SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 3
CHAPITRE 27

Connaissance de la
nature matérielle.

VERSET 11

mukta-lingam sad-abhasam
asati pratipadyate
sato bandhum asac-caksuh
sarvanusyutam advayam

TRADUCTION

L'âme libérée réalise l'Absolu Seigneur Suprême, qui transcende tout et qui Se manifeste même à l'intérieur du faux ego, sous forme réflichie. Il représente le soutien de la cause matérielle et pénètre en toute chose. Il est absolu, unique, et constitue les yeux de l'énergie illusoire.

TENEUR ET PORTEE

Le pur bhakta peut percevoir la présence de Dieu, la Personne Suprême, en toutes choses manifestées dans la matière. Le Seigneur ne S'y trouve présent que sous une forme réfléchie, mais le pur bhakta réalise qu'au coeur des ténèbres de l'illusion matérielle la seule lumière est le Seigneur Suprême, qui représente en outre son soutien. La Bhagavad-gita confirme que Sri Krsna dirige la manifestation matérielle, et, ainsi que le corrobore la Brahma-samhita, Il est la Cause de toutes les causes. Cette même Brahma-samhita établit que le Seigneur Souverain Se trouve présent, à travers Ses émanations plénières ou partielles, non seulement dans l'univers que nous habitons et dans chacun des autres univers, mais aussi à l'intérieur de chaque atome, et ce, bien qu'Il soit unique et sans second. Le mot advayam, "sans second", utilisé dans ce verset indique que même si Dieu est représenté en tout ce qui existe, y compris les atomes, Lui-même n'est pas divisé. Le verset suivant nous explique Son omniprésence.

VERSET 12

yatha jala-stha abhasah
sthala-sthenavadrsyate
svabhasena tatha suryo
jala-sthena divi sthitah

TRADUCTION

On peut saisir la présence du Seigneur Suprême tout comme on perçoit le soleil, d'abord à travers son image sur l'eau, puis à travers son reflet sur le mur d'une pièce, le soleil lui-même ne quittant jamais le firmament.

TENEUR ET PORTEE

L'exemple donné ici s'applique parfaitement. Le soleil se trouve dans l'espace, bien loin de la terre, mais son image peut être perçue dans un récipient d'eau placé dans un coin d'une pièce. La pièce est sombre, et le soleil se situe infiniment loin dans le ciel, mais la réflexion du soleil sur l'eau va dissiper les ténèbres de la pièce. Pareillement, le pur bhakta réalise la présence du Seigneur Souverain en toutes choses par la réflexion de Son énergie. Le Visnu Purana explique que tout comme la présence du feu se détecte par la chaleur et la lumière qui en émanent, Dieu, la Personne Suprême, bien qu'unique et sans second, peut être perçu en tous lieux à travers la diffusion de Ses différentes énergies. La Sri Isopanisad confirme également que l'âme libérée perçoit partout la présence du Seigneur, tout comme on peut partout percevoir la lumière du soleil et sa réflexion, et ce, bien que le soleil se trouve à une très grande distance de la terre.

VERSET 13

evam trivrd-ahankaro
bhutendriya-manomayaih
svabhasair laksito nena
sad-abhasena satya-drk

TRADUCTION

L'âme réalisée se reflète ainsi dans les trois formes du faux ego, puis dans le corps, les sens et le mental.

TENEUR ET PORTEE

L'âme conditionnée pense "je suis ce corps" mais l'âme libérée, elle, dit "je ne suis pas ce corps; je suis une âme spirituelle". Ce "je suis" représente l'ego, ou l'dentité de l'être. Le fait de penser "je suis ce corps" ou "tout ce qui est en relation avec le corps est mien" relève du faux ego, mais lorsqu'on a réalisé son identité spirituelle et qu'on se dit "je suis un serviteur éternel du Seigneur Suprême", cette identification du moi constitue l'ego véritable. La première conception baigne dans les ténèbres des trois gunas -la vertu, la passion et l'ignorance-, tandis que l'autre se situe au niveau de la pure vertu, appelé suddha-sattva, ou vasudeva. Lorsque nous disons que nous abandonnons notre ego, cela veut dire que nous renonçons au faux ego; l'ego véritable, lui, demeure toujours présent. Lorsque l'image de l'être se trouve réfléchie à travers la souillure matérielle du corps et du mental sous le coup d'une identification erronée de l'âme, on dit l'être conditionné; mais lorsqu'il apparaît dans toute sa pureté, on le dit libéré. L'identification de l'être à l'état conditionné, avec ses possessions matérielles, doit être purifiée; il lui faut redécouvrir son identité en relation avec le Seigneur Suprême. A l'état conditionné, l'être voit toute chose comme un objet de satisfaction personnelle, alors qu'à l'état libéré, il voit toute chose par rapport au service du Seigneur Suprême. Ainsi, la Conscience de Krsna, le service de dévotion, correspond au véritable état libéré. Au contraire, l'acceptation ou le rejet de quoi que ce soit sur le plan matériel, dans le cadre du nihilisme ou de l'impersonnalisme, place l'âme pure dans une situation imparfaite.

Lorsqu'il comprend l'identité de l'âme pure (satya-drk), l'être peut voir toute chose comme une réflexion de Dieu, la Personne Souveraine. Prenons ici un exemple concret. Lorsqu'elle voit une rose épanouie, l'âme conditionnée songe à la satisfaction que le doux parfum de cette fleur apportera à ses sens. C'est là une façon de voir les choses. L'âme libérée, cependant, voit la même fleur comme une réflexion du Seigneur Suprême. "Cette merveilleuse fleur ne peut exister que par l'énergie supérieure du Seigneur; elle Lui appartient donc et doit être utilisée dans Son service". Voilà donc une vision tout à fait différente. L'âme conditionnée voit dans la fleur un objet de plaisir personnel quand le bhakta y voit un objet destiné à être utilisé au service du Seigneur. De la même manière, on peut voir l'image du Seigneur Suprême reflétée dans ses sens, son mental et dans son propre corps -en toutes choses. Doté de cette vision juste, il devient possible de tout utiliser pour le service du Seigneur. Or, comme l'enseigne le Bhakti-rasamrta-sindhu, celui qui consacre tout -son énergie vitale, ses richesses, son intelligence et ses paroles- au Seigneur, ou qui souhaite le faire, doit être tenu pour une âme libérée, ou satya-drk, quelle que soit sa condition. Car cet homme a saisi les choses dans leur vérité.

VERSET 14

bhuta-suksmendriya-mano-
buddhy-adisv iha nidraya
linesv asati yas tatra
vinidro nirahankriyah

TRADUCTION

Bien que le bhakta puisse sembler totalement fondu dans les cinq éléments matériels, les objets de plaisir, les sens, le mental et l'intelligence matériels, il faut le tenir pour éveillé et affranchi du faux ego.

TENEUR ET PORTEE

Ce verset développe davantage l'explication que donne Rupa Gosvami dans son Bhakti-rasamrta-sindhu sur le fait qu'une personne peut être libérée même dans son corps matériel. L'être devenu satya-drk, et ayant ainsi réalisé sa position par rapport à Dieu, la Personne Suprême, peut sembler totalement fondu dans les cinq éléments matériels, les cinq objets des sens matériels, les dix organes des sens, le mental et l'intelligence, mais on ne le tient pas moins pour éveillé et libre de l'influence du faux ego. Le mot lina revêt à ce propos une importance particulière. Les philosophes mayavadis recommandent de se fondre dans la radiance impersonnelle du Brahman; tel est, selon eux, le but ultime, la destination finale. Cette fusion est d'ailleurs également mentionnée dans ce verset. Toutefois, même lorsqu'il atteint ce stade, l'être peut conserver son individualité. L'exemple donné par Jiva Gosvami est celui d'un oiseau vert qui pénètre dans la verte frondaison d'un arbre et semble s'y fondre, alors qu'en vérité il ne perd pas son individualité. Dans un même ordre d'idée, l'être distinct, qu'il se fonde dans la nature matérielle ou dans la nature spirituelle, n'abandonne jamais son individualité. La véritable individualité consiste à réaliser que l'on est un serviteur éternel du Seigneur Suprême. Cette information nous vient de la bouche même de Sri Caitanya qui, répondant à une question de Sanatana Gosvami, affirme clairement que l'être distinct est éternellement le serviteur de Krsna. Krsna confirme d'ailleurs Lui-même dans la Bhagavad-gita que l'être distinct demeure éternellement une infime partie de Sa Personne. Or, la partie a pour fonction de servir le tout. Voilà ce qu'il faut entendre par individualité. Et il en va de même dans l'existence matérielle, lorsque l'âme semble se fondre dans la matière. Son corps grossier est constitué de cinq éléments, et son corps subtil du mental, de l'intelligence, du faux ego et de la conscience souillée; l'être possède en outre cinq organes d'action et cinq autres de perception. Ainsi se fond-il dans la matière. Mais même au coeur des vingt-quatre éléments matériels, il peut conserver son individualité en tant que serviteur éternel du Seigneur. Que ce soit au sein de la nature spirituelle ou de la nature matérielle, un tel serviteur de Dieu doit être tenu pour une âme libérée. C'est ce qu'expliquent les autorités en la matière, et ce verset le confirme.

VERSET 15

manyamanas tadatmanam
anasto nastavan mrsa
naste hankarane drasta
nasta-vitta ivaturah

TRADUCTION

L'être distinct peut percevoir de façon très nette qu'il existe en tant que l'observateur réel, mais du fait de la disparition de l'ego dans l'état de sommeil profond, il se croit perdu, tout comme un homme désespéré d'avoir perdu sa fortune, se considère lui-même anéanti.

TENEUR ET PORTEE

L'ignorance seule fait croire à l'être distinct qu'il est perdu. S'il accède au savoir et vient à connaître sa position réelle, son existence éternelle, il saura alors qu'il n'est pas perdu. Ce verset nous fournit un exemple approprié: nasta-vitta-ivaturah. Une personne ayant perdu une grande somme d'argent peut se croire perdue, mais en fait elle n'a perdu que son argent. Néanmoins, parce qu'elle est totalement absorbée dans la pensée de son argent, parce qu'elle s'identifie à lui, elle se croit elle-même perdue. Suivant une idée analogue, lorsque sous l'emprise de l'illusion nous nous identifions à la matière et y voyons notre champ d'action, nous nous croyons perdus, bien qu'en vérité nous ne le soyons nullement. Aussitôt qu'un être s'éveille au pur savoir, ce qui lui permet de comprendre qu'il est un serviteur éternel du Seigneur, il retrouve sa position réelle; mais jamais il ne peut être perdu. Lorsqu'il oublie son identité au cours d'un sommeil profond, il s'absorbe dans ses rêves au point de croire qu'il est une personne différente ou de penser qu'il est perdu, anéanti. Mais en fait, son identité reste intacte. L'idée d'être perdu vient du faux ego, et elle continue d'exister jusqu'à ce qu'on s'éveille à l'existence véritable de serviteur éternel du Seigneur. La conception des philosophes mayavadis selon laquelle ils ne font plus qu'Un avec le Seigneur Suprême est une autre forme de perdition sous l'influence du faux ego. On peut toujours se prendre pour le Seigneur Suprême, mais en réalité, il n'en est rien. Là réside en fait le dernier piège que tend maya à l'être distinct. En effet, se croire égal au Seigneur Suprême ou penser qu'on est soi-même devenu le Seigneur Suprême n'est qu'une autre manifestation du faux ego.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare