SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 7
CHAPITRE 9

Prahlada apaise Sri
Nrsimhadeva avec des prières.

VERSET 26

kvaham rajah-prabhava isa tamo dhike smin
jatah suretara-kule kva tavanukampa
na brahmano na tu bhavasya na vai ramaya
yan me rpitah sirasi padma-karah prasadah

TRADUCTION

O Seigneur, Toi le Suprême, que suis-je donc, moi qui ai vu le jour dans une famille marquée par l'influence infernale de la passion et de l'ignorance? Et que dire de Ta miséricorde immotivée, qui jamais n'a été offerte même à Brahma, à Siva ou à la déesse de la fortune, Laksmi? Jamais Tu n'as posé Ta main pareille-au-lotus sur leurs têtes, et pourtant Tu l'as posée sur la mienne.

TENEUR ET PORTEE

Prahlada Maharaja était étonné d'avoir bénéficié de la miséricorde immotivée du Seigneur, la Personne Suprême; en effet, bien qu'il fût issu d'une famille démoniaque et que le Seigneur n'eût jamais posé Sa main pareille-au-lotus sur la tête de Brahma, de Siva ou de la déesse de la fortune, Sa compagne de chaque instant, voici que Sri Nrsimhadeva avait eu la bienveillance de la poser sur la sienne. Et c'est bien là le sens de "miséricorde sans cause". La grâce immotivée du Seigneur Souverain peut être accordée à n'importe qui, quelle que soit sa situation en ce monde. Toute personne est habilitée à adorer le Seigneur Suprême, quelle que soit sa situation matérielle. La Bhagavad-gita (14.26) le confirme en disant:

mam ca yo vyabhicarena
bhakti yogena sevate
sa gunan samatityaitan
brahma-bhuyaya kalpate

"Celui qui s'absorbe entièrement dans le service de dévotion, sans jamais faillir, transcende dès lors les trois gunas et atteint ainsi le niveau du Brahman." Quiconque s'absorbe de façon continue dans le service de dévotion offert au Seigneur vit dans le monde spirituel et n'est en rien affecté par les attributs matériels (le sattva-guna, le rajo-guna et le tamo-guna).

Prahlada Maharaja, étant établi au niveau spirituel, n'avait aucun lien avec son corps, fruit de la passion et de l'ignorance. Les caractéristiques de ces deux modes d'influence sont définies dans le Srimad-Bhagavatam (1.2.19) comme étant la convoitise et l'avidité (tada rajas tamo-bhavah kama-lobhadaya ca ye). Prahlada Maharaja, en grand bhakta qu'il était, considérait le corps issu de son père comme un produit de la passion et de l'ignorance, mais parce qu'il l'utilisait pleinement pour servir le Seigneur, son corps n'appartenait pas à l'univers matériel. Le corps du pur vaisnava se trouve spiritualisé même au cours de la présente vie. Lorsque, par exemple, on expose le fer au feu, il rougit et cesse d'être du fer pour devenir du feu. De la même façon, parce qu'il brûle constamment du feu de la vie spirituelle, le prétendu corps matériel des bhaktas qui se consacrent tout entiers au service de dévotion offert au Seigneur n'a plus rien à voir avec la matière; il est entièrement spiritualisé.

Srila Madhvacarya fait observer que la déesse de la fortune, la mère universelle, ne put obtenir une grâce semblable à celle qui fut accordée à Prahlada Maharaja, car bien qu'elle soit constamment au côté du Seigneur Suprême, Celui-ci Se montre davantage concerné par Ses dévots. En d'autres termes, le service de dévotion est si puissant que même lorsqu'il est effectué par des êtres de basse naissance, le Seigneur l'accepte comme ayant une valeur supérieure à celle du service que Lui offre la déesse de la fortune. Brahma, le roi Indra et les autres devas vivant sur les systèmes planétaires supérieurs sont animés d'un autre esprit, d'une conscience différente, si bien qu'ils sont parfois en butte aux asuras, alors que le bhakta, même s'il se trouve sur les planètes inférieures, jouit de l'existence dans la conscience de Krsna quelles que soient les circonstances. Qu'il agisse par lui-même, qu'il soit instruit par d'autres ou qu'il s'acquitte de ses tâches matérielles, il jouit de la vie à tous les égards (paratah svatah karmatah). A ce propos, Madhvacarya cite les versets suivants, tirés du Brahma-tarka:

sri-brahma-brahmivindradi-
tri-katat stri-puru-stutah
tad anye ca kramadeva
sada muktau smrtav api

hari-bhaktau ca taj-jnane
sukhe ca niyamena tu
paratah svatah karmato va
na kathancit tad anyatha

VERSET 27

naisa paravara-matir bhavato nanu syaj
jantor yathatma-suhrdo jagatas tathapi
samsevaya surataror iva te prasadah
sevanurupam udayo na paravaratvam

TRADUCTION

A la différence des êtres ordinaires, ô Seigneur, Tu ne distingues pas entre amis et ennemis, entre ce qui est favorable et ce qui ne l'est pas, car pour Toi il n'est aucune conception de supérieur ou d'inférieur. Néanmoins, Tu accordes Tes bénédictions selon la qualité du service qui T'est offert, tout comme un arbre-à-souhaits produit des fruits d'après les désirs qu'on manifeste, sans établir la moindre distinction entre ce qui est inférieur et ce qui est supérieur.

TENEUR ET PORTEE

Le Seigneur dit clairement dans la Bhagavad-gita (4.11): ye yatha mam prapadyante tams tathaiva bhajamy aham -"Selon que les êtres s'abandonnent à Moi, en proportion Je les récompense." D'après Sri Caitanya Mahaprabhu: jivera 'svarupa' haya-krsnera 'nitya-dasa' -chaque être vivant est un serviteur éternel de Krsna. Selon le service qu'il effectue auprès du Seigneur, chacun bénéficie automatiquement des bénédictions de Krsna, lequel n'établit aucune distinction du genre: "Voici une personne intimement liée à Moi, et en voilà une que je n'aime pas." Krsna recommande à tous de s'abandonner à Lui (sarva-dharman parityajya mam ekam saranam vraja). Nos rapports avec le Seigneur Suprême dépendent du degré auquel nous nous abandonnons à Lui et où nous Le servons. Ainsi, partout dans l'univers, les conditions supérieures ou inférieures des êtres vivants sont le fruit de leur choix personnel. Si nous sommes enclins à exiger du Seigneur qu'Il nous accorde quelque chose, nous recevrons des bénédictions d'après nos désirs. Si quelqu'un désire, par exemple, être élevé jusqu'aux systèmes planétaires supérieurs, les planètes édéniques, il peut atteindre l'endroit qu'il désire, et si un autre souhaite demeurer sur terre en tant que porc, le Seigneur exaucera également son désir. Notre situation est donc déterminée par nos désirs; le Seigneur n'est pas responsable de la qualité supérieure ou inférieure de notre existence. Krsna en personne élucide la question de façon très concluante dans la Bhagavad-gita (9.25):

yanti deva-vrata devan
pitrn yanti pitr-vratah
bhutani yanti bhutejya
yanti mad-yajino pi mam

Certains désirent être élevés jusqu'aux planètes édéniques, d'autres jusqu'à Pitrloka et d'autres encore veulent rester sur cette Terre, mais si quelqu'un éprouve de l'intérêt pour retourner à Dieu, en sa demeure originelle, il le peut également. Selon ses aspirations, un bhakta se verra combler par la grâce du Seigneur. Celui-ci n'établira aucune discrimination et ne dira pas: "Voici une personne qui M'est favorable et en voici une autre qui M'est défavorable." Au contraire, Il exauce les désirs de chacun. C'est pourquoi les sastras (S.B.,2.3.10) déclarent:

akamah sarva-kamo va
moksa-kama udara-dhih
tivrena bhakti-yogena
yajeta purusam param

''Qu'il soit rongé de désirs matériels, dénué de tout désir (comme l'est un bhakta), ou qu'il aspire au salut, l'être humain intelligent doit de tout son être adorer Dieu, le Tout suprême et absolu, en vue d'accéder à la perfection suprême, qui culmine dans la conscience de Krsna." Selon sa situation individuelle -qu'il soit un bhakta, un karmi ou un jnani- chacun peut obtenir ce qu'il désire s'il s'absorbe tout entier dans le service du Seigneur.

VERSET 28

evam janam nipatitam prabhavahi-kupe
kamabhikamam anu yah prapatan prasangat
krtvatmasat surarsina bhagavan grhitah
so ham katham nu visrje tava bhrtya-sevam

TRADUCTION

O Seigneur Souverain, du fait que j'étais en contact avec différents désirs matériels, je tombais de plus en plus profondément dans un puits sombre rempli de serpents, suivant en cela l'exemple de la masse des gens. Mais Ton serviteur Narada Muni a eu la bonté de m'accepter comme son disciple et de m'instruire quant à la façon d'accéder à ce niveau transcendantal. Mon premier devoir consiste donc à le servir. Comment pourrais-je quitter son service?

TENEUR ET PORTEE

Comme nous le verrons dans des versets ultérieurs, bien que toutes les bénédictions auxquelles Prahlada Maharaja aurait pu aspirer lui aient été offertes directement par le Seigneur Suprême, il refusa ces bénédictions. Au contraire, il pria le Seigneur de le laisser au service de Son serviteur, Narada Muni. Telle est la caractéristique d'un pur bhakta. Il faut d'abord et avant tout servir le maître spirituel, et non pas chercher à passer par-dessus lui en désirant servir directement le Seigneur Suprême. Un vaisnava n'adopte pas une telle ligne de conduite. Narottama Dasa Thakura dit à ce propos:

tandera carana sevi bhakta-sane vasa
janame janame hava, ei abhilasa

On ne doit pas aspirer à servir directement le Seigneur. Sri Caitanya Mahaprabhu recommandait de se faire le serviteur du serviteur d'un serviteur du Seigneur (gopi-bhartuh pada-kamalayor dasa-dasanudasah). Telle est la méthode à adopter pour approcher le Seigneur Souverain. Il faut tout d'abord servir le maître spirituel afin de pouvoir, par sa grâce, approcher et servir Dieu, la Personne Suprême. Alors que Sri Caitanya instruisait Rupa Gosvami, Il dit: guru-krsna-prasade paya bhakti-lata-bija -on peut obtenir la semence du service de dévotion par la grâce du maître spirituel (guru), puis la grâce de Krsna. Tel est le secret de la réussite. Il faut d'abord s'efforcer de satisfaire le maître spirituel; ensuite, on peut essayer de satisfaire Dieu, la Personne Suprême. Visvanatha Cakravarti Thakura dit également: yasya prasadad bhagavat-prasado. Il ne s'agit pas de chercher à satisfaire Dieu, la Personne Suprême, par quelque moyen de sa propre invention. Il faut d'abord être disposé à servir le maître spirituel, et lorsqu'on a acquis les qualitée requises, on se voit automatiquement élevé au niveau où l'on peut servir directement le Seigneur. C'est pourquoi Prahlada Maharaja proposa de s'employer à servir Narada Muni. Jamais il ne suggéra de servir directement le Seigneur, et ce fut là une juste conclusion de sa part. D'où les paroles qu'il prononça: so ham katham nu visrje tava bhrtya-sevam -"Comment pourrais-je renoncer à servir mon maître spirituel, lui qui m'a béni de telle sorte que je peux maintenant Te voir face à face? Prahlada Maharaja pria donc le Seigneur de pouvoir continuer à servir son maître spirituel, Narada Muni.

VERSET 29

mat-prana-raksanam ananta pitur vadhas ca
manye sva-bhrtya-rsi-vakyam rtam vidhatum
khadgam pragrhya yad avocad asad-vidhitsus
tvam isvaro mad-aparo vatu kam harami

TRADUCTION

O Seigneur, ô réservoir infini de qualités spirituelles, Tu as tué mon père, Hiranyakasipu, et m'as ainsi sauvé de son glaive. Animé d'une grande colère, il avait dit: "S'il existe un maître suprême autre que moi, qu'il vienne te sauver, car je vais maintenant te trancher la tête!" Je crois donc qu'en me sauvant aussi bien qu'en le tuant, Tu as agi à seule fin de prouver la véracité des propos de Ton dévot, et pour aucune autre raison.

TENEUR ET PORTEE

Krsna enseigne dans la Bhagavad-gita (9.29):

samo ham sarva-bhutesu
na me dvesyo sti na priyah
ye bhajanti tu mam bhaktya
mayi te tesu capy aham

Il ne fait pas de doute que le Seigneur Souverain Se montre équitable envers tous. Il n'a ni ami, ni ennemi; toutefois, dans la mesure où chacun désire obtenir tel ou tel bienfait du Seigneur, Il a plaisir à exaucer ces différents souhaits. Les conditions de vie inférieures et supérieures de divers êtres vivants sont le fruit de leurs désirs, car le Seigneur, équitable envers tous, exauce les souhaits de chacun. Le fait de tuer Hiranyakasipu et de sauver Prahlade Maharaja obéissait également de façon rigoureuse à cette loi régissant les activités du maître suprême. Lorsque Kayadhu, la mère de Prahlada Maharaja et l'épouse d'Hiranyakasipu, se trouvait sous la protection de Narada, elle avait prié pour que son fils soit protégé contre l'ennemi, et Narada Muni lui avait donné l'assurance que Prahlada Maharaja échapperait toujours aux mains de l'ennemi. Ainsi, au moment où Hiranyakasipu s'apprêtait à tuer Prahlada, le Seigneur sauva ce dernier pour remplir la promesse qu'Il avait Lui-même faite dans la Bhagavad-gita (kaunteya pratijanihi na me bhaktah pranasyati) et pour prouver la véracité des paroles de Narada. Une seule action du Seigneur Lui permet de servir de multiples desseins. C'est ainsi que l'anéantissement d'Hiranyakasipu et le salut de Prahlada s'effectuèrent en même temps, pour prouver la véracité des paroles du bhakta et la fidélité du Seigneur à Son propre dessein. Le Seigneur n'agit qu'en vue de satisfaire les désirs de Ses dévots; sinon, Il n'a pas besoin d'agir. C'est là une vérité qui est confirmée dans les écrits védiques: na tasya karyam karanam ca vidyate -le Seigneur n'a pas à agir personnellement, car tout s'accomplit par l'intermédiaire de Ses diverses énergies: (parasya saktir vividhaiva sruyate). Le Seigneur possède de multiples énergies, par l'intermédiaire desquelles s'accomplissent toutes choses. En conséquence, lorsqu'Il agit à titre personnel, c'est dans le seul dessein d'exaucer Son dévôt. Il est d'ailleurs connu sous le nom de bhakta-vatsala, car Il favorise beaucoup celui qui Le sert avec dévotion.

VERSET 30

ekas tvam eva jagad etam amusya yat tvam
ady-antayoh prthag avasyasi madhyatas ca
srstva guna-vyatikaram nija-mayayedam
naneva tair avasitas tad anupravistah

TRADUCTION

O Seigneur, Toi seul apparais comme la manifestation cosmique tout entière, car Tu existais avant sa création, Tu existes après son anéantissement, et Tu la maintiens entre son origine et sa fin. Tout ceci s'accomplit grâce à Ton énergie externe, par l'intermédiaire des actions et des réactions des trois gunas. En conséquence, tout ce qui existe, à l'extérieur comme à l'intérieur, c'est Toi seul.

TENEUR ET PORTEE

La Brahma-samhita (5.35) enseigne:

eko py asau racayitum jagad-anda-kotim
yac-chaktir asti jagad-anda-caya yad-antah
andantara-stha-paramanu-cayantara-stham
govindam adi-purusam tam aham bhajami

"J'adore Govinda, Dieu, la Personne Suprême, qui, par l'intermédiaire d'une de Ses émanations plénières, Se trouve aussi bien présent au coeur de chaque univers qu'au coeur de chaque particule atomique, manifestant ainsi de façon illimitée Sa puissance infinie partout dans la création matériel.'' Pour créer la manifestation cosmique, Govinda, la Personne Souveraine, déploie Son énergie externe et pénètre ainsi toute chose dans l'univers, y compris les particules atomiques. C'est ainsi qu'Il est partout présent dans la manifestation cosmique. Les Activités du Seigneur Souverain relatives au soutien de Ses dévots sont donc transcendantales, et non pas matérielles. Il existe en chaque chose en tant que la cause aussi bien que l'effet, et pourtant Il reste distinct de toute chose puisqu'Il existe au-delà de la manifestation cosmique. La Bhagavad-gita (9.4) le confirme en disant:

maya tatam idam sarvam
jagad avyakta-murtina
mat-sthani sarva-bhutani
na caham tesv avasthitah

L'entière manifestation cosmique n'est qu'une manifestation de l'énergie du Seigneur; tout repose en Lui, et pourtant indépendamment de tout, par-delà la création, le maintien et la destruction. Les diverses formes de création sont accomplies par Son énergie externe. Du fait que l'énergie et la source de l'énergie ne font qu'un, tout est un (sarvam khalv idam brahma). En conséquence, sans Krsna, le Parabrahman, rien ne peut exister. La différence entre l'univers matériel et le monde spirituel, c'est que Son énergie externe se manifeste dans l'univers matériel, tandis que Son énergie spirituelle agit dans le monde spirituel. Néanmoins, les deux énergies appartiennent au Seigneur Suprême; c'est pourquoi, dans un sens plus élevé, on peut dire qu'il n'y a pas de manifestation de l'énergie matérielle car tout relève de l'énergie spirituelle. Lorsqu'on ne réalise pas l'omniprésence du Seigneur dans Son énergie, on dit de celle-ci qu'elle est matérielle. Sinon, tout est spirituel. C'est pourquoi Prahlada Maharaja prie ainsi: ekas tvam eva jagad etam -"Tu es toute chose."


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare