SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 5
CHAPITRE 10

Dialogue entre Jada Bharata
et Maharaja Rahugana.

VERSET 6

aho kastam bhratar vyaktam uru-parisranto dirgham adhvanam eka eva
uhivan suciram nati-piva na samhananango jarasa copadruto bhavan sakhe
no evapara ete sanghattina iti bahu-vipralabdho py avidyaya racita-dravya-
guna-karmasaya-sva-carama-kalevare vastuni samsthana-visese ham
mamety anadhyaropita-mithya-pratyayo brahma-bhutas tusnim sibikam
purvavad uvaha.

TRADUCTION

(Le roi Rahugana dit à Jada Bharata:)
Que cela est ennuyeux, mon cher frère. Tu me sembles bien fatigué d'avoir porté seul mon palanquin, sans aide aucune, pendant longtemps et sur une longue distance. De plus, ton âge avancé t'accable considérablement. Mon pauvre ami, il m'apparaît clairement que tu n'es ni très solide, ni très vigoureux. Les autres porteurs ne font-ils donc rien pour t'aider?

C'est sur ce ton sarcastique que le roi critiqua Jada Bharata, mais en dépit de ces sarcasmes, celui-ci ne considérait pas la situation d'un point de vue matériel, axé sur le corps. Conscient de son identité spirituelle, il se savait distinct du corps. Il n'était ni gras, ni mince ou maigre, et n'avait rien à voir avec cette masse de chair, cet amalgame des cinq éléments grossiers et des trois éléments subtils; il était étranger à ce corps matériel, avec ses deux bras et ses deux jambes. En d'autres termes, il était pleinement conscient de son identité spirituelle [aham brahmasmi]; c'est pourquoi les reproches moqueurs du roi le laissèrent indifférent. Sans mot dire, il continua de porter le palanquin comme précédemment.

TENEUR ET PORTEE

Jada Bharata était parfaitement libéré. Il ne s'était même pas préoccupé de son corps lorsque les brigands avaient tenté de le tuer; il avait la certitude absolue d'être distinct de son corps. Même si ce dernier avait été anéanti, il n'en aurait pas fait plus de cas, étant profondément convaincu de cette assertion de la Bhagavad-gita (II.20): na hanyate hanyamane sarire. Il savait que même si son corps était tué, lui-même ne pouvait mourir. Mais bien qu'il n'ait protesté en aucune manière, le Seigneur Suprême, en la personne de Son agent,(1) ne put tolérer l'injustice des malfaiteurs, de telle sorte qu'il fut sauvé par la miséricorde de Krsna et que les brigands furent tués. Dans cette nouvelle situation, alors qu'il portait le palanquin, il se savait toujours distinct du corps, de ce corps ferme et vigoureux, d'une solide constitution, et tout à fait apte à porter le palanquin. Comme il était affranchi de toute conception corporelle, les sarcasmes du roi ne l'affectèrent aucunement. Le corps est créé en fonction du karma de l'individu, et la nature matérielle fournit tous les ingrédients nécessaires au développement d'un type de corps particulier. Quant à l'âme, elle diffère par nature du corps qui la recouvre; c'est pourquoi rien de bon ou de mauvais pour le corps n'a d'influence sur l'âme spirituelle. Les Vedas affirment à ce propos: asango hy ayam purusah -l'âme spirituelle n'est jamais touchée par quelque condition matérielle que ce soit.

(1) Il s'agit de Durga

VERSET 7

atha punah sva-sibikayam visama-gatayam prakupita uvaca
rahuganah kim idam are tvam jivan-mrto mam kadarthi-krtya bhartr-
sasanam aticarasi pramattasya ca te karomi cikitsam danda-panir iva
janataya yatha prakrtim svam bhajisyasa iti.

TRADUCTION

Alors, voyant que son palanquin se trouvait de nouveau secoué, le roi se mit très en colère, et dit:
Vaurien! Que fais-tu donc? Serais-tu mort, en dépit de la vie qui anime ton corps? Ne sais-tu pas que je suis ton maître? Tu ne fais aucun cas de moi et ne tiens pas du tout compte de mes ordres. Pour cette désobéissance, je vais te châtier de la manière dont Yamaraja, le maître de la mort, punit les pécheurs. Je vais t'infliger le traitement que tu mérites afin que tu reviennes à la raison et que tu te comportes convenablement.

VERSET 8

evam bahv abaddham api bhasamanam nara-devabhimanam rajasa
tamasanuviddhena madena tiraskrtasesa-bhagavat-priya-niketam pandita-
maninam sa bhagavan brahmano brahma-bhuta-sarva-bhuta-suhrd-atma
yogesvara-caryayam nati-vyutpanna-matim smayamana iva vigata-smaya
idam aha.

TRADUCTION

S'identifiant à sa fonction de roi, Maharaja Rahugana vivait sur le plan corporel et subissait l'influence de la passion et de l'ignorance. Dans sa folie, il accabla Jada Bharata d'insultes déplacées et contradictoires. Jada Bharata était un bhakta du plus haut niveau, et le Seigneur Souverain avait élu domicile en son coeur. Bien qu'il se considérât comme grandement érudit, le roi n'entendait rien à la position d'un bhakta hautement établi dans le service de dévotion, et il ne percevait pas davantage ses qualités exceptionnelles. Jada Bharata servait de résidence à Dieu, la Personne Suprême; il portait constamment dans son coeur la Forme du Seigneur. Il était l'ami très cher de tous les êtres vivants, et était dénué de toute conception corporelle de l'existence. Aussi prononça-t-il en souriant les paroles qui vont suivre.

TENEUR ET PORTEE

Ce verset distingue l'homme vivant sur le plan corporel de celui qui transcende toute conception corporelle de l'existence. Ne voyant que par le corps le roi Rahugana s'identifiait à sa position de monarque, et adressa toutes sortes de réprimandes à Jada Bharata. Quant à celui-ci, étant une âme realisée parfaitement établie sur le plan spirituel, il ne se mettait nullement en colère; au contraire, il sourit et se mit à instruire le roi. Un vaisnava très avancé se montre l'ami de tous les êtres, même de ses ennemis; en fait, il ne considère personne comme son ennemi (suhrdah sarva-dehinam). Il arrive parfois qu'un vaisnava se mette extérieurement en colère contre un abhakta, mais il agit ainsi pour son bien. Les Ecritures védiques nous en offrent plusieurs exemples. Un jour, Narada se mit en colère contre les deux fils de Kuvera, Nalakuvera et Manigriva, et les châtia en les transformant en arbres; mais à la suite de cette "malédiction", ils furent libérés par Sri Krsna. Le bhakta vit sur le plan absolu, et qu'il se mette en colère ou se montre satisfait ne fait aucune différence: dans les deux cas, il donne sa bénédiction.

VERSET 9

brahmana uvaca
tvayoditam vyaktam avipralabdham
bhartuh sa me syad yadi vira bharah
gantur yadi syad adhigamyam adhva
piveti rasau na vidam pravadah

TRADUCTION

Le savant brahmana Jada Bharata déclara:
Cher roi et héros, tout ce que tu as dit en te moquant de moi est bien vrai. En réalité, tes paroles ne sont pas simplement des reproches: c'est en effet le corps qui porte la charge, et celle-ci n'est pas mienne car je suis l'âme spirituelle. Tes propos ne sont donc pas contradictoires puisque je suis distinct de mon corps; ce n'est pas moi qui porte le palanquin, mais ce corps. Ainsi que tu l'as mentionné, il est certain que je n'ai pas peiné à porter le palanquin, car je suis détaché de mon corps. Tu m'as en outre accusé de faiblesse et d'inefficacité, et ces paroles conviennent tout à fait à une personne ignorant que le corps et l'âme forment deux entités distinctes. Le corps peut être gras ou maigre, mais aucun homme de savoir ne parlerait de l'âme spirituelle en ces termes. Mais comme, en tant qu'âme, je ne suis ni gras ni maigre, tu as aussi raison de dire que je ne suis pas très robuste. En outre, si l'objet de ce voyage et la route qui y conduit étaient miens, je connaîtrais certes bien des difficultés; mais comme ils n'ont trait qu'à mon corps et non à moi-même, je n'en éprouve aucune.

TENEUR ET PORTEE

La Bhagavad-gita enseigne qu'un être humain doué d'un haut savoir spirituel ne se trouve aucunement affecté par les joies et les peines qui touchent le corps matériel. Ce dernier est entièrement distinct de l'âme spirituelle; en conséquence, ses joies et ses peines ne sont que superficielles. La pratique de l'austérité et de l'ascèse doit permettre de comprendre la distinction qui existe entre le corps et l'âme, ainsi que la façon dont cette dernière peut transcender les joies et les peines corporelles. Jada Bharata avait véritablement atteint le niveau de la réalisation spirituelle. Il était complètement au-delà de la conception corporelle de l'existence. Il adopta donc immédiatement ce point de vue et persuada le roi que toutes les critiques que celui-ci avait formulées à l'égard de son corps ne s'appliquaient aucunement à lui en tant qu'âme spirituelle.

VERSET 10

sthaulyam karsyam vyadhaya adhayas ca
ksut trd bhayam kalir iccha jara ca
nidra ratir manyur aham madah suco
dehena jatasya hi me na santi

TRADUCTION

La corpulence, la maigreur, la souffrance physique et mentale, la soif, la faim, la peur, le désaccord, le désir de jouissance matérielle, la vieillesse, le sommeil, l'attachement aux biens matériels, la colère, l'affliction, l'illusion et l'identification au corps ne sont qu'autant de transformations de l'enveloppe matérielle qui recouvre l'âme spirituelle. Toute personne accaparée par une conception matérielle de l'existence, axée sur le corps, se trouve affectée par ces phénomènes, mais je suis libéré de toute conception corporelle. Je ne suis donc ni gras, ni maigre, ni quoi que ce soit de tout ce que tu as pu dire.

TENEUR ET PORTEE

Srila Narottama Dasa Thakura chantait: deha-smrti nahi yara, samsara-bandhana kahan tara -l'être spirituellement évolué n'a aucun lien avec le corps ni avec les actes de celui-ci et leurs conséquences. Lorsqu'on parvient à comprendre que sa propre existence diffère de celle du corps, et que l'on n'est donc ni gras ni maigre, on atteint le plus haut niveau de la réalisation spirituelle. Au contraire, celui qui n'a pas conscience de son identité réelle demeure enchaîné à l'univers matériel du fait de sa conception corporelle de l'existence. A l'heure actuelle, c'est toute l'humanité qui vit avec cette conscience corporelle; c'est pourquoi les sastras décrivent les hommes de l'ère ou nous vivons comme des animaux à deux pattes (dvipada-pasu). Nul ne saurait être heureux dans une civilisation dirigée par ces animaux. Notre Mouvement pour la Conscience de Krsna s'efforce d'élever l'humanité déchue au niveau de l'intelligence spirituelle. Il n'est pas possible pour tout le monde de devenir sur-le-champ une âme réalisée comme Jada Bharata. Cependant, comme l'enseigne le Srimad-Bhagavatam (1.2.18): nasta prayesv abhadresu nityam bhagavata-sevaya -en propageant les principes du Bhagavata, nous pouvons élever la société au niveau de la perfection. Celui qui cesse d'être affecté par la conception corporelle de l'existence sous ses différents aspects peut s'élever jusqu'au service de dévotion offert au Seigneur:

nasta prayesv abhadresu
nityam bhagavata-sevaya
bhagavaty uttamasloke
bhaktir bhavati naistiki

Plus nous nous libérons de toute conception corporelle, plus nous nous établissons fermement dans le service de dévotion et plus nous devenons heureux et paisibles. A cet égard, Srila Madhvacarya affirme que ceux qui subissent trop fortement l'emprise de la matière continuent d'entretenir en eux-mêmes une conception corporelle de l'existence. Ils se préoccupent des différents états du corps, tandis que l'être libre de toute conception corporelle vit séparé du corps, alors même qu'il vit en ce monde matériel.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare