SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 5
CHAPITRE 5

Les enseignements de
Rsabhadeva à Ses fils.

VERSET 16

lokah svayam sreyasi nasta-drstir
yo rthan samiheta nikama-kamah
anyonya-vairah sukha-lesa-hetor
ananta-duhkham ca na veda mudhah

TRADUCTION

Du fait de l'ignorance, les matérialistes ne savent rien de leur intérêt véritable, de la voie qui permet de réussir sa vie; leurs désirs concupiscents les enchaînent à la jouissance matérielle et tous leurs projets sont conçus à cette fin. Pour la satisfaction éphémère de leurs sens, ces individus créent une société fondée sur l'envie. Cet état d'esprit les fait sombrer dans un océan de souffrance, et dans leur sottise ils ne s'en rendent même pas compte.

TENEUR ET PORTEE

Les mots nasta-drstih, qui signifient "incapables de voir dans le futur" sont ici lourds de sens. La vie se poursuit d'un corps à un autre, et les actes accomplis au cours de cette vie portent leurs fruits de souffrance ou de plaisir dans la suivante, ou même dans celle-ci. L'être privé d'intelligence et n'ayant pas la vision pour discerner l'avenir, ne peut que se faire des ennemis et lutter contre ses semblables pour assurer la satisfaction de ses sens. Il en résulte qu'il devra souffrir dans sa vie prochaine; malgré cela, étant comme un aveugle, il continue d'agir en ce sens, et se prépare ainsi à connaître des souffrances interminables. On qualifie ce genre d'être de mudha, car il perd tout simplement son temps, et n'entend rien au service de dévotion offert au Seigneur. Celui-ci déclare dans la Bhagavad-gita (VII.25):

naham prakasah sarvasya
yogamaya-samavrtah
mudho yam nabhijanati
loko mam ajam avyayam

"Je ne Me montre jamais aux sots ni aux insensés; par Ma puissance interne (yoga-maya), Je suis pour eux voilé. Ce monde égaré ne Me connaît donc point, Moi le Non-né, l'Impérissable." La Katha Upanisad enseigne également:

avidyayam antare vartamanah
svayam dhirah panditam manyamanah

Bien qu'ignorants, les gens font appel à des hommes tout aussi aveugles qu'eux pour les diriger, si bien que les uns et les autres s'exposent à une condition misérable. Ainsi un aveugle guide-t-il un autre aveugle vers le précipice.

VERSET 17

kas tam svayam tad-abhijno vipascid
avidyayam antare vartamanam
drstva punas tam saghrnah kubuddhim
prayojayed utpathagam yathandham

TRADUCTION

Comment un être véritablement érudit, miséricordieux et avancé dans la connaissance spirituelle, peut-il inciter à l'action intéressée l'ignorant attaché à la voie du samsara et ainsi l'empêtrer encore davantage dans les rets de l'existence matérielle? Si un homme de bien voit un aveugle emprunter une voie dangereuse, comment peut-il le laisser poursuivre son chemin? Comment peut-il l'encourager dans son erreur? Aucun homme sage ou bienveillant ne saurait tolérer cela.

VERSET 18

gurur na sa syat sva-jano na sa syat
pita na sa syaj janani na sa syat
daivam na tat syan na patis ca sa syan
na mocayed yah samupeta-mrtyum

TRADUCTION

Celui qui ne peut délivrer du cycle des morts et des renaissances ceux qui dépendent de lui, ne devrait jamais devenir maître spirituel, père, mari, mère ou deva.

TENEUR ET PORTEE

Il existe de nombreux maîtres spirituels, mais Rsabhadeva suggère que personne ne devienne maître spirituel s'il n'est pas en mesure de sauver son disciple du cycle des morts et des renaissances. Or, à moins d'être un pur dévot de Krsna, nul ne peut se libérer lui-même de cet engrenage perpétuel. Tyaktva deham punar janma naiti mam eti so rjuna. On ne peut mettre un terme à la naissance et à la mort qu'en retournant à Dieu, en sa demeure originelle. Cependant, comment peut-on retourner à Dieu à moins de comprendre, en vérité, qui est le Seigneur Suprême? Janma karma ca me divyam evam yo vetti tattvatah.

L'histoire nous offre de nombreux exemples illustrant les enseignement de Rsabhadeva contenus dans ce verset. C'est ainsi que Sukracarya fut rejeté par Bali Maharaja du fait de son impuissance à sauver ce dernier du cycle des morts et des renaissances. Sukracarya n'était pas un pur bhakta; il était plus ou moins enclin à l'action intéressée, et il s'opposa à la décision de Bali Maharaja lorsque celui-ci fit la promesse de tout donner à Visnu. En fait chacun est censé donner tout ce qu'il possède au Seigneur puisque, de toute façon, tout Lui appartient. C'est pourquoi l'Etre Suprême en personne recommande dans la Bhagavad-gita (XI.27):

yat karosi yad asnasi
yaj juhosi dadasi yat
yat tapasyasi kaunteya
tat kurusva mad-arpanam

"Quoi que tu fasses, que tu manges, que tu sacrifies et prodigues, quelque austérités que tu pratiques, que ce soit pour Me l'offrir, ô fils de Kunti. Telle est la bhakti. A moins d'avoir de la dévotion, nul ne peut tout donner au Seigneur Suprême. Et à moins de pouvoir agir de la sorte, nul ne peut devenir un maître spirituel, un mari, un père ou une mère. Un autre exemple est celui des épouses des brahmanas occupés à l'accomplissement de sacrifices ; elles quittèrent leurs proches à seule fin de satisfaire Krsna. Cet exemple est celui d'une femme rejetant son mari incapable de la délivrer des dangers imminents que représentent la naissance et la mort. Dans le même ordre d'idée, Prahlada Maharaja renia son père, et Bharata Maharaja sa mère (janani na sa syat). Le mot daivam désigne un deva ou une personne acceptant des marques de vénération de quelqu'un qui dépend de lui. D'ordinaire, le maître spirituel, le mari, le père, la mère et les aînés reçoivent des marques de respect de leurs inférieurs, mais Rsabhadeva s'y oppose ici. Le père, le maître spirituel ou le mari doit d'abord se montrer capable de libérer ses protégés du cycle des morts et des renaissances. S'il ne le peut, il se précipite lui-même dans l'océan du blâme en raison de sa conduite répréhensible. Chacun doit se montrer très responsable et veiller sur ceux dont il a la charge de la même manière que le maître spirituel veille sur son disciple ou le père sur son fils. Cependant, on ne peut s'acquitter honnêtement de toutes ses responsabilités que dans la mesure où l'on est à même de sauver ceux dont on est responsable, des morts et des naissances répétées.

VERSET 19

idam sariram mama durvibhavyam
sattvam hi me hrdayam yatra dharmah
prsthe krto me yad adharma arad
ato hi mam rsabham prahur aryah

TRADUCTION

Mon Corps spirituel et absolu [sac-cid-ananda-vigraha] ressemble en tous points à la forme humaine, mais ce n'est pas un corps matériel; il est inconcevable. Je ne suis pas contraint par la nature d'accepter un type particulier de corps; c'est de Mon plein gré que Je choisis la Forme sous laquelle J'apparais. Mon coeur est également spirituel, et Je suis toujours plein de bienveillance envers Mes dévots. Aussi peut-on découvrir en Mon coeur la voie du service le dévotion, destinée aux bhaktas, alors que J'en ai rejeté l'irréligion (adharma) et les activités non dévotionnelles; elles n'exercent aucun attrait sur Moi. En raison de tous ces attributs divins, on M'adresse généralement des prières sous le nom de Rsabhadeva, le Seigneur Souverain, le meilleur de tout les être vivants.

TENEUR ET PORTEE

Les mots idam sariram mama durvibhavyam méritent, dans ce verset, de retenir notre attention. D'une façon générale, nous connaissons par expérience deux énergies, l'une matérielle et l'autre spirituelle. La première -terre, eau, feu, air, éther, mental, intelligence et faux ego- nous est plus ou moins familière, car en ce monde les corps de tous les êtres sont composés de ces éléments. A l'intérieur du corps matériel se trouve l'âme spirituelle, que nous ne pouvons voir avec nos yeux matériels. Lorsque nous parlons d'un corps fait d'énergie spirituelle, il nous est bien difficile de comprendre comment l'énergie spirituelle peut avoir un corps. On dit, par exemple, que le corps de Rsabhadeva est complètement spirituel, et un matérialiste aura bien du mal à comprendre cela. Pour lui, un corps entièrement spirituel est quelque chose d'inconcevable. Aussi, lorsque notre expérience immédiate ne nous permet pas de comprendre une chose, nous devons accepter la version des Vedas. Comme le déclare la Brahma-samhita: isvarah paramah krsnah sac-cid-ananda -vigrahah -le Seigneur Suprême possède un Corps, une Forme, mais ce Corps n'est pas constitué par des éléments matériels; il est composé de vie, d'éternité et de félicité spirituelle. Grâce à Sa puissance inconcevable, Dieu, la Personne Suprême, peut apparaître devant nous dans Sa Forme spirituelle, originelle; mais parce que la notion de corps spirituel nous est étrangère, nous nous égarons parfois au point de considérer que la Forme du Seigneur est matérielle. Les philosophes mayavadis, pour 1eur part, sont tout à fait incapables de concevoir un corps spirituel. Ils prétendent que l'esprit est toujours impersonnel, et chaque fois qu'ils voient quelque chose de personnel, pour eux, il va de soi que c'est matériel. A ce propos la Bhagavad-gita (IX.11) déclare:

avajananti mam mudha
manusim tanum asritam
param bhavam ajananto
mama bhuta-mahesvaram

"Les sots Me dénigrent lorsque, sous la forme humaine, Je descends en se monde. Ils ne savent rien de Ma nature spirituelle et absolue, ni de Ma suprématie totale."

Les gens sans intelligence croient que le Seigneur Suprême revêt un corps composé d'énergie matérielle. Nous pouvons facilement comprendre ce qu'est le corps matériel, mais non pas le corps spirituel. C'est pourquoi Rsabhadeva précise: idam sariram mama durvibhavyam. Dans le monde spirituel, tous les êtres ont un corps spirituel; là, il n'existe pas la moindre conception d'existence matérielle. Il n'est question que de donner ou de recevoir; tout s'y résume en trois mots: sevya, seva, et sevaka -le bénéficiaire du service, le service en lui-même et le serviteur. Ces trois éléments sont complètement spirituels, et c'est pourquoi le monde spirituel est appelé absolu; il ne s'y trouve aucune trace de souillure matérielle. Transcendant Lui-même toute conception matérielle, Sri Rsabhadeva déclare que le dharma forme l'essence de Son coeur. La Bhagavad-gita (XVIII.66) nous donne la définition du dharma: sarva-dharman parityajya mam ekam saranam vraja. Dans le monde spirituel, chaque être est complètement dédié au Seigneur Suprême et se trouve tout entier sur un plan spirituel. Bien qu'on puisse y distinguer le serviteur, celui qui est servi et le service en lui-même, tout y est spirituel et diversifié. Présentement, du fait de notre vision matérielle des choses, tout cela nous est durvibhavya, ou inconcevable. En tant qu'Etre Suprême, le Seigneur est appelé Rsabha, "le meilleur", ou encore en termes védiques, nityo nityanam. Nous sommes également spirituels, mais subordonnés au Suprême; Krsna, le Seigneur, représente le premier, le plus grand de tous les être vivants. C'est précisément là le sens du mot rsabha "le chef" ou "le suprême", qui désigne l'Etre Souverain ou Dieu en personne.

VERSET 20

tasmad bhavanto hrdayena jatah
sarve mahiyamsam amum sanabham
aklista-buddhya bharatam bhajadhvam
susrusanam tad bharanam prajanam

TRADUCTION

Mes chers garçons, vous êtes tous nés de Mon coeur, qui est le siège de toute les qualités spirituelles. Ne soyez donc pas comme des matérialistes et des être envieux; remettez-vous-en à votre frère aîné, Bharata, qui est hautement accompli dans le service de dévotion. Si vous vous employez à le servir, vous Me servirez en même temps, et vous gouvernerez automatiquement vos sujets.

TENEUR ET PORTEE

Le mot hrdaya, utilisé dans ce verset, désigne le coeur, qu'on nomme également urah (la poitrine). Le coeur se trouve à l'intérieur de la poitrine, et bien que le fils soit conçu au moyen des organes génitaux, il tire en fait son origine du coeur. En effet, suivant la disposition du coeur, la semence revêt telle ou telle forme de corps. C'est pourquoi la coutume védique veut qu'au moment de concevoir un enfant, on se purifie le coeur en observant le rite du garbhadhana. Le coeur de Rsabhadeva fut toujours spirituel et libre de toute souillure; en conséquence, tous ses fils étaient enclins à la spiritualité. Néanmoins, Rsabhadeva déclara que son fils aîné était supérieur aux autres, et Il conseilla à ces derniers de le servir. Tous les frères de Bharata Maharaja se virent ainsi recommander par Rsabhadeva de s'attacher à son service. On peut se demander pourquoi une telle instruction leur fut donnée, car au commencement il a été dit qu'on ne doit pas s'attacher au foyer et aux membres de la famille. Cependant, il a été aussi enseigné: mahiyasam pada-rajo bhiseka, il faut servir un mahiyan, un être qui est spirituellement très avancé. Mahat-sevam dvaram ahur vimukteh: la voie de la libération s'ouvre devant celui qui sert un mahat, un bhakta prestigieux. Il ne faut pas comparer la famille de Rsabhadeva à une simple famille de matérialistes. Bharata Maharaja, le fils aîné de Rsabhadeva, était éminemment respectable; pour cette raison, les autres fils se virent recommander de le servir et de lui être agréable- tel devait être leur devoir. Le Seigneur Suprême conseillait à Bharata Maharaja de devenir le principal dirigeant de la Terre. Voilà le véritable plan de Dieu. Si nous nous reportons à la Bataille de Kuruksetra, nous voyons que Krsna était désireux que Maharaja Yudhisthira devienne l'empereur suprême de la planète; jamais Il ne voulut que Duryodhana prenne ce poste. Le verset précédent décrivait le coeur de Rsabhadeva en utilisant les mots hrdayam yatra dharmah. Or, la Bhagavad-gita définit également le dharma essentiel comme étant l'abandon à Dieu, la Personne Suprême. Et pour protéger le dharma (paritranaya sadhunam), le Seigneur désire toujours que la Terre soit gouvernée par un bhakta. Tout va alors à merveille pour le plus grand bien de tous. Au contraire, dès qu'un être démoniaque prend le pouvoir, tout devient chaotique. De nos jours, le monde se tourne vers la démocratie, mais les hommes sont tous influencés par la passion et l'ignorance, si bien qu'ils ne peuvent choisir la personne qui convient pour diriger le gouvernement. Le président est élu grâce aux votes de sudras ignorants; c'est donc un autre sudra qui est élu, et le gouvernement tout entier en devient aussitôt corrompu. Si le peuple adhérait de façon rigoureuse aux principes de la Bhagavad-gita, il élirait à sa tête un dévot du Seigneur; le gouvernement en serait automatiquement transformé pour le mieux. Rsabhadeva proposa donc Bharata Maharaja comme empereur de la Terre. Servir un bhakta revient à servir le Seigneur en personne, car un bhakta représente toujours le Seigneur. Ainsi, lorsqu'un bhakta se trouve au pouvoir, le gouvernement est toujours satisfaisant et bénéfique pour tous.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare