SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 5
CHAPITRE 14

La forêt de plaisirs
de l'univers matériel.

VERSET 1

sa hovaca
sa esa dehatma-maninam sattvadi-guna-visesa-vikalpita-kusalaku-
sala-samavahara-vinirmita-vividha-dehavalibhir viyoga-samyogady-
anadi-samsaranubhavasya dvara-bhutena sad-indriya-vargena tasmin
durgadhvavad asugame dhvany apatita isvarasya bhagavato visnor
vasa-vartinya mayaya jiva-loko yam yatha vanik-sartho rtha-parah
sva-deha-nispadita-karmanubhavah smasanavad asivatamayam
samsaratavyam gato nadyapi viphala-bahu-pratiyogehas tat-
tapopasamanim hari-guru-caranaravinda-madhukaranupadavim
avarundhe.

TRADUCTION

[Le roi Pariksit lui ayant demandé de lui révéler le sens direct de l'allégorie de la forêt matérielle,] Sukadeva Gosvami répondit en ces termes:

O roi, un homme appartenant à la communauté mercantile (vanik) est toujours avide de gain. Il se rend parfois dans la forêt pour s'y procurer certains produits de peu de valeur, comme du bois ou de la terre, qu'il revendra à un bon prix une fois de retour à la ville. Pareillement, en proie à la cupidité, l'âme conditionnée pénètre dans l'univers matériel en vue d'y réaliser quelque gain. Peu à peu, elle s'enfonce au plus profond de la forêt sans vraiment savoir comment en sortir. Lorsqu'elle entre en ce monde, l'âme pure devient conditionnée au contact de l'atmosphère matérielle, créée par l'énergie externe sous la direction de Visnu. Elle tombe alors sous la domination de l'énergie externe, la daivi-maya. Vivant indépendamment, égarée dans cette forêt, il ne lui est pas donné de rencontrer les bhaktas, qui toujours s'absorbent dans le service du Seigneur. Une fois qu'il est hanté par la conception corporelle de l'existence, l'être vivant obtient l'un après l'autre divers types de corps sous l'influence de l'énergie matérielle et en fonction des gunas (le sattva-guna, le rajo-guna et le tamo-guna). C'est ainsi que l'âme conditionnée se rend parfois sur les planètes édéniques, parfois sur les planètes terrestres, et d'autres fois encore dans les systèmes planétaires inférieurs où elle renaît au sein d'espèces viles. Elle souffre ainsi continuellement, quel que soit le corps qu'elle revêt. Ces souffrances affectent parfois un caractère mixte; tantôt elles deviennent insupportables, tantôt elles se font oublier. Toutes ces condition corporelles résultent des spéculations de l'être conditionné. C'est par l'usage qu'il fait de son mental et de ses cinq organes de perception que ceux-ci suscitent différents corps et différentes conditions d'existence. Parce qu'il utilise ses sens sous la domination de l'énergie externe, maya, l'être vivant doit connaître les vicissitudes de l'existence matérielle. En vérité, il ne cherche qu'à être libéré de tout ceci, mais bien qu'il y parvienne parfois à grand-peine, ses efforts sont le plus souvent déjoués. Luttant de la sorte pour vivre en ce monde, il ne peut obtenir refuge auprès des purs bhaktas, semblables à des abeilles accaparées par le service d'amour offert aux pieds pareils-au-lotus de Visnu.

TENEUR ET PORTEE

L'indication la plus importante que ce verset renferme tient dans les mots hari-guru-carana-aravinda-madhukara-anupadavim. Dans l'univers matériel, les âmes conditionnées sont frustrées par la vie, et ce n'est qu'après de grandes difficultés qu'elles parviennent parfois au soulagement. D'une manière générale, on peut dire que l'âme conditionnée n'est jamais heureuse; elle ne peut que lutter pour son existence. En fait, la seule solution qui s'offre à elle consiste à s'abandonner à un maître spirituel, un guru, afin que par son intermédiaire elle puisse s'abandonner aux pieds pareils-au-lotus du Seigneur. C'est ce qu'explique Sri Caitanya Mahprabhu; guru-krsna-prasade paya bhakti-lata-bija. Les gens qui luttent pour assurer leur subsistance dans les jungles que sont les villes de ce monde ne jouissent pas vraiment de la vie; ils éprouvent simplement différentes joies et peines -le plus souvent des peines qui les accablent. Ils essaient d'échapper à ces souffrance, mais leur ignorance les en empêche. Pour eux, les Vedas enseignent: tad-vijnan artham sa gurum evabhigacchet. Lorsque l'être distinct se trouve perdu dans la jungle de l'univers matériel, luttant pour l'existence, son premier souci doit être de trouver un guru authentique qui se consacre de façon constante au service des pieds pareils-au-lotus du Seigneur Souverain, Sri Visnu. Bref, celui qui aspire si peu que ce soit à être délivré de la lutte pour l'existence doit trouver un guru authentique et s'abandonner à ses pieds pareils-au-lotus pour recevoir ses enseignements. C'est ainsi qu'il pourra s'extirper de cette situation.

Puisque l'univers matériel est ici comparé à une forêt, on peut objecter que dans le kali-yuga la civilisation moderne se développe surtout dans les villes. Toutefois, une grande ville ressemble tout à fait à une vaste jungle. En fait, la vie citadine présente plus de dangers que la vie en forêt. Si l'on pénètre dans une ville inconnue où l'on n'a ni ami, ni refuge, vivre dans cette ville se révélera être plus difficile que vivre dans la forêt. Il existe de nombreuses métropoles à la surface du globe et, de quelque côté que l'on porte son regard, on voit se poursuivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre la lutte pour l'existence. Les gens vont et viennent sans répit dans des voitures roulant à plus de cent kilomètres à l'heure, et c'est dans cette sorte de mise en scène que se déroule la grande lutte pour l'existence. L'homme doit se lever tôt le matin, prendre sa voiture et appuyer sur l'accélérateur à s'en rompre les os. Le danger d'un accident plane toujours sur sa tête, et il lui faut faire preuve d'une grande vigilance. Au volant de sa voiture, il connaît mille angoisses, et ses efforts, sa lutte, n'ont rien de salutaire. A part les être humains, il y a aussi les autres espèces, parmi lesquelles les chats et les chiens, qui mènent eux aussi un dur combat jour et nuit pour pouvoir vivre. C'est ainsi que la lutte se poursuit inlassablement, et que l'être conditionné change constamment de situation; petit enfant pendant quelque temps, voilà qu'il doit se faire à son corps de garçon; puis il devient jeune homme, adulte, homme mûr, et vieillard; finalement, lorsque son corps ne fonctionne plus, l'âme doit en revêtir un autre, appartenant à une espèce différente. L'abandon du corps s'appelle la mort, et l'acceptation d'un nouveau corps n'est autre que la naissance. La vie humaine représente une occasion de trouver refuge auprès d'un maître spirituel authentique et, par son intermédiaire, auprès du Seigneur Suprême. Le Mouvement pour la Conscience de Krsna a été créé afin de donner cette chance à tous les membres de la société, maintenant fourvoyés par des dirigeants insensés. Nul ne peut éviter cette lutte pour l'existence, avec toutes les souffrances qu'elle entraîne, à moins de s'en remettre à un pur dévot du Seigneur. Tout effort matériel ne peut que modifier superficiellement notre condition, sans jamais pouvoir nous affranchir véritablement de la lutte pour l'existence. Notre seul recours est de trouver refuge auprès des pieds pareils-au-lotus d'un maître spirituel authentique, et par son intermédiaire, auprès de ceux du Seigneur.

VERSET 2

yasyam u ha va ete sad-indriya-namanah karmana dasyava eva te. tad
yatha purusasya dhanam yat kincid dharmaupayikam bahu-
krcchradhigatam saksat parama-purusaradhana-loksano yo sau
dharmas tam tu samparaya udaharanti. tad-dharmyam dhanam
darsana-sparsana-sravanasvadanavaghrana-sankalpa-vyavasaya-
grha-gramyopabhogena kunathasyajitatmano yatha sarthasya vilum-panti.

TRADUCTION

Dans la jungle de l'existence matérielle, les sens non maîtrisés sont comme des pillards. L'âme conditionnée recueille parfois des fonds qu'elle veut consacrer à la Conscience de Krsna, mais les sens indisciplinés viennent malheureusement piller cet argent en lui réclamant des plaisirs matériels. Les sens sont comme des pillards car ils contraignent l'être à dépenser son argent de vaine manière, pour voir, sentir, goûter, toucher, entendre, satisfaire ses désirs et faire sa volonté. L'âme conditionnée est ainsi contrainte d'obéir à ses sens, et elle dépense à cette fin tout son avoir. En vérité, cet argent a été acquis pour l'observance des principes de la religion, mais les sens comme des pillards, s'en emparent pour eux-mêmes.

TENEUR ET PORTEE

Purva jamnarjita vidya purva janmarjitam dhanam agre dhavati dhavati. En observant les principes du varnasrama-dharma, on accède à une meilleur situation en ce monde; on peut ainsi devenir riche, cultivé, séduisant ou naître dans une famille de haut rang. Celui qui possède ces atouts devrait savoir qu'ils sont tous destinés au développement de la Conscience de Krsna. Malheureusement, faisant un mauvais usage de sa position privilégiée, l'être fourvoyé recherche la satisfaction de ses sens. Voilà pourquoi les sens non disciplinés sont considérés comme des pillards. La situation favorable à laquelle on a pu accéder par l'observance des principes religieux devient vaine lorsque les pillards que sont les sens s'en emparent. L'observance des principes de la religion suivant les lois du varnasrama-dharma permet en effet d'accéder à une situation confortable; on peut alors très facilement utiliser ses atouts pour progresser dans la Conscience de Krsna. Il faut bien comprendre que la richesse et les autres avantages obtenus en ce monde ne sont pas destinés à être dilapidés pour la satisfaction des sens; ils doivent plutôt servir au développement de la Conscience de Krsna. C'est pourquoi le Mouvement pour la Conscience de Krsna enseigne l'art de dominer son mental et les cinq organes de perception selon une méthode bien définie. Il s'agit de devenir quelque peu austère et de ne dépenser son argent que pour mener une vie réglée dans le cadre du service de dévotion. Les sens demandent à voir de belles choses; il faut donc dépenser de l'argent pour parer la murti dans le temple. De même, la langue désire goûter des aliments savoureux, qu'il faut dès lors acheter et offrir à la murti. Le nez peut être utilisé pour sentir les fleurs offertes à la murti, et les oreilles pour écouter le mantra Hare Krsna. Voilà comment les sens peuvent être disciplinés et utilisés pour le développement de la Conscience de Krsna. De cette manière, on ne risque pas de gaspiller les avantages offerts par une bonne naissance en satisfaisant ses sens matériels, que ce soit sous forme de vie sexuelle illicite, de consommation de chair animale, d'ivresse sous n'importe quelle forme ou de jeux. A l'opposé, on gâche ses atouts matériels en prenant plaisir à conduire des voitures, en allant dans les boîtes de nuit ou en mangeant certains mets horribles servis dans les restaurants; c'est ainsi que les sens pillent tous les atouts obtenu à grand-peine par l'âme conditionnée.

VERSET 3

atha ca yatra kautumbika darapatyadayo namna karmana vrka-srgala
evanicchato pi kadaryasya kutumbina uranakavat samraksyamanam
misato pi haranti.

TRADUCTION

O roi, ceux qu'on appelle ici-bas femme et enfants se conduisent en réalité comme des tigres et des chacals, ravissant de force l'agneau que le berger s'efforce pourtant de protéger. De même, bien que l'avare garde son argent avec beaucoup de précautions, les membres de sa famille parviennent à lui soutirer jusqu'au dernier sou, malgré sa vigilance.

TENEUR ET PORTEE

Un poète hindi chantait: din ka dakini rat ka baghini palak palak rahu cuse. Durant le jour, la femme est comparable à une sorcière, et la nuit à une tigresse; d'une manière ou d'une autre, elle ne fait que sucer le sang de son mari. Pendant la journée, le mari doit faire face aux dépenses du foyer, et l'argent qu'il a gagné au prix de son sang lui est ainsi enlevé. La nuit, se livrant aux plaisirs de la chair, il perd son sang sous forme de semence. Saigné jour et nuit par sa femme, il continue néanmoins, dans sa folie, à l'entourer d'attention. Pareillement, les enfants peuvent être comparés à des tigres, des chacals et des loups. Bien que leur père veille lui-même sur son argent, ils parviennent à le lui soutirer, à la manière des bêtes féroces qui s'emparent de moutons en dépit de la garde vigilante du berger. On peut ainsi comprendre que même si les membres de la famille portent les noms de femme et d'enfants, ils ne sont en fait que des pillards.

VERSET 4

yatha hy anuvatsaram krsyananam apy adagdha-bijam ksetram punar
evavapana-kale gulma-trna-virudbhir gahvaram iva bhavaty evam eva
grhasramah karma-ksetram yasmin na hi karmany utsidanti yad ayam
kama-karanda esa avasathah.

TRADUCTION

Chaque année, le paysan laboure son champ et arrache soigneusement toutes les mauvaises herbes. Néanmoins, les graines restent dans le sol et, n'ayant pas été complètement brûlées, elles lèvent en même temps que les céréales semées dans la terre. Ainsi, même après que le champ ait été labouré en profondeur, les mauvaises herbes repoussent avec force. De la même manière, la vie de famille (grhastha-asrama) est un champ d'actions intéressées. A moins que le désir de jouir de la vie de famille ne soit complètement consumé, il réapparaîtra sans cesse. Même si l'on retire le camphre du pot ou il se trouve, celui-ci n'en conserve pas moins l'odeur; pareillement, tant que les graines du désir ne sont pas détruites, les actes intéressés ne le sont pas davantage.

TENEUR ET PORTEE

Tant que l'on n'a pas complètement reporté ses désirs sur le service de Dieu, la Personne Suprême, l'attrait pour la vie de famille subsiste, même après avoir adopté le sannyasa. Il arrive parfois dans notre Mouvement -l'Association Internationale pour la Conscience de Krsna- qu'un de nos membres prenne par sentiment l'ordre du renoncement, mais parce que ses désirs matériels ne sont pas complètement consumés, il retourne par la suite à la vie de famille, au risque même de perdre son prestige et d'encourir le déshonneur. La destruction totale de ces puissants désirs ne s'effectue que lorsqu'on s'absorbe pleinement dans le service du Seigneur avec amour et dévotion.

VERSET 5

tatra gato damsa-masaka-samapasadair manujaih salabha-sakunta-
taskara-musakadibhir uparudhyamana-bahih-pranah kvacit parivartamano
sminn adhvany avidya-kama-karmabhir uparakta-manasanupapannartham
nara-lokam gandharva-nagaram upapannam iti mithya-drstir
anupasyati.

TRADUCTION

Le chef de famille, attaché qu'il est à la richesse et aux possessions matérielles, subit parfois l'attaque des taons et des moustiques; à d'autres moments, ce sont des criquets, des oiseaux de proie et des rats qui le harcèlent. Néanmoins, il continue de suivre le chemin qui s'enfonce dans la forêt de l'existence matérielle. L'ignorance ne fait qu'attiser sa concupiscence, et il se voue à l'action intéressée; le mental absorbé dans ses activités, il voit l'univers matériel comme permanent, alors qu'il est aussi éphémère qu'un fantasme, un château qui apparaîtrait dans le ciel.

TENEUR ET PORTEE

Narottama Dasa Thakura chante:

ahankare matta hana,-nitai-pada pasariya,
asatyere satya kari mani-

Lorsqu'on oublie les pieds pareils-au-lotus de Sri Nityananda et qu'on tire vanité de ses possessions, de sa fortune et de ses atouts matériels, on croit que ce monde éphémère d'illusions représente une réalité en lui-même. Telle est bien la maladie matérielle. L'être distinct possède une nature éternelle et pleine de félicité, mais en dépit des misérables conditions matérielles qu'il doit subir, il croit dans son ignorance que l'univers matériel est bien réel.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare