VINGT DEUXIÈME CHAPITRE.
LA BEAUTÉ EN PRÉSENCE
DE KRISHNA

neyam sobhisyate tatra
yathedânîm gadâdhara
tvat-padair ankitâ bhâti
sva-laksana-vilaksitaih

" Resplendissant, aujourd'hui, de la marque de Tes pieds, ô Gadâdhar [Krishna], notre royaume perdra sa splendeur si Tu nous quittes. " (Srimad-Bhâgavatam 1.8.39)

Certains signes particuliers marquent la plante des pieds du Seigneur, qui Le distinguent de tous les autres êtres. Ces signes - l'étendard, l'éclair,le bâton de cornac, le parasol, la fleur de lotus, le disque… - s'imprimaient sur la fine poussière des contrées que traversait le Seigneur. C'est ainsi que le sol d'Hastinâpour reçut les empreintes de Sri Krishna lorsqu'Il S'y trouvait en compagnie des Pândavas, et par la grâce de ces heureux signes, le royaume était florissant. Kunti fait ressortir le caractère particulièrement favorable de ces signes, et elle craint que, le Seigneur parti, ne vienne le malheur.

Dans le Chânakya-sloka, l'enseignement du grand moraliste Chânakya Pandit, on trouve ce très joli verset :

prithivî-bhûsanam râjâ
nârînâm bhûsanam patih
sarvarî-bhûsanam candro
vidyâ sarvasya bhûsanam
C'est par association ou contact intime que tout devient beau. À titre d'exemple, les nuits de pleine lune, lorsque l'astre au front d'argent et les étoiles brillent, le ciel revêt une grande beauté. De même, chacun est heureux et tout va à merveille quand l'État est administré par un bon roi, président ou gouvernement. Dans le même ordre d'idée, quoique les jeunes filles soient naturellement belles, elles le sont davantage quand elles prennent un mari. Vidyâ sarvasya bhûsanam : c'est l'érudition qui, toutefois, fait la beauté de la personne dont les traits physiques ne sont guèe séduisants. De même, tout revêt une grande beauté en la présence de Krishna.

Voilà pourquoi Kunti pense : " Tant que Krishna demeure parmi nous, tout resplendit dans notre royaume et notre capitale, Hastinâpour. Mais en Son absence, notre royaume perdra sa splendeur. " Aussi Lui dit-elle : " Krishna, notre royaume brille aujourd'hu de la marque de Tes pieds. On y trouve suffisamment d'eau et de fruits, mais toute sa beauté s'évanouira si Tu nous quittes. "

N'allons pas croire que cela ne s'applique qu'à l'époque où Krishna était présent sur Terre, et que Kunti Lui adressait ses prières. Au contraire, la vérité est immuable. Si, malgréles progrès remarquables de notre civilisation, nous ne savons pas faire de Krishna et de la conscience de Krishna le centre de tout, jamais cette civilisation ne resplendira. Les membres du Mouvement pour la Conscience de Krishna étaient déjà dotés de traits agréables; depuis qu'ils sont devenus conscients de Krishna, voilà que de leur corps émane un éclat nouveau. À tel point que les journaux les décrivent souvent comme ayant " un visage radieux ". Leurs compatriotes s'exclament : " Ces jeunes gens sont désormais si joyeux et beaux. " À l'heure actuelle, plusieurs jeunes Américains sont confus, désespérés; aussi semblent-ils moroses et sombres. Pourquoi ? Parce qu'ils n'ont rien compris et que leur vie est sans but. Mais les dévots, eux, manifestent une grande beauté née de la présence de Krishna dans leur vie.

Par suite, ce qui était vrai il y a cinq mille ans à l'époque des Pândavas l'est encore aujourd'hui. Tout devient beau si on place Krishna au centre, ce qu'on peut faire à tout instant. Krishna est toujours là, il suffit de L'inviter : " Viens, Seigneur, sois au centre de ma vie. " C'est tout. Pour citer un exemple familier, le zéro n'a aucune valeur, mais précédé du chiffre un, il devient dix. Pas besoin de mettre fin à nos activités. Nous ne disons jamais : " Cessez toute entreprise matérielle. " Il s'agit simplement d'y ajouter Krishna.

Nous devons, bien sûr, renoncer à tout ce qui s'oppose à la conscience de Krishna. Le fait de s'acquitter encore de ses devoirs matériels n'implique pas qu'on doive continuer à manger de la viande. Au contraire, il faut y renoncer puisque cela entrave notre progrès dans la conscience de Krishna. On ne peut pécher et progresser simultanément vers Krishna, qui nous dit cependant : aham tvâm sarva-pâpebhyo moksayisyâmi - " Abandonne-toi à Moi; Je te sauverai en t'affranchissant de toutes les suites de tes fautes. " (Bhagavad-Gîtâ XVIII:66)

Vie après vie, tous commettent consciemment ou non des fautes. Tuer sciemment ou inconsciemment un animal constitue à coup sûr un péché. Tout en marchant sur la rue, nous tuons sans le savoir tant de fourmis; au cours d'autres activités quotidiennes - en cuisinant, en buvant de l'eau ou en broyant des épices à l'aide d'un mortier et d'un pilon - nous tuons de nombreux êtres vivants. À moins de demeurer conscients de Krishna, nous risquons d'être punis pour toutes ces fautes commises à notre insu.

Si un enfant, inconscient du danger, touche le feu, sera-t-il épargné pour autant? Non. Les lois de la Nature sont si rigoureuses qu'il est hors de question qu'on l'excuse. Même dans la vie courante, l'ignorance n'excuse personne, car nul n'est censé ignorer la loi. Si devant le tribunal, nous plaidons : " j'ignorais que je commettais un crime ", serons-nous excusé pour autant? De même, l'ignorance n'excuse personne qui viole les lois naturelles. Si nous désirons donc échapper aux suites de nos fautes, il nous faut devenir conscients de Krishna, qui nous délivrera alors de telles conséquences. Voilà pourquoi il est recommandé de toujours chanter (kîrtanîyah sadâ harih) :

Hare Krishna, Hare Krishna, Krishna Krishna, Hare Hare
Hare Râma, Hare Râma, Râma Râma, Hare Hare.

Gardons toujours Krishna en pensée, car Il est comme le soleil. Telle est la devise de notre revue Back to Godhead :

krsna - sûrya-sama; mâyâ haya andhakâra
yâhân krsna, tâhân nâhi mâyâra adhikâra
(Chaitanya-charitâmrita, Madhya 22:31)

Krishna est pareil au soleil radieux, et mâyâ - l'ignorance - s'apparente aux ténèbres. En présence du soleil, nulle obscurité ne subsiste. Si nous baignons toujours dans la conscience de Krishna, les ténèbres de l'ignorance ne pourront nous toucher. Au contraire, nous marcherons toujours très librement dans la lumière qui émane de Krishna. Aussi Kuntîdevî prie-t-elle Krishna de rester auprès d'elle et des Pândavas.

En réalité, Krishna ne quittait pas les Pândavas, tout comme Il n'a jamais quitté Vrindâvan. Les sâstras védiques nous disent : vrndâvanam parityajya no padam ekam gacchati - Krishna ne S'éloigne jamais fût-ce d'un pas de Vrindâvan. Tel est l'attachement qu'Il éprouve pour Vrindâvan. Comment se fait-il alors que nous Le voyons quitter cet endroit d'abord pour Mathurâ, puis pour la plus lointaine Hastinâpur, dont Il ne revint pas avant plusieurs années? En vérité, Krishna n'est jamais parti puisque tous les habitants de Vrindâvan, après Son départ, pensaient toujours à Lui tout en pleurant. Mère Yasodâ, Nanda Mahârâj, Râdhârânî et toutes les gopîs, vaches, veaux et petits pâtres ne faisaient que penser à Krishna et pleurer. Ainsi sentaient-ils Sa présence, qui peut être davantage appréciée dans la séparation. Sûnyayitam jagat sarvam govinda-virahena me : " Tout n'est que néant sans Govinda, sans Krishna. " Ainsi pensait Chaitanya Mahâprabhu. Tout était vide, mais la conscience de Krishna prévalait.

Quand nous verrons tout comme n'étant rien, et la conscience de Krishna comme notre seule possession, nous aurons atteint la plus haute perfection. D'où la position très élevée des gopîs. Ayant atteint cette perfection, elles ne pouvaient oublier Krishna fût-ce un seul instant. Lorsqu'Il partait pour la forêt avec Ses vaches et leurs veaux, les gopîs en étaient mentalement perturbées. " Krishna marche pieds nus, pensaient-elles. Ses pieds pareils-au-lotus sont sûrement blessés par les nombreux cailloux et clous qui jonchent le sol, ces pieds qu'elles n'osaient pas mettre sur leur poitrine, jugeant celle-ci pas assez douce. Aussi pleuraient-elles, plongées dans ces pensées. Elles étaient si anxieuses de voir Krishna rentrer le soir venu qu'elles restaient là sur le sentier à L'attendre, avec Ses vaches et Ses veaux. Telle est la conscience de Krishna.

Krishna ne peut S'éloigner du dévot qui s'abîme dans Son souvenir. Kuntîdevî se ronge ici d'angoisse, songeant à l'absence de Krishna; or, Son absence physique fait qu'Il devient en réalité davantage présent dans les pensées du dévot. Aussi Chaitanya Mahâprabhu enseigna-t-Il par Son exemple le service à Krishna dans la séparation (vipralambha-sevâ). Des larmes coulaient de Ses yeux comme des pluies torrentielles, car tout Lui paraissait vide en l'absence de Krishna.

La rencontre de Krishna se partage en deux étapes : 1) sambhoga, lorsqu'on Le rencontre, qu'on Lui parle et qu'on L'embrace personnellement; 2) vipralambha, ou la séparation. Le dévot bénéficie ainsi du contact de Krishna de cette double façon.

Habitant maintenant l'Univers matériel, nous ne voyons pas directement Krishna. Nous pouvons néanmoins Le voir de façon indirecte. À titre d'exemple, en voyant l'océan Pacifique, on peut aussitôt Se souvenir de Krishna si on est évolué sur le plan spirituel. C'est ce qu'on nomme méditation. On peut ainsi penser : " L'océan Pacifique est une si vaste étendue d'eau aux vagues immenses. Même si quelques pieds seulement m'en séparent, j'estime être en sécurité, tout puissant que soit l'océan et si redoutables ses vagues. Je suis sûr que ses eaux ne déborderont pas. Comment est-ce possible? Par la volonté de Krishna. Krishna ordonne : " Mon cher Pacifique, si vaste et puissant que tu sois, tu ne dois pas franchir cette limite. " Voilà comment on peut immédiatement se souvenir de Krishna, ou Dieu, Lui si puissant que même l'océan Pacifique obéit à Ses directives. Ainsi peut-on penser à Krishna et telle est, par définition, la conscience de Krishna.

" De même, au soleil levant, on peut aussitôt se souvenir de Krishna, car Il dit dans la Bhagavad-Gîtâ (VII.8) : prabhâsmi sasî-sûryayoh - " Je suis la lumière du soleil et de la lune. " Celui qui a appris à voir Krishna peut Le voir dans la lumière solaire. Nos hommes de science n'ont pas créé le soleil, et quoique très aptes aux jongleries verbales, la véritable nature du soleil leur échappe. Or, selon le Védânta-soutra (1.1.3) : sâstra-yonitvât - on peut tout connaître grâce au sâstra, la littérature védique. À titre d'exemple, en étudiant cette littérature on pourra savoir ce qu'est le soleil, car on en trouve la description suivante dans la Brahma-samhitâ (5:52) :

yac-caksur esa savitâ sakala-grahânâm
râjâ samasta-sura-mûrtir asesa-tejâh
yasyâjñayâ bhramati sambhrta-kâla-cakro
govindam âdi-purusam tam aham bhajâmi

Ce verset dépeint le soleil comme l'œil de toutes les planètes. Si on médite sur cette assertion, on réalisera qu'il en est bien ainsi en autant que la nuit - c.-à-d. jusqu'au lever du soleil -, on n'y voit guère. On décrit également l'astre solaire comme l'œil du Seigneur, l'autre étant la lune. D'où les Upanishads enseignent qu'on ne peut voir que lorsque Krishna voit. On dit aussi que le soleil est asesa-tejâh, d'une chaleur intarissable. Et quel rôle joue-t-il? Yasyâjñayâ bhramati sambhrta-kâla-cakro; le soleil décrit une orbite. Dieu lui ordonne : " Ne quitte jamais cette orbite. " Selon la science, si le soleil s'écartait un tant soit peu de son orbite, l'Univers entier pourrait soit s'embraser soit geler. Or, les directives du Suprême lui enjoignent de ne pas s'écarter fût-ce d'un dix-millième d'un pouce de son orbite. Et il se lève toujours à la bonne heure. Pourquoi? Sûrement une discipline, une obéissance, un ordre le gouverne. Aussi la Brahma-samhitâ dit-elle : yasyâjñayâ bhramati sambhrta-kâla-cakro govindam âdi-purusam tam aham bhajâmi - " J'adore la Personne originelle, dont l'ordre guide le soleil sur son orbite. C'est Elle qui gouverne même le soleil, l'océan et la lune. Tout s'opère selon Ses directives. "

Est-ce si difficile alors de comprendre Dieu? Aucunement. Si on est sain d'esprit et doté d'un cerveau non fait de matières fécales, on peut comprendre Dieu à chaque pas. Le Seigneur dit :

raso 'ham apsu kaunteya
prabhâsmi sasî-sûryayoh
pranavah sarva-vedesu
sabdah khe paurusam nrsu

" De l'eau Je suis la saveur, ô fils de Kuntî [Arjuna], du soleil et de la lune la lumière, des mantras védiques la syllabe om. Je suis le son dans l'éther et dans l'homme l'aptitude. " (Bhagavad-Gîtâ VII:8) Pourquoi les gens disent-ils alors : " Je n'ai pas vu Dieu. " Pourquoi ne Le voient-ils comme Il le conseille? Pourquoi inventer leur propre méthode? Ce n'est pas ainsi qu'on verra le Seigneur. Impossible. On ne pourra ainsi que demeurer aveugle. À l'heure actuelle, de pseudo-philosophes et savants cherchent à voir Dieu selon leur propre méthode, chose impossible. Il faut Le voir comme Il l'indique. Alors pourra-t-on Le voir. Si je désire voir le président des États-Unis, puis-je le faire à ma façon? Comment alors espérer voir Dieu de cette manière? N'est-ce pas de la sottise? Il m'est impossible de voir un homme ordinaire, qui occupe un poste important, sans prendre un rendez-vous avec son sécrétaire. Or, bien que Dieu soit plus grand que tout homme moyen, des vauriens sont d'avis qu'on peut Le voir selon son caprice. " Toutes les méthodes que vous inventez sont valables ", proclament-ils. Voilà leur sottise. Le monde étant peuplé de tels sots et vauriens, la conscience de Dieu, la conscience de Krishna, n'est plus désormais qu'un concept vague. Sinon, si quelqu'un désire voir Dieu, désire Sa présence constante - ce que Kuntîdevî Lui demande ici -, on pourra Le garder en son cœur.

Il s'agit simplement d'apliquer son mental et ses sens à la conscience de Krishna, comme le fit Mahârâj Ambarisa. Sa vai manah krsna-padâravindayor vacâmsi vaikuntha-gunânuvarnane (Srimad-Bhâgavatam 9.4.18) Fixons d'abord notre mental sur les pieds pareils-au-lotus de Krishna, le mental étant au centre de toutes les activités sensorielles. En l'absence du mental, on ne pourrait ni voir ni entendre malgré nos yeux et nos oreilles. Par conséquent, on le considère comme le onzième sens. On compte dix sens : les organes d'action et les organes de perception, dont le mental incarne le centre. La Bhagavad-Gîtâ (III:42) dit :

indriyâni parâny âhur
indriyebhyah param manah
manasas tu parâ buddhir
yo buddheh paratas tu sah

Dans ce verset, Krishna explique que même si nous accordons beaucoup d'importance aux sens, le mental leur est supérieur, et l'intelligence surpasse le mental. Et au-delà de l'intelligence est l'âme.

Comment apprécier l'existence de l'âme si nous ne pouvons même comprendre les mécanismes psychologiques du mental? Au-delà du mental est l'intelligence, et par la spéculation on peut tout au plus le niveau intellectuel. Mais pour comprendre l'âme et Dieu, il faut dépasser le plan intellectuel. Il est possible de tout comprendre, mais il faut passer par la bonne voie. Aussi les Védas stipulent-ils :

tad-vijñânârtham sa gurum evâbhigacchet
samit-pânih srotriyam brahma-nistham
" Qui veut vraiment comprendre le surnaturel, la Transcendance, doit approcher un maître spirituel authentique. " (Moundaka Upanishad 1.2.12)


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare