SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 5
CHAPITRE 2

L'histoire de
Maharaja Agnidhra.

VERSET 6

tam evavidure madhukarim iva sumanasa upajighrantim divija-manuja-
mano-nayanahlada-dughair gati-vihara-vrida-vinayavaloka-
susvaraksaravayavair manasi nrnam kusumayudhasya vidadhatim
vivaram nija-mukha-vigalitamrtasava-sahasa-bhasanamoda-
madandha-madhukara-nikaroparodhena druta-pada-vinyasena valgu-
spandana-stana-kalasa-kabara-bhara-rasanam devim tad-avalokanena
vivrtavasarasya bhagavato makara-dhvajasya vasam upanito jadavad iti
hovaca.

TRADUCTION

Telle une abeille, l'Apsara respirait le parfum des fleurs ravissantes et attrayantes. Par ses gestes gracieux, son air timide et son humilité, ses regards, le doux murmure qui s'échappait de sa bouche lorsqu'elle parlait, ainsi que par le charme de ses membres, elle pouvait fasciner l'esprit et la vue des devas comme des humains. Grâce à tous ces attraits, elle ouvrait la voie à Cupidon, avec ses flèches de fleurs lui permettant de s'introduire dans le coeur des hommes et de se faire entendre d'eux. Lorsqu'elle parlait, du nectar semblait couler de ses lèvres, et les abeilles enivrées par le parfum de son haleine tourbillonnaient autour de ses yeux ravissants, pareils à des lotus. Importunée par le vol des abeilles, elle précipita sa marche; mais comme elle accélérait le pas, sa chevelure, ses seins, comparables à deux récipients d'eau, ainsi que la ceinture posée sur ses hanches, suivaient les mouvements de son corps et la rendaient belle et séduisante au possible. Elle semblait vraiment vouloir favoriser l'entrée en scène de l'invincible Cupidon. C'est ainsi que le prince, complètement subjugué par ses charmes, lui tint les propos qui vont suivre.

TENEUR ET PORTEE

Ce passage décrit avec une grande finesse la manière dont les gestes et la démarche d'une jolie femme, sa chevelure et la forme de ses seins, de ses hanches et des autres parties de son corps fascinent le mental non seulement des êtres humains, mais aussi des devas. Les mots divija et manuja mettent particulièrement l'accent sur le fait que l'attrait exercé par les gestes féminins revêt la même puissance en tous endroits de l'univers matériel, aussi bien sur cette planète que sur les systèmes planétaires supérieurs. Il est dit que le niveau de vie sur les systèmes planétaires supérieurs dépasse des milliers de fois celui dont nous jouissons sur la Terre. Par suite, les charmes des femmes qui y vivent sont également des milliers de fois plus puissants que ceux des femmes vivant sur notre planète. Le Créateur a conçu la femme de façon telle que la beauté de sa voix, de ses gestes, de ses hanches, de ses seins et des autres parties de son corps attirent la gent masculine et éveillent ses désirs sexuels, cela aussi bien sur la Terre que sur les autres planètes. Sous l'emprise de Cupidon, ou des charmes de la femme, l'homme sidéré, devient comme fasciné et aussi inerte qu'une pierre. Subjugué par le corps matériel et les gestes de la femme, il souhaite demeurer ici-bas.

C'est ainsi que l'élévation au monde spirituel se trouve entravée par la simple vue des lignes harmonieuses et des gestes charmeurs de la femme. Sri Caitanya Mahaprabhu a donc mis en garde tous les bhaktas contre l'attrait exercé par les jolies femmes et la civilisation matérialiste. Il refusa même de rencontrer Prataparudra Maharaja pour la seule raison que celui-ci vivait dans une grande opulence matérielle. Sri Caitanya déclara à cette occasion, niskincanasya bhagavad-bhajanonmukhasya: parce qu'ils font preuve d'un grand sérieux dans leur désir de retourner à Dieu, dans leur demeure originelle, ceux qui s'absorbent dans le service de dévotion devraient soigneusement éviter de contempler les gestes gracieux de la femme; de même ils devraient faire en sorte de ne pas rencontrer des personnes qui sont très riches:

niskincanasya bhagavad-bhajanonmukhasya
param param jigamisor bhava-sagarasya
sandarsanam visayinam atha yositam ca
ha hanta hanta visa-bhaksanato py asadhu

Hélas, pour qui désire vraiment franchir l'océan de l'existence matérielle et s'abîmer dans le service d'amour spirituel et absolu du Seigneur sans la moindre motivation matérielle, voir un matérialiste accaparé par le plaisir des sens ou une femme pareillement inspirée est plus abominable encore que de boire volontairement du poison." (C.c., Madhya 11.8) Quiconque se montre résolu à retourner à Dieu doit donc s'abstenir de contempler les formes charmeuses de la femme et l'opulence des riches, car une telle contemplation aurait pour effet d'entraver ses progrès spirituels. Toutefois, lorsqu'un bhakta s'établit fermement dans la conscience de Krsna, ces choses-là cessent de troubler son esprit.

VERSET 7

ka tvam cikirsasi ca kim muni-varya saile
mayasi kapi bhagavat-para-devatayah
vijye bibharsi dhanusi suhrd-atmano rthe
kim va mrgan mrgayase vipine pramattan

TRADUCTION

(Le prince se méprenant sur l'Apsara s'adresse à elle en ces termes:)
O toi qui brilles parmi les saints, qui es-tu? Pourquoi te trouves-tu sur cette montagne, et qu'y viens-tu faire? Incarnes-tu l'une des puissances d'illusion du Souverain? Tu sembles porter deux arcs sans cordes; quelle en est la raison? Poursuis-tu quelque dessein personnel ou agis-tu pour le compte d'un ami? Peut-être les portes-tu en vue de tuer les animaux atteints de folie qui hantent cette forêt?

TENEUR ET PORTEE

Tandis qu'il se soumettait à de rudes austérités dans la forêt, Agnidhra fut charmé par les mouvements de Purvacitti, la jeune fille que Brahma avait envoyée auprès de lui. Comme l'enseigne la Bhagavad-gita: kamais tais tair hrta-jnanah -celui en qui s'éveille la concupiscence perd son intelligence. C'est ce qui explique qu'Agnidhra n'ait pas su déterminer si Purvacitti était un homme ou une femme. Il la prit pour un muni-putra, pour le fils d'un saint personnage de la forêt, et s'adressa donc à elle en utilisant les mots muni-varya. Néanmoins, étant donné sa beauté, il ne pouvait croire qu'il s'agissait d'un garçon, de telle sorte qu'il se mit à étudier son apparence de plus près. Ses deux sourcils, qui attirèrent tout d'abord son regard, étaient tellement expressifs qu'il se demanda si la personne qui se trouvait devant lui n'était pas la maya du Seigneur Souverain. Les mots utilisés à cet égard sont bhagavat-para-devatayah; les devas (devatah) appartiennent tous à l'univers matériel, tandis que Bhagavan -Dieu, la Personne Suprême, ou Krsna- vit toujours au-delà de cet univers, d'où le qualificatif de para-devata qu'on Lui applique. L'univers matériel est certes une création de maya, mais cette création s'opère sous la direction du para-devata, le Seigneur Suprême. En effet, comme le confirme la Bhagavad-gita (mayadhyaksena prakrtih suyate sa-caracaram), maya ne représente pas l'autorité ultime dans la création de l'univers matériel; elle agit simplement au nom de Krsna.

Les sourcils de Purvacitti étaient d'une telle beauté qu'Agnidhra les compara à des arcs sans cordes. Aussi lui demanda-t-il s'ils devaient servir ses desseins propres ou ceux d'un tiers. Ils ressemblaient en effet à des arcs destinés à faire périr les animaux de la forêt. Cet univers matériel ressemble à une vaste forêt, et ses habitants peuvent être comparés aux habitants de la forêt, comme le cerf et le tigre, qui sont destinés à être tués. Quant aux instruments de cette mise à mort, ce sont les sourcils des jolies femmes. Captivés par la beauté du sexe opposé, tous les hommes du monde se laissent tuer par des arcs sans cordes, mais sans voir que c'est maya qui les fait périr. Néanmoins, le fait demeure: ils sont bel et bien mis à mort (bhutva bhutva praliyate). Grâce à son tapasya, Agnidhra pouvait comprendre comment maya agit sous la direction de Dieu, la Personne Suprême.

Le mot pramattan doit également retenir notre attention. Il désigne une personne incapable de maîtriser ses sens; or, il se trouve que l'univers matériel tout entier est exploité par de tels individus, également qualifiés de vimudhas. C'est pourquoi Prahlada Maharaja dit:

soce tato vimukha-cetasa indriyartha
maya-sukhaya bharam udvahato vimudhan

''Ils croupissent dans des activités matérielles en vue de quelques plaisirs éphémères, et gaspillent leur vie en peinant jour et nuit pour la seule satisfaction de leurs sens, sans éprouver la moindre attirance pour l'amour de Dieu. Je ne peux que m'apitoyer sur eux et m'efforcer de concevoir divers moyens pour les arracher aux griffes de maya." (S.B.,7.9.43) Les karmis qui se montrent acharnés dans la poursuite de la satisfaction des sens sont toujours désignés dans les sastras par des mots comme pramatta, vimukha et vimudha. Tous sont finalement tués par maya. A l'opposé, le dhira, ou l'homme sobre et sain d'esprit, dit apramatta, sait très bien que le premier devoir de l'homme consiste à servir la Personne Suprême. Toutefois, pour ce qui est des pramattas, maya est toujours prête à les faire périr de ses arcs et de ses flèhes invisibles. Agnidhra interrogea Purvacitti à ce propos.

VERSET 8

banav imau bhagavatah sata-patra-patrau
santav apunkha-rucirav ati-tigma-dantau
kasmai yuyunksasi vane vicaran na vidmah
ksemaya no jada-dhiyam tava vikramo stu

TRADUCTION

[Agnidhra observa ensuite les yeux vifs de Purvacitti et dit:]
Mon cher ami, tu possèdes, avec tes yeux, deux traits d'une grande puissance. Ces flèches, très belles, ont des plumes comparables aux pétales du lotus bien qu'elles n'aient point de tige, elles sont munies de pointes acérées. Elles semblent tout à fait paisibles, de telle sorte qu'on ne les dirait pas destinées à frapper qui que ce soit. Tu dois pourtant bien errer dans cette forêt afin de les diriger sur une cible de ton choix, mais je ne vois pas qui pourrait bien être cette cible. L'intelligence me fait défaut, et je ne saurais lutter contre toi. A dire vrai, nul ne pourrait égaler tes exploits et je prie donc pour que ta puissance me soit favorable.

TENEUR ET PORTEE

C'est ainsi qu'Agnidhra commença à apprécier le puissant regard que Purvacitti dirigeait sur lui. Il compara ses yeux à deux flèches acérées, car bien qu'ils fussent aussi beaux que des lotus, ils ressemblaient en même temps à des flèches dépourvues de tige, ce qui avait pour effet d'effrayer Agnidhra. Il espérait que ces regards lui seraient favorables, car il était déjà séduit. Plus le charme opérait, plus il se sentait incapable de vivre sans elle. Agnidhra pria donc Purvacitti de faire en sorte que les regards qu'elle lui destinait lui soient propices, et de ne pas être frivole. En d'autres termes, il la pria de devenir son épouse.

VERSET 9

sisya ime bhagavatah paritah pathanti
gayanti sama sarahasyam ajasram isam
yusmac-chikha-vilulitah sumano bhivrstih
sarve bhajanty rsi-gana iva veda-sakhah

TRADUCTION

En voyant les abeilles qui suivaient Purvacitti, Maharaja Agnidhra dit:
Mon cher seigneur, les abeilles qui voltigent autour de ton corps sont comme des disciples entourant le maître qu'ils vénérent. Elles chantent sans cesse les mantras du Sama-veda et des Upanisads, et t'offrent ainsi leurs prières. Tout comme les grands sages puisent leur joie dans les différentes branches de la littérature védique, ces abeilles se plaisent sous les pluies de fleurs qui s'échappent de ta chevelure.

VERSET 10

vacam param carana-panjara-tittirinam
brahmann arupa-mukharam srnavama tubhyam
labdha kadamba-rucir anka-vitanka-bimbe
yasyam alata-paridhih kva ca valkalam te

TRADUCTION

O brahmana, je n'entends plus que le tintement des clochettes de tes chevilles, à l'intérieur desquelles des tittiris semblent gazouiller à qui mieux mieux; bien que je ne les voie pas, je puis entendre distinctement leur chant. Lorsque je contemple la courbe fascinante de tes hanches, je vois qu'elles ont la couleur adorable des fleurs de kadamba, et ta taille se trouve comme ceinte de braises ardentes. En fait, on dirait que tu as oublié de te vêtir.

TENEUR ET PORTEE

Troublé par le désir charnel, Agnidhra ne pouvait détacher son regard des hanches et de la taille attrayantes de Purvacitti. Lorsqu'un homme en proie au désir contemple une femme, il se laisse séduire par son visage, sa poitrine et sa taille, car c'est par les traits harmonieux de son visage, le galbe de ses seins et la finesse de sa taille que la femme suscite en l'homme le désir d'assouvir sa soif de plaisir sexuel. Purvacitti était vêtue de fine soie jaune, de telle sorte que ses hanches avaient l'éclat des fleurs de kadamba. La ceinture qu'elle portait faisait paraître sa taille comme encerclée de braises ardentes. Elle était toute habillée, mais Agnidhra, victime de la concupiscence, lui demanda: "Pourquoi es-tu venue toute nue?"


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare