SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 5
CHAPITRE 11

Les enseignements de Jada
Bharata au roi Rahugana

VERSET 1

brahmana uvaca
akovidah kovida-vada-vadan
vadasy atho nati-vidam varisthah
na surayo hi vyavaharam enam
tattvavamarsena sahamananti

TRADUCTION

Le brahmana Jada Bharata dit:
Mon cher roi, tu essaies de parler comme un homme de grande expérience malgré ton incompétence; tu ne saurais donc être considéré comme tel. En effet, un sage ne tient pas le même langage que toi à propos des rapports existant entre un maître et son serviteur ou à propos des joies et des peines matérielles. Ce ne sont là que des manifestations externes, et aucun homme d'expérience ayant atteint un haut niveau spirituel dans la recherche de la Vérité Absolue ne parlerait ainsi.

TENEUR ET PORTEE

Krsna réprimanda Arjuna d'une façon analogue: asocyan anvasocas tvam prajnavadams ca bhasase. "Bien que tu tiennes de savants discours, tu t'affliges sans raison." (B.g.,II.11) De la même manière, la plupart des gens essaient de parler comme s'ils étaient des conseillers avisés, alors qu'ils ne détiennent en réalité aucune connaissance spirituelle. Ils ne valent donc guère mieux que des enfants incultes disant toutes sortes de bêtises, et il n'est pas question d'accorder la moindre importance à leurs paroles. C'est auprès de Krsna ou de Son dévot qu'il faut acquérir la connaissance. Si nous parlons en nous appuyant sur cette base, c'est-à-dire sur le savoir spirituel, alors nos paroles ont de la valeur. A l'heure actuelle, le monde entier est peuplé de sots; la Bhagavad-gita les qualifie de mudhas. Ils essaient de diriger l'humanité, mais parce qu'ils ne possèdent aucun savoir spirituel, ils plongent le monde dans une situation chaotique. Pour échapper à cette condition misérable, il faut devenir conscient de Krsna et être instruit par une personne de valeur comme Jada Bharata, Sri Krsna ou Kapiladeva. C'est là le seul moyen de résoudre les problèmes de l'existence matérielle.

VERSET 2

tathaiva rajann uru-garhamedha-
vitana-vidyoru-vijrmbhitesu
na veda-vadesu hi tattva-vadah
prayena suddho nu cakasti sadhuh

TRADUCTION

Mon cher roi, les propos relatifs aux rapports entre maître et serviteur, roi et sujets, etc., ne concernent que les activités matérielles. Les gens qui s'intéressent à celles-ci, telles qu'elles sont définies dans les Vedas, sont résolus à multiplier les sacrifices matériels et à mettre leur foi dans les actes intéressés. Pour eux, il ne saurait être question de progrès spirituel.

TENEUR ET PORTEE

Deux mots doivent retenir notre attention dans ce verset: veda-vada et tattva-vada. Selon la Bhagavad-gita (II.42-43), ceux qui s'attachent aux Vedas et au Vedanta-sutra sans en saisir le but, sont appelés veda-vada-ratah.

yam imam puspitam vacam
pravadanty avipascitah
veda-vada-ratah partha
nanyad astiti vadinah

kamatmanah svarga-para
janma-karma phala-pradam
kriya-visesa-bahulam
bhogaisvarya-gatim prati

Les hommes peu avertis s'attachent au langage fleuri des Vedas, qui enseignent diverses pratiques pour atteindre les planètes de délices, renaître sous une bonne étoile, gagner la puissance et profiter d'autres bienfaits. Enflammés de désir pour les joies d'une vie opulente, ils ne voient pas au-delà."

Ces adeptes des Vedas, les veda-vadas, se tournent généralement vers le karma-kanda, ou l'accomplissement de sacrifices recommandés dans les Vedas, grâce auxquels ils s'élèvent jusqu'aux systèmes planétaires supérieurs. En général, ils observent la pratique du caturmasya. Aksayyam ha vai caturmasya-yajinah sukrtam bhavati: celui qui accomplit le caturmasya-yajna devient vertueux, ce qui lui permet de s'élever jusqu'aux système planétaires supérieurs (urdhvam gacchanti sattva-sthah). Certains adeptes des Vedas s'attachent également au karma-kanda, aux actes intéressés mentionnés par les Ecritures, afin d'accéder à un niveau de vie supérieur D'autres soutiennent cependant que ce n'est pas là le but des Vedas. Tad yathaiveha karma-jitah lokah ksiyate evam evam utra punya-jitah lokah ksiyate. Ici-bas, certains peuvent atteindre un très haut niveau en naissant dans une famille aristocratique, en recevant une bonne éducation, en jouissant d'une beauté hors du commun ou en étant très riches. Ce sont là autant d'avantages résultant d'actes de vertu accomplis au cours d'une existence passée; néanmoins, ils disparaîtront lorsque les mérites ainsi acquis seront épuisés. En s'attachant aux actes de vertu, on peut jouir de ces diverses bénédictions matérielles au cours de sa prochaine vie et il est même possible de renaître sur l'une des planètes édéniques. Néanmoins, un jour ou l'autre tout cela aura une fin: ksine punye martya-lokam visani -"Quand les mérite liés aux actes de vertu sont épuisés, il faut revenir en ce martya-loka, en ce monde mortel." (B.g.,IX.21) Selon les enseignements védiques, l'accomplissement d'actes vertueux n'est pas réellement l'objectif des Vedas. La Bhagavad-gita nous révèle au contraire que l'étude des Vedas doit conduire à la connaissance de Krsna, la Personne Suprême: vedais ca sarvair aham eva vedyah. Les veda-vadis ne possèdent pas, à proprement parler, un savoir très élevé, et les tenants du jnana-kanda (qui visent à la compréhension du Brahman ne connaissent pas davantage la perfection. En revanche, celui qui parvient au niveau de l'upasana et qui se voue à l'adoration de Dieu, la Personne Suprême, devient quant à lui parfait (aradhananam sarvesam visnor aradhanam param). Les Vedas font certes mention du culte des différents devas et de l'accomplissement de sacrifices, mais cette forme d'adoration est inférieure du fait que ceux qui la pratiquent ignorent que Visnu représente le but ultime (na te viduh svartha-gatim hi visnum). Celui qui parvient au niveau du visnor aradhanam, ou du bhakti-yoga, a atteint la perfection de l'existence. Sinon, comme l'indique la Bhagavad-gita, ce n'est pas un tattva-vadi, mais un veda-vadi qui suit aveuglément les injonctions védiques. Or, le veda-vadi ne peut se purifier de la contamination matérielle que s'il devint un tattva-vadi, c'est-à-dire quelqu'un qui connaît le tattva, ou la Vérité Absolue. Ce tattva peut également être appréhendé sous trois aspects: brahmeti paramatmeti bhagavan iti sabdyate (S.B.,1.2.11). Même après avoir accédé à la compréhension du tattva, il faut adorer Bhagavan, c'est-à-dire Visnu et Ses émanations, faute de quoi on n'a pas encore atteint la perfection. Bahunam janmanam ante jnanavan mam prapadyate: après de nombreuses renaissances, l'homme qui a vraiment la connaissance s'abandonne à Krsna (B.g.,VII.19). En conclusion, les hommes sans grande intelligence et n'ayant que peu de connaissance ne peuvent connaître Bhagavan, le Brahman ou le Paramatma; néanmoins, après avoir étudié les Vedas et accédé à la compréhension de la Vérité Absolue --Dieu, la Personne Suprême--, on est censé avoir atteint le niveau de la connaissance parfaite.

VERSET 3

na tasya tattva-grahanaya saksad
variyasir api vacah samasan
svapne niruktya grhamedhi-saukhyam
na yasya heyanumitam svayam syat

TRADUCTION

Tout comme on réalise naturellement le caractère illusoire et immatériel d'un songe, chacun finit par prendre conscience de la nature dérisoire du bonheur matériel accessible en cette vie ou au cours de la suivante, que ce soit sur cette planète ou sur une autre plus élevée. Lorsqu'on atteint ce niveau de compréhension, les Vedas, qui constituent pourtant une excellente source de savoir, ne suffisent pas pour obtenir une connaissance directe de la vérité.

TENEUR ET PORTEE

Krsna recommande à Arjuna, dans la Bhagavad-gita (II.45), de transcender les actions matérielles suscitées par les trois gunas: traigunya-visaya veda nistraigunyo bhavarjuna. Le but de l'étude des Vedas est de transcender les activités liées aux trois attributs de la nature matérielle. Il est bien entendu que dans l'univers matériel on considère la vertu comme la meilleure influence, et qu'en s'établissant sur le plan du sattva-guna on peut s'élever jusqu'aux systèmes planétaires supérieurs. Cependant, ceci ne constitue pas la perfection. Il faut aboutir à la conclusion que même le niveau du sattva-guna n'a pas de valeur. On peut, par exemple, rêver que l'on est devenu un roi entouré d'une bonne famille, avec femme et enfants; mais, sitôt ce rêve terminé, on doit bien reconnaître que tout cela est imaginaire. De même, toutes les formes de bonheur matériel sont indésirables pour quiconque aspire au salut spirituel. Celui qui ne parvient pas à cette conclusion ne pourra jamais accéder à l'entendement de la Vérité Absolue, au tattva-jnana. Les karmis, les jnanis et les yogis poursuivent une forme ou une autre d'élévation matérielle. Les karmis peinent jour et nuit pour améliorer leurs conditions de vie matérielle, et les jnanis ne font qu'émettre des hypothèses sur la façon d'échapper au labyrinthe du karma et de se fondre dans le rayonnement du Brahman. Quant aux yogis, ils sont très attachés à atteindre la perfection matérielle et à obtenir des pouvoirs magiques. Tous essaient de devenir parfaits d'un point de vue matériel, mais le bhakta, lui, accède sans difficulté au niveau du nirguna dans le service de dévotion, si bien que les fruits du karma, du jnana et du yoga lui deviennent tout à fait insignifiants. Par suite, seul le bhakta se situe sur le plan du tattva-jnana. Bien entendu, le jnani occupe une position supérieure à celle du karmis, mais cela demeure néanmoins insuffisant. Il doit réellement parvenir à la libération, après quoi seulement il pourra accéder au service de dévotion (mad-bhaktim labhate param).

VERSET 4

yavam mano rajasa purusasya
sattvena va tamasa vanuruddham
cetobhir akutibhir atanoti
nirankusam kusalam cetaram va

TRADUCTION

Tant que le mental demeure contaminé par les trois gunas [la vertu, la passion et l'ignorance], on peut le comparer à un éléphant en liberté qui échappe à tout contrôle. Il ne fait que prolonger la sujétion de l'être distinct aux actes vertueux et impies accomplis par les différents sens. Ce dernier doit alors rester dans l'univers matériel pour connaître les joies et les souffrances résultant de ses actes intéressés.

TENEUR ET PORTEE

Le Caitanya-caritamrta enseigne que les actes matériels vertueux et impies s'opposent tous au principe du service de dévotion. En effet, la pratique du service de dévotion suppose que l'on soit libéré des chaînes de l'existence matérielle -ce qui correspond à la mukti-, alors que les actes vertueux et impies ne contribuent qu'à nous asservir à l'univers matériel. Si le mental est subjugué par ces deux pôles d'activités mentionnés dans les Vedas, l'être demeure éternellement dans les ténèbres; jamais il ne peut atteindre le niveau absolu. Le simple fait de transférer sa conscience du niveau de l'ignorance à celui de la passion, ou de la passion à la vertu, ne résout pas vraiment le problème.La Bhagavad-gita (XIV.26) stipule clairement: sa gunan samatityaitan brahma-bhuyaya kalpate. Il faut s'élever jusqu'au niveau spirituel et absolu, sinon la mission de notre existence reste à jamais inachevée.

VERSET 5

sa vasanatma visayoparakto
guna-pravaho vikrtah sodasatma
bibhrat prthan-namabhi rupa-bhedam
antar-bahistvam ca purais tanoti

TRADUCTION

En proie au désir d'accomplir des actes vertueux et impies, le mental est naturellement sujet aux effets de la concupiscence et de la colère; c'est ainsi qu'il est attiré par la satisfaction des sens matériels. En d'autres termes, ce sont la vertu, la passion et l'ignorance qui dirigent le mental. Il existe onze sens et cinq éléments matériels grossiers; or, parmi ces seize éléments, c'est le mental qui prime. Il fait donc renaître l'âme distincte dans différentes sortes de corps, parmi les devas, les êtres humains, les animaux et les oiseaux. Selon qu'il se situe à un niveau bas ou élevé, il se verra octroyer un corps matériel d'une qualité équivalente.

TENEUR ET PORTEE

La transmigration de l'âme à travers les huit millions quatre cent mille (8 400 000) espèces vivantes est due à la pollution du mental par tel ou tel attribut matériel. C'est à cause du mental que l'âme se livre à des actes vertueux ou impies. La continuation de l'existence matérielle peut se comparer aux vagues de la nature matérielle. A cet égard, Srila Bhaktivinoda Thakura dit: mayara vase yaccha bhese, khaccha habudubu, bhai -"Mon cher frère, l'âme spirituelle se trouve tout entière sous l'emprise de maya et, tu es emporté par ses vagues." Ceci est confirmé par la Bhagavad-gita (III.27):

prakrteh kriyamanani
gunaih karmani sarvasah
ahankara-vimudhatma
kartaham iti manyate

"Sous l'influence des trois gunas, l'âme égarée par le faux ego croit être l'auteur de ses actes, alors qu'en réalité, ils sont accomplis par la nature.''

L'existence matérielle consiste à subir pleinement l'emprise de l'énergie externe du Seigneur et c'est vers le mental que convergent toutes les incitations de la nature matérielle. L'être distinct se trouve ainsi emporté d'un corps à un autre, ceci de façon continue, kalpa après kalpa.

krsna bhuli sei jiva anadi-bahirmukha
ataeva maya tare deya samsara-duhkha
(C.c., Madhya 20.117)

Pour avoir oublié Krsna, l'être devient lié par les lois de la nature matérielle.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare