SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 7
CHAPITRE 2

Hiranyakasipu,
roi des asuras.

VERSET 56

evam kulingam vilapantam arat
priya-viyogaturam asru-kantham
sa eva tam sakunikah sarena
vivyadha kala-prahito vilinah

TRADUCTION

Privé de sa femelle, le kulinga s'affligeait, et des larmes coulaient de ses yeux; pendant ce temps, profitant de cette occasion favorable, le chasseur, soigneusement caché à distance, le transperça d'une flèche et ainsi mit fin à ses jours.

VERSET 57

evam yuyam apasyantya
atmapayam abuddhayah
nainam prapsyatha socantyah
patim varsa-satair api

TRADUCTION

Yamaraja, sous l'aspect d'un jeune garçon, dit alors à toutes les reines: "Pareillement, sottes que vous êtes, vous pleurez ce cadavre mais vous ne voyez pas venir votre propre mort. Vos connaissances sont si dérisoires! Vous ignorez que même en pleurant votre défunt époux pendant des centaines d'années, vous ne le ferez jamais revenir à la vie -sans compter qu'entre-temps vos propres existences arriveront à leur terme."

TENEUR ET PORTEE

Yamaraja demanda un jour à Maharaja Yudhistira: "Quelle est la chose la plus prodigieuse en ce monde?" Et Maharaja Yudhistira répondit:

ahany ahani bhutani
gacchantiha yamalayam
sesah sthavaram icchanti
kim ascaryam atah param
(Mb.,Vana-parva 313.116)

Des centaines et des milliers d'êtres vivants meurent à chaque instant, mais l'insensé continue à se croire immortel et ne se prépare pas à mourir. C'est bien là ce qu'il y a de plus prodigieux en ce monde. Tous les êtres doivent mourir, car tous sont pleinement assujettis à la nature matérielle; néanmoins, tous se croient indépendants, libres de faire ce qui leur plaît, capables d'échapper pour toujours à la mort, et ainsi de suite. De prétendus hommes de science élaborent divers projets selon lesquels, dans le futur, des êtres pourraient vivre sans fin, mais tandis qu'ils échafaudent de telles théories, Yamaraja vient en temps voulu les arracher à leurs prétendues recherches.

VERSET 58

sri-hiranyakasipur uvaca
bala evam pravadati
sarve vismita-cetasah
jnatayo menire sarvam
anityam ayathotthitam

TRADUCTION

(Hiranyakasipu dit:)
Tandis que Yamaraja, sous l'aspect d'un jeune garçon, instruisait ainsi tous les proches entourant la dépouille de Suyajna, ceux-ci furent frappés d'étonnement par ses propos philosophiques. Ils pouvaient maintenant comprendre que toute chose matérielle est temporaire, et ne peut exister indéfiniment.

TENEUR ET PORTEE

La Bhagavad-gita (2.18) confirme ceci: antavanta ime deha nityasyoktah saririnah -le corps est périssable, mais l'âme vivant dans le corps est impérissable. Par suite, il est du devoir de ceux qui, au sein de la société, possèdent un haut niveau de connaissance d'étudier la nature de l'âme impérissable, et de ne pas perdre un temps précieux simplement à entretenir le corps, sans tenir compte de la responsabilité réelle qui s'attache à la vie humaine. Chaque être humain doit essayer de comprendre comment l'âme spirituelle peut être heureuse et où il peut trouver une vie éternelle, toute de connaissance et de félicité. L'être humain se doit d'approfondir ces questions; il ne devrait pas s'absorber dans le soin du corps éphémère, inéluctablement destiné à être remplacé. Nul ne sait s'il recevra à nouveau un corps humain; il n'y a aucune garantie, car selon ses actes passés, l'être conditionné peut recevoir n'importe quel corps, depuis celui d'un deva jusqu'à celui d'un chien. Srila Madhvacarya fait remarquer à ce propos:

aham mamabhimanadi-
tva-yathottham anityakam
mahadadi yathottham ca
nitya capi yathotthita

asvatantraiva prakrtih
sva-tantro nitya eva ca
yathartha-bhutas ca para
eka eva janardanah

Seul Janardana, le Seigneur Souverain, existe de toute éternité; Sa création, l'univers matériel, est éphémère. En conséquence, quiconque se laisse captiver par l'énergie matérielle et s'absorbe dans la pensée qu'il est le corps et que tout ce qui entoure le corps lui appartient, est dans l'illusion. Il faut plutôt se considérer comme une parcelle éternelle de Janardana, et nos efforts dans cet univers matériel, particulièrement dans cette forme humaine, doivent tendre à nous faire retrouver la compagnie de Janardana, en notre demeure originelle, auprès de Dieu.

VERSET 59

yama etad upakhyaya
tatraivantaradhiyata
jnatayo hi suyajnasya
cakrur yat samparayikam

TRADUCTION

Après avoir dissipé l'ignorance des proches parents de Suyajna, Yamaraja disparut à leurs yeux. C'est alors qu'ils célébrèrent les rites funéraires.

VERSET 60

atah socata ma yuyam
param catmanam eva va
ka atma kah paro vatra
sviyah parakya eva va
sva-parabhinivesena
vinajnanena dehinam

TRADUCTION

Aucun de vous ne devrait donc s'affliger de la perte du corps, qu'il s'agisse du vôtre ou de celui d'autrui. Seule l'ignorance fait établir des distinctions corporelles et se demander "Qui suis-je? Qui sont les autes? Qu'est-ce qui est à moi? Et qu'est-ce qui est aux autres?''

TENEUR ET PORTEE

Dans cet univers matériel, l'instinct de conservation constitue la première loi de la nature. Suivant cette conception, on devrait se préoccuper de sa sauvegarde personnelle, pour ensuite se tourner vers la société, l'amitié et l'amour, la communauté, la nation, et ainsi de suite, lesquels puisent tous leur origine dans une conception matérielle de l'existence et dans un manque de connaissance de l'âme spirituelle. C'est ce qu'on appelle l'ajnana. Tant que l'humanité demeurera dans les ténèbres et l'ignorance, les hommes continueront à élaborer de vastes projets fondés sur la conception corporelle de la vie. C'est ce qu'explique Prahlada Maharaja par le mot bharam. Sous l'emprise du matérialisme, la civilisation moderne construit de grandes routes, d'immenses habitations et de gigantesques usines; telle est la conception moderne d'une civilisation avancée. L'homme ignore cependant qu'il peut lui-même être chassé à tout moment de la scène et contraint de revêtir des corps n'ayant que faire de tous ces gratte-ciel, palais, routes et automobiles. C'est pourquoi lorsque Arjuna fit preuve d'un attachement corporel pour ses proches, Krsna le réprimanda aussitôt en lui disant: kutas tva kasmalam idam visame samupasthitam anarya-justam- ''Ta conception corporelle de l'existence est digne des anaryas, des êtres qui ne sont guère avancés dans la connaissance.'' La civilisation arya est une civilisation qui a atteint un niveau élevé dans le savoir spirituel. Il ne suffit pas de se déclarer arya pour le devenir. Demeurer dans les plus profondes ténèbres par rapport au savoir spirituel tout en prétendant être un arya, seul un anarya peut avoir cette attitude. A ce propos, Srila Madhavacarya cite le passage suivant du Brahma-vaivarta Purana:

ka atma kah para iti dehady-apeksaya
na hi dehadir atma syan
na ca satrur udiritah
ato daihika-vrddau va
ksaye va kim prayojanam

yas tu deha-gato jivah
sa hi nasam na gacchati
tatah satru-vivrddhau ca
sva-nase socanam kutah

dehadi-vyatiriktau tu
jivesau pratijanata
ata atma-vivrddhis tu
vasudeve ratih sthira
satru-nasas tathajnana-
naso nanyah kathancana

Il en ressort qu'aussi longtemps que nous avons une forme humaine, notre devoir consiste à comprendre la nature de l'âme à l'intérieur du corps. Le corps n'est pas l'être en soi; nous sommes différents du corps, de telle sorte qu'il n'est pas question d'amis, d'ennemis ou de responsabilités en fonction de la conception corporelle de la vie. Nous ne devons pas trop nous soucier du passage de notre corps de l'enfance à l'adolescence, de l'adolescence à l'âge mûr, puis à la destruction apparente. Nous devons plutôt nous soucier très sérieusement de l'âme qui habite le corps et de la manière dont celle-ci peut être arrachée à l'emprise de la matière. L'être vivant dans le corps n'est jamais anéanti; il faut donc avoir l'assurance que même si l'on a beaucoup d'amis ou d'ennemis, on ne peut être aidé par les uns ni souffrir à cause des autres. Il convient de savoir que l'on est une âme spirituelle (aham brahmasmi) et que l'âme, dans sa nature profonde, n'est pas affectée par les transformations du corps. En toutes circonstances, chacun de nous doit, en tant qu'âme spirituelle, agir en dévot de Visnu, sans se soucier des relations fondées sur le corps, qu'elles soient amicales ou hostiles. Sachons donc que nous ne serons jamais tués, pas plus que ceux que nous considérons comme nos ennemis à cause d'une conception corporelle de la vie.

VERSET 61

sri-narada uvaca
iti daitya-pater vakyam
ditir akarnya sasnusa
putra-sokam ksanat tyaktva
tattve cittam adharayat

TRADUCTION

Sri Narada muni poursuivit:
Diti, la mère d'Hiranyakasipu et d'Hiranyaksa, écouta les propos qu'Hiranyakasipu lui adressait ainsi qu'à sa belle-fille, Rusabhanu, la femme d'Hiranyaksa. Elle oublia alors la douleur que lui avait infligée la mort de son fils et consacra ses pensées afin de comprendre la vraie philosophie de la vie.

TENEUR ET PORTEE

Lorsqu'un proche parent meurt, on devient naturellement très intéressé par la philosophie; mais une fois les funérailles terminées, on retrouve son intérêt pour le matérialisme. Même les Daityas, qui sont des matérialistes, s'intéressent parfois à la philosophie lorsqu'un des leurs trouve la mort. Le terme scientifique qui désigne cette attitude des matérialistes est smasana-vairagya, ou ''détachement de cimetière, ou de lieux de crémation.''

La Bhagavad-gita explique que quatre catégories d'hommes acquièrent une certaine compréhension de la vie spirituelle et de Dieu: les malheureux (arta), les curieux (jijnasu), ceux qui ont en vue quelques gain matériel (artharthi) et enfin ceux qui poursuivent la connaissance (jnanis). On s'intéresse surtout à Dieu lorsqu'on est accablé par des conditions matérielles défavorables. C'est d'ailleurs pourquoi Kuntidevi déclara dans ses prières à Krsna qu'elle préférait la détresse aux sentiments de bonheur. Dans cet univers matériel, celui qui est heureux oublie Krsna, ou Dieu, mais il arrive qu'un être vraiment vertueux se rappelle Krsna dans le malheur. La reine Kuntidevi préférait donc le malheur au bonheur, en ce qu'il offre une occasion de se rappeler Krsna. Lorsque Krsna quitta Kuntidevi pour retourner dans Sa propre province, la reine déclara à regret qu'elle s'accommodait mieux du malheur, car alors Krsna manifestait toujours sa présence, tandis que maintenant que les Pandavas avaient retrouvé leur royaume, Il S'en allait au loin. Ainsi pour un bhakta, le malheur est une occasion de constamment se rappeler Dieu, la Personne Souveraine.

Ainsi s'achèvent les enseignements de Bhaktivedanta sur le deuxième chapitre du septième Chant du Srimad-Bhagavatam, intitulé: ''Hiranyakasipu, roi des asuras.''


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare