Sixième chapitre.

Le sankhya-yoga.




VERSET 6

bandhur atmatmanas tasya
yenatmaivatmana jitah
anatmanas tu satrutve
vartetatmaiva satru-vat

TRADUCTION

De celui qui l'a maîtrisé, le mental est le meilleur ami; mais pour qui a échoué dans l'entreprise, il devient le pire ennemi.

TENEUR ET PORTEE

L'objectif de l'astanga-yoga est de maîtriser le mental, d'en faire un ami capable de nous aider à remplir notre mission d'homme. Si elle n'engendre cette maîtrise, la pratique du yoga ne sera au mieux qu'une perte de temps, une simple exhibition. Un mental incontrôlé, voilà le pire ennemi de l'homme, car il l'empêche de mener sa vie à son but. Chaque être, par nature, obéit à quelqu'un ou à quelque chose de supérieur. Tant que son mental règne sur lui en ennemi triomphant, il doit vivre sous la dictée de la concupiscence, de la colère, de l'avarice, de l'illusion, etc. Au contraire, une fois le mental soumis, il accepte de plein gré les directives de Dieu, la Personne Suprême, sis dans le cœur de tous les êtres sous la forme du Paramatma. Pratiquer le vrai yoga doit être l'occasion, pour l'adepte, de connaître le Paramatma dans le cœur et de suivre Ses instructions. Mais celui qui pratique directement la conscience de Krsna, c'est de façon toute naturelle qu'il s'abandonne sans réserve au Seigneur et à Ses instructions.

VERSET 7

jitatmanah prashantasya
paramatma samahitah
sitosna-sukha-duhkhesu
tatha manapamanayoh

TRADUCTION

Qui a maîtrisé le mental, et ainsi gagné la sérénité, a déjà atteint l'Ame Suprême. La joie et la peine, le froid et la chaleur, la gloire et l'opprobre, il les voit d'un même oeil.

TENEUR ET PORTEE

Tous les êtres, sans exception, sont faits pour vivre dans l'obéissance à Dieu, la Personne Suprême, sis en leur cœur (sous la forme du Paramatma). L'homme, cependant, se livre à des actes matériels aussi longtemps que l'énergie externe illusoire de Dieu fourvoie son mental. Aussi le considère-t-on parvenu au but dès qu'à l'aide de l'un ou l'autre des yogas, il maîtrise son mental. Chaque être doit en effet, par sa nature même, vivre sous les ordres d'une force supérieure. Aussi, dès le moment où le mental se fixe sur la nature supérieure, l'homme n'a d'alternative que de suivre les directives de Dieu. Le mental doit recevoir les instructions d'une source supérieure et s'y soumettre. Une fois le mental maîtrisé, l'homme suit automatiquement les directives du Paramatma, de l'Ame Suprême. Or, le bhakta, conscient de Krsna, atteint sur-le-champ cet état spirituel absolu, ou samadhi, état d'absorption totale en le Seigneur Suprême où l'on n'est plus affecté par les dualités de l'existence matérielle, le flux et reflux des joies et des peines, de la chaleur et du froid...

VERSET 8

jnana-vijnana-trptatma
kuta-stho vijitendriyah
yukta ity ucyate yogi
sama-lostrasma-kancanah

TRADUCTION

On appelle yogi, âme réalisée, l'être à qui la connaissance spirituelle et la réalisation de cette connaissance donnent la plénitude. Il a atteint le niveau spirituel et possède la maîtrise de soi. D'un oeil égal il voit l'or, le caillou et la motte de terre.

TENEUR ET PORTEE

Toute connaissance académique qui ne comporte pas la réalisation de la Vérité Suprême est entièrement vaine.

"Nul ne peut, en se servant de sens contaminés par la matière, comprendre la nature spirituelle et absolue du Nom, de la Forme, des Attributs et des Divertissements de Sri Krsna. Ils ne se révèlent qu'à l'homme chargé, par son service de dévotion au Seigneur, d'énergie spirituelle."
La Bhagavad-gita est la science de Dieu, c'est-à-dire la science qui permet à l'homme d'atteindre la conscience de Krsna, ce que ne saurait faire la simple érudition, la connaissance matérielle. Il faut, pour la comprendre, avoir la bonne fortune d'entrer en contact avec une personne de conscience pure, qui, comblée par son service et sa dévotion à Krsna, ait, par Sa grâce, pleinement réalisé cette connaissance. La connaissance spirituelle nous garde imperturbable dans nos convictions, tandis que le savoir académique laisse dérouté et confus devant de prétendues contradictions. On ne devient parfait qu'après être passé de la connaissance intellectuelle des textes à leur réalisation.

Parce qu'il s'est abandonné à Krsna, l'être conscient de son identité spirituelle maîtrise ses sens. Il se trouve au niveau spirituel, car sa connaissance n'a rien de commun avec l'érudition profane. Cette dernière, comme la spéculation intellectuelle, pour certains aussi précieuse que l'or, n'ont, à ses yeux, pas plus de valeur qu'une motte de terre ou une pierre.

VERSET 9

suhrn-mitrary-udasina-
madhyastha-dvesya-bandhusu
sadhusv api ca papesu
sama-buddhir visisyate

TRADUCTION

Plus élevé encore, celui qui voit d'un oeil égal l'indifférent, l'impartial, le bienfaiteur et l'envieux, l'ami et l'ennemi, le vertueux et le pécheur.

VERSET 10

yogi yunjita satatam
atmanam rahasi sthitah
ekaki yata-cittatma
nirasir aparigrahah

TRADUCTION

Le yogi doit toujours s'astreindre de fixer son mental sur l'Etre Suprême. Il lui faut vivre en un lieu solitaire, toujours rester maître de son mental, libre de tout désir et de tout sentiment de possession.

TENEUR ET PORTEE

Il existe différents degrés dans la réalisation de Krsna, correspondant aux trois aspects du Seigneur: le Brahman, le Paramatma et Bhagavan (Dieu, la Personne Suprême). La conscience de Krsna, la conscience de Dieu, la Personne Suprême, peut se définir en quelques mots: un service constant offert au Seigneur dans l'amour et la dévotion. L'impersonnaliste en quête du Brahman, de même que le yogi méditant sur l'Ame Suprême, sont eux aussi conscients de Krsna, mais de façon partielle. Le Brahman, en effet, est la radiance de Krsna, et le Paramatma, Sa représentation partielle omniprésente. Aussi, le bhakta, parce qu'il est conscient de Bhagavan, la Personne Suprême, doit être tenu pour le plus parfait de tous les spiritualistes, car sa réalisation contient d'elle-même la réalisation du Brahman et du Paramatma, qui demeurent imparfaites.

Il est néanmoins conseillé à tous les spiritualistes de poursuivre avec constance leur voie respective, grâce à quoi ils atteindront, tôt ou tard, la plus haute perfection. Le premier devoir du spiritualiste est en effet d'absorber son mental en Krsna. Penser à Lui toujours et ne jamais L'oublier, fût-ce pour un instant, tel est le samadhi; pour l'atteindre, on doit vivre dans la solitude et éviter toute distraction, rechercher les situations favorables et rejeter tout frein à la réalisation spirituelle. Inflexible dans sa détermination, le spiritualiste doit en outre se défaire de la soif des biens matériels, car l'accumulation des richesses emprisonne l'homme dans un faux sentiment de possession. Quand on pratique directement la conscience de Krsna, toutes ces précautions sont naturellement prises, tous ces principes positifs naturellement suivis, car le bhakti-yoga implique une abnégation totale de soi, qui donne très peu de chance à tout sentiment de possession de se manifester. Srila Rupa Gosvami dit à ce propos:

"Celui qui n'est attaché à rien, mais qui, simultanément, accepte toute chose pour le service de Krsna, celui-là transcende vraiment tout sentiment de possession. Au contraire, le renoncement de qui rejette tout, mais ignore le lien unissant toute chose au Seigneur, sera toujours incomplet."
Sachant bien que Krsna est le vrai possesseur de tout, le pur bhakta se place sans difficulté au-dessus de tout sentiment de possession. Il ne cherche jamais son propre profit, mais sait accepter tout ce qui est favorable à la vie spirituelle, à la conscience de Krsna, et rejeter ce qui pourrait la restreindre. Toujours situé à un niveau purement spirituel, il transcende la matière et vit en solitaire, sans aucun goût pour la compagnie des abhaktas, qui refusent la conscience de Krsna. Il est le parfait yogi.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare