Deuxième chapitre.
Aperçu de la Bhagavad-gita.
VERSET 6
na caitad vidmah kataran no gariyo yad va jayema yadi va no jayeyuh yan eva hatva na jijivisamas te ’vasthitah pramukhe dhartarastrah
TRADUCTION Je ne sais s'il est plus juste de les vaincre ou d'être par eux vaincus. Voici les fils de Dhrtarastra en ligne devant nous sur ce champ de bataille: leur mort nous ôterait le goût de vivre.
Bien que le devoir du ksatriya soit de combattre, Arjuna doute. Faut-il lutter, risquer d'inutiles violences, ou s'en abstenir et vivre de mendicité, seul moyen d'existence qui lui resterait alors ? Il n'est, d'autre part, nullement certain de remporter la victoire, car les deux camps sont d'égale valeur. Et même si la victoire attend les Pandavas, dont la cause est parfaitement juste, quelle douleur que de vivre en un monde d'où sont partis les fils de Dhrtarastra. Si tous mouraient dans la bataille, la victoire serait une défaite. Ces réflexions d'Arjuna prouvent bien, non seulement qu'il est un très grand dévot du Seigneur, mais en outre qu'il est illuminé par la connaissance spirituelle et possède une maîtrise parfaite de son mental et de ses sens. Son désir de vivre en mendiant, bien que né de sang royal, est un autre signe de son détachement. Sa vertu est authentique, et raffermie encore par sa confiance en l'enseignement de son maître spirituel, Krsna. Arjuna est donc parfaitement digne d'être libéré de la matière. Sauf s'il se rend maître de ses sens, l'homme ne peut s'élever au niveau de la connaissance; et à moins de posséder connaissance et dévotion, il lui est impossible d'atteindre la libération *. Or, Arjuna possède, en plus de ses mérites matériels, toutes ces qualités spirituelles.
karpanya-dosopahata-svabhavah prcchami tvam dharma-sammudha-cetah yac chreyah syan niscitam bruhi tan me shishyas te ’ham sadhi mam tvam prapannam
TRADUCTION La défaillance m'a fait perdre tout mon sang-froid; je ne vois plus où est mon devoir. Indique-moi clairement la voie juste. Je suis à présent Ton disciple et m'en remets à Toi; éclaire-moi, je T'en prie.
Le labyrinthe des actions matérielles, régies par les lois de la nature, laisse l'homme perplexe. Chaque pas dans la vie soulève en lui de nouvelles interrogations; aussi est-il nécessaire d'entrer en contact avec un acarya, un maître spirituel authentique, capable de nous aider à remplir la mission de notre existence. Tous les Ecrits védiques nous conseillent d'approcher un tel maïtre, pour nous libérer de l'embarras qui, contre notre gré, nous trouble, comme un feu de forêt jaillit soudain, sans que personne l'ait allumé ni voulu. La vie en ce monde, en effet, nous accable, de façon imprévue et contre notre désir, par toutes sortes de confusions. Les Ecrits védiques nous conseillent donc de chercher la clé de nos problèmes auprès d'un maître spirituel appartenant à une filiation authentique, et de travailler à parfaitement comprendre la science qu'il nous présente. Le maître spirituel peut donner à son disciple la connaissance parfaite; aussi, plutôt que de rester perplexe et confus devant les problèmes de l'existence, faut-il lui demander son aide. Telle est la teneur de ce verset.
Qui la nature matérielle rend-elle perplexe? Tous ceux qui ignorent les vrais problèmes de l'existence. La Garga Upanisad les décrit de cette façon: "Il est un "avare", celui qui, trahissant sa nature humaine, quitte ce monde comme le ferait un chat ou un chien, sans avoir résolu les problèmes de la vie et sans avoir compris la science de la réalisation spirituelle." (1)
(1) yo vd etad aksaram gargy aviditvasmal tokat praiti sa krpanab En effet, l'existence dans un corps humain est un avantage très précieux, et vivre sans en tirer parti, c'est faire comme l'avare, qui ne sait pas profiter de son bien. Au contraire, le brahmana use intelligemment de son corps en s'en servant pour résoudre les problèmes que la vie lui fait confronter. Les krpanas, les "avares", ont une perspective de la vie purement matérielle et se perdent dans une affection excessive pour leur famille, leur société, leur patrie.... attachés qu'ils sont, par les liens de la chair, à leur femme, à leurs enfants, à leurs proches. Le krpana pense qu'il peut sauver les membres de sa famille de la mort et que ceux-ci, ou bien l'Etat, lui rendront la pareille. Cet attachement existe aussi chez les animaux, qui prennent très grand soin de leurs petits. Arjuna, dont l'esprit est éveillé, peut comprendre que son affection pour les membres de sa famille et son désir de les protéger de la mort sont les vraies causes de sa perplexité. Il n'ignore pas que son devoir de guerrier l'attend, mais une faiblesse mesquine l'empêche de le remplir. C'est pourquoi il demande au maître spirituel suprême, à Krsna, de lui donner une solution définitive. Les propos qu'échangent un maître et son disciple sont toujours sérieux; il s'offre donc à Lui comme Son disciple, désireux de remplacer les conversations amicales par un échange sérieux avec le maître spirituel qu'il s'est choisi. De cette manière, Krsna fut le premier maître à enseigner la science de la Bhagavad-gita et Arjuna, le premier disciple, maître dans l'art de la comprendre. On trouve dans la Bhagavad-gita elle-même les qualités qui permettent à Arjuna d'en saisir le message; pourtant, certains "érudits" proclament qu'il est inutile de s'abandonner à Krsna en tant que Personne, et professent la soumission au "non-né dont Krsna est la manifestation externe". Mais dans la Personne de Krsna, aucune différence n'existe entre l'intérieur et l'extérieur. Il est donc vain, et dépourvu de sens, d'essayer d'approfondir la Bhagavad-gita si l'on ne saisit pas cette vérité primordiale.
na hi prapasyami mamapanudyad yac chokam ucchosanam indriyanam avapya bhumav asapatnam rddham rajyam suranam api cadhipatyam
Ce qui pourrait chasser la douleur qui m'accable, je ne le vois pas. Nul apaisement pour moi, même si, tel un deva dans le ciel, je régnais ici-bas sur un royaume sans pareil.
Beaucoup des arguments d'Arjuna, se fondent sur les principes religieux et les codes moraux, mais il est clair qu'il ne peut résoudre son véritable problème sans l'aide de son maître spirituel, Sri Krsna. Tout son prétendu savoir ne lui est d'aucune aide en cette situation critique, où il se sent perdre le goût de vivre. Les avantages que peuvent nous procurer le savoir académique, l'érudition, le prestige, etc., ne nous sont d'aucune utilité face aux problèmes de la vie; seul un maître spirituel comme Krsna peut nous porter secours. Le maître spirituel pleinement conscient de Krsns est donc le maître parfait, puisqu'il peut résoudre tous les problèmes de l'existence. Sri Caitanya Mahaprabhu définit d'ailleurs le vrai maître spirituel en ces termes: "Que l'on soit vipra (érudit imprégné de la sagesse védique), que l'on soit issu d'une humble famille ou que l'on ait adopté l'ordre du renoncement, peu importe; si l'on est maître dans la science de Krsna , on devient, par là même, un maître spirituel parfait et authentique." Et inversement, nul ne peut prétendre être maître spirituel à moins d'avoir maîtrisé la science de Krsna. Les'Ecrits védiques enseignent également:
"Même s'il est un brahmana érudit, savant dans tous les domaines du savoir védique, un homme ne peut devenir maître spirituel à moins d'être un vaisnava, c'est-à-dire à moins de connaître parfaitement la science de Krsna. Mais le vaisnava, l'homme conscient de Krsna, peut devenir maître spirituel même s'il est issu d'une classe sociale inférieure." (2) Le progrès et la prospérité matériels ne peuvent nous permettre de vaincre les problèmes de l'existence, soit la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort. Dans les Etats "développés", dont l'économie en plein essor offre aux citoyens toutes les facilités, les problèmes sont les mêmes que partout ailleurs. On y recherche la paix dans différentes voies, mais en vain. Les sociétés n'atteindront et ne connaîtront le vrai bonheur que si elles cherchent l'aide de Krsna, de Son enseignement (la Bhagavad-gita et le Srimad-Bhagavatam), ou de Son représentant authentique, l'homme conscient de Krsna. Certains prétendent que l'essor économique et le confort matériel peuvent nous sauver des angoisses qu'engendrent la famille, la société, la nation, et l'appartenance à l'humanité en général. S'il en est ainsi, quel sens ont les paroles d'Arjuna quand il dit qu'un royaume sans pareil sur la Terre, une souveraineté comme celle des devas sur les planètes édéniques*, ne sauraient apaiser sa douleur? Aussi cherche-t-il refuge dans la conscience de Krsna, seule voie vers la paix et l'harmonie. L'économie florissante d'un pays comme sa suprématie dans le monde peuvent s'évanouir à tout moment sous le coup d'un cataclysme naturel; et la place acquise sur une autre planète, fût elle plus évoluée que la nôtre, comme la lune, que l'homme s'efforce maintenant d'atteindre, peut aussi nous être arrachée d'un coup. La Bhagavad-gita le confirme: épuisés les plaisirs qui suivent ses actes vertueux, l'homme doit sombrer du plus haut bonheur à la plus profonde déchéance. (1) Nombreux sont les grands hommes politiques qui tombent ainsi, trouvant par là de nouvelles occasions de se lamenter. Il faut chercher refuge auprès de Krsna, comme ici Arjuna, si l'on veut mettre fin à la lamentation. C'est à Krsna qu'il s'adresse pour résoudre son problème de façon décisive, et s'abandonner ainsi au Seigneur est le principe même de la conscience de Krsna.
Sanjajaya dit:
Dhrtarastra est certainement très satisfait d'apprendre qu'Arjuna, au lieu de combattre, s'apprête à quitter le champ de bataille pour mener une vie mendiante; mais en même temps, grand est son désappointement lorsqu'il entend Sanjaya nommer Arjuna "Parantapa", "celui qui a le pouvoir de tuer ses ennemis". L'affection pour sa famille a plongé Arjuna dans une douleur irraisonnée; pourtant, même dans sa détresse, il a su se livrer à Krsna, devenant ainsi le disciple du maître spirituel suprême. Cet abandon à Krsna laisse prévoir la fin prochaine de ses lamentations, car la connaissance parfaite de Dieu, la conscience de Krsna , l'emplira bientôt de lumière. Nous savons ainsi, dès à présent, que Dhrtarastra verra ses espoirs s'évanouir, car Arjuna, éclairé par Krsna, se battra jusqu'au bout. (1) kiba vipra, kiba nyasi, sudra kene naya
(2) sat-karma-nipuno vipro mantra-tantra-visaradah
tam uvaca hrishikeshah prahasann iva bharata senayor ubhayor madhye visidantam idam vacah
0 descendant de Bharata, Krsna, souriant, S'adresse alors, entre les deux armées, au malheureux Arjuna.
Ce dialogue se tient entre deux amis intimes: Hrsikesa et Gudakega. Ils sont amis, et donc de position égale, mais l'un est devenu volontairement l'élève de l'Autre. Krsna sourit en voyant que Son ami a choisi de devenir Son disciple. Il est le Seigneur de tous, le Suprême, mais accepte comme tel celui qui désire être Son ami, Son fils, Son amour ou Son serviteur. Il accède même aux désirs de ceux qui veulent que Lui, Krsna, joue l'un de ces rôles. Arjuna vient ici de reconnaître Krsna comme son maître, et Krsna en assume immédiatement le rôle, lui parlant comme un maître à son disciple, avec la gravité qui convient à la situation. Maître et disciple échangent ces mots en présence des guerriers des deux camps, afin que tous en reçoivent les bienfaits. Car, les enseignements donnés dans la Bhagavad-gita ne sont pas réservés à une personne, un groupe, une société ou une communauté particulière, mais sont destinés à tous. Amis et ennemis, tous y ont également droit.
Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare |