SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 3
CHAPITRE 7

Autres questions de Vidura.

VERSET 1

sri-suka uvaca
evam bruvanam maitreyam
dvaipayana-suto budhah
prinayann iva bharatya
vidurah pratyabhasata

TRADUCTION

Sri Sukadeva Gosvami dit:
O roi, quand Maitreya, le grand sage, eut ainsi parlé, Vidura, le docte fils de Dvaipayana Vyasa, s'adressa à lui plein d'aménité et lui soumit cette question.

VERSET 2

vidura uvaca
brahman katham bhagavatas
cin-matrasyavikarinah
lilaya capi yujyeran
nirgunasya gunah kriyah

TRADUCTION

Sri Vidura dit:
O illustre brahmana, puisque le Seigneur Suprême représente le Tout spirituel complet et immuable, de quelle façon est-Il relié aux gunas et à leur action? Et s'il s'agit là d'un de Ses Divertissements, comment expliquer les Activités de l'Immuable et leurs caractéristiques immatérielles?

TENEUR ET PORTEE

Tel qu'expliqué au chapitre précédent, l'Ame Suprême, le Seigneur Souverain, Se distingue des âmes infinitésimales en ce que la création de la manifestation cosmique s'opère par l'intermédiaire de Ses multiples énergies, laissant les êtres distincts confondus devant cette oeuvre. En bref, le Seigneur est le maître de toutes les énergies, alors que les êtres distincts sont dominés par elles. Par ces diverses questions sur l'action spirituelle, Vidura révèle la méprise selon laquelle lorsque le Seigneur descend sur terre en personne avec toutes Ses puissances ou en tant qu'avatara, Il deviendrait Lui aussi sujet à l'influence de maya, comme un être ordinaire. C'est ce que pensent généralement certains philosophes de piètre intelligence qui considèrent la position du Seigneur égale à celle des êtres distincts. Et Vidura écoute Maitreya, le grand sage, réfuter ces arguments.

Ce verset qualifie le Seigneur de cin-matra, ou "complètement spirituel". La Personne Suprême possède des puissances infinies par quoi Elle crée et manisfeste nombre de merveilles aussi bien éphémères que durables. Ainsi, l'univers matériel, qui est un produit de Son énergie externe, nous apparaît-il temporaire. Il devient manifesté à intervalles réguliers, se trouve alors maintenu pendant un certain temps, puis à nouveau se dissout et se résorbe dans l'énergie du Seigneur, où il est conservé. Pour reprendre les mots de la Bhagavad-gita (VIII.19): bhutva bhutva praliyate. Le monde spirituel, par contre, qui est le fruit de Sa puissance interne, n'est pas une manifestation temporaire comme l'univers matériel, mais bien plutôt une création éternelle, toute de connaissance, d'opulence, d'énergie, de force, de beauté et de gloire spirituelles. Ces manifestations de la puissance du Seigneur étant éternelles, elles sont nirguna, ou libres de la moindre touche d'influence matérielle, fût-ce de la vertu. Ainsi, le monde spirituel transcende même la vertu matérielle et, de ce fait, connaît l'immuabilité. Et puisque le Seigneur Suprême, maître de ces attributs éternels et immuables, n'est jamais sujet à aucune forme d'influence matérielle, comment peut-on concevoir que Ses Actes et Sa Forme sont soumis à l'influence de l'illusion, de maya, comme c'est le cas pour les êtres distincts?

Un jongleur, ou un magicien, fait preuve d'une grande dextérité dans son art. Par ses tours de magie, il pourra même se transformer en vache; lui-même n'est pas cette vache, mais simultanément, cette vache n'est pas différente de lui. De même, la puissance matérielle n'est pas différente du Seigneur, car elle émane de Lui, mais simultanément, cette manifestation d'énergie n'est pas le Seigneur Suprême. La connaissance et la puissance spirituelles et absolues du Seigneur demeurent toujours les mêmes; jamais elles ne changent, même lorsqu'Il les déploie dans l'univers matériel. Comme l'enseigne la Bhagavad-gita, le Seigneur descend sur terre par Sa puissance interne; Il ne saurait donc être souillé d'aucune manière par la matière, ni transformé ou affecté par les gunas. Le Seigneur est saguna de par Sa puissance interne, mais Il est tout à la fois nirguna, car Il n'est pas en contact direct avec l'énergie matérielle. Le règlement d'une prison est imposé aux prisonniers condamnés par la loi, mais le chef d'Etat, celui qui fait la loi, n'est jamais soumis à ces considérations, même s'il souhaite visiter la prison. Le Visnu Purana établit que les six excellences du Seigneur ne sont pas différentes de Lui. Qu'il s'agisse de Son savoir absolu, de Sa force, de Son opulence, de Sa puissance, de Sa beauté ou de Son renoncement, toutes sont identiques à Lui. Et lorsqu'Il manifeste Ses excellences dans l'univers matériel, ils ne sont aucunement touchés par l'influence matérielle des gunas. Les mots cin-matratva sont la garantie expresse que les Activités du Seigneur se situent toujours au niveau spirituel et absolu, même lorsqu'elles se déroulent dans l'univers matériel. Ces Activités ont même valeur que Sa Personne même, sinon des bhaktas libérés du niveau de Sukadeva Gosvami n'auraient point éprouvé d'attrait pour elles. Vidura se demande comment les Activités du Seigneur peuvent se situer sous l'influence des gunas, ainsi que le croient parfois des hommes dotés d'un pauvre fonds de connaissance. L'imperfection des attributs matériels est due à la différence existant entre le corps matériel et l'âme spirituelle. Let activités des âmes conditionnées s'accomplissent à travers le filtre des gunas, et prennent donc une apparence dénaturée. Toutefois, le Corps du Seigneur et la Personne même du Seigneur forment une seule et même identité, et lorsqu'Il manifeste Ses Activités, elles participent certes, elles aussi, et à tous égards, de cette identité unique. Pour conclure, disons que les personnes qui considèrent les Activités du Seigneur comme matérielles ne peuvent qu'être égarées.

VERSET 3

kridayam udyamo rbhasya
kamas cikridisanyatah
svatas-trptasya ca katham
nivrttasya sadanyatah

TRADUCTION

Si les enfants se montrent enthousiastes à jouer ensemble ou à se divertir de telle ou telle autre façon, c'est qu'ils sont stimulés par le désir. Mais en ce qui concerne le Seigneur, ce désir ne saurait exister, puisqu'Il trouve en Lui-même Sa satisfaction et qu'Il est à jamais détaché de toute chose.

TENEUR ET PORTEE

Puisque le Seigneur Suprême représente le principe unique de toutes choses, rien ne saurait exister hors de Lui. Il Se multiplie grâce à Ses énergies en un nombre illimité d'émanations personnelles ou distinctes, comme le feu qui se déploie à travers sa chaleur et sa lumière. Et puisqu'il n'existe rien hors du Seigneur, Son contact avec toutes choses se traduit par un contact avec Lui-même. C'est ainsi qu'Il dit dans la Bhagavad-gita (IX.4):

maya tatam idam sarvam
jagad avyakta-murtina
mat-sthani sarva-bhutani
na caham tesv avasthitah

"La manifestation totale du cosmos est une émanation de Moi dans Ma Forme non manifestée. Tout ce qui existe se trouve en Moi, et en Moi seul, mais Je ne suis pas en tout." Telle est l'excellence de l'attachement et du détachement du Seigneur; un lien L'unit à toutes choses, mais Il reste cependant détaché de tout.

VERSET 4

asraksid bhagavan visvam
guna-mayyatma-mayaya
taya samsthapayaty etad
bhuyah pratyapidhasyati

TRADUCTION

A travers Sa puissance matérielle, celle des trois gunas, qui puise en Lui ses ressources, le Seigneur a causé la création de cet univers. Par elle encore, Il le maintient et, inversement, le détruit, dans un cycle sans fin.

TENEUR ET PORTEE

L'univers cosmique a été créé par le Seigneur pour ceux, parmi les êtres distincts, qui se laissent emporter par la pensée de pouvoir L'imiter et de ne plus faire qu'Un avec Lui. Quant aux trois gunas, ils servent à égarer davantage les âmes conditionnées. Celles-ci, fourvoyées par l'énergie illusoire, et oublieuses de leur identité spirituelle, croient appartenir à la création matérielle, et s'enlisent ainsi, vie après vie, dans l'action matérielle. L'univers matériel n'est pas créé pour le Seigneur, mais bien plutôt pour les êtres conditionnés qui, mésusant de l'infime indépendance qui leur est donnée par Dieu, désirent tout dominer autour d'eux. C'est ainsi qu'ils sont soumis aux morts et aux renaissances successives.

VERSET 5

desatah kalato yo sav
avasthatah svato nyatah
aviluptavabodhatma
sa yujyetajaya katham

TRADUCTION

L'âme est pure conscience, et jamais elle ne se sépare de cette conscience, que ce soit sous l'influence du temps, en rêve ou en toute autre circonstance, ou pour toute autre cause. Comment, dès lors, peut-elle sombrer dans l'ignorance?

TENEUR ET PORTEE

La conscience de l'être distinct l'accompagne toujours, et comme l'indique notre verset, il n'en est séparé en aucune circonstance. Lorsqu'un homme se déplace d'un endroit à un autre, il a conscience de son mouvement dans l'espace. Cette conscience l'accompagne toujours, dans le passé, le présent et l'avenir, un peu comme l'électricité qui existe toujours dans l'air. Tout homme peut se rappeler des incidents qui ont marqué son passé et peut également conjecturer sur son futur à partir de cette expérience. Jamais l'être n'oublie son identité personnelle, même dans les circonstances les plus insolites. Comment dès lors peut-il oublier son identité réelle d'âme spirituelle pure et s'identifier à la matière à moins de subir une quelconque influence supérieure à lui? La réponse est que l'être distinct devient influencé par la puissance d'avidya, ainsi que le confirment le Visnu Purana et le début du Srimad-Bhagavatam. La Bhagavad-gita (VII.5) désigne l'être vivant par les mots para-prakrti, et le Visnu Purana par les mots para-sakti; il en ressort que l'être distinct fait partie intégrante du Seigneur Suprême, mais en tant que Sa puissance, et non en tant que le Puissant Lui-même. Le Puissant peut manifester plusieurs puissances, mais la puissance ne peut égaler sa source à aucun moment. Une puissance peut certes en dominer une autre, mais toutes les puissances demeurent sous la domination du Puissant. La puissance du jiva, ou la ksetrajna-sakti du Seigneur, a ainsi tendance à se laisser dominer par la puissance externe, l'avidya-karma-samjna, en conséquence de quoi elle se trouve placée dans les circonstances pénibles de l'existence matérielle. A moins d'être ainsi influencé par la puissance d'avidya, jamais l'être distinct ne peut oublier son identité réelle. Et parce qu'il a tendance à se laisser influencer par la puissance d'avidya, jamais il ne peut égaler le Suprêmement Puissant.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare