Seizième Chapitre.

Natures divines et démoniaques.




VERSET 11-12

cintam aparimeyam ca
pralayantam upasritah
kamopabhoga-parama
etavad iti niscitah

asa-pasa-satair baddhah
kama-krodha-parayanah
ihante kama-bhogartham
anyayenartha-sancayan

TRADUCTION

Jouir des sens jusqu'au dernier moment, tel est, croient-ils, l'impératif majeur pour l'homme. Aussi leur angoisse ne connaît-elle pas de fin. Enchaînés par des centaines, par des milliers de désirs, par la concupiscence et la colère, ils entassent des richesses par voies illicites, pour satisfaire l'appétit de leurs sens.

TENEUR ET PORTEE

Le plaisir des sens représente, pour les êtres démoniaques, le but ultime de la vie, auquel ils s'accrochent jusqu'à l'instant de la mort. Ils ne croient pas en la vie après la mort, ni que l'être doive revêtir différentes sortes de corps, déterminés par son karma, ses actes en ce monde. Leurs projets pour l'avenir, qu'un après l'autre sans se lasser ils élaborent, n'aboutissent jamais. Nous avons nous-mêmes connu un tel homme qui, à l'instant même de mourir, demanda à son médecin de prolonger sa vie de quatre années, pour qu'il puisse achever la réalisation de ses projets. Cet insensé ignorait, comme ses semblables, qu'un médecin n'a pas le pouvoir de prolonger la vie, fût-ce d'un seul instant. Quand vient le temps de la mort, les désirs du mourant n'entrent pas en considération. Les lois de la nature ne lui accordent pas une seconde au-delà du temps dont il devait jouir.

L'homme démoniaque, sans foi en Dieu, sans foi en l'Ame Suprême qui l'habite, s'adonne à toutes sortes d'actes coupables dans le seul but de jouir des sens. Il ne sait pas que dans son coeur se trouve un témoin: l'Ame Suprême, qui observe l'âme distincte en ses actes. Comme l'enseignent les Ecritures védiques, et plus précisément les Upanisads, deux oiseaux sont perchés sur un arbre: l'un, actif, jouit ou souffre des fruits de l'arbre, l'Autre l'observe. Mais l'être de nature démoniaque n'a aucune connaissance des Ecrits védiques, pas plus qu'il n'y attache foi; il se sent donc libre d'agir à sa guise pour la satisfaction de ses sens, et peu lui importent les conséquences de tels actes.

VERSET 13/15

idam adya maya labdham
imam prapsye manoratham
idam astidam api me
bhavisyati punar dhanam


asau maya hatah satrur
hanisye caparan api
isvaro ’ham aham bhogi
siddho ’ham balavan sukhi

adhyo ’bhijanavan asmi
ko ’nyo ’sti sadrso maya
yaksye dasyami modisya
ity ajnana-vimohitah

TRADUCTION

Telle est la pensée de l'homme démoniaque: "Tant de richesses sont aujourd'hui miennes, et par mes plans, davantage encore viendront. Je possède aujourd'hui tant de choses, et demain plus et plus encore! Cet homme était de mes ennemis, et je l'ai tué; à leur tour, je tuerai les autres. De tout je suis le seigneur et le maître, de tout le bénéficiaire. Moi parfait, moi puissant, moi heureux, moi le plus riche, et entouré de hautes relations. Nul n'atteint ma puissance et mon bonheur. J'accomplirai des sacrifices, ferai la charité, et par là me réjouirai". C'est ainsi que le fourvoie l'ignorance.

VERSET 16

aneka-citta-vibhranta
moha-jala-samavrtah
prasaktah kama-bhogesu
patanti narake ’sucau

TRADUCTION

Confondu par des angoisses multiples et pris dans un filet d'illusions, il s'attache par trop au plaisir des sens, et sombre en enfer.

TENEUR ET PORTEE

L'homme démoniaque désire s'enrichir à l'infini. Il absorbe ses pensées en des estimations quant à sa richesse présente, et intrigue pour la faire fructifier, sans fin. Dans ce but, il n'hésite pas à agir par des voies coupables, comme se livrer à des marchés clandestins, prometteurs de plaisirs illicites. Il est épris des biens que déjà il possède: la famille, les terres, la demeure, le compte en banque, et projette sans cesse de les faire croître en nombre ou en valeur. Il n'a foi qu'en son propre pouvoir, et ignore que tous ses biens sont le fruit d'actes vertueux accomplis dans le passé. Il ne conçoit nullement les causes lointaines qui lui permettent aujourd'hui d'accumuler tant de biens, mais croit qu'ils résultent de ses propres efforts. Ainsi l'homme démoniaque croit en la force de son œuvre personnelle, mais non en la loi du karma. Selon cette loi, on ne naît dans une famille noble, on ne devient riche, on ne reçoit une bonne éducation, on ne jouit d'une grande beauté, qu'en raison d'actes vertueux accomplis dans le passé. Mais l'homme démoniaque croit qu'ils résultent de ses propres efforts. Ainsi, l'homme démoniaque pense que tout cela arrive fortuitement, ou par la force de ses propres capacités. Il ne conçoit aucune intelligence à l'arrière-plan des variétés de peuples, de la beauté, de l'éducation. Quiconque entre en compétition avec lui devient son ennemi. Nombreux sont les hommes démoniaques, et chacun est un ennemi pour les autres. Cette hostilité gagne en amplitude: elle s'établit d'abord entre personnes, puis entre familles, puis entre sociétés, enfin entre nations. Aussi le monde est-il tout entier le théâtre de conflits perpétuels, de guerres, d'hostilités.

Chacun de ces êtres démoniaques se croit permis de vivre aux dépens d'autrui. En général, ils se prennent pour Dieu, l'Etre Suprême, et l'on entend des prédicateurs démoniaques haranguer ainsi leurs disciples: "Pourquoi cherchez-vous Dieu partout ailleurs? Tous, vous êtes Dieu! Libre à vous d'agir à votre guise. Ne croyez pas en un autre Dieu. Débarrassez-vous de Dieu. Dieu est mort." Telles sont les prédications des hommes démoniaques.

Un être démoniaque peut voir nombre d'hommes aussi riches et aussi puissants, ou influents que lui, ou plus encore; il n'en continuera pas moins de croire que nul ne l'égale en richesse et en puissance. Pour ce qui est de s'élever aux systèmes planétaires supérieurs, il ne croit pas en l'accomplissement de yajnas, ou sacrifices. Il pense qu'en inventant sa propre méthode de yajna et en mettant au point quelque engin, il accédera à la planète supérieure qu'il a choisie. Le meilleur exemple d'un tel homme fut Ravana. Il offrit aux peuples d'ériger un escalier gigantesque jusqu'aux planètes édéniques, afin de permettre à n'importe qui de les atteindre sans avoir à accomplir de sacrifices, tels qu'en prescrivent les Vedas. Marchant sur ses traces, les hommes de nature démoniaque s'efforcent aujourd'hui d'atteindre les systèmes planétaires supérieurs par des voies mécaniques. Ils illustrent bien la confusion, l'égarement dont parle notre verset. Ils glissent par là, sans même le savoir, vers les régions infernales. Arrêtons-nous sur les mots moha-jala. Jala, en effet, signifie "filet": pareils à des poissons pris dans un filet, les hommes démoniaques ne peuvent, par aucun moyen, échapper aux illusions qui les enveloppent.

VERSET 17

atma-sambhavitah stabdha
dhana-mana-madanvitah
yajante nama-yajnais te
dambhenavidhi-purvakam

TRADUCTION

Vain de lui-même, toujours arrogant, égaré par la richesse et la fatuité, il accomplit parfois des sacrifices; mais hors de tout principe et de toute règle, ceux-ci n'en peuvent porter que le nom.

TENEUR ET PORTEE

Les hommes démoniaques accomplissent parfois quelque pseudo-rite religieux ou sacrificiel, en se regardant eux-mêmes comme tout ce qui est, sans aucun souci des enseignements des autorités en la matière ou des Ecritures. Leur refus d'accepter toute autorité spirituelle leur est occasion d'arrogance. Tel est le fruit illusoire qu'engendrent l'accumulation des richesses et la fatuité. Ces hommes démoniaques empruntent parfois le rôle de prédicateurs; ils égarent les foules, et on les célèbre comme réformateurs religieux ou manifestations divines. Ils feignent, avec ostentation, d'accomplir des sacrifices, rendent un culte aux devas, ou se forgent leur propre Dieu. Les masses les proclament eux-mêmes Dieu et les adorent; les sots les tiennent pour avancés dans les principes religieux, dans les principes du savoir spirituel. Ils endossent l'habit du sannyasi et s'y livrent à toutes sortes d'actes ineptes. Ils ne prennent pas du tout garde aux restrictions que doit faire siennes le vrai sannyasi, celui qui a renoncé au monde. Ils tiennent pour assuré que toute voie que chacun peut s'inventer représente pour lui la bonne voie; qu'au contraire, il n'existe rien de semblable à une voie établie que tous doivent suivre. Les mots avidhi-purvakam, dans ce verset, soulignent tout particulièrement l'indifférence de ces hommes démoniaques à l'égard de toute règle, de tout principe. A l'origine de cette indifférence, on trouve toujours ignorance et illusion.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare