SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 4
CHAPITRE 9

Le retour de
Dhruva Maharaja.

VERSET 26

maitreya uvaca
ity arcitah sa bhagavan
atidisyatmanah padam
balasya pasyato dhama
svam agad garuda-dhvajah

TRADUCTION

Le sage Maitreya dit:
Après avoir été adoré et honoré par le petit garçon, Dhruva Maharaja, et lui avoir accordé Sa propre planète, Sri Visnu, porté par Garuda, retourna en Sa demeure, alors que l'enfant Le suivait du regard.

TENEUR ET PORTEE

Il ressort de ce verset que Sri Visnu accorda à Dhruva Maharaja la planète même qui Lui sert de demeure. La Bhagavad-gita (XV.6) en donne la description suivante: yad gatva na nivartante tad dhama paramam mama.

VERSET 27

so pi sankalpajam visnoh
pada-sevopasaditam
prapya sankalpa-nirvanam
natiprito bhyagat puram

TRADUCTION

Bien qu'après avoir adoré les pieds pareils-au-lotus du Seigneur, Dhruva Maharaja eût atteint le but qu'il s'était fixé avec tant de détermination, il ne se sentait pas très satisfait de lui-même. Ce fut ainsi qu'il retourna chez lui.

TENEUR ET PORTEE

Par la pratique du service de dévotion, adorant les pieds pareils-au-lotus du Seigneur comme le lui avait recommandé Narada Muni, Dhruva Maharaja atteignit le but qu'il s'était fixé. Son désir avait été d'obtenir une position des plus élevées, surpassant celle de son père, de son grand-père et de son arrière-grand-père; bien qu'il s'agissait là d'un voeu assez puéril, étant donné que Dhruva Maharaja n'était qu'un enfant, Sri Visnu, la Personne Divine, fit preuve à son égard d'une bienveillance et d'une miséricorde telles qu'Il exauça son désir. Dhruva Maharaja voulait une demeure encore plus prestigieuse que toutes celles qu'avaient pu occuper tous les membres de sa famille. Il se vit donc octroyer la planète sur laquelle le Seigneur réside personnellement, ce qui répondait tout à fait à son désir. Néanmoins, alors que Dhruva Maharaja retournait chez lui, il ne se sentait pas très satisfait, car si le service de dévotion pur ne s'accompagne d'aucune requête de la part du bhakta, lui, à cause de sa nature enfantine, avait demandé une faveur. Aussi, bien que le Seigneur eût également exaucé son désir, il n'était pas très satisfait de lui-même. Au contraire même, il avait honte d'avoir adressé une requête au Seigneur, car ce n'était pas là une chose qu'il aurait dû faire.

VERSET 28

vidura uvaca
sudurlabham yat paramam padam harer
mayavinas tac-caranarcanarjitam
labdhvapy asiddhartham ivaika-janmana
katham svam atmanam amanyatartha-vit

TRADUCTION

Sri Vidura demanda:
O cher brahmana, il est très difficile d'accéder à la demeure du Seigneur. On ne peut l'atteindre que par le service de dévotion pur, la seule voie qui permette de Le satisfaire, Lui qui fait preuve d'une affection et d'une miséricorde infinies. Dhruva Maharaja parvint à cette position en une seule vie, et il était très consciencieux et d'une grande sagesse. Pourquoi donc n'était-il pas pleinement satisfait?

TENEUR ET PORTEE

La question de Vidura, ce grand saint, est très pertinente; il convient à cet égard de noter l'importance du mot artha-vit, qui désigne celui qui sait faire la différence entre le réel et l'iréel. Un paramahamsa (autre mot pour artha-vit) ne prend de toute chose que le principe actif; tout comme un cygne sait ne prendre que le lait d'un mélange d'eau et de lait, le paramahamsa n'accepte que la Personne Divine en tant que sa vie et son âme, négligeant toute chose matérielle, externe. Il en était ainsi de Dhruva Maharaja, et grâce à la détermination dont il fit preuve, il obtint le résultat qu'il désirait; pourtant, en retournant chez lui, il n'était pas très satisfait.

VERSET 29

maitreya uvaca
matuh sapatnya vag-banair
hrdi viddhas tu tan smaran
naicchan mukti-pater muktim
tasmat tapam upeyivan

TRADUCTION

Maitreya répondit:
Profondément blessé en son coeur, qu'avaient transpercé les paroles cruelles de sa belle-mère semblables à des traits, Dhruva Maharaja n'oublia pas le comportement malveillant de cette dernière lorsqu'il décida quel serait le but de son existence. Il ne demanda pas pour lui la véritable libération de ce monde matériel —mais, lorsqu'à la fin de son service de dévotion, le Seigneur Suprême lui apparut, il eut honte des désirs matériels qui habitaient son mental.

TENEUR ET PORTEE

Nombre de commentateurs faisant autorité se sont penchés sur cet important verset. Pourquoi Dhruva Mahararja n'était-il pas satisfait, même après avoir atteint le but qu'il s'était fixé? Un pur dévot du Seigneur est toujours exempt de toute forme de désir matériel. Les désirs matériels des êtres de ce monde revêtent tous un caractère démoniaque; on considère les autres comme des ennemis, on pense à se venger de ses adversaires, on aspire à devenir le chef suprême, voire le premier en ce monde, et on se trouve ainsi en compétition avec tous les autres êtres. Selon le seizième chapitre de la Bhagavad-gita, ceci est le propre des asuras, des êtres démoniaques. Un pur bhakta ne demande rien au Seigneur. Son seul souci est de Le servir sincèrement et sérieusement; ce qui adviendra dans le futur ne le préoccupe nullement. Dans le Mukunda-mala-stotra, l'auteur, le roi Kulasekhara, prie en ces termes: "O Seigneur, je n'aspire à aucune position liée aux plaisirs des sens en ce monde matériel. Mon seul désir est de Te servir." De même, Sri Caitanya, dans Son Siksastaka, priait ainsi: "O Seigneur, je n'aspire nullement aux richesses, je ne rêve pas de jolies femmes et ne recherche pas non plus de disciples matérialistes. Je désire uniquement m'absorber sans fin dans Ton service." Ainsi, dans Ses prières, Sri Caitanya ne demandait même pas la mukti, la libération.

Dans ce verset, Maitreya répond à Vidura que Dhruva Maharaja, animé d'un sentiment de vengeance à l'égard de sa belle-mère qui l'avait insulté, ne tourna pas ses pensées vers la mukti —il ignorait même ce qu'était la mukti. C'est la raison pour laquelle il ne sut pas choisir la mukti comme but de son existence. Toutefois, un pur dévot du Seigneur ne désire pas non plus la libération. Il s'abandonne de toute son âme au Seigneur Suprême et ne Lui demande rien. Dhruva Maharaja atteignit ce niveau de réalisation lorsqu'il vit le Seigneur Suprême présent en personne devant lui, car il fut alors élevé au niveau vasudeva. A ce stade, la souillure matérielle ne brille que par son absence; en d'autres termes, les gunas —la vertu, la passion et l'ignorance— n'exercent plus aucune influence, et on peut alors voir Dieu, la Personne Suprême. Et, parce qu'au niveau vasudeva on peut voir Dieu directement, le Seigneur est également appelé Vasudeva.

Dhruva Maharaja avait demandé à occuper une position si glorieuse que Brahma lui-même, son bisaïeul, n'en avait jamais obtenu une semblable. Or, Krsna fait preuve d'une affection et d'une bienveillance telles à l'égard de Son dévot —surtout lorsqu'il s'agit d'un bhakta comme Dhruva Maharaja, qui, à cinq ans, partit seul dans la forêt pour s'y consacrer au service de dévotion— qu'Il ne tient pas compte des motifs qui l'ont poussé, si impurs fussent-ils. Il considère plutôt le service qui Lui est offert. Cependant, si un bhakta a une motivation particulière, le Seigneur en a connaissance, directement ou indirectement, et Il ne laisse pas les désirs matériels de ce bhakta insatisfaits. Ce sont là certaines des faveurs spéciales que le Seigneur accorde à Son dévot.

Dhruva Maharaja se vit ainsi octroyer Dhruvaloka, une planète qu'aucune âme conditionnée n'avait jamais habitée. Même Brahma, bien qu'il soit l'être suprême en cet univers, n'avait pas le droit d'aller sur Dhruvaloka. En effet, chaque fois que, dans l'univers, une situation critique se présente, les devas vont trouver Ksirodakasayi Visnu, la Personne Divine, en se tenant sur le rivage de l'océan de lait. Aussi la demande de Dhruva Maharaja fut-elle exaucée, puisqu'une position plus prestigieuse encore que celle de son bisaïeul, Brahma, lui fut offerte.

Dans ce verset, le Seigneur est qualifié de mukti-pati, ou "celui dont les pieds pareils-au-lotus abritent toutes les formes de mukti." Il existe cinq formes de mukti, dites sayujya, sarupya, salokya, samipya et sarsti. D'entre ces cinq muktis qui sont accessibles à quiconque sert le Seigneur avec dévotion, celle qui a pour nom sayujya est généralement convoitée par les philosophes mayavadis. Ils cherchent à ne plus faire qu'Un avec le Brahman, la radiance impersonnelle du Seigneur. Pour de nombreux érudits, cependant, cette sayujya-mukti, bien qu'elle soit comptée parmi les cinq formes de muktis, ne correspond pas vraiment à la libération, car celui qui l'obtient est susceptible de retomber dans ce monde matériel. On trouve à cet égard, dans le Srimad-Bhagavatam (10.2.32), les mots patanty adhah, qui signifient "ils retombent". Après s'être livré à des pratiques austères, le philosophe moniste se fond dans la radiance impersonnelle du Seigneur, mais l'être distinct a toujours le désir de partager une relation d'amour. En conséquence, bien que le philosophe moniste obtienne de ne plus faire qu'Un avec la radiance du Seigneur, il retombe dans ce monde matériel, faute de pouvoir être au contact du Seigneur et de Le servir. Son penchant pour servir sera alors satisfait par des activités de bienfaisance matérialistes comme les oeuvres humanitaires, l'altruisme et la philanthropie. Nombreux sont les exemples de chutes de ce genre, même chez les grands sannyasis de l'école mayavada.

Pour les philosophes vaisnavas, la sayujya-mukti ne peut donc être rangée dans la catégorie de la mukti. Selon eux, atteindre la mukti consiste à abandonner le service de maya pour accéder au service d'amour du Seigneur. Sri Caitanya enseigne également à cet égard que la position originelle et éternelle de l'être distinct est de servir le Seigneur. Telle est la véritable mukti. On dit de celui qui se trouve établi dans sa position originelle et qui a abandonné toutes positions artificielles, qu'il est mukta, ou libéré. C'est ce que confirme la Bhagavad-gita: quiconque sert le Seigneur avec un amour absolu est considéré comme mukta, ou brahma-bhuta. En effet, la Bhagavad-gita enseigne qu'un dévot du Seigneur est considéré comme établi au niveau du brahma-bhuta lorsqu'il est exempt de toute impureté matérielle. La même chose se trouve confirmée dans le Padma Purana: la mukti consiste à servir le Seigneur.

Le sage Maitreya explique que Dhruva Maharaja, au début, ne désirait pas se vouer au service du Seigneur; il voulait plutôt obtenir une position plus élevée encore que celle de son bisaïeul, ce qui revenait à servir ses propres sens et non le Seigneur. Même celui qui obtient la position de Brahma —la plus élevée gui soit en ce monde matériel— n'en demeure pas moins une âme conditionnée. En revanche, Srila Prabodhananda Sarasvati affirme que celui qui accède au véritable service de dévotion pur ne fait pas de distinction entre un insecte insignifiant et les grands devas —comme Brahma ou Indra. Ceci est dû au fait qu'un insecte minuscule aspire à une certaine forme de satisfaction des sens, et que même une personnalité éminente comme Brahma désire également dominer la nature matérielle.

Le plaisir des sens est lié au fait de dominer la nature matérielle. Or, c'est sur cette tendance à vouloir dominer que repose toute la compétition à laquelle se livrent les âmes conditionnées. Les hommes de science d'aujourd'hui se montrent fiers de leurs connaissances, car ils découvrent de nouvelles méthodes pour vaincre les lois de la nature, ce qui, selon eux, s'identifie au progrès de la civilisation: plus ils parviennent à maîtriser les lois matérielles, plus ils se croient avancés. Dhruva Maharaja, au début, avait une tendance similaire. Il voulait obtenir une position supérieure à celle de Brahma pour exercer sa domination sur le monde matériel. C'est pourquoi un autre passage spécifie qu'après l'apparition du Seigneur, lorsque Dhruva Maharaja eut réfléchi et comparé l'objet de son désir à la récompense finalement accordée, il se rendit compte qu'à la place des quelques morceaux de verre brisé qu'il avait convoités, il avait reçu d'innombrables diamants. Lorsqu'il vit devant lui le Seigneur Suprême en personne, il réalisa instantanément le caractère insignifiant de la requête qu'il avait présentée en demandant au Seigneur une position plus glorieuse encore que celle de Brahma.

Lorsque Dhruva Maharaja se trouva situé au niveau vasudeva pour avoir vu directement le Seigneur en personne, il fut débarrassé de toutes ses impuretés matérielles. Considérant ce qu'il avait finalement obtenu, il se sentit honteux d'avoir présenté de telles requêtes. Bien qu'il fût parti pour Madhuvana, renonçant ainsi au royaume de son père, et qu'il eût obtenu un maître spirituel de la valeur de Narada Muni, il avait continué à méditer une vengeance contre sa belle-mère, et à désirer occuper une position prestigieuse en ce monde matériel; à cette pensée, il se sentait tout honteux. Telles étaient les causes de la morosité qu'il ressentait, même une fois que le Seigneur lui eût accordé toutes les bénédictions qu'il avait désirées. Lorsque Dhruva Maharaja vit directement Dieu, la Personne Suprême, il ne fut plus question alors de vengeance à l'égard de sa belle-mère, ni d'une quelconque aspiration à dominer le monde matériel. Néanmoins, la bienveillance du Seigneur Suprême est si grande qu'Il sut quels étaient les désirs de Dhruva Maharaja. S'adressant à lui, Il utilisa le mot vedaham, car lorsque le prince avait demandé certaines bénédictions matérielles, le Seigneur, Se trouvant en son coeur, connaissait toutes ses pensées. De fait, Dieu connaît toujours les pensées de chacun de nous, ce que confirme la Bhagavad-gita (vedaham samatitam).

Ainsi, le Seigneur combla tous les désirs de Dhruva Maharaja. Il apaisa son sentiment de vengeance contre sa belle-mère et son demi-frère, répondit à son désir d'avoir une position plus glorieuse encore que celle de son bisaïeul, et simultanément, Il l'établit dans sa condition éternelle à Dhruvaloka. Bien que Dhruva Maharaja n'eût jamais envisagé d'obtenir une planète éternelle, Krsna, Lui, pensa: "A quoi lui servira-t-il d'avoir une position prestigieuse en cet univers?" Aussi permet-Il à Dhruva de régner sur ce monde matériel pendant trente-six mille (36 000) années en gardant toutes ses facultés, ainsi que d'accomplir nombre de grands sacrifices et de devenir par là le roi le plus renommé de cet univers. Et, après avoir achevé cette existence de plaisirs matériels, Dhruva irait sur la planète appelée Dhruvaloka, qui fait partie du monde spirituel.

VERSET 30

dhruva uvaca
samadhina naika-bhavena yat padam
viduh sanandadaya urdhva-retasah
masair aham sadbhir amusya padayos
chayam upetyapagatah prthan-matih

TRADUCTION

Dhruva Maharaja se dit en lui-même:
S'efforcer de trouver refuge à l'ombre des pieds pareils-au-lotus du Seigneur n'a rien d'une tache ordinaire. En effet, même les grands brahmacaris conduits par Sanandana, qui pratiquèrent l'astanga-yoga en samadhi, ne connurent ce refuge qu'après de nombreuses renaissances. Et moi qui ai obtenu le même résultat en six mois, je suis tombé de ma position pour avoir pensé à autre chose qu'au Seigneur.

TENEUR ET PORTEE

Dans ce verset, Dhruva Maharaja explique lui-même la cause de sa morosité. En premier lieu, il s'afflige en pensant qu'il n'est pas facile de voir directement Dieu, la Personne Suprême. Même de grands saints comme les quatre célèbres brahmacaris conduits par Sanandana —soit Sanandana, Sanaka, Sanatana et Sanat-kumara— pratiquèrent le yoga pendant de très nombreuses vies, et demeurèrent ainsi absorbés en samadhi avant de pouvoir contempler le Seigneur Suprême en personne. Mais Dhruva Maharaja, lui, avait vu le Seigneur après six mois seulement de pratique dans le service de dévotion. Il s'attendait donc à ce que le Seigneur Suprême, dès qu'il Le rencontrerait, l'emmène aussitôt en Sa demeure. Dhruva Maharaja pouvait comprendre de façon très claire que le Seigneur l'avait gratifié de la couronne du monde pendant trente-six mille (36 000) années pour avoir tout d'abord agi sous l'influence de l'énergie matérielle; il avait en effet désiré se venger de sa belle-mère et régner sur le royaume de son père. Dhruva Maharaja regretta fortement son désir de régner sur le monde matériel et son esprit de vengeance contre les autres êtres vivants.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare