SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 5
CHAPITRE 10

Dialogue entre Jada Bharata
et Maharaja Rahugana.

VERSET 21

drstah sramah karmata atmano vai
bhartur gantur bhavatas canumanye
yathasatodanayanady-abhavat
samula ista vyavahara-margah

TRADUCTION

Tu disais: "Le travail ne me fatigue pas." Or, bien que l'âme diffère du corps, les efforts de ce dernier sont source de fatigue, et il semble que celle-ci soit ressentie par l'âme. Ainsi, lorsque tu portes le palanquin, l'âme doit certainement peiner -voilà du moins comment je vois les choses. Tu as également dit que les comportements de maître et de serviteur sont dépourvus de réalité ; pourtant, même si le monde phénoménal n'appartient pas au réel, ses composants peuvent effectivement agir sur les choses. Nous pouvons le voir et en faire l'expérience. Dès lors, malgré leur caractère transitoire, les activités matérielles ne peuvent être qualifiées d'irréelles.

TENEUR ET PORTEE

Ce verset soulève la question de la différence entre la philosophie mayavada ou impersonnaliste, et celle, réaliste, des vaisnavas. L'école mayavada déclare que le monde phénoménal est irréel, mais les philosophes vaisnavas ne sont pas d'accord sur ce point; ils savent que l'univers phénoménal n'est manifesté que de façon temporaire, mais qu'il n'est pas irréel pour autant. Les songes que nous faisons la nuit n'ont sûrement aucune réalité; pourtant un cauchemar ne manquera pas d'affecter la personne qui le fait. Dans le même ordre d'idée, l'âme ne connaît pas la fatigue, mais tant qu'elle demeure illusionnée par la conception corporelle de l'existence, elle se trouve affectée par de tels rêves. Lorsqu'on rêve, on ne peut échapper à la réalité, et l'âme conditionnée se voit contrainte de souffrir à cause du rêve qu'elle fait. Un pot d'eau en terre n'est qu'une forme transitoire; en réalité, il n'y a pas de pot d'eau il n'y a que de la terre. Cependant, tant que le pot peut contenir de l'eau, nous pouvons l'utiliser à cette fin, et l'on ne peut dire qu'il est totalement irréel.

VERSET 22

sthaly-agni-tapat payaso bhitapas
tat-tapatas tandula-garbha-randhih
dehendriyasvasaya-sannikarsat
tat-samsrtih purusasyanurodhat

TRADUCTION

[Le roi Rahugana poursuivit en ces termes:]
Tu disais que des caractéristiques comme la corpulence et la maigreur sont pas des attributs de l'âme; cela n'est pas tout à fait juste, puisque qu'on définit comme joies et peines est bien ressenti par l'âme. Si l'on met casserole de lait et de riz sur le feu, ces deux ingrédients seront nécessaire modifiés par la chaleur, l'un après l'autre. De même, les joies et les peines liées au corps agissent sur les sens, sur le mental et sur l'âme; l'âme ne peut échapper complètement à ce conditionnement.

TENEUR ET PORTEE

L'argument proposé par Maharaja Rahugana est correct d'un point de pratique, mais il naît de son attachement à la conception corporelle de l'existence. On peut dire qu'une personne assise dans une voiture est sans aucun doute différente de celle-ci. Pourtant, si le véhicule est endommagé, son propriétaire, du fait de son attachement excessif, en souffrira. En réalité, il n'est absolument pas touché par l'accident, mais parce qu'il s'identifie à sa voiture, il ressent des joies et des peines en relation avec elle. Cette dépendance ne peut être évitée qu'en se défaisant de cet attachement à la voiture. Alors, son propriétaire ne s'émouvra plus de tout ce qui pourra survenir au véhicule. De même, l'âme n'a rien de commun avec le corps et les sens, mais sous l'influence de l'ignorance, elle s'identifie au corps et en éprouve les joies et les peines.

VERSET 23

sastabhigopta nrpatih prajanam
yah kinkaro vai na pinasti pistam
sva-dharmam aradhanam acyutasya
yad ihamano vijahaty aghaugham

TRADUCTION

Tu as dit que la relation existant entre le roi et ses sujets, ou le maître et le serviteur, n'est pas éternelle; toutefois, même si elle reste temporaire, lorsqu'un homme assume le poste de roi, son devoir consiste à régner sur ses sujets et à châtier ceux qui enfreignent la loi; en agissant ainsi, il leur enseigne qu'il faut obéir aux lois de l'Etat. En outre, tu as dit que châtier un sourd-muet revient à mâcher du déjà mâché, ou à moudre ce qui est déjà moulu -ce qui veut dire qu'on n'y gagne rien. Cependant, si quelqu'un s'acquitte de ses propres devoirs selon la volonté du Seigneur Suprême, ses fautes s'en trouvent assurément diminuées; par suite, si l'on force quelqu'un à accomplir son devoir, ce sera dans son intérêt car on lui permet de s'affranchir ainsi de toutes ses fautes.

TENEUR ET PORTEE

L'argument présenté par Maharaja Rahugana dans ce verset est à coup sûr très pertinent. Dans son Bhakti-rasamrta-sindhu (1.2.4), Srila Rupa Gosvami déclare: tasmat kenapy upayena manah krsne nivesayet -"D'une façon ou d'une autre, il faut participer à la Conscience de Krsna. En fait chaque être est un serviteur éternel de Krsna, mais dû à l'oubli il agit comme un serviteur éternel de maya; et tant qu'il sert cette dernière, il ne peut être heureux. Notre Mouvement pour la Conscience de Krsna vise à inciter les gens à servir le Seigneur, car ceci les aidera à se purifier de toute contamination matérielle et de toute action coupable. La Bhagavad-gita (IV.10) le confirme: vita-raga-bhaya-krodhah -en parvenant à se détacher de toute activité matérielle, on s'affranchit de la peur et de la colère. Par la pratique de l'austérité, on se purifie et l'on devient éligible pour retourner à Dieu, en sa demeure originelle. Le devoir du roi consiste à gouverner ses sujets de telle sorte qu'ils puissent devenir conscients de Krsna. Voilà qui serait profitable pour tous, mais malheureusement les rois et les présidents actuels incitent leurs concitoyens à satisfaire leurs sens plutôt qu'à se vouer au service du Seigneur, et cela n'est sûrement bénéfique pour personne. Le roi Rahugana avait essayé d'engager Jada Bharata à son service comme porteur de palanquin, ce qui correspondait à une forme de satisfaction sensorielle. Toutefois, si l'on se met au service du Seigneur en qualité de porteur de palanquin, on ne peut qu'en tirer profit. Si, dans la civilisation athée où nous vivons, un chef d'Etat incite d'une façon ou d'une autre ses concitoyens à prendre part au service de dévotion, à éveiller leur conscience de Krsna, il leur rendra sans conteste le plus grand service qui puisse être.

VERSET 24

tan me bhavan nara-devabhimana-
madena tucchikrta-sattamasya
krsista maitri-drsam arta-bandho
yatha tare sad-avadhyanam amhah

TRADUCTION

Tout ce que tu as dit me semble paradoxal. O toi, le meilleur ami des malheureux, j'ai commis une bien grave offense en t'insultant. C'est que j'étais enflé d'orgueil du fait d'avoir le corps d'un roi. Je te supplie donc de me considérer avec bienveillance et de me témoigner ta miséricorde infinie. Si tu accèdes à ma requête, je serai délivré des fautes dont je me suis rendu coupable en t'insultant.

TENEUR ET PORTEE

Sri Caitanya Mahaprabhu disait qu'en offensant un vaisnava, on met un terme à toutes ses activités spirituelles. Le fait d'offenser un vaisnava est appelé "l'offense de l'éléphant en furie". Un éléphant furieux peut ravager un jardin qui a demandé de grands efforts. Quand bien même on serait parvenu au plus haut niveau du service de dévotion, si d'une manière ou d'une autre on offense un vaisnava, tout l'édifice s'écroule. Le roi Rahugana avait inconsciemment offensé Jada Bharata; mais, heureusement pour lui, il eut le bon sens d'implorer le pardon de ce dernier. Telle est la façon dont on peut être délivré d'une vaisnava-aparadha. Krsna est toujours très simple et compatissant de nature. Aussi, celui qui commet une offense aux pieds d'un vaisnava doit aussitôt s'excuser auprès de cet être si élevé, afin que son progrès spirituel ne soit pas entravé.

VERSET 25

na vikriya visva-suhrt-sakhasya
samyena vitabhimates tavapi
mahad-vimanat sva-krtad dhi madrn
nanksyaty adurad api sulapanih

TRADUCTION

O mon maître, tu es l'ami du Seigneur Souverain, qui Lui-même est l'ami de tous les êtres. Par suite, tu te montres égal envers tous, et tu es exempt de toute conception corporelle de l'existence. Bien que je t'aie offensé en t'injuriant, je sais que mes paroles insolentes n'entraînent pour toi aucun gain ni aucune perte; tu demeures ferme dans ta détermination. Mais je n'en ai pas moins commis cette offense; et d'avoir ainsi péché contre les pieds pareils-au-lotus d'un vaisnava causera ma perte sans tarder, même si j'étais aussi puissant que Siva.

TENEUR ET PORTEE

Maharaja Rahugana possédait une grande intelligence et il avait conscience des effets funestes résultant de l'insulte faite à un vaisnava. Aussi désirait-il ardemment se faire pardonner par Jada Bharata. Tout le monde devrait suivre son exemple, et prendre grand soin de ne pas commettre d'offense envers les pieds pareils-au-lotus d'un vaisnava. Srila Vrndavana Dasa Thakura déclare dans le Caitanya-bhagavata (Madhya 13.22):

sulapani-sama yadi bhakta-ninda kare
bhagavata pramana-tathapi sighra mare

hena vaisnavere ninde sarvajna ha-i
sa janera adhah-pata sarva-sastre ka-i

"Fût-il aussi puissant que Siva, qui porte un trident dans sa main, celui qui se risque à insulter un vaisnava peut être certain de déchoir de sa position spirituelle. Tel est le verdict de tous les Ecrits védiques."

vaisnavera ninda karibeka yara gana
tara raksa samarthya nahika kona jana

sulapani-sama yadi vaisnavere ninde
tathapiha nasa yaya--kahe sastra-vrnde

iha na maniya ye sujana ninda kare
janme janme se papistha daiva-dose mare

"Personne ne peut protéger celui qui blasphème un vaisnava. Fût-il aussi puissant que Siva, celui qui commet cette offense court inéluctablement à sa perte. Tel est le jugement de tous les sastras. Et si quelqu'un ne se soucie pas de ce jugement et ose blasphémer un vaisnava, il devra en souffrir vie après vie."

Ainsi s'achèvent les enseignements de Bhaktivedanta sur le dixième chapitre du cinquième Chant du Srimad-Bhagavatam, intitulé: "Dialogue entre Jada Bharata et Maharaja Rahugana".


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare