Deuxième chapitre.

Aperçu de la Bhagavad-gita.




VERSET 56

duhkhesv anudvigna-manah
sukhesu vigata-sprhah
vita-raga-bhaya-krodhah
sthita-dhir munir ucyate

TRADUCTION

Celui que les trois formes de souffrance ici-bas n'affectent plus, que les joies de la vie n'enivrent plus, qu'ont quitté l'attachement, la crainte et la colère, celui-là est tenu pour un sage à l'esprit ferme.

TENEUR ET PORTEE

Muni désigne le "philosophe" qui rumine une foule d'hypothèses sans jamais aboutir à aucune conclusion réelle. Chaque muni a sa propre façon de voir les choses, et sous peine de n'être pas un vrai muni, il lui faut avoir une opinion différente de celles des autres munis. Mais le sthita-dhi-muni, dans ce verset, a une nature particulière: il est, lui, toujours conscient de Krsna; il en a fini avec la spéculation intellectuelle, il a dépassé ce stade pour en venir à la conclusion qu'il n'y a rien hors de Srî Krsna, Vasudeva, et son mental est toujours ferme. Un être aussi conscient de Krsna n'est en rien affecté par les trois sources de souffrance; il accepte l'affliction comme une miséricorde du Seigneur, se disant que, du fait de ses actes passés il mériterait de souffrir bien plus encore; il réalise que, par la grâce du Seigneur, ses peines sont réduites au minimum. Et dans ses moments de joie, il reconnaît la même miséricorde du Seigneur, se jugeant indigne d'être heureux; il voit que c'est par la seule grâce du Seigneur qu'il se trouve en des lieux favorables, qui lui permettent de Le mieux servir. Au service de Krsna, il demeure toujours audacieux et actif, sans attachement ni aversion. L'attachement se manifeste lorsqu'on utilise les choses pour son propre plaisir, et le détachement gît dans l'absence de tout intérêt pour ces plaisirs sensoriels. Mais celui qui fixe ses pensées sur Krsna ne connaît ni l'attachement ni le détachement. Voué au service du Seigneur, il ne laisse pas la colère l'envahir, quand bien même ses efforts seraient infructueux. Celui qui a conscience de Krsna connaît toujours une ferme détermination.

VERSET 57

yah sarvatranabhisnehas
tat tat prapya subhasubham
nabhinandati na dvesti
tasya prajna pratisthita

TRADUCTION

Celui qui, libre de tout lien, ne se réjouit pas plus dans le bonheur qu'il ne s'afflige du malheur, celui-là est fermement établi dans la connaissance absolue.

TENEUR ET PORTEE

Il survient toujours, dans l'univers matériel, quelque bouleversement, tantôt favorable, tantôt défavorable. N'être pas ému de ces changements, n'être affecté ni par le bien ni par le mal, c'est à ce signe qu'on reconnaît un être conscient de Krsna. Aussi longtemps qu'il se trouve dans l'univers matériel, chacun doit faire face au bien et au mal, aux innombrables dualités dont il est le siège. Mais celui qui s'absorbe dans la conscience de Krsna ne pense qu'à Krsna, le Bien absolu et infini, et n'est pas soumis à ces dualités. L'être conscient de Krsna jouit d'une condition purement spirituelle, qu'on appelle en termes techniques, "samadhi".

VERSET 58

yada samharate cayam
kurmo ’nganiva sarvasah
indriyanindriyarthebhyas
tasya prajna pratisthita

TRADUCTION

Celui qui, telle une tortue qui rétracte ses membres au fond de sa carapace, peut détacher de leurs objets les sens, celui-là possède le vrai savoir.

TENEUR ET PORTEE

Ce qui fait le yogi, le bhakta, l'âme réalisée, c'est la capacité de maîtriser ses sens. La plupart d'entre les hommes sont esclaves des sens et n'agissent que sous leur dictée. Voilà ce qui distingue le yogi de l'homme ordinaire. Les sens veulent, pour agir, avoir le champ libre, et ils ne supportent aucune contrainte. On les compare à des serpents venimeux, que le yogi, le bhakta, doit garder sous son contrôle avec autant d'habileté qu'un charmeur de serpents. Il ne doit jamais les laisser agir en dehors de sa volonté. Les Ecritures révélées nous indiquent plusieurs règles à suivre; certaines sont des interdictions, d'autres des prescriptions. A moins d'observer ces règles et de restreindre ses sens, on ne peut s'établir fermement dans la conscience de Krsna. Le meilleur exemple pour illustrer cette idée est celui de la tortue, mentionné dans le verset. La tortue peut, selon le besoin et le moment, rétracter ses membres ou les faire sortir de sa carapace. Ainsi, le bhakta n'utilise ses sens qu'au service de Krsna, se fermant aux plaisirs matériels.

VERSET 59

visaya vinivartante
niraharasya dehinah
rasa-varjam raso ’py asya
param drishtva nivartate

TRADUCTION

Même à l'écart des plaisirs matériels, l'âme incarnée peut encore éprouver quelque désir pour eux. Mais qu'elle goûte une joie supérieure, et elle perdra ce désir, pour demeurer dans la conscience spirituelle.

TENEUR ET PORTEE

A moins d'avoir atteint la réalisation spirituelle, il est impossible de se détourner des plaisirs des sens. Il faut donc restreindre les sens en observant diverses règles, comme on empêche un malade de manger certains aliments. Le patient souffre de ces restrictions, et ne perd pas le goût de manger les aliments défendus. Ainsi la restriction des sens par la pratique d'un yoga, comme l'astanga-yoga, comprenant diverses étapes (yama, niyama, asana, pranayama, pratyahara, etc.), est-elle recommandée à des gens d'intelligence moindre, qui ne connaissent pas de meilleure méthode. Mais celui qui, en progressant dans la conscience de Krsna, a goûté la beauté du Seigneur Suprême, Sri Krsna, n'éprouve plus le moindre attrait pour les choses matérielles. Ces restrictions ne s'imposent donc qu'aux néophytes; elles ne valent, par ailleurs, que si l'on est déjà attiré par la conscience de Krsna. Quand on a vraiment atteint cette conscience de Krsna, on perd automatiquement tout attrait pour les plaisirs matériels, désormais fades et ternes.

VERSET 60

yatato hy api kaunteya
purushasya vipascitah
indriyani pramathini
haranti prasabham manah

TRADUCTION

Forts et impétueux sont les sens, ô Arjuna; ils ravissent même le mental de l'homme de sagesse qui veut les maîtriser.

TENEUR ET PORTEE

Bon nombre de grands érudits, de philosophes et de spiritualistes tentent de maîtriser leurs sens, qui, malgré tous leurs efforts, retombent parfois sous leur joug, à cause de l'instabilité du mental. Même Visvamitra, grand sage et parfait yogi, se laissa inciter aux plaisirs de la chair par Menaka; pourtant, il cherchait, par le yoga et de sévères austérités, à maîtriser ses sens. Et bien sûr, il existe mille exemples de ce fait dans l'histoire du monde. C'est qu'il est bien difficile de dominer le mental et les sens à qui n'est pas pleinement conscient de Krsna. De fait, à moins de tourner ses pensées vers Krsna, il est impossible d'abandonner ses habitudes matérielles. Sri Yamunacarya, grand sage et bhakta, nous en donne un exemple pratique lorsqu'il dit:

"Depuis que j'ai adopté le pur service d'amour pour Krsna, j'éprouve en lui une joie toujours nouvelle, et chaque fois qu'une pensée charnelle entre dans mon esprit, je crache dessus et mes lèvres. grimacent de dégoût."
De même, Maharaja Ambarisa, dont les pensées habitaient la conscience de Krsna, put vaincre les assauts de Durvasa Muni, un grand yogi. La conscience de Krsna procure une si grande joie spirituelle, que lorsqu'on s'y absorbe, les plaisirs matériels deviennent répugnants; on y ressent la plénitude qu'éprouve un affamé après s'être repu.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare