la Vérité Absolue.
SYAMASUNDAR: Mill ne voit certes pas Dieu comme la cause du mal. En fait, il considère que le Seigneur est en guerre contre le mal. Le rôle de l’humain : aider Dieu à mettre fin à ce conflit. Il écrit : « Si la Providence est toute-puissante, Elle veut tout ce qui arrive et le fait que cela arrive prouve que la Providence l’a voulu. De sorte que tout ce que l’humain peut faire est prédestiné par la Providence et est l’accomplissement de Ses desseins. Mais si comme le veut une théorie plus religieuse, la Providence ne veut pas tout ce qui survient mais seulement le bien, l’homme a vraiment alors le pouvoir – par ses actions volontaires – de favoriser les desseins de la Providence… »
SRILA PRABHUPADA: La Providence ne désire que le bien. L’être vivant s’est retrouvé en cet Univers matériel parce qu’il a fait un mauvais usage de sa volonté. Même s’il désire tirer jouissance de ce monde de matière, Dieu est si bon qu’Il lui accorde facilités et directives. Quand l’enfant désire jouer d’une certaine façon, il y est guidé par quelque gardienne ou servante embauchée par les parents. Notre position s’apparente à la sienne. Ayant renoncé à la compagnie de Dieu pour venir en l’Univers matériel et y prendre du bon temps, le Seigneur l’a permis en disant : « D’accord, profite de l’expérience. Quand tu comprendras que la jouissance matérielle n’apporte finalement que frustration, tu pourras revenir. »
Ainsi le Seigneur Suprême guide-t-Il la jouissance de tous les êtres, et surtout les humains, afin qu’ils puissent regagner leur demeure première, le royaume de Dieu. La Nature est l’agent qui agit selon les instructions du Seigneur. Si l’être vivant est trop enclin à abuser de sa liberté, il sera puni. Ce châtiment est la conséquence du désir de l’être. Dieu ne veut pas voir l’être humain se changer en porc, mais quand on développe une telle mentalité en mangeant sans discernement, Il accorde cette facilité sous la forme d’un corps de porc. Présent dans le cœur de tous, Dieu note de l’intérieur les désirs de l’être vivant. Puis, Il ordonne à la Nature matérielle de produire un corps conforme aux désirs de chacun.
HAYAGRIVA: Mill écrit encore : « Limitée comme la puissance divine doit l’être, vu cette performance, par des obstacles aussi impénétrables qu’insurmontables, qui sait quel homme aurait pu être créé sans désirs qui ne seront – voire qui ne devraient jamais être – satisfaits ? » Ainsi Mill conclut-il que l’existence du mal, de la souffrance ou de la mort, exclut celle d’un Dieu tout-puissant. Il voit l’humain dans la position de « favoriser les desseins de la Providence » en surmontant ses mauvais instincts. Dieu ne possède pas une puissance infinie, sinon le mal n’existerait pas.
SRILA PRABHUPADA: Le mal fut incontestablement créé par Dieu. Mais c’est l’abus par l’être humain de son libre arbitre qui a rendu la chose nécessaire. Dieu donne de bonnes directives à l’humanité, mais lorsque celle-ci désobéit, le mal viendra naturellement la punir. Dieu ne désire pas le mal, qui est créé par nécessité. Même s’il fait construire des prisons, l’État préfère bâtir des universités en vue d’instruire les gens et de les rendre très éclairés. Puisque certains abusent de leur indépendance, les prisons s’avèrent nécessaires. Nous souffrons à cause de nos mauvaises actions. Voilà pourquoi Dieu, étant suprême, nous punit. Lorsqu’on se place sous la protection du Seigneur, rien n’est mal; tout est bien. Dieu ne désire pas créer le mal; ce sont plutôt les mauvaises actions de l’humain qui incitent le Seigneur à créer une situation douloureuse.
HAYAGRIVA: Dans la tradition judéo-chrétienne, Dieu est en guerre contre Satan. Dans les Écritures védiques, on retrouve également des conflits armés entre dévas et démons, ainsi qu’entre Krishna et ces derniers. Mais il ne semble pas s’agir là de sérieux affrontements entre Dieu et Ses ennemis. Krishna n’est-Il pas toujours d’humeur espiègle ?
SRILA PRABHUPADA: Étant tout-puissant, Krishna en réalité Se divertit même lorsqu’Il combat des êtres diaboliques. De tels affrontements n’ont aucun effet sur Son énergie. On peut comparer pareille situation aux simulacres de combat entre un père et son petit enfant. Une giffle de la part du père et l’enfant serait vaincu. Krishna permet aux démoniaques de s’amuser à Le combattre, mais il suffit d’une bonne gifle de Sa part pour les anéantir. Impossible de combattre Dieu : Il est le Tout-Puissant. Mais qu’un être désobéissant ose tourmenter Ses dévots et Dieu lui donnera la mort. Paritrânâya sâdhûnâm vinâsâya ca duskrtam (Gîtâ 4:8) : quand Krishna apparaît sur la Terre, Il châtie les diaboliques et protège Ses dévots. Chaque fois qu’il y a conflit entre anti-dieux et dévas, Dieu Se range toujours du côté des dévas.
HAYAGRIVA: Mill considère qu’il s’agit davantage d’une véritable lutte entre Dieu et Satan, ou le mal.
SRILA PRABHUPADA: Parce que les démons transgressent toujours les lois divines, tandis que les dévas les respectent. Voilà en quoi consiste la principale différence entre ces deux classes d’êtres, selon les shâstras.
HAYAGRIVA: Mais Mill imagine Dieu menant une lutte acharnée pour vaincre les diaboliques.
SRILA PRABHUPADA: Dieu n’a aucune raison de lutter. Les Védas déclarent qu’Il est si puissant qu’Il n’a rien à faire. Tout comme le roi possède plusieurs serviteurs, ministres et soldats qui exécutent ses ordres, Krishna est le maître de nombreuses énergies qui agissent selon Ses directives. Mais Krishna Lui-même n’a rien à faire excepté jouer de la flûte et Se divertir. Voilà l’ânanda. Malgré Ses Divertissements, l’Univers continue d’exister conformément aux directives du Seigneur, grâce à Ses multiples énergies. Pas question donc de lutte pour Dieu, qui n’est même pas obligé de combattre. Ses différents agents peuvent aisément anéantir tous les éléments perturbateurs de l’Univers.
SYAMASUNDAR: Mill croit que Dieu est bon, mais compromis dans un monde qui ne serait pas Sa création.
SRILA PRABHUPADA: Monsieur Mill serait-il devenu le juge de Dieu ? Dieu est bon, mais pas autant que Mill l’aurait voulu ? Est-ce là ce qu’il pense du Seigneur ? Dieu est-Il bon en toutes circonstances ? Ou le serait-Il seulement lorsque monsieur Mill en décide ainsi ? Quelle est la position du Seigneur ?
SYAMASUNDAR: Mill dit que la présence du mal indique que si Dieu était tout, Il ne serait pas absolument bon.
SRILA PRABHUPADA: Dieu devrait-Il dépendre de l’opinion de monsieur Mill ? Ce dernier n’approuverait-il pas toutes les activités du Seigneur ?
SYAMASUNDAR: Mill soutient que Dieu est bon, mais Sa puissance serait limitée. Si celle-ci était absolue, tout serait bon.
SRILA PRABHUPADA: C’est absurde ! Tout est bon ! Ainsi le veut notre philosophie. Quand Dieu anéantit un démon, des fleurs pleuvent aussitôt des cieux. Tout ce que fait le Seigneur est bon. On vénère la râsa-lîlâ, la danse de Krishna avec les épouses d’autrui au cœur de la nuit; mais si un homme ordinaire L’imitait, il serait aussitôt accusé de débauche. Dieu est bon et digne d’adoration en toutes circonstances. Non pas que nous soumettons le Seigneur à notre jugement en disant : « Vous êtes bon, mais pas trop. » Les sots pensent : « Je suis supérieur à Dieu; je peux créer mon propre dieu. » Le Seigneur nous a créés, mais nous ne pouvons pas créer Dieu. Malheureusement, Mill ne sait pas distinguer le bien du mal. Il aurait dû savoir que tout ce que Dieu crée est bon, même si cela revêt l’apparence du mal à nos yeux. Nous pouvons penser que ceci ou cela est mal, alors que c’est bien en réalité. Nous sommes à blâmer si nous ignorons en quoi c’est bien. Dieu ne peut être soumis à notre jugement. En toutes circonstances, Dieu demeure bon.
HAYAGRIVA: Mill s’intéressait particulièrement au rôle de l’autorité. Dans son livre Utility of Religion, il écrit : « Considérez l’ascendant considérable de l’autorité sur l’esprit humain… L’autorité est l’évidence sur laquelle la masse des hommes croient tout ce qu’on les dit savoir, excepté les faits dont leurs propres sens ont pris connaissance. C’est l’évidence sur laquelle même les plus sages reçoivent toutes les vérités scientifiques, les faits historiques ou de la vie, dont ils n’ont pas personnellement examiné les preuves… »
SRILA PRABHUPADA: Vous ne pouvez ni défier ni refuser la véritable autorité. Notre présentation du Mouvement pour la Conscience de Krishna repose sur ce principe. Il faut exécuter les ordres de l’autorité, et Krishna, ou Dieu, incarne l’Autorité Suprême. Tout ce qu’Il dit doit être accepté sans interprétation. Ainsi, tous peuvent être heureux. Les gens sains d’esprit n’hésitent pas à accepter l’autorité du Seigneur, et ils trouvent le bonheur dans l’obéissance à Ses directives. Ces personnes qui suivent avec exactitude les instructions de l’Autorité Suprême sont également des autorités. Le maître spirituel est le serviteur faisant autorité et Dieu est le maître faisant autorité. En suivant les instructions du serviteur faisant autorité, on devient à notre tour des serviteurs autorisés du maître spirituel.
HAYAGRIVA: Concernant la moralité, Mill écrit : « La croyance au surnaturel – si grands que soient les services rendus par celle-ci aux prémices du développement humain – n’est désormais guère requise pour nous permettre de savoir ce qui est bien ou mal en matière de moralité sociale, ou pour nous motiver à faire le bien et à s’abstenir du mal. »
SRILA PRABHUPADA: Par moralité, on entend respecter les directives de Dieu. Ainsi se définit la véritable moralité. D’autres formes de moralité sont parfois fabriquées de toutes pièces et diffèrent selon les pays d’origine. La religion et la véritable moralité opèrent cependant selon le même principe. La religion revient à exécuter les ordres de Dieu, et la moralité, à suivre ces principes grâce auxquels on peut combler les désirs du Seigneur. Avant la Bataille de Kurukshétra, Arjuna croyait qu’il était immoral de tuer; mais quand l’enseignement de Krishna lui fit comprendre que la guerre était nécessaire, il décida d’exécuter son devoir de kshatriya. Telle est donc la moralité. En dernière analyse, la moralité revient à combler les désirs du Seigneur.
SYAMASUNDAR: Pour Mill, il existerait deux approbations morales à la conduite. L’une serait intérieure, c.-à-d. notre conscience et notre sentiment du devoir.
SRILA PRABHUPADA: Qu’entend-il par « conscience » ? Le sentiment du devoir et la conscience sont deux choses différentes. C’est notre devoir de recevoir les instructions d’êtres supérieurs. Comment connaître notre devoir sinon ?
SYAMASUNDAR: Mill estime que notre devoir est le « plus grand bien possible pour le plus grand nombre possible de personnes ».
SRILA PRABHUPADA: Tout ça demeure très vague. Et si tous veulent prendre de la drogue ? Est-ce notre devoir de les y aider ? Comment le vaurien comprendrait-il ce qu’est son devoir ? Il faut recevoir une formation pour le connaître.
SYAMASUNDAR: Mill dirait qu’il existe un principe rationnel ou directeur de l’action, c.-à-d. la règle d’or des chrétiens : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse. »
SRILA PRABHUPADA: Ce qui signifie qu’on doit approcher le Christ. On ne peut soi-même inventer des règles d’or. Il faut suivre les directives du Christ, ce qui revient à approcher une autorité supérieure.
SYAMASUNDAR: La seconde approbation à la conduite morale serait extérieure : la peur de déplaire à autrui ou à Dieu. Nous espérons gagner l’approbation en agissant de façon morale.
SRILA PRABHUPADA: Ce qui revient également à accepter une autorité. Voilà pourquoi les Védas disent que si on désire être un vrai érudit, on doit approcher un gourou. John Stuart Mill en avait-il un ?
SYAMASUNDAR: Son père, James Mill, était également un grand philosophe.
SRILA PRABHUPADA: Quoi qu’il en soit, il faut accepter une autorité, que ce soit le Christ ou Krishna. Notre devoir est de suivre les directives de l’autorité supérieure. Nous acceptons, bien sûr, Krishna – Dieu, la Personne Suprême – comme autorité.
HAYAGRIVA: Mill rejette personnellement plusieurs principes chrétiens fondamentaux. Il croit même que la croyance en l’immortalité de l’âme ne revêt aucune valeur intrinsèque. Il écrit : « Les personnes qui croient en l’immortalité de l’âme quittent généralement leur corps avec autant sinon plus de répugnance que celles ne nourrissant pas une telle attente. »
SRILA PRABHUPADA: Nous constatons chaque jour que l’âme demeure immuable, malgré les transformations subies par le corps. Dans notre propre famille, nous voyons le corps de l’enfant se changer en celui d’un adolescent, puis d’un jeune homme, d’un homme d’âge moyen, et enfin d’un vieillard. En toutes circonstances, l’âme demeure inchangée. Pourquoi est-ce si difficile de comprendre l’immortalité de l’âme ? Cela ne requiert pas une si grande intelligence.
yasyâtma-buddhih kunape tridhâtuke sva-dhîh kalatrâdisu bhauma ijya-dhîh
yat-tîrtha-buddhih salile na karhicij janesv abhijñesu sa eva go-kharah
« L’homme qui identifie au moi son corps constitué de trois éléments, qui considère ce qui est lié au corps comme sa parenté ou sa nation, qui fait de sa terre natale un objet de culte, et qui se rend aux lieux saints pour s’y baigner plutôt que pour y rencontrer ceux qui possèdent le savoir transcendantal, ne vaut certes pas mieux qu’un âne ou une vache. » (Bhâgavatam 10.84.13) Quiconque ne comprend pas l’immortalité de l’âme est un animal. Pas question ici de croyance, il s’agit au contraire d’un fait. L’homme qui dirait « je ne crois pas que je vieillirai » serait certes ignorant des réalités de la vie. À moins de mourir jeune, il vieillira nécessairement. C’est une question de bon sens, et non de croyance. Krishna dit dans la Bhagavad-Gîtâ (2:12) que jamais ne fut le temps où nous n’existions pas, et que jamais nous ne cesserons d’être. Immortelle, l’âme jamais ne prend naissance ou meurt. Telles sont les prémices du savoir. Comprenons d’abord qui nous sommes. Sinon, l’égarement nous guette. Nous prendrons alors soin du corps tout comme le sot prendrait soin de la cage, tout en négligeant l’oiseau qui l’habite.
HAYAGRIVA: Utilitariste et humaniste, Mill estime qu’une religion humanitaire aurait plus d’effet qu’une religion surnaturelle. La religion humanitaire favoriserait les sentiments désintéressés et aurait l’humain comme centre.
SRILA PRABHUPADA: Sans Dieu, comment serait-ce une religion ? J’ai déjà expliqué que la religion revient à exécuter les directives du Seigneur.
HAYAGRIVA: Mill affirme qu’il n’existe aucune preuve de l’immortalité de l’âme ou du contraire.
SRILA PRABHUPADA: Que lui faut-il pour être convaincu de l’immortalité de l’âme ? Les preuves sont abondantes dans ce domaine. C’est dommage pour l’humanité qu’une personne comme Mill ne puisse pas comprendre une vérité si simple que même un enfant peut l’appréhender.
HAYAGRIVA: En dernière analyse, Mill considère que tout ce qui est surnaturel relève davantage de l’espoir pur et simple que de la croyance.
SRILA PRABHUPADA: Ce n’est ni une croyance ni un espoir; il s’agit au contraire d’un fait, du moins pour les personnes conscientes de Krishna. Krishna est apparu sur notre planète et a donné Son enseignement à Arjuna, et cet enseignement fut consigné par écrit.
HAYAGRIVA: Mill est un partisan si ardent de l’humanisme qu’il écrit : « Je ne qualifierai pas de bon un être qui n’incarne pas ce que j’entends quand j’applique cette épithète à mes semblables. Et si cet être me condamnait à l’enfer pour ne pas l’avoir appelé ainsi, en enfer j’irais volontiers. »
SRILA PRABHUPADA: Dieu demeure toujours bon. La personne qui ne connaît pas la bonté du Seigneur est imparfaite. Selon l’entière littérature védique, Dieu Se révèle toujours aussi bon que grand. Comment Mill définit-il une bonne personne ?
HAYAGRIVA: Celle qui œuvre pour ce qu’il appelle « le principe du plus grand bonheur », c.-à-d. le plus grand bonheur possible pour tous les habitants de la Terre.
SRILA PRABHUPADA: Quel être humain pourrait œuvrer pour le bien de tous ?
HAYAGRIVA: Le Christ dit qu’aucun humain n’est bon : Dieu seul est bon.
SRILA PRABHUPADA: C’est un fait. On peut penser que telle personne est bonne, mais son pouvoir s’avère limité. Elle pourrait encore penser en fonction de sa nation ou de sa société. Seul un pur dévot de Krishna peut être bon, car il respecte les directives de l’Infiniment Bon. Même en désirant être bon, on ne saurait y parvenir sans Dieu. Quoi qu’il en soit, bon et mauvais sont des créations mentales. L’être conscient de Dieu est bon, au contraire de qui ne jouit pas d’une telle conscience. Tel devrait être le seul critère.
SYAMASUNDAR: Mais que dire de l’affirmation de Mill voulant que le bien procure le plus grand plaisir au plus grand nombre possible de personnes ?
SRILA PRABHUPADA: Et si c’étaient des sots et vauriens ? La majorité dirait peut-être que la cigarette est excellente, mais devient-elle désirable pour autant ?
SYAMASUNDAR: Mill établit une distinction entre la qualité et la quantité de plaisir. Certains plaisirs sont supérieurs à d’autres.
SRILA PRABHUPADA: En présence de la qualité, la quantité diminue naturellement. À titre d’exemple, le commun des mortels aiment manger, dormir, s’accoupler, boire, fumer, etc. Le plaisir lié à la conscience de Krishna est de nature spirituelle, mais rares sont ceux qui le goûtent. Comme les âmes conditionnées ne sont généralement pas très intelligentes, le plaisir favori sera celui du plus grand nombre de personnes peu sensées. La philosophie védique veut que l’humain naisse peu sensé, mais l’éducation et la culture peuvent lui conférer l’intelligence.
SYAMASUNDAR: Mill préconise l’usage de principes qui peuvent offrir un plaisir de la plus haute qualité au plus grand nombre de personnes. Il écrit également : « Mieux vaut être un humain insatisfait qu’un porc satisfait. Mieux vaut être un Socrate insatisfait qu’un sot satisfait. »
SRILA PRABHUPADA: Mais combien de Socrate compte-t-on ? On n’en rencontre pas à tous les coins de rue. Il est unique. Pas question donc du plus grand nombre. Les hommes du calibre de Socrate sont minoritaires. Krishna dit dans la Bhagavad-Gîtâ (7:3) :
manusyânâm sahasresu kascid yatati siddhaye
yatatâm api siddhânâm kascin mâm vetti tattvatah
« Parmi des milliers d’hommes, un seul peut-être recherchera la perfection, et parmi ceux qui l’atteignent, rare celui qui parvient à Me connaître en vérité. » Ce n’est pas une question de quantité, mais de qualité.
SYAMASUNDAR: Mill estime que le plus grand nombre pourrait également goûter un plaisir de la plus haute qualité. Tous les êtres humains devraient être formés à trouver un plaisir conforme à cette norme supérieure.
SRILA PRABHUPADA: Ce qui signifie que le plus grand nombre de personnes doit être initié au plaisir suprême. Malheureusement, seulement une minorité l’apprécie. Notre Mouvement pour la Conscience de Krishna, à titre d’exemple, ne peut être compris par les masses. Seules quelques âmes fortunées le comprennent. Des millions d’étoiles peuvent briller dans le ciel, mais il suffit d’une seule Lune pour dissiper l’obscurité. Impossible de trouver plusieurs lunes, mais les lucioles sont légions.
SYAMASUNDAR: Mill cherchait à déterminer le critère de plaisir le plus désirable.
SRILA PRABHUPADA: Il n’en a pas la moindre idée; aussi doit-il l’apprendre des Védas. Le commun des mortels considèrent le sexe comme le plaisir suprême, et l’Univers matériel entier existe à cause de la sexualité. Or, combien de temps dure ce plaisir ? Quelques minutes seulement. Ne désirant pas un plaisir aussi fugace, le sage lui préfère un bonheur perpétuel. Le mot nitya signifie « éternel » et ânanda se traduit par « félicité ». Les Védas déclarent que les âmes intelligentes ne s’intéressent guère au plaisir passager, mais recherchent plutôt un bonheur éternel. Conscientes de leur nature originelle, elles ne s’identifient pas au corps. Les plaisirs que procurent le corps sont passagers et n’attirent que les vauriens. Qui s’identifie au corps recherche naturellement de tels plaisirs. Quiconque sait qu’il n’est pas le corps mais une âme éternelle aspire au bonheur éternel de nature spirituelle.
SYAMASUNDAR: Mill croit qu’un peu de plaisir de qualité supérieure surpasse une grande quantité de bonheur de qualité inférieure.
SRILA PRABHUPADA: Telle est notre philosophie. On lit dans la Bhagavad-Gîtâ (2:40) :
nehâbhikrama-nâso ’sti pratyavâyo na vidyate
svalpam apy asya dharmasya trâyate mahato bhayât
« Aucun effort dans cette voie n’entraîne la moindre perte, et tout progrès, si modeste soit-il, prévient du plus redoutable danger. » Même l’âme qui déchoit de la conscience de Krishna réalise un gain, si minime soit-il, de ce qu’elle en a connu. Par contre, ceux qui œuvrent selon le varnâshram-dharma, mais négligent le service de dévotion, ne peinent qu’en vain. Plusieurs adoptent la conscience de Krishna pendant quelques jours puis s’en vont, mais reviennent plus tard à cause de la qualité tellement supérieure de cette conscience. Telle est la puissance du mantra Hare Krishna. Le temps et le cours du Soleil dans le ciel effacent tout sauf la conscience de Krishna. Tout en ce monde s’avère éphémère; mais vu notre nature d’âmes spirituelles éternelles, nous ne devons accepter que ce dont la valeur est permanente. Il serait peu intelligent de se satisfaire d’autre chose.
SYAMASUNDAR: Mill dirait que le seul critère grâce auquel on peut comprendre ce qui serait désirable est le fait que les gens le désirent.
SRILA PRABHUPADA: Nous devrions désirer Krishna, mais les gens ne Le connaissent pas. Ils pensent : « j’aime mon pays », ou « j’aime mon corps ». Mais qu’est-ce que cet amour ? C’est l’âme spirituelle qui habite le corps qui dit : « j’aime ».
SYAMASUNDAR: Mais Mill soutient qu’une chose désirée est désirable en soi.
SRILA PRABHUPADA: Les êtres vivants désirent plusieurs choses. Le porc désire des excréments, mais sont-ils désirables pour autant ? Les habitants du Bowery n’ont d’intérêt que pour la boisson. Est-ce une habitude très désirable ? Chaitanya Mahâprabhou ne désire que Krishna; voilà un désir d’une tout autre nature. Tel devrait être le vrai critère du désir. Sachons ce que désirent les mahâjans, les âmes les plus élevées, et que tel soit notre critère. Il se peut que nous désirions ce qui nous serait néfaste au lieu d’aspirer à ce qui serait propice. Dans la Bhagavad-Gîtâ, Krishna veut qu’Arjuna combatte, mais tel n’était pas le désir de celui-ci. Arjuna voulait initialement quitter le champ de bataille; mais il changea d’avis puisque Krishna désirait le voir combattre. L’idée ici est qu’il faut désirer ce que désirent les grandes âmes, et non ce qu’on désire soi-même. Que sommes-nous après tout ? Considérons-nous toujours comme peu intelligents.
SYAMASUNDAR: Mill préconise une liberté totale afin que tous puissent s’exprimer comme bon leur semble.
SRILA PRABHUPADA: Ne soyons pas absurdes ! Personne ne jouit d’une telle liberté.
SYAMASUNDAR: Mill estime néanmoins que tous doivent être libres.
SRILA PRABHUPADA: Tous devraient donc être philosophes. Mill a élaboré sa propre philosophe et chacun en fait autant.
SYAMASUNDAR: Mill croit que si tous sont libres de rivaliser, le meilleur émergera.
SRILA PRABHUPADA: Il ne s’agit donc pas ici de liberté mais de compétition. Notre point de vue veut que tous dépendent en dernière analyse de Krishna. De toute évidence, l’illusion nous rend dépendants de mâyâ; mais de toute façon, nous ne pouvons qu’être dépendants.