CHAPITRE 1

LE YOGA
TEL QUE REJETÉ PAR Arjuna

Plusieurs formes de yogas ont été popularisées en Occident, surtout au cours du XXe siècle, mais aucun de leurs tenants n'a réellement enseigné la perfection du yoga. Or, dans la Bhagavad-gita, Shri Krishna, qui est Dieu en Personne, enseigne directement à Arjuna le yoga dans sa forme parfaite ; et si nous désirons nous-mêmes atteindre cette perfection, nous pouvons nous appuyer sur les révélations authentiques du Seigneur Suprême telles qu'elles sont consignées dans la Bhagavad-gita.

Il est tout à fait remarquable que la perfection du yoga ait été enseignée au beau milieu d'un champ de bataille. Arjuna, un guerrier, s'apprêtait en effet à s'engager dans un combat fratricide lorsque cet enseignement lui fut donné. Victime de ses sentiments, Arjuna s'interrogeait : " Pourquoi devrais-je lutter contre mes proches ? " Son hésitation à combattre était le fruit de l'illusion, et c'est à seule fin de dissiper cette illusion que Shri Krishna lui énonça la Bhagavad-gita. Imaginons un peu la situation. De part et d'autre du champ de bataille, les guerriers n'attendent qu'une chose : le signal du combat. Shri Krishna ne dispose donc que de peu de temps - une heure tout au plus - pour énoncer la Bhagavad-gita ! Malgré cette contrainte, Il parvient à mettre en évidence pour Son ami Arjuna la perfection de tous les yogas, si bien qu'après leur célèbre dialogue, Arjuna écarte ses appréhensions et accepte de livrer le combat. Au cœur de leur entretien, cependant, lorsque Krishna lui présente le yoga de la méditation - qui consiste à s'asseoir dans une posture droite et à garder les yeux mi-clos tout en fixant son regard sur le bout de son nez, sans se laisser distraire par quoi que ce soit, le tout dans un lieu isolé - Arjuna Lui répond :

yo 'yam yogas tvaya proktah
samyena madhusudana
etasyaham na pasyami
cancalatvat sthitim sthiram

" Le yoga que Tu m'as décrit en peu de mots me semble impraticable et insoutenable, ô Madhousoudane, car le mental est capricieux et instable. " (B.g., VI.33)

Il s'agit là d'un point important. Nous ne devons en effet jamais oublier que, dans le contexte matériel où nous vivons, notre mental est constamment exposé à une forme ou une autre d'agitation. À vrai dire, notre condition n'est pas très confortable. Nous pensons sans arrêt qu'en modifiant la situation dans laquelle nous nous trouvons, nous viendrons à bout de nos tourments, et qu'à un moment donné, toute perturbation mentale disparaîtra. Mais la nature de l'univers matériel est telle que nous ne pouvons échapper à l'anxiété. Nous sommes face à un paradoxe : nous cherchons sans relâche la solution à tous nos problèmes, mais l'univers que nous habitons est conçu de telle manière que la solution ne se concrétise jamais.

On ne peut plus franc et ouvert, Arjuna déclare sans détour à Krishna qu'il lui est impossible de pratiquer le type de yoga qu'Il vient de lui décrire. Le fait qu'Arjuna s'adresse à Krishna en L'appelant Madhousoudane (" Celui qui a tué le monstre Madhou ") est particulièrement révélateur. Il est à noter que les noms de Dieu sont innombrables, car on Le désigne souvent en fonction de Ses actions, qui de fait sont sans nombre. Nous ne sommes nous-mêmes que des parcelles de Dieu, et nous ne pouvons même pas nous rappeler du nombre d'actions que nous avons accomplies depuis notre enfance. Or, Dieu est infini, et puisque Ses actions le sont aussi, Il possède d'innombrables noms, dont le principal est Krishna. Pourquoi donc Arjuna s'adresse-t-il à Lui en L'appelant Madhousoudane, alors qu'il est Son ami et qu'il pourrait directement L'appeler Krishna ? La réponse est qu'Arjuna considère son mental comme un monstre redoutable, semblable au démoniaque Madhou ; et il se dit que si Krishna parvient à détruire ce fauteur de trouble qu'est son mental, alors il pourra atteindre la perfection du yoga. " Mon mental est beaucoup plus puissant que ce Madhou ", dit en fait Arjuna ; " si seulement Tu pouvais l'anéantir, j'aurais enfin la possibilité de pratiquer cette forme de yoga. " Ainsi, même le mental d'un aussi grand homme qu'Arjuna est en proie à une agitation constante. Dans ses propres mots :

cancalam hi manah krsna
pramathi balavad drdham
tasyaham nigraham manye
vayor iva suduskaram

" Le mental, ô Krishna, est instable, turbulent, obstiné et fort puissant ; il me semble plus difficile à maîtriser que le vent. " (B.g., VI.34)

C'est un fait indéniable que le mental nous dicte constamment notre conduite : " Viens ici ", " Va là-bas ", " Fais ceci ", " Fais cela ". La pratique du yoga a par conséquent pour objet ultime de subjuguer le mental agité. Dans le cas du yoga de la méditation, il s'agit de maîtriser le mental en se concentrant sur l'Âme Suprême - c'est là le but final du yoga. Mais Arjuna objecte qu'il est plus difficile de maîtriser le mental que d'empêcher le vent de souffler. Et qui peut imaginer un homme étendant les bras dans l'espoir d'arrêter un ouragan ! Doit-on en conclure qu'Arjuna ne possède tout simplement pas les qualités nécessaires pour maîtriser son mental ? En vérité, nous ne pouvons même pas imaginer l'ampleur des atouts d'Arjuna. Après tout, n'était-il pas un ami intime de Dieu Lui-même, le Seigneur Suprême ? Il s'agit là d'une position fort enviable, que personne ne peut atteindre à moins de posséder des qualités tout à fait exceptionnelles. De plus, Arjuna était reconnu comme un puissant guerrier et un brillant administrateur. Son intelligence était si grande qu'il comprit la Bhagavad-gita en moins d'une heure, alors que de nos jours, les plus grands savants n'y parviennent même pas en une vie ! Pourtant, Arjuna considérait qu'il lui était tout simplement impossible de maîtriser son mental. Pouvons-nous dès lors prétendre que ce qui était impossible pour Arjuna à une époque plus évoluée que la nôtre est possible pour nous, à l'époque dégénérée où nous vivons ? Nous ne devrions jamais, fût-ce un instant, nous imaginer que nous sommes du même calibre qu'Arjuna ; nous sommes en effet mille fois inférieurs à lui.

Par ailleurs, il n'est mentionné nulle part qu'Arjuna ait pratiqué le yoga à un moment ou à un autre. Et pourtant, Krishna l'a glorifié comme le seul homme digne de comprendre la Bhagavad-gita. Quel était donc son mérite ? La réponse se trouve dans les paroles mêmes de Shri Krishna : " Tu es Mon dévot. Tu es Mon ami très cher. " Néanmoins, en dépit de ses qualités hors du commun, Arjuna s'est refusé à pratiquer le yoga de la méditation décrit par Krishna. Que devons-nous en conclure ? Devons-nous désespérer de voir un jour notre mental maîtrisé ? Non. Car le mental peut bel et bien être maîtrisé - grâce à la pratique de la conscience de Krishna. Il s'agit, pour ce faire, de toujours fixer son mental sur Krishna, et dans la mesure où nous parvenons à nous absorber en Krishna, nous accéderons à la perfection du yoga.

Dans le douzième Chant du Shrimad-Bhagavatam, Shoukadev Gosvami explique à Maharaj Parikshit qu'au cours de l'âge d'Or, le Satya-youga, les gens vivaient cent mille ans, et qu'avec une telle longévité, à une époque où les humains étaient plus évolués, il était possible de pratiquer le yoga de la méditation. Il poursuit en disant que les résultats obtenus par la pratique de la méditation au cours du Satya-youga, par l'offrande de sacrifices majestueux au cours du youga suivant, le Treta-youga, et par l'adoration dans les temples au cours du youga suivant, le Dvapara-youga, seraient obtenus au cours du présent youga, le Kali-youga, par le simple chant des noms de Dieu (hari-kirtane), ou Hare Krishna. Nous apprenons ainsi de source autorisée que ce chant incarne la perfection du yoga pour l'époque à laquelle nous vivons :

Hare Krishna, Hare Krishna
Krishna Krishna, Hare Hare
Hare Rama, Hare Rama
Rama Rama, Hare Hare

De nos jours, nous avons du mal à vivre ne serait-ce que cinquante ou soixante ans, et bien rares sont les hommes ou les femmes qui vivent plus de quatre-vingt ou cent ans. Par ailleurs, ces courtes années sont constamment alourdies par l'angoisse et les nombreuses difficultés qu'entraînent la guerre, les épidémies, la famine et mille autres tribulations. Nous ne sommes en outre pas très intelligents, et l'infortune nous accable. Telles sont en effet les caractéristiques des humains vivant dans cet âge de dégradation, le Kali-youga. À proprement parler, il n'est donc pas question pour nous de réussir à pratiquer le yoga de la méditation tel que décrit par Krishna. Nous ne pouvons tout au plus que satisfaire nos caprices personnels en adaptant ce yoga à notre façon. C'est ainsi que des gens déboursent de l'argent pour suivre des cours de gymnastique et de respiration profonde, heureux à la simple pensée qu'ils pourront peut-être ainsi prolonger leur existence de quelques années ou jouir d'une meilleure vie sexuelle. Mais nous devons bien comprendre que tout cela n'a rien à voir avec la vraie pratique du yoga.

Au cours de cet âge, donc, le yoga de la méditation ne peut être pratiqué comme il se doit. Par contre, tous les bienfaits de ce yoga peuvent être obtenus à travers le bhakti-yoga, la pratique sublime de la conscience de Krishna, et plus particulièrement par le mantra-yoga, ou la glorification de Shri Krishna par le chant du mantra Hare Krishna. Telle est la voie recommandée par les Écritures védiques, et enseignée par de grands maîtres comme Chaitanya Mahaprabhou. De fait, la Bhagavad-gita proclame que les mahatmas, les grandes âmes, chantent constamment les gloires du Seigneur. Celui ou celle qui désire devenir un mahatma selon les normes des Écritures védiques, de la Bhagavad-gita et des grands maîtres doit donc adopter la voie de la conscience de Krishna et le chant du mantra Hare Krishna. Si nous pouvons nous contenter de nous donner en spectacle en prétendant méditer et entrer en transe, assis bien droit dans la position du lotus, c'est une tout autre histoire. Mais nous devons bien comprendre que de telles exhibitions n'ont rien à voir avec la perfection réelle du yoga. La fièvre matérielle ne peut être guérie à l'aide de médicaments artificiels ; nous devons accepter le véritable traitement prescrit par Krishna en Personne.

Chapitre 2