SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 7
CHAPITRE 6

Prahlada instruit
ses camarades de classe
démoniaques.

VERSET 6

pumso varsa-satam hy ayus
tad-ardham cajitatmanah
nisphalam yad asau ratryam
sete ndham prapitas tamah

TRADUCTION

Chaque être humain vit cent ans tout au plus, mais pour celui qui ne parvient pas à être maître de ses sens, la moitié de ces années est complètement perdue, car il dort des nuits de douze heures, complètement enveloppé par l'ignorance. Ainsi une telle personne ne vit en réalité que cinquante ans.

TENEUR ET PORTEE

Brahma, l'être humain et la fourmi vivent chacun cent ans, mais ces cent années n'ont pas la même durée pour l'un et l'autre. Ce monde est un monde relatif, et la perception du temps y est également relative. Aussi, les cent ans de Brahma n'ont-ils pas la même valeur que les cent ans de l'homme. La Bhagavad-gita (8.17) nous enseigne qu'une journée ou douze heures de Brahma vaut mille fois quatre millions trois cent vingt mille (4 320 000) ans: sahasra-yuga-paryantam ahar yad brahmano viduh. Les mêmes cent ans (varsa-satam) peuvent donc avoir une valeur différente selon le temps, les personnes et les circonstances. En ce qui concerne les êtres humains, les chiffres donnés ici s'appliquent aux gens en général. Bien que nous ayons la possibilité de vivre tout au plus jusqu'à cent ans, nous perdons cinquante ans dans le sommeil. Manger, dormir, avoir des rapports sexuels et se défendre sont les quatre besoins du corps, mais celui qui désire développer sa conscience spirituelle et tirer pleinement parti de toute la durée de son existence doit réduire ces activités. Voilà qui lui permettra d'utiliser pleinement la totalité de sa vie.

VERSET 7

mugdhasya balye kaisore
kridato yati vimsatih
jaraya grasta-dehasya
yaty akalpasya vimsatih

TRADUCTION

La tendre enfance, où l'on est désorienté, dure dix ans, et les dix années suivantes sont passées à jouer et à folâtrer. Vingt ans sont ainsi perdus. Puis, une fois venue la vieillesse et avec elle l'invalidité, vingt autres années se perdent par incapacité d'accomplir même des activités matérielles.

TENEUR ET PORTEE

Privé de la conscience de Krsna, l'être humain perd vingt ans dans sa jeunesse et vingt ans encore au cours de sa vieillesse, alors qu'il ne peut même plus agir matériellement et que l'angoisse le ronge à propos de ce que doivent faire ses fils et ses petits-fils ainsi qu'en ce qui concerne la protection de ses biens. La moitié de ces années s'écoule en sommeil. En outre, nous perdons trente ans de plus à dormir toutes les nuits pendant le reste de notre existence. Ce sont ainsi soixante-dix ans qui sont perdus pour celui qui ignore tout du but de l'existence et de la façon dont il doit utiliser sa forme humaine.

VERSET 8

durapurena kamena
mohena ca baliyasa
sesam grhesu saktasya
pramattasyapayati hi

TRADUCTION

L'homme qui n'est pas maître de son mental et de ses sens s'attache de plus en plus à la vie de famille du fait de désirs insatiables et d'une très profonde illusion. Pour cet homme atteint de folie, les années qui restent sont aussi perdues, car même pendant cette période, il ne pratique pas le service de dévotion.

TENEUR ET PORTEE

Voilà le bilan de cent années de vie. Bien que dans le présent âge il ne soit généralement pas possible de vivre cent ans, même si l'on atteint cet âge il faut compter que cinquante ans ont été perdus à dormir, vingt autres à jouer et à folâtrer, vingt autres encore en invalidité (jara-vyadhi). Ceci ne nous laisse que quelques années, mais du fait d'un attachement exagéré à la vie de famille, ces années s'écoulent également en vain, sans aucune conscience de Dieu. Il faut donc, dès le début de son existence, recevoir une formation de parfait brahmacari, puis lorsqu'on devient un grhastha, apprendre à maîtriser parfaitement ses sens en suivant les principes régulateurs. Après la vie de famille, il est impératif d'adopter la vie de vanaprastha, d'aller vivre dans la forêt, puis de se consacrer au sannyasa. C'est là la perfection de l'existence. Dès le début de leur vie, les ajitendriyas -ceux qui ne sont pas maîtres de leurs sens- n'apprennent qu'à satisfaire leurs sens, comme nous l'avons vu dans les pays d'Occident. De cette façon, c'est toute la durée de la vie, parfois même jusqu'à cent ans, qui est mal utilisée et perdue; puis, l'heure de la mort venue, on transmigre dans un autre corps, qui ne sera pas forcément humain. Au bout de cent ans, celui qui ne s'est pas comporté comme un être humain, qui n'a pas mené une vie de tapasya (d'austérité et de pénitence), devra à coup sûr renaître dans un corps de chat, de chien ou de porc. Une vie axée sur les désirs concupiscents et sur la satisfaction des sens présente donc de très grands risques.

VERSET 9

ko grhesu puman saktam
atmanam ajitendriyah
sneha-pasair drdhair baddham
utsaheta vimocitum

TRADUCTION

Comment un homme exagérément attaché à la vie de famille en raison de son incapacité à se rendre maître de ses sens, pourrait-il se libérer lui-même? En effet, il est très solidement retenu par les liens d'affection qui l'attachent à sa famille [à sa femme, à ses enfants et aux autres proches].

TENEUR ET PORTEE

Prahlada Maharaja formula sa première proposition en ces termes: kaumara acaret prajno dharman bhagavatan iha -"Celui qui possède une intelligence suffisante doit utiliser la forme humaine dès le début de son existence, autrement dit dès sa plus tendre enfance, pour se livrer à la pratique du service de dévotion et renoncer à toute autre forme d'occupation." Les mots dharman bhagavatan se rapportent au principe religieux qui consiste à raviver notre relation avec Dieu, la Personne Suprême. A cet effet, Krsna recommande personnellement: sarva-dharman parityajya mam ekam saranam vraja -"Laisse là tout autre devoir et abandonne-toi à Moi." Vivant dans l'univers matériel, nous nous inventons toutes sortes de devoirs au nom de nombreuses doctrines en "isme", mais notre vrai devoir est de se délivrer du cycle de la naissance et de la mort, de la vieillesse et de la maladie. Pour cela, nous devons tout d'abord nous libérer de la servitude matérielle, et plus particulièrement de la vie de famille. Celle-ci est une sorte de licence accordée aux personnes attachées à la vie matérielle pour qu'elles puissent satisfaire leurs sens suivant certains principes régulateurs. Autrement, il n'est nullement besoin d'embrasser la vie de famille.

Avant de devenir grhastha, il faut recevoir une formation de brahmacari et vivre sous la tutelle du guru, dans ce qu'on appelle le guru-kula. Brahmacari guru-kule vasan danto guror hitam. (S.B.,7.12.1) Dès le début, le brahmacari apprend à tout sacrifier pour le guru. Il lui est recommandé de recueillir l'aumône de porte en porte, de s'adresser à toutes les femmes en leur disant "mère", et de remettre à son guru tout ce qu'il peut collecter. De cette manière, il apprend à demeurer maître de ses sens et à tout sacrifier pour son guru. Lorsqu'il est parfaitement entraîné, s'il le désire il peut fonder un foyer. Dès lors, il ne sera pas un grhastha ordinaire n'ayant appris qu'à satisfaire ses sens. Le grhastha convenablement formé peut graduellement se détacher de la vie de famille et aller vivre dans la forêt pour y devenir de plus en plus éclairé spirituellement avant d'adopter enfin le sannyasa. Prahlada Maharaja expliqua à son père que pour s'affranchir de toute angoisse matérielle, il est recommandé d'aller vivre dans la forêt. Hitvatma-patam grham andha-kupam: il faut apprendre à renoncer à son foyer, car il s'agit là d'un lieu où l'on s'enfonce graduellement dans les régions les plus ténébreuses de l'existence matérielle. La première recommandation est donc de renoncer à la vie de famille (grham andha-kupam). Cependant, si quelqu'un préfère demeurer dans ce puits sombre parce qu'il n'est pas maître de ses sens, il s'empêtre de plus en plus dans les liens de l'affection qu'il porte à son épouse, à ses enfants, ses serviteurs, sa maison, son argent et ainsi de suite. Un tel homme ne peut se libérer de la servitude de la matière. C'est pourquoi les enfants devraient apprendre dès le début de leur existence à être des brahmacaris modèles. Il leur sera alors possible de renoncer par la suite à la vie de famille.

Pour retourner à Dieu, en sa demeure originelle, on doit être libéré de tout attachement matériel. C'est pourquoi le bhakti-yoga s'identifie au vairagya-vidya, cet art grâce auquel nous pouvons nous détourner des plaisirs matériels.

vasudeve bhagavati
bhakti-yogah prayojitah
janayaty asu vairagyam
jnanam ca yad ahaitukam

"En servant Sri Krsna, le Seigneur Suprême, avec amour et dévotion, on acquiert aussitôt, par grâce, le savoir et le détachement de ce monde." (S.B.,1.2.7) Celui qui pratique le service de dévotion dès le début de son existence accède facilement au vairagya-vidya, ou détachement (asakti), et devient jitendriya, c'est-à-dire maître de ses sens. On appelle donc gosvami ou svami -c'est-à-dire maître des sens- celui qui accomplit parfaitement le service de dévotion. A moins d'être maître de ses sens, nul ne devrait opter pour l'ordre du renoncement, le sannyasa. Une forte attirance pour les plaisirs des sens est à l'origine du corps matériel. Or, à moins de posséder le parfait savoir, nul ne peut se détacher des plaisirs de ce monde, et tant que l'on n'a pas atteint ce stade, on n'est pas apte à retourner à Dieu, en sa demeure originelle.

VERSET 10

ko nv artha-trsnam visrjet
pranebhyo pi ya ipsitah
yam krinaty asubhih presthais
taskarah sevako vanik

TRADUCTION

L'argent est si cher au coeur de l'homme, qu'il le considère comme plus doux que le miel. Dès lors, qui pourrait renoncer au désir d'accumuler des richesses, surtout dans le cadre de la vie de famille? Les voleurs, les mercenaires et les marchands tentent d'ailleurs d'en obtenir au risque même de leur vie, qui leur est pourtant si chère.

TENEUR ET PORTEE

Il ressort de ce verset que l'argent peut être plus cher à un homme que sa propre vie. Un voleur, par exemple, s'introduira chez un homme riche pour voler de l'argent au risque de sa vie. En effet, en violant la propriété d'autrui, il peut se faire tuer par un homme armé, ou être attaqué par des chiens de garde, mais cela ne l'empêche pas de tenter un cambriolage. Pourquoi risque-t-il ainsi sa vie? Uniquement pour obtenir de l'argent. De même, un mercenaire s'engage dans l'armée, et il y joue son rôle au risque de mourir sur le champ de bataille, toujours par amour de l'argent. Il y a aussi les hommes à l'esprit mercantile qui franchissent les océans pour se rendre d'un pays à un autre, risquant ainsi chaque fois leur vie; d'autres plongent même dans les mers pour y recueillir des perles et des pierres précieuses. La preuve en est donc faite -et tout le monde l'admettra: l'argent est plus doux que le miel. On est prêt à tout risquer pour en obtenir, et cela est d'autant plus vrai pour les hommes riches qui sont exagérément attachés à la vie de famille. Autrefois naturellement, les membres des groupes supérieurs de la société -les brahmanas, les ksatriyas et les vaisyas (tous sauf les sudras) étaient instruits au guru-kula, où ils apprenaient le renoncement et la maîtrise des sens en pratiquant le brahmacarya et l'astanga-yoga. C'est seulement après qu'ils pouvaient opter pour la vie de famille. Il y eut ainsi de nombreux exemples de grands rois et d'empereurs qui renoncèrent à la vie de famille. Malgré leur extrême opulence et la souveraineté dont ils jouissaient sur leur royaume, ils purent renoncer à toutes leurs possessions parce qu'ils avaient reçu une formation de brahmacari au cours de leur jeunesse. La recommandation de Prahlada Maharaja s'avère donc tout à fait appropriée:

kaumara acaret prajno
dharman bhagavatan iha
durlabham manusam janma
tad apy adhruvam arthadam

"L'homme qui possède suffisamment d'intelligence doit utiliser son corps dès le début de sa vie -autrement dit, dès sa plus tendre enfance- pour se livrer aux pratiques du service de dévotion et renoncer à toute autre forme d'occupation. Il est très rare d'obtenir un corps humain et bien que celui-ci soit éphémère comme tous les autres corps, il revêt une importance particulière parce qu'il permet de pratiquer le service de dévotion. Or, même un soupçon de service de dévotion sincère peut conférer la perfection totale." (S.B.,7.6.1) La société humaine devrait tirer parti de cette instruction.


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Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare