SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 5
CHAPITRE 18

Les prières offertes
au Seigneur par les
habitants de Jambudvipa.

VERSET 21

ya tasya te pada-saroruharhanam
nikamayet sakhila-kama-lampata
tad eva rasipsitam ipsito rcito
yad-bhagna-yacna bhagavan pratapyate

TRADUCTION

Mon cher Seigneur, Tu exauces automatiquement tous les désirs d'une femme qui vénère d'un pur amour Tes pieds pareils-au-lotus. Et si une autre Te rend un culte semblable mais dans un but particulier, Tu satisfais également ses désirs sans tarder, mais à la fin, elle aura le coeur brisé et ne pourra que s'affliger. Aussi, à quoi bon adorer Tes pieds pareils-au-lotus en vue d'en retirer quelque bienfait matériel?

TENEUR ET PORTEE

Srila Rupa Gosvami définit le service de dévotion pur en ces termes: anyabhilasita-sunyam jnana-karmady-anavrtam -il ne faut pas adorer Dieu, la Personne Suprême, en vue de satisfaire quelque désir matériel lié à l'action intéressée ou à la spéculation intellectuelle. Servir les pieds pareils-au-lotus du Seigneur signifie Le servir exactement comme Il le désire. C'est pourquoi le bhakta néophyte doit adorer le Seigneur en se conformant rigoureusement aux principes régulateurs donnés par le maître spirituel et les sastras. En pratiquant le service de dévotion de cette manière, il s'attachera peu à peu à Krsna, et lorsque son amour originel pour Dieu, maintenant latent, se manifestera à nouveau, il servira le Seigneur de façon spontanée, sans aucun motif personnel. Ce stade d'évolution spirituelle correspond à la perfection de notre relation avec le Seigneur. Celui-ci veillera désormais au bien-être et à la sécurité de Son dévot sans que ce dernier le Lui demande. Krsna promet en effet dans la Bhagavad-gita (IX.22):

ananyas cintayanto mam
ye janah paryupasate
tesam nityabhiyuktanam
yoga-ksemam vahamy aham

Le Seigneur Suprême veille personnellement sur quiconque s'absorbe pleinement dans Son service de dévotion. Il pourvoit à tous ses besoins et préserve ce qu'il possède. Pourquoi, dès lors, L'ennuyer à seule fin d'obtenir quelque bienfait matériel? Ce genre de prières n'est d'aucune utilité.

Srila Visvanatha Cakravarti Thakura explique que même si un bhakta désire voir le Seigneur combler l'un de ses voeux, il ne doit pas être considéré un sakama-bhakta (un bhakta animé de motifs personnels). Krsna enseigne dans la Bhagavad-gita (VII.16):

catur-vidha bhajante mam
janah sukrtino rjuna
arto jijnasur artharthi
jnani ca bharatarsabha

"De quatre ordres sont les vertueux qui avec dévotion Me servent: le malheureux, le curieux, l'homme qui poursuit la richesse et celui qui désire connaître l'Absolu, ô prince des Bharatas (Arjuna)." L'arta et l'artharthi, qui s'adressent à Dieu en vue d'être soulagés de leur peine ou d'acquérir de l'argent, ne sont pas, contre toute apparence, des sakama-bhaktas. En tant que bhaktas néophytes, ils sont simplement ignorants. Plus loin dans la Bhagavad-gita le Seigneur ajoute: udarah sarva evaite -ce sont tous des êtres magnanimes (udarah). Bien qu'au commencement un bhakta puisse chérir quelque désir personnel, celui-ci finira par s'évanouir. C'est pourquoi le Srimad-Bhagavatam (2.3.10) stipule:

akamah sarva-kamo va
moksa-kama udara-dhih
tivrena bhakti-yogena
yajeta purusam param

"Qu'il soit rongé de désirs matériels, dénué de tout désir ou aspirant au salut, l'homme d'intelligence supérieure doit de tout son être adorer Dieu, le Tout suprême et absolu." Même si l'on désire quelque chose de matériel, on ne doit s'adresser à personne d'autre qu'à Dieu pour combler ses voeux. Celui qui s'adresse à un deva pour obtenir satisfaction doit être tenu pour nasta-buddhi, ou privé de tout bon sens. Krsna déclare à ce propos dans la Bhagavad-gita (VII.20):

kamais tais tair hrta jnanah
prapadyante nya-devatah
tam tam niyamam asthaya
prakrtya niyatah svaya

"Ceux dont le mental est déformé par les désirs matériels se vouent aux devas; ils suivent, chacun selon sa nature, les divers rites propres à leur culte."

De par son expérience personnelle, Laksmidevi fait savoir à tous les bhaktas qui s'adressent au Seigneur avec des désirs matériels qu'il n'y a nul besoin de Lui demander quoi que ce soit de matériel, car le Seigneur est Kamadeva. Elle recommande à tous de simplement servir le Seigneur sans aucun motif intéressé; puisque Dieu Se trouve dans le coeur de chaque être, Il connaît nos moindres pensées, et en temps opportun, Il comblera tous nos désirs. Aussi plaçons toute notre foi dans le service du Seigneur, sans L'importuner avec nos requêtes matérielles.

VERSET 22

mat-praptaye jesa-surasuradayas
tapyanta ugram tapa aindriye dhiyah
rte bhavat-pada-parayanan na mam
vindanty aham tvad-dhrdaya yato jita

TRADUCTION

O Seigneur invincible, lorsqu'ils s'abîment en des pensées de jouissance matérielle, Brahma et Siva, de même que les autres devas et les asuras, se soumettent à de rudes austérités afin d'obtenir mes bénédictions. Mais je ne favorise personne, si grand soit-il, à moins qu'il ne soit constamment absorbé dans le service de Tes pieds pareils-au-lotus. Du fait que je Te garde toujours en mon coeur, je ne peux favoriser qu'un bhakta, et personne d'autre.

TENEUR ET PORTEE

Dans ce verset, la déesse de la fortune, Laksmidevi, déclare clairement qu'elle ne favorise pas les matérialistes. Bien qu'un matérialiste devienne parfois très riche aux yeux d'un autre matérialiste, cette opulence lui est accordée par la déesse Durgadevi, émanation matérielle de la déesse de la fortune, et non par Laksmidevi elle-même. Ceux qui désirent obtenir des avantages matériels rendent un culte à Durgadevi à l'aide du mantra suivant: dhanam dehi rupam dehi rupa-pati-bhajam dehi -"O respectable mère Durgadevi, veuille m'accorder la richesse, la puissance, la renommée, une bonne épouse, etc." En satisfaisant la déesse Durga, on peut obtenir de telles faveurs, mais du fait qu'elles sont transitoires, elles ne procurent qu'un bonheur illusoire (maya-sukha). Comme l'enseigne Prahlada Maharaja: maya-sukhaya bharam udvahato vimudhan -ceux qui travaillent d'arrache-pied en vue d'obtenir des bienfaits matériels sont des vimudhas, des gredins sans cervelle, car leur bonheur ne durera pas. D'un autre côté, des bhaktas comme Prahlada et Dhruva Maharaja purent jouir de prospérités matérielles extraordinaires, mais celles-ci ne relevaient pas du maya-sukha. En effet, lorsqu'un bhakta acquiert des richesses immenses, c'est que celles-ci lui sont directement accordées par la déesse de la fortune, qui réside dans le coeur de Narayana.

Les prospérités matérielles obtenues en adressant des prières à la déesse Durga sont éphémères. Ainsi que l'explique la Bhagavad-gita (VII.23): anta-vat tu phalam tesam tad bhavaly alpa-medhasam. Les hommes à l'intelligence bornée aspirent à un bonheur temporaire. Nous avons vu un disciple de Bhaktisiddhanta Sarasvati Thakura manifester le désir de jouir des possessions de son maître spirituel; celui-ci, faisant preuve de compassion envers lui, lui céda ces biens éphémères, mais non pas le pouvoir de prêcher le message de Caitanya Mahaprabhu partout dans le monde. Cette miséricorde spéciale qui confère le pouvoir de prêcher n'est accordée qu'au bhakta qui ne demande rien de matériel à son maître spirituel, mais désire seulement le servir. L'histoire du démoniaque Ravana illustre ceci. Il essaya bien d'enlever à Sri Ramacandra la déesse de la fortune, Sitadevi, mais cette tentative était d'avance vouée à l'échec. La Sitadevi qu'il emmena de force avec lui n'était pas la vraie déesse de la fortune, mais bien une émanation de Maya, ou Durgadevi. Il en résulta qu'au lieu de gagner la faveur de la véritable déesse de la fortune, Ravana et toute sa famille furent anéantis par la puissance de Durgadevi (srsti-sthiti-pralaya-sadhana-saktir eka).

VERSET 23

sa tvam mamapy acyuta sirsni vanditam
karambujam yat tvad-adhayi satvatam
bibharsi mam laksma varenya mayaya
ka isvarasyehitam uhitum vibhur iti

TRADUCTION

O Toi, l'Infaillible, Ta main pareille-au-lotus est source de toute bénédiction; voilà pourquoi Tes purs dévots la révèrent, et Toi, dans Ton infinie miséricorde, Tu la poses sur leur tête. Puisses-Tu également la poser sur la mienne, car bien que Tu portes déjà ma marque sur Ta poitrine sous forme de stries dorées, je considère cet honneur comme une simple cause d'orgueil pour moi. Ta véritable grâce, Tu la montres à Tes dévots, pas à moi. Mais bien entendu, Tu es le maître suprême et absolu, et nul ne peut percer Tes desseins.

TENEUR ET PORTEE

Plusieurs passages des sastras disent que Dieu, la Personne Suprême, est plus favorable à Ses dévots qu'à Sa propre épouse, qui toujours demeure contre Sa poitrine. On lit dans le Srimad-Bhagavatam (11.14.15):

na tatha me priyatama
atma-yonir na sankarah
na ca sankarsano na srir
naivatma ca yatha bhavan

Krsna dit ici carrément que les bhaktas Lui sont plus chers que Brahma, Siva, Sankarsana (la cause originelle de la création), la déesse de la fortune ou même Sa propre Personne. Ailleurs dans le Srimad-Bhagavatam (10.9.20), Sukadeva Gosvami dit:

nemam virinco na bhavo
na srir api anga samsraya
prasadam lebhire gopi
yat tat prapa vimuktidat

Le Seigneur Suprême, qui peut accorder la libération à n'importe qui, montra davantage de miséricorde aux gopis qu'à Brahma, Siva ou même à la déesse de la fortune, qui est Sa propre épouse et qui reste physiquement en contact avec Lui. Le Srimad-Bhagavatam (10.47.60) dit également:

nayam sriyo nga u nitanta-rateh prasadah
svar-yositam nalina-gandha-rucam kuto nyah
rasotsave sya bhuja-danda-grhita-kantha-
labdhasisam ya udagad vraja-sundarinam

"Les gopis reçurent du Seigneur des bénédictions auxquelles n'accèdent ni Laksmidevi ni les plus ravissantes danseuses des planètes édéniques. Au cours de la danse rasa, le Seigneur montra Sa faveur aux plus fortunées des gopis en plaçant Ses bras autour de leurs épaules et en dansant avec chacune d'elles personnellement. Nul ne peut être comparé aux gopis, car elles ont recueilli la grâce inconditionnelle du Seigneur."

Le Caitanya-caritamrta enseigne que nul ne peut recevoir la véritable faveur de Dieu, la Personne Suprême, sans marcher sur les traces des gopis. Même la déesse de la fortune ne jouit pas des grâces qui leur sont accordées bien qu'elle se soit livrée à de rudes austérités pendant de nombreuses années. Sri Caitanya Mahaprabhu discute de ce point avec Vyenkata Bhatta dans le Caitanya-caritamrta (Madhya 9.111-131): "Le Seigneur demanda à Vyenkata Bhatta: 'La déesse de la fortune, Laksmi à qui tu voues ton adoration, demeure toujours sur la poitrine de Narayana, et elle est certainement la plus chaste de toutes les femmes de la création. Cependant, mon Seigneur est Sri Krsna, un jeune pâtre occupé à garder des vaches. Pourquoi donc Laksmi, une si chaste épouse, désire-t-elle Le rejoindre? A cette fin elle a renoncé à toutes les joies spirituelles de Vaikuntha pour observer pendant longtemps différents voeux et principes régulateurs, et accomplir des austérités en nombre infini.'

"Vyenkata Bhatta répondit: 'Sri Krsna et Sri Narayana sont une seule et même Personne, mais les Divertissements de Krsna sont plus savoureux à cause de leur caractère folâtre. Les saktis de Krsna y trouvent grand plaisir. Et puisque Krsna et Narayana ne font qu'Un, le contact de Laksmi avec Krsna n'a pas brisé son voeu de chasteté. La déesse de la fortune voulait rencontrer Krsna pour le bonheur de se divertir avec Lui; elle considérait que cela ne compromettrait pas son voeu de chasteté, et voyait plutôt qu'en compagnie de Krsna elle pourrait ainsi prendre plaisir à la danse rasa. Pourquoi serait-elle en faute de vouloir ainsi se divertir en compagnie de Krsna? Pourquoi plaisantes-tu à ce propos?'

"Sri Caitanya répondit: 'Je sais qu'il n'y a rien à reprocher à la déesse de la fortune, mais il n'en reste pas moins que, comme nous le révèlent les Ecritures, elle n'a pas pu entrer dans la danse rasa. Les maîtres du savoir védique rencontrièrent Sri Ramacandra à Dandakaranya, et grâce à leurs pénitences et à leurs austérités, ils purent, eux, participer à la danse rasa. Pourrais-tu donc me dire pourquoi la déesse de la fortune, Laksmi, n'a pas obtenu cette grâce?'

"Vyenkata Bhatta répondit alors: 'Je ne puis pénétrer le mystère de cet incident. Je ne suis qu'un être ordinaire à l'intelligence limitée, et je suis toujours en proie à quelque agitation. Comment, dès lors, pourrais-je comprendre les Divertissements du Seigneur Suprême, qui sont plus profonds que des millions d'océans.'

"Et Sri Caitanya de répondre à Son tour: 'Sri Krsna possède un trait particulier. Il fascine le coeur de tous les êtres par la douceur de Ses échanges amoureux. En marchant sur les traces des habitants de la planète connue sous le nom de Vrajaloka, ou Goloka Vrndavana, on peut atteindre le refuge qu'offrent les pieds pareils-au-lotus de Sri Krsna. Cependant, les êtres vivant sur cette planète ignorent que Krsna est Dieu, la Personne Suprême, et c'est ainsi que les habitants de Vrndavana, comme Nanda Maharaja, Yasodadevi et les gopis, traitent Krsna comme leur fils bien-aimé ou leur amant. Mère Yasoda voit en Lui son fils, si bien qu'elle L'attache parfois à un mortier. Quant aux jeunes pâtres amis de Krsna, ils Le considèrent comme un jeune garçon ordinaire et montent sur Ses épaules. A Goloka Vrndavana, nul n'éprouve d'autre désir que celui d'aimer Krsna."'

Concluons sur le fait que personne ne peut obtenir la compagnie de Krsna à moins d'avoir pleinement reçu la faveur des habitants de Vrajabhumi. En conséquence, si l'on désire être délivré par Krsna en personne, on doit servir les habitants de Vrndavana, qui sont tous de purs dévots du Seigneur.

VERSET 24

ramyake ca bhagavatah priyatamam matsyam avatara-rupam tad-varsa-
purusasya manoh prak-pradarsitam sa idanim api mahata bhakti-
yogenaradhayatidam codaharati.

TRADUCTION

(Sukadeva Gosvami poursuivit:)
A Ramyaka-varsa, où Vaivasvata Manu règne en souverain, le Seigneur Suprême est apparu en la Personne de l'avatara Matsya à la fin de l'ère précédente (le Caksusa-manvantara). Vaivasvata Manu adore maintenant Sri Matsya avec la dévotion la plus pure et chante le mantra qui suit.

VERSET 25

om namo bhagavate mukhyatamaya namah sattvaya pranayaujase sahase
balaya maha-matsyaya nama iti.

TRADUCTION

Je rends mon hommage respectueux à Dieu, la Personne Suprême, qui est pure transcendance. Il représente l'origine de toute vie, de toute puissance physique, de toute aptitude mentale et de tout pouvoir des sens. Connu sous le nom de Matsya-avatara, le gigantesque avatara-Poisson, Il est le premier à apparaître parmi toutes les manifestations divines. Je Lui offre à nouveau mon hommage.

TENEUR ET PORTEE

Srila Jayadeva Gosvami chante:

pralayo payodhi jale dhrtavan asi vedam
vihita-vahitra-caritram akhedam
kesava dhrta-mina-sarira jaya jagad-isa hare

Peu après la création du cosmos, l'univers entier fut inondé d'eau. A ce moment-là, Sri Krsna (Kesava) Se manifesta sous la forme d'un poisson gigantesque afin de protéger les Vedas. Voilà pourquoi Manu qualifie Sri Matsya de mukhyatama, "le premier d'entre tous les avataras". On considère généralement les poissons comme des produits de l'ignorance et de la passion, mais il nous faut bien comprendre que tous les avataras du Seigneur Souverain sont purement spirituels. Jamais la nature originelle du Seigneur Suprême ne s'altère, et c'est pour cette raison que le mot sattvaya, signifiant la pure vertu au niveau absolu, est ici utilisé. Il existe de nombreux avataras, ou manifestations du Seigneur Suprême, comme la Varaha murti (Sa Forme de sanglier), la Kurma murti (Sa Forme de tortue), l'Hayagriva murti (Sa Forme de cheval), et ainsi de suite; cependant, jamais nous ne devrions considérer aucune d'entre d'elles comme matérielle, car elles toutes appartiennent à la pure transcendance, au niveau du suddha-sattva.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare