Premier chapitre.(suite)
Sur le champ de bataille de Kuruksetra.
VERSET 13
TRADUCTION Alors les conques, bugles, cors, trompettes et tambours, se mettent à retentir, et leurs vibrations confondues provoquent un grand tumulte.
VERSET 14
TRADUCTION Dans l'autre camp, debout sur leur vaste char attelé à des chevaux blancs, Krsna et Arjuna soufflent dans leurs conques divines.
Les conques de Krsna et Arjuna sont dites divines, en contraste frappant avec la façon dont a été décrite celle de Bhismadeva. Leurs conques divines résonnent donc, annonçant que le camp rival est voué à la défaite, puisque Krsna Se trouve aux côtés des Pan1avas.
"La victoire accompagne toujours ceux qui, comme les fils de Pandu, ont l'alliance du Seigneur." En outre, la déesse de la fortune ne quitte jamais le Seigneur; en épouse fidèle, elle demeure auprès de Lui en tout temps et en tout lieu. Ainsi, la victoire et la fortune attendent Arjuna; et la conque de Krsna en fait retentir la nouvelle. Arjuna possède un autre atout d'importance: le char qu'il monte en compagnie de Krsna lui a été offert par Agni (le deva du feu), ce qui laisse entendre que ce char peut tout conquérir, où qu'il soit mené à travers les trois inondes.
VERSET 15
TRADUCTION Krsna souffle dans Sa conque, Pancajanya, et Arjuna dans la sienne, Devadatta; Bbima, le mangeur vorace aux exploits surhumains, fait retentir Paundra, sa conque formidable.
Le Seigneur, Sri Krsna, est ici nommé Hrsikesa, en tant que maître des sens de tous les êtres. Certains philosophes, incapables d'expliquer la présence des sens dans l'être vivant, se hâtent de conclure à son impersonnalité. Ils ignorent que l'origine de tous les êtres, Krsna, est une personne, la Personne Suprême, dotée de sens spirituels et absolus, que l'être distinct, faisant partie intégrante de Krsna, est aussi doté de sens, qui participent de ceux du Seigneur. Krsna, sis dans le coeur de tous les êtres, est donc maître de leurs sens, qu'Il dirige selon leur degré d'abandon à Lui. Dans le cas du pur bhakta par exemple, Il les gouverne directement; ainsi contrôle-t-Il directement, sur le champ de bataille de Kuruksetra, les sens spirituels d'Arjuna, d'où Son Nom de Hrsikesa. Selon les diverses circonstances, Il porte différents Noms: Madhusudhana, par exemple, pour avoir détruit le monstre Madhu; Govinda, car Il est source de plaisir pour les vaches et les sens de tous les êtres, et Vasudeva parce qu'Il est le fils de Vasudeva; Devaki-nandana, car Devaki est Sa mère, et Yasoda-nandana, puisque c'est avec Yasoda qu'Il passa Son enfance au village de Vrndavana. On L'appelle aussi Partha-sarathi du fait qu'Il conduit maintenant le char de Son ami Arjuna, et les directives qu'Il donne à ce dernier sur le champ de bataille Lui valent ici le Nom de Hrsikesa. Arjuna, lui, est nommé Dhananjaya dans ce verset, en souvenir de l'aide qu'il fournit à son frère aîné, le roi Yudhistira; il dut en effet amasser l'énorme fortune dont celui-ci avait besoin pour l'accomplissement de divers sacrifices. Quant à Bhima, il est surnommé Vrkodara en raison d'un appétit aussi étonnant que son pouvoir d'accomplir des tâches herculéennes, comme la mise à mort du démoniaque Hidimba. Les plus grands chefs de l'armée Pandava font donc maintenant sonner leurs conques, qui, à l'unisson de celle du Seigneur, encouragent vivement leurs soldats. Le camp opposé, par contre, ne possède aucun de ces avantages; ni le maître suprême, Krsna, ni la déesse de la fortune ne l'assiste. Sa défaite est déjà écrite; tel est le message envoyé par le son des conques.
VERSET 16-18
kasyas ca paramesv-asah
drupado draupadeyas ca
TRADUCTION Le roi Yudhisthira, fils de Kunti, fait résonner sa conque, Anantavijaya; Nakula et Sabadeva soufflent dans la Sughosa et la Manipuspaka. Le roi de Kasi, célèbre archer, le grand guerrier Sikhandi, Dhr Dhrstadyumna, Virata et Sityaki l'invincible, Drupada et les fils de Draupadi, et d'autres encore, ô roi, comme les fils de Subhadra, tous puissamment armés, font aussi sonner leur conque.
Avec beaucoup de tact, Sanjaya apprend à Dhrtaràstra que sa politique, visant à tromper lesfils de Pandu pour tenter d'installer sur le trône ses propres fils, est malavisée et fort peu louable. D'ailleurs, il est déjà clair que toute la dynastie Kuru sera tuée au cours de cette grande bataille. Tous les combattants sont condamnés, de Bhisma, l'aïeul, jusqu'aux membres de la plus jeune génération, comme Abhimanyu, et d'autres encore, dont les rois de nombreux états du monde, sont aussi condamnés. Le roi Dhrtarastra, pour avoir encouragé la conduite de ses fils, est responsable de la future catastrophe.
VERSET 19
TRADUCTION Le mugissement de toutes ces conques réunies devient assourdissant, et, se répercutant au ciel et sur la terre, il déchire le coeur des fils de Dhrtarastra.
Aucun verset ne dit que le son des conques de Bhisma et des partisans de Duryodhana ait suscité la moindre affliction dans le camp des Pandavas. Par contre, celui-ci montre que le rugissement des conques Pandavas ébranle le courage des fils de Dhrtarastra. Si les Pandavas peuvent inspirer tant de crainte au camp ennemi, cela tient uniquement à leur totale confiance en Krsna. Celui qui, même au sein des pires calamités, prend refuge auprès du Seigneur Suprême ne connaît plus la peur
VERSET 20
TRADUCTION A ce moment, ô roi, amis sur son char, dont l'étendard porte l'emblème de Hanuman, Arjuna, le fils de Pandu, saisit son arc, prêt à décocher ses flèches, les yeux fixés sur les fils de Dhrtarastra, puis s'adresse à Hrsilkesa.
Le combat est sur le point de s'engager. Comme nous l'avons vu, les fils de Dhrtarastra sont plus ou moins découragés par le déploiement inattendu des forces Pandavas, conseillées par le Seigneur Lui-même. De plus, un autre signe propice annonce la victoire prochaine des Pandavas: c'est l'emblème de Hanuman décorant l'étendard d'Arjuna. Hanuman était entièrement voué au Seigneur, Rama, et Lui avait offert ses services au cours de la bataille qu'il dut livrer contre Ravana et dont Il sortit victorieux. Or, en ce jour, Hanuman et Rama sont tous deux auprès d'Arjuna, prêts à lui venir en aide, car Krsna n'est autre que Rama, qu'accompagne toujours Hanuman, Son serviteur éternel, et Sita, Sa compagne éternelle, la déesse de la fortune. Arjuna ne doit donc craindre aucun ennemi, d'autant moins que Krsna, le maître des sens, lui donne, en personne, Ses directives. Il bénéficie du meilleur conseiller militaire. Ces heureux auspices, offerts par le Seigneur à Son dévot éternel, sont les gages d'une victoire assurée.
VERSET 21-22
arjuna uvacasenayor ubhayor madhye ratham sthapaya me ’cyuta yavad etan nirikse ’ham yoddhu-kaman avasthitan kair maya saha yoddhavyam asmin rana-samudyame
TRADUCTION
Arjuna dit:
De par Sa miséricorde immotivée, Krsna S'est mis au service d'Arjuna, Son ami; et pourtant, Il est Dieu, la Personne Suprême. Ici, on Le nomme l'Infaillible, car Son affection pour Ses dévots ne faillit jamais. Il est l'Infaillible car dans Son rôle de conducteur de char, Il n'hésite pas à obéir aux ordres d'Arjuna. Et bien qu'Il ait accepté cette position subordonnée, Sa suprématie n'est pas pour autant mise en cause. En toutes circonstances, Il demeure Hrsikesa, Dieu, la Personne Suprême, le maître des sens de chaque être. Les sentiments qu'échangent le Seigneur et Son serviteur sont fort tendres et purement spirituels. Tout comme Son serviteur est toujours prêt à Le servir, le Seigneur cherche sans cesse l'occasion de servir Son dévot. Il éprouve plus de plaisir à voir Son dévot Lui donner des ordres qu'à dominer Lui-même. Il est le maître absolu, tous les êtres Lui sont subordonnés; nul n'est au-dessus de Lui, nul ne peut Le commander. Et pourtant, voir Son dévot Lui donner des ordres Le remplit d'une grande joie spirituelle. Arjuna est un bhakta, il n'a aucun désir de lutter contre ses proches; mais il y est conduit par l'obstination de Duryodhana, qui se refuse à toute négociation. Aussi est-il maintenant très anxieux d'apprendre quels sont les chefs présents sur le champ de bataille. Ce n'est plus, naturellement, l'heure de proposer un nouvel accord de paix. Il veut néanmoins voir leur visage pour savoir à quel point ils tiennent à engager un combat que personne ne souhaite.
VERSET 23
TRADUCTION Que je voie ceux qui sont venus ici combattre dans l'espoir de plaire au fils malveillant de Dhrtarastra.
Duryodhana nourrit depuis longtemps le désir d'usurper le royaume des Pandavas. Secret de polichinelle que le sien: tous connaissent les plans démoniaques qu'il a échafaudés en accord avec son père Dhrtarastra. Certain que ceux qui ont rejoint le camp de Duryodhana sont de la même espèce, Arjuna veut connaître leur identité avant le combat, mais sans aucune intention de leur proposer la paix. Il veut en outre estimer leur force, bien qu'il soit sûr de sa victoire puisque Krsna Se tient à ses côtés.
VERSET 24
TRADUCTION
Sanjaya dit:
Dans ce verset, Sanjaya appelle Arjuna "Gudakesa". Ce nom vient de gudaka (sommeil) et désigne celui qui a vaincu le sommeil. Or, sommeil est synonyme d'ignorance, et si l'on donne ce nom à Arjuna, c'est que son amitié pour Krsna lui a permis de dominer à la fois le sommeil et l'ignorance. Il est entièrement voué au Seigneur et ne peut L'oublier même un instant. Telle est la nature du bhakta; qu'il veille ou dorme, il ne cesse d'avoir à l'esprit le Nom de Krsna, Sa Forme, Ses Attributs et Ses Divertissements. Absorbé dans ces pensées, il vainc le sommeil et l'ignorance, et atteint le samadhi, la conscience de Krsna. Krsna est Hrsikesa, le maître des sens et du mental de chaque être; Il sait donc pour quelle raison Arjuna veut placer son char au milieu des armées. Il l'y conduit...
VERSET 25
TRADUCTION Devant Bhisma, Drona et tous les princes de ce monde, Hrsikesa, le Seigneur, dit à Arjuna: "Vois donc, ô Partha, l'assemblée de tous les Kurus."
Sri Krsna est l'Arne Suprême résidant en chaque être; Il sait donc parfaitement ce qui préoccupe Arjuna (dans ce contexte, le Nom "Hrsikesa" indique également que le Seigneur sait tout). Arjuna, lui, est appelé Partha, "fils de Kunti, ou Prtha". Ce nom est également chargé de sens; Krsna est son ami et veut lui dire que s'Il a accepté de conduire son char, c'est parce qu'il est le fils de Sa tante Prtha, soeur de Son père Vasudeva. Mais pour quels motifs demande-t-il à Arjuna de porter son regard vers les Kurus? Arjuna voudrait-il refuser la lutte? Ce n'est pas là ce qu'attend Krsna du fils de Sa tante Prtha, et s'Il lui fait cette remarque, c'est un peu par plaisanterie, pour lui montrer qu'il connaît bien ses pensées.
VERSET 26
TRADUCTION Arjuna voit alors, dispersés dans les deux camps, ses pères, aïeux, précepteurs, oncles maternels, frères, fils, petits-fils et amis; avec eux, son beau père et tous ceux qui jadis lui ont montré tant de bienveillance. Tous sont présents.
Arjuna découvre, dans les lignes, des hommes qui, à un degré ou à un autre, ont tous avec lui un lien de parenté. Certains, comme Bhurisrava, sont de la génération de son père; d'autres, comme Dronacarya et Krpacarya, furent ses précepteurs. Ses grands-parents, Bhisma et Somadatta, sont également là, de même que certains de ses oncles maternels, comme Salya et Sakuni, des frères, comme Duryodhana, des fils, comme Laksmana, des proches, comme Asvatthama, et d'autres encore, qui s'étaient toujours montrés bienveillants à son égard, tel Krtavarma. Bon nombre de ses amis apparaissent également dans les différents bataillons.
VERSET 27
TRADUCTION Voyant devant lui tous ceux à qui des liens d'amitié ou de parenté l'unissent, Arjuna, le fils de Kunti, est saisi d'une grande compassion s'adresse au Seigneur.
VERSET 28
TRADUCTION
Arjuna dit:
Celui qu'inonde une dévotion véritable pour le Seigneur possède entièrement les qualités que l'on trouve chez les hommes saints et les devas. Celui que n'illumine pas cet amour est au contraire dépourvu de ces qualités, peu importe ses mérites d'ordre matériel, son éducation, sa culture... Maintenant qu'il voit ses parents et ses amis sur le champ de bataille, Arjuna sent l'envahir une compassion pour eux tous qui ont décidé de lutter ainsi les uns contre les autres. Il est, depuis le début, plein de sympathie à l'égard de ses propres soldats, mais il prend maintenant en pitié même les soldats du camp ennemi, dont il prévoit la mort imminente. A cette pensée, ses membres se mettent à trembler, sa bouche se dessèche; il s'étonne du désir de combattre de ses rivaux, car tous sont du même sang que lui. Cette hostilité accable le bhakta généreux qu'est Arjuna, et bien qu'on ne le mentionne pas ici, il est facile d'imaginer que non seulement ses membres tremblent et sa bouche s'assèche, mais aussi qu'il pleure de pitié. Ces symptômes ne sont certes pas dus à de la faiblesse, mais à la tendresse de coeur qui caractérise le pur bhakta.
"L'homme animé d'une dévotion constante pour le Seigneur possède toutes les qualités des devas. Qui ne se voue à la Personne Suprême n'a, au contraire, que des atouts matériels, de peu de prix. La raison en est qu'il erre sur le plan mental, acceptant ainsi la fascination des énergies matérielles, dont il devient la proie."
VERSET 29
TRADUCTION Tout mon corps frissonne et mes cheveux se hérissent. Mon arc, Gandiva me tombe des mains, et la peau me brûle.
Le corps d'un homme se trouve agité de frissons et ses cheveux se hérissent dans deux cas bien précis: soit lors d'une grande extase spirituelle, soit en raison d'une grande frayeur motivée par des événements matériels: il n'existe en effet nul motif de crainte une fois que l'on atteint la réalisation spirituelle. Les phénomènes qui affectent le corps d'Arjuna sont dus à une crainte d'ordre matériel, celle de rencontrer la mort. Et cette peur se manifeste sous d'autres aspects encore: il est si tourmenté que son fameux arc Gandiva lui glisse des mains; et, comme son coeur s'enflamme, il éprouve une sensation de brûlure sur la peau. Sa détresse vient simplement de ce qu'il s'identifie à la matière, par une conception erronée de sa nature véritable.
VERSET 30
TRADUCTION 0 Kesava, je ne puis demeurer ici plus longtemps. Je ne suis plus maître de moi et mon esprit s'égare; je ne présage que des événements funestes.
Arjuna est saisi d'une telle angoisse qu'il ne peut rester plus longtemps sur le champ de bataille. Son désarroi lui fait perdre la maîtrise de lui-même. Un trop grand attachement aux choses de ce monde plonge automatiquement l'homme dans une telle confusion. La peur et le déséquilibre mental subjuguent celui qui se laisse affecter par les diverses circonstances où le place la vie matérielle, nous dit le Srimad-Bhagavatam. Arjuna ne prévoit maintenant que des événements funestes; il pense que même la victoire ne lui apportera aucune joie. L'emploi du terme nimitta est, à ce propos, plein de signification: il indique le trouble, l'embarras, où se voit plongé l'homme frustré dans ses espérances, qui ayant oublié l'Etre Suprême, n'a plus d'autre centre de préoccupation que lui-même et son propre bien-être. Arjuna ne devrait tenir aucun compte de son propre intérêt et se soumettre totalement à la volonté de Krsna; c'est uniquement ainsi qu'il servira, comme tous les êtres, sa véritable cause. Lorsque nous subissons l'influence de la nature matérielle, nous oublions cela, et nous souffrons. Arjuna en est maintenant arrivé à croire que la victoire ne lui sera qu'une source de lamentation.
VERSET 31
TRADUCTION Que peut apporter de bon ce combat, où sera massacrée ma propre famille? A pareil prix, ô Krsna, comment pourrais-je encore désirer la victoire, aspirer à la royauté et aux plaisirs qu'elle procure?
Ignorant qu'ils peuvent satisfaire leurs plus grands désirs en se donnant Visnu (Krsna) pour seul but, les êtres conditionnés cherchent des relations basées sur le corps, et non sur l'âme, et espèrent y trouver le bonheur. Abusés par maya, ils oublient que même les joies matérielles viennent de Krsna. Il semble ici qu'Arjuna n'ait plus souvenir du code moral du ksatriya. Deux catégories d'hommes possèdent les qualités requises pour atteindre le soleil, astre de puissance et d'éclat: le ksatriya mourant sur le champ de bataille sous les ordres du Seigneur Lui-même, et le sannyiasi qui pour avoir adopté l'ordre du renoncement, a consacré sa vie à la réalisation spirituelle. Arjuna répugne à tuer ses ennemis, et combien plus les membres de sa famille. Pensant que ceux-ci disparus, il ne connaîtra plus aucune joie, il refuse de combattre, un peu comme celui qui, n'ayant pas faim, n'éprouve aucune envie de cuisiner, puisqu'il n'a aucun plaisir à en retirer. Dans son désespoir, il décide maintenant d'aller vivre dans la solitude de la forêt. Pourtant, il est ksatriya et doit, pour accomplir sa vie, posséder un royaume; un ksatriya ne peut accepter aucun autre devoir. Mais Arjuna ne possède aucune terre sur laquelle régner; sa seule chance d'en acquérir est de se battre contre ses cousins, de reconquérir ainsi le royaume légué par son père. Mais c'est justement ce à quoi il se refuse. Il croit donc n'avoir d'autre choix que de se retirer dans la forêt, pour y vivre dans l'isolement et la frustration.
VERSET 32-35
ta ime ’vasthita yuddhe
matulah svasurah pautrah
api trailokya-rajyasya
TRADUCTION 0 Govinda, que servent tant de royaumes, que sert le bonheur, à quoi bon la vie même, quand ceux pour qui nous désirons ces biens se tiennent maintenant sur le champ de bataille? 0 Madbusudana, regarde. Toute ma famille, mes pères, fils, aïeux, oncles maternels, beaux-pères, petits-fils et beaux-frères, et mes maîtres aussi, tous prêts à sacrifier leur vie et leurs richesses, se dressent devant moi. Comment pourrais-je souhaiter leur mort, dussé-je par là survivre? 0 Toi qui maintiens tous les êtres, je ne peux me résoudre à lutter contre eux, même en échange des trois mondes, et que dire de cette Terre.
Arjuna appelle ici Krsna "Govinda", car Il est source de plaisir pour les vaches et les sens de tous les êtres. Usant de ce Nom, Arjuna laisse paraître qu'il compte sur le Seigneur pour satisfaire ses désirs matériels. Govinda n'existe pas pour notre plaisir, mais si nous nous efforçons de réjouir Ses Sens, les nôtres seront aussitôt comblés. Dans l'univers matériel, nous voulons tous étancher la soif de plaisir de nos sens, et c'est à Dieu que nous demandons d'apaiser cette soif. Mais le Seigneur répond à nos demandes selon notre mérite, et non pas selon notre souhait. Si, au lieu d'un désir personnel, nous n'avons que celui de plaire à Govinda, Sa grâce comblera tous nos voeux. A l'évidence, la compassion qu'éprouve Arjuna pour les membres de sa famille et de sa communauté, laquelle l'empêche de combattre, n'est qu'une manifestation de son profond amour pour eux. Comme tout le monde, Arjuna veut que sa gloire brille aux yeux de ses parents, de ses amis. Mais il craint de ne pas pouvoir la leur faire partager après la victoire s'ils meurent tous sur le champ de bataille. Ce calcul est typique de la vie matérielle; il n'a aucune place dans la vie spirituelle. Désirant combler les souhaits du Seigneur, le bhakta est prêt, en toutes circonstances, à suivre Sa volonté; il veut accepter tous les trésors du monde, si le Seigneur les lui donne, et les utiliser pour Le servir; mais il sera aussi satisfait de ne rien posséder si c'est Sa volonté. Pourtant, Arjuna refuse de tuer ses parents, et s'il faut absolument qu'ils périssent, il veut que Krsna Lui-même S'en charge. Il ignore que Krsna les a déjà tués, avant même qu'ils ne se rangent sur le champ de bataille, et que lui ne doit être que Son instrument, comme le Seigneur le lui révélera dans les chapitres qui suivent. Arjuna, pur dévot du Seigneur, n'a donc aucun désir d'exercer des représailles sur ses frères et cousins, malgré leur impiété. Cependant, leur mort fait partie du plan du Seigneur; en effet, si le bhakta ne tire jamais vengeance d'une injustice, le Seigneur, quant à Lui, ne tolère jamais qu'un mécréant offense Son serviteur. Il pardonne à qui L'offense personellement, mais n'excusera jamais celui qui s'attaque à Ses dévots. Bien qu'Arjuna veuille leur pardonner, le Seigneur, Lui, a décidé de tuer les impies.
VERSET 36
TRADUCTION Bien qu'ils soient nos agresseurs, si nous tuons nos amis et les fils de Dhrtaristra, nous serons la proie du péché; un tel crime serait Indigne de nous. Et de quel profit serait-il? 0 Krsna, Toi l'époux de la déesse de la fortune, comment pourrions-nous être jamais heureux après avoir tué ceux de notre lignage?
Il existe, selon les Vedas, six catégories d'agresseurs: i) celui qui empoisonne autrui; Tuer de tels agresseurs n'est pas un péché, mais un devoir qui ne souffre pas de délai. Mais s'il est naturel qu'un homme ordinaire suive cette règle, Arjuna, être d'exception, s'y refuse; vertueux de nature, il veut obéir à ses sages inclinations et agir saintement à l'égard de ses ennemis. Ce genre de sainteté, toutefois, ne convient pas à un ksatriya. Un chef d'Etat se doit d'être vertueux, mais non pas pour autant lâche. L'avatara Ramacandra, par exemple, était si pur que chacun désirait vivre dans Son royaume, le ramarajya. Cependant, jamais Il ne montra signe de couardise. Ravana L'avait agressé en enlevant Sa femme, Sita; Ramacandra lui donna une leçon sans pareille dans l'histoire du monde. Pour Arjuna, certes, il faut prendre en considération le caractère particulier de ses agresseurs: il s'agit de son propre grand-père, de son précepteur, de ses amis, de ses fils et petits-rils... Par suite, Arjuna pense ne pas devoir prendre contre eux les mesures sévères prescrites pour des agresseurs ordinaires. En outre les Ecritures enjoignent les saints hommes de toujours accorder le pardon, peu importe les circonstances. Il lui semble donc plus important de maintenir cette vertu que de tuer sa famille et ses compatriotes en obéissant à des impératifs politiques. Quel profit retirerait-il de leur mort? Après tout, les plaisirs de la royauté ne sont que matériels et, par suite, éphémères. Devra-t-il risquer sa vie et son salut éternel pour un si maigre profit? Arjuna vient ici de donner à Krsna le Nom très révélateur de Madhava, l'époux de la déesse de la fortune. Il veut faire remarquer à Krsna que Lui, l'époux de la déesse de la fortune, n'aurait pas dû s'engager dans un combat qui sera finalement cause de sa mauvaise fortune. Mais Krsna n'est jamais cause d'infortune pour quiconque, et bien moins encore pour ceux qui se sont entièrement voués à Lui.
VERSET 37-38
katham na jneyam asmabhih
TRADUCTION 0 Janardana, si, aveuglés par la convoitise, ces hommes ne voient aucun mal à détruire leur famille, nulle faute à se quereller avec leurs amis, pourquoi nous, qui voyons le péché, devrions-nous agir de même?
Le ksatriya ne peut refuser un défi au jeu ou au combat; Arjuna, mis au défi par le camp de Duryodhana, ne peut donc se dérober. Mais, pense-t-il, ses rivaux ne comprennent sans doute pas les conséquences néfastes d'un tel défi, que lui, par contre, est en mesure de voir, et pour cette raison, il refuse de combattre. Une obligation ne peut en effet nous lier que lorsqu'elle entrame des résultats positifs, et Arjuna ayant bien pesé le pour et le contre, décide de ne pas livrer bataille. |