Quatorzième.

Les trois gunas.




VERSET 11

sarva-dvaresu dehe 'smin
prakasa upajayate
jnanam yada tada vidyad
vivrddham sattvam ity uta

TRADUCTION

Quand par toutes les portes du corps pénètre le flot lumineux du savoir, alors on peut être assuré que la vertu croît en puissance.

TENEUR ET PORTEE

Il est neuf portes dans le corps: deux yeux, deux oreilles, deux narines, une bouche, un orifice génital et un anus. Quand chacune de ces portes est illuminée par le signe de la vertu, on doit comprendre que l'être se situe sous la vertu. Celui que gouverne ce guna peut voir, entendre et goûter les choses telles qu'elles sont. Sous la vertu, l'homme est lavé de toute souillure, interne ou externe. A chaque porte de son corps se manifestent les symptômes du bonheur: telle est la vertu.

VERSET 12

lobhah pravrttir arambhah
karmanam asamah sprha
rajasy etani jayante
vivrddhe bharatarsabha

TRADUCTION

Quand grandit la Passion, ô meilleur des Bharatas, alors grandissent avec elle les signes de grand attachement, de désirs incontrôlables, d'aspirations ardentes et d'efforts intenses.

TENEUR ET PORTEE

Celui que domine la passion n'est jamais satisfait de la position qu'il a atteinte, il aspire toujours à une situation meilleure. Voulant une maison, il se fera bâtir un "palais", comme s'il allait y vivre pour l'éternité. Son désir de jouir par les sens est ardent. Mais les sens sont insatiables. L'homme de passion désire toujours rester avec sa famille, dans sa demeure, et poursuivre sa recherche des plaisirs matériels. Cette recherche, cependant, ne s'achève jamais. Tels sont, sachons-le, les symptômes de la passion.

VERSET 13

aprakaso ’pravrttis ca
pramado moha eva ca
tamasy etani jayante
vivrddhe kuru-nandana

TRADUCTION

Et quand monte l'ignorance, ô fils de Kuru, alors naissent les ténèbres, l'inertie, la démence et l'illusion.

TENEUR ET PORTEE

Sans illumination, point de connaissance. Celui qu'enveloppe l'ignorance ne suit, dans ses actes, aucun principe régulateur; il agit par caprice, sans aucun but. Bien qu'apte à travailler, il refuse d'en faire l'effort. Telle est l'illusion. Malgré la présence en lui de la conscience, toute sa vie est inactive. Tels sont les signes marquant celui que couvre l'ignorance.

VERSET 14

yada sattve pravrddhe tu
pralayam yati deha-bhrt
tadottama-vidam lokan
amalan pratipadyate

TRADUCTION

Qui meurt sous la vertu gagne les planètes supérieures, les planètes pures oú vivent les grands sages.

TENEUR ET PORTEE

Celui que gouverne la vertu s'élève aux systèmes planétaires supérieurs, tels que Brahmaloka, Janaloka.... où il jouit d'un bonheur céleste. Ici, remarquons l'importance du mot amalan: il signifie "libre de la passion et de l'ignorance". L'univers matériel est toujours impur, mais vivre sous la vertu y représente la forme d'existence la plus pure. Il existe différentes sortes de planètes, pour différentes sortes d'êtres. Ceux qui meurent dans la vertu sont élevés aux planètes où vivent les grands sages et les grands bhaktas.

VERSET 15

rajasi pralayam gatva
karma-sangisu jayate
tatha pralinas tamasi
mudha-yonisu jayate

TRADUCTION

Qui meurt sous la passion renaît parmi les hommes qui se vouent à l'action intéressée. Et qui meurt sous l'ignorance renaît dans le monde des bêtes.

TENEUR ET PORTEE

Certains croient qu'une fois parvenue à la forme humaine, l'âme incarnée ne peut retomber à des espèces plus basses. Mais c'est là une erreur, car selon notre verset, l'homme qu'enveloppe l'ignorance devra, après la mort, choir dans les espèces animales, d'où il lui faudra à nouveau s'élever jusqu'à la forme humaine, en passant par diverses espèces, selon les cycles de l'évolution. Aussi, les hommes qui considèrent vraiment avec sérieux leur forme humaine doivent se placer sous la vertu, et là, grâce à la compagnie d'âmes élevées, dépasser les trois gunas, et s'établir dans la conscience de Krsna, but ultime de la vie humaine. Sinon, rien ne peut leur assurer d'obtenir encore, dans leur existence future, un corps humain.

VERSET 16

karmanah sukritasyahuh
sattvikam nirmalam phalam
rajasas tu phalam duhkham
ajnanam tamasah phalam

TRADUCTION

Il est dit que les actes accomplis sous l'égide de la vertu entraînent la purification de leur auteur; sous l'influence de la passion, la détresse, et sous l'ignorance, la sottise.

TENEUR ET PORTEE

Les actes relevant de la vertu purifient leur auteur; aussi les sages, libres de toute illusion, connaissent-ils l'état de bonheur. Les actes qui relèvent de la passion, eux, n'entraînent que souffrance. En fait, tout acte visant au bonheur matériel est voué à l'échec. Si, par exemple, un homme d'affaires désire construire un gratte-ciel, il lui faudra pour cela imposer mainte souffrance à nombre d'hommes. Le financier devra, à grand-peine, amasser les fonds nécessaires, et les ouvriers, comme des esclaves, se soumettre au dur labeur que représente la construction. Ainsi donc, par son seul désir de trouver la prospérité matérielle, cet homme pourra infliger, à lui et aux autres, tant de peine. La Bhagavad-gita confirme par ailleurs que toute activité accomplie sous le signe de la passion entraîne toujours de grandes souffrances. On peut y trouver une certaine satisfaction, née du mental, à la pensée qu'on possède telle somme d'argent ou telle demeure, mais il ne s'agit certes pas là de la vraie satisfaction, du vrai bonheur. Quant aux actes relevant de l'ignorance, puisque leur auteur est dépourvu de toute connaissance, ils n'engendrent, dans l'immédiat, que le malheur, et, dans le futur, la chute parmi les espèces animales. Bien que les bêtes, placées sous l'influence de maya, n'en soient pas conscientes, leur vie est toujours misérable. Relève de l'ignorance, également, l'abattage des animaux. Les hommes qui participent à cet abattage ignorent que dans une vie future, les animaux que maintenant ils massacrent obtiendront un corps qui leur rendra possible de les tuer à leur tour. Telle est la loi de la nature. Nous voyons bien que, selon la loi des Etats, un meurtrier doit être condamné à mort. En raison de leur ignorance, les hommes ne peuvent percevoir que l'univers matériel entier constitue un Etat, dont le Seigneur Suprême est le maître. Chaque être créé est fils du Seigneur, qui ne tolère pas même le meurtre d'une fourmi. Pour un tel acte, par la loi du Seigneur, il faudra payer. Aussi, s'adonner à l'abattage des animaux pour le seul plaisir de la langue, représente la forme d'ignorance la plus grossière. L'homme n'a aucun besoin de tuer des bêtes pour se nourrir, car Dieu lui donne dans ce but toutes sortes de délicieux aliments. Celui qui, malgré cela, persiste à consommer de la viande, agit sous l'empire de l'ignorance et se prépare un futur des plus sombres. De tous les abattages d'animaux, celui de la vache est le plus ignoble, car la vache, en donnant son lait, nous procure tant de satisfactions; la tuer, c'est commettre un acte relevant de la plus profonde ignorance. On trouve, dans les Ecrits védiques, les mots gobhih prinita-matsaram: ils indiquent que celui qui, pleinement satisfait du lait de la vache, désire tout de même la tuer, baigne dans la plus profonde ignorance. Toujours dans les Ecrits védiques, cette prière:

"0 Seigneur, Tu es l'ami bienveillant des vaches et des brahmanas, de l'humanité et du monde entier."
Elle souligne l'importance que revêt la protection des vaches et des brahmanas. Les brahmanas symbolisent l'éducation spirituelle, et la vache, par le lait qu'elle donne, est le symbole du plus précieux des aliments. On doit donc leur assurer, à tous deux, entière protection: tel est le vrai signe d'une civilisation avancée. Dans le monde moderne, l'éducation spirituelle est négligée, l'abattage de la vache encouragé. Il est alors facile de comprendre que l'humanité progresse dans le mauvais sens, se frayant un chemin vers sa propre condamnation. Une civilisation qui conduit les citoyens à renaître, dans leur prochaine vie, parmi les espèces animales, ne mérite certes pas le nom de civilisation humaine. Mais bien sûr, la civilisation moderne se trouve bassement régie par la passion et l'ignorance. Notre âge foisonne de dangers, et les dirigeants de toutes nations devraient donc offrir à leurs concitoyens la conscience de Krsna, méthode la plus simple pour sauver l'humanité entière du pire des dangers.

VERSET 17

sattvat sanjayate jnanam
rajaso lobha eva ca
pramada-mohau tamaso
bhavato ’jnanam eva ca

TRADUCTION

De la vertu naît le savoir véritable, et de la passion l'avidité. La folie et la sottise, l'illusion aussi, viennent de l'ignorance.

TENEUR ET PORTEE

Parce que la civilisation d'aujourd'hui ne répond pas vraiment à la nature de l'être, la conscience de Krsna est recommandée pour elle. Par la conscience de Krsna, 1a société progressera vers la vertu. Alors, quand elle aura développé la vertu, ses membres verront les choses telles qu'elles sont. Quand l'ignorance domine, au contraire, les hommes restent au niveau animal, et sont incapables de voir les choses dans leur juste relief. Ils ne peuvent, par exemple, saisir qu'en abattant un animal, ils risquent de se faire tuer, dans leur prochaine existence, par ce même animal. Parce qu'ils ne reçoivent aucune véritable connaissance, ils deviennent irresponsables. Et pour que cesse cette inconscience, il devient impérieux d'établir, dans la société, un système d'éducation pour que se développe, en chacun, la vertu. Alors, tous, ayant une pleine connaissance des choses telles qu'elles sont, trouveront sobriété, bonheur et prospérité. Et bien que la majorité des hommes soient pauvres et malheureux, si quelques-uns seulement développent la conscience de Krsna et s'établissent dans la vertu, la paix et la prospérité deviendront réalisables, par eux, en tous les lieux du monde, chose impossible, d'autre part, si le monde se voue à la passion et à l'ignorance.

Les êtres que domine la passion deviennent avides, et leur désir de jouir des sens est ardent, sans mesure. Mais on peut voir sans mal que tout l'argent et tous les plaisirs du monde n'apportent ni le bonheur ni la paix mentale, que nul d'ailleurs ne connaîtra tant qu'il demeure sous l'influence de la passion. Si un homme aspire vraiment au bonheur, son argent ne lui sera certes d'aucune aide; il lui faut s'élever au niveau de la vertu, par la pratique de la conscience de Krsna. Et non seulement celui que domine la passion est-il malheureux en son mental, mais son travail, ses occupations, lui sont également pénibles. Il doit, afin d'acquérir assez d'argent pour maintenir sa position dans la société, élaborer des projets innombrables, s'immiscer en d'innombrables intrigues. Sa vie entière est misérable.

Ceux qu'enveloppe l'ignorance, quant à eux, deviennent fous. Parce que leur situation les jette dans la détresse, il se réfugient dans les intoxicants, et ainsi s'enfoncent davantage dans l'ignorance. Très sombre est leur futur.

VERSET 18

urdhvam gacchanti sattva-stha
madhye tisthanti rajasah
jaghanya-guna-vrtti-stha
adho gacchanti tamasah

TRADUCTION

Ceux que gouverne la vertu peu à peu s'élèvent jusqu'aux planètes supérieures, ceux que domine la passion demeurent sur les planètes moyennes, terrestres, et ceux qu'enveloppent l'ignorance choient dans les mondes infernaux.

TENEUR ET PORTEE

Ce verset décrit plus explicitement les fruits qu'apportent les actes accomplis sous l'influence des différents gunas. Il existe un système planétaire supérieur, constitué des planètes édéniques, où les êtres sont tous très évolués. Et selon le degré de vertu qu'il a su développer en lui, l'homme peut être promu sur telle ou telle de ces planètes. La plus haute d'entre elles s'appelle Satyaloka, ou Brahmaloka; c'est là que réside Brahma, le premier être de cet univers. Nous avons déjà vu combien il est difficile d'imaginer les merveilleuses conditions de vie qu'on trouve sur Brahmaloka, mais la plus haute forme d'existence, l'état de la vertu, peut cependant nous élever à une telle vie, sur la planète de Brahma.

La passion, située entre la vertu et l'ignorance, reçoit une teinture des deux. Un être est rarement gouverné par un guna pur, sans reflet des deux autres; mais admettons qu'un homme soit dominé par la seule passion: son destin serait de rester sur cette Terre, comme roi ou personnage riche. Mais parce que l'ignorance peut se mêler à la passion, l'homme de passion pourra également choir. D'autre part, les habitants de la Terre, dominés par la passion ou l'ignorance, ne peuvent atteindre aux planètes supérieures par la seule force de leurs moyens mécaniques. Un autre reflet de la passion est qu'elle peut conduire un être à la démence dans sa prochaine vie.

Le plus bas des gunas, l'ignorance, se trouve ici décrit comme abominable. L'accroissement de l'influence de ce guna représente un très grand risque, celui de choir dans les conditions horribles que subissent les huit millions d'espèces inférieures à l'homme: oiseaux, bêtes, reptiles, arbres, etc. Et l'homme tombe dans ces conditions selon le degré d'ignorance qui s'est développé en lui. Le mot tamasah, dans ce verset, est lourd de sens: il désigne ceux qui restent toujours sous l'emprise de l'ignorance, sans jamais s'élever à un guna supérieur. Leur futur n'est que ténèbres.

Il est une voie qui peut mener à la vertu les hommes que gouvernent la passion et l'ignorance, et cette voie s'appelle la conscience de Krsna. Celui qui la refuse devra croupir dans les gunas inférieurs.

VERSET 19

nanyam gunebhyah kartaram
yada drastanupasyati
gunebhyas ca param vetti
mad-bhavam so ’dhigacchati

TRADUCTION

Quand on voit, dans tout acte, que rien n'échappe aux trois gunas, mais que Moi, le Seigneur Suprême, les transcende, alors on peut connaître Ma nature spirituelle.

TENEUR ET PORTEE

Apprendre de façon appropriée, c'est-à-dire des lèvres de personnes qualifiées, à comprendre l'action des trois gunas, suffit pour les transcender. Krsna est le vrai maître spirituel, et Il transmet ce savoir absolu à Arjuna. De même, il nous faut apprendre la science des actes selon les divers gunas, des lèvres de bhaktas tout à fait établis dans la conscience de Krsna. A défaut, notre vie ne pourra qu'être mal orientée. En acceptant l'instruction d'un maître spirituel authentique, l'homme se prépare à connaître sa nature spirituelle, son corps matériel, ses sens; il saura comment il est prisonnier de ce monde et retenu sous l'emprise des trois gunas. Dominé par eux, il est sans recours; mais qu'il comprenne sa véritable nature, et, prêt pour la vie spirituelle, il pourra atteindre le niveau absolu, au-delà des gunas. En réalité, l'être conditionné n'est pas vraiment l'auteur de ses actes. Il se trouve contraint d'agir, par le fait qu'il possède un corps spécifique, régi par une combinaison particulière des gunas. C'est seulement au contact du maître spirituel authentique, par sa grâce, que l'homme peut comprendre sa position réelle, et là, se fixer dans la conscience de Krsna. Le bhakta, établi dans la conscience de Krsna, n'est pas soumis à l'emprise des gunas. Nous avons vu, au septième chapitre, que celui qui s'abandonne à Krsna est soulagé du fardeau des influences de la nature matérielle. Ainsi, pour l'être qui commence à voir les choses telles qu'elles sont, l'influence des trois gunas s'évanouit peu à peu.

VERSET 20

gunan etan atitya trin
dehi deha-samudbhavan
janma-mrityu-jara-duhkhair
vimukto ’mrtam asnute

TRADUCTION

Quand l'être incarné se trouve capable de dépasser les trois gunas, il s'affranchit de la naissance, de la mort, de la vieillesse, ainsi que des souffrances qu'elles engendrent. Il peut dès lors jouir d'ambroisie, en cette vie même.

TENEUR ET PORTEE

Comment, même en ce corps, se situer au niveau spirituel et absolu, dans la pure conscience de Krsna, notre verset l'explique. Le mot sanskrit dehi signifie "incarné". Bien qu'encore incarné, l'homme peut, en cultivant le savoir spirituel, s'affranchir de l'influence des trois gunas. Même en ce corps, il peut jouir du bonheur de la vie spirituelle, car, après avoir quitté ce corps, il est assuré d'atteindre le monde spirituel. En d'autres termes, comme l'enseignera le dix-huitième chapitre, on reconnaît l'homme libéré de l'emprise des gunas à ce qu'il est établi dans le service de dévotion, la conscience de Krsna. En effet, quand on est affranchi des trois gunas, on adopte le service de dévotion, la conscience de Krsna.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare