JEAN-PAUL SARTRE
(1905-1980)
HAYAGRIVA: Descartes et Leibniz croient qu’avant la Création, le concept de l’homme existait déjà en essence dans la pensée de Dieu, de la même façon qu’un appareil existe dans le mental du fabricant avant même qu’il ne le construise. Sartre désapprouve cette conclusion. Dans « L’existentialisme est un humanisme », il écrit : « L’existentialisme athée, lequel je représente, est plus cohérent. Il déclare que si Dieu n’existe pas, il y a au moins un être en qui l’existence précède l’essence, un être qui existe avant même de pouvoir être défini par quelque concept. Et cet être c’est l’homme, ou comme dirait Heidegger, la réalité humaine. »
SRILA PRABHUPADA: Mais d’où vient la réalité humaine? Il existe aussi d’autres réalités. Pourquoi alors insiste-t-il sur la réalité humaine ?
HAYAGRIVA: Concernant l’origine de l’homme, Sartre dirait que l’homme est « précipité dans le monde ».
SRILA PRABHUPADA: Précipité par qui ?
HAYAGRIVA: La réponse à cette question n’intéresse guère Sartre. « L’existentialisme n’est pas si athée qu’il s’épuise à démontrer que Dieu n’existe pas, écrit-il. Au contraire, il affirme que même s’Il existait, cela ne changerait rien. Voilà notre point de vue. Non pas que nous croyons que Dieu existe, mais la question n’est pas de savoir s’Il existe ou non. »
SRILA PRABHUPADA: Mais si vous et autrui existez, pourquoi Dieu n’existerait-Il pas Lui aussi ? Pourquoi nier Son existence ? Laissez-les tous être.
SYAMASUNDAR: Comme Sartre voit l’homme précipité dans le monde et abandonné, pour lui Dieu est mort.
SRILA PRABHUPADA: Le fait d’être abandonné par Dieu ne signifie pas pour autant que Dieu est mort. Il faut admettre que vous êtes condamné à vivre dans l’Univers matériel, mais n’allez pas croire pour autant que Dieu est également condamné. Dieu réside toujours à Vaikountha, Il n’est pas mort.
SYAMASUNDAR: Sartre croit qu’ayant été abandonnés, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes.
SRILA PRABHUPADA: Mais Dieu ne nous a pas abandonnés. Dieu n’est pas partial. Il n’accepte pas une personne pour en abandonner une autre. Si vous vous sentez abandonné, c’est que vous avez fait quelque chose qui a provoqué cette condition. Réformez-vous et vous serez accepté de nouveau.
HAYAGRIVA: Mais Sartre nie l’existence de Dieu, en particulier celle d’un Dieu personnel.
SRILA PRABHUPADA: Mais sa négation doit être fondée sur la raison ou la logique. Pourquoi dire « Dieu » s’Il n’existe pas ? Dieu existe bel et bien, mais Sartre nie Son existence. Voilà un comportement incohérent. Si Dieu n’existe pas, pourquoi utilise-t-il ce mot ? La vérité est qu’il ne veut pas que Dieu existe.
HAYAGRIVA: Il préfère ne pas aborder cette question afin d’accorder une importance particulière à l’humain, à la réalité humaine.
SRILA PRABHUPADA: Si vous croyez exister, pourquoi nier l’existence d’autrui ? On compte 8 400 000 espèces différentes aux formes multiples. Pourquoi Dieu n’existerait-Il pas? Selon l’entendement védique, Dieu est également un être vivant, mais différent de nous du fait qu’Il est l’Être Suprême. Selon la Bhagavad-Gîtâ (7:7) : mattah parataram nânyat – aucun être n’est supérieur à Dieu. Nous sommes tous conscients qu’il existe des êtres plus intelligents que nous. Or, Dieu incarne l’intelligence ultime. Pourquoi n’existerait-il pas une personne dont l’intelligence surpasse celle de tous ? L’existence de Dieu ne fait aucun doute. Les shâstras Le décrivent comme l’Être Suprême, le Tout-Puissant, l’Infiniment Intelligent. Nous pouvons voir qu’en ce monde, tous ne sont pas sur un même pied d’égalité, qu’il existe différents degrés de perfection. Ce qui indique l’existence d’un Être Suprême. Et si nous poursuivons notre quête – de richesse, d’intelligence, de puissance, de beauté…– nous découvrirons que Dieu possède toutes les qualités au plus haut degré et que tous les êtres possèdent ces qualités à des degrés moindres. Comment pouvons-nous alors logiquement nier Son existence ?
HAYAGRIVA: Selon Sartre, le premier principe de l’existentialisme veut que « l’homme ne soit seulement ce qu’il fait de soi. » Ce qui ne sera vrai que s’il n’existe aucun Dieu pour concevoir la nature humaine.
SRILA PRABHUPADA: Si l’homme est ce qu’il fait de lui-même, pourquoi n’est-il pas un surhomme? Si ses aptitudes ne dépendent que de lui, pourquoi se retrouve-t-il dans sa condition actuelle ?
HAYAGRIVA: C’est aussi ce que Sartre se demande. Voilà pourquoi il insiste sur la responsabilité humaine. « Mais si l’existence précède vraiment l’essence, écrit-il, l’humain est responsable de ce qu’il est. Ainsi la première démarche de l’existentialisme consiste à faire prendre conscience à chacun de ce qu’il est et à faire reposer l’entière responsabilité de son existence sur ses épaules. »
SRILA PRABHUPADA: Si l’être humain est responsable, qui lui a conféré cette responsabilité? Qu’entend-il d’ailleurs par responsabilité ? On se sent une responsabilité envers une personne qui vous confie certains devoirs à remplir. En l’absence de devoir ou de superviseur, quelle pourrait être votre responsabilité ?
SYAMASUNDAR: Sartre considère l’homme accablé par sa responsabilité même. Il angoisse parce qu’il est libre de s’améliorer et de changer le monde.
SRILA PRABHUPADA: Ceci traduit sa situation délicate. Il désire la paix sans savoir comment l’obtenir. Ce qui ne signifie pas pour autant que la paix soit impossible. Quoiqu’elle le soit pour l’homme qui vit dans l’ignorance.
SYAMASUNDAR: L’angoisse naît de la responsabilité. L’homme croit devoir faire le bon choix afin de jouir de quoi que ce soit. Tout mauvais choix lui apporte la souffrance.
SRILA PRABHUPADA: Il faut en effet agir de manière responsable. Mais pourquoi ne pas en profiter pour se rendre dans un lieu sûr et libre de toute angoisse? Peut-être en ignorez-vous l’existence. Mais s’il existe, pourquoi ne pas s’informer auprès de quelqu’un qui le connaît ? Pourquoi croupir dans l’angoisse et la déception? Ce lieu sûr où ne règne aucune angoisse s’appelle Vaikountha, ce qui signifie « sans angoisse ».
HAYAGRIVA: Sartre croit que l’existentialisme a pour tâche de « faire prendre conscience à chacun de ce qu’il est et à faire reposer l’entière responsabilité de son existence sur ses épaules…Et quand on dit que l’homme est responsable de lui-même, on n’entend pas seulement qu’il est responsable de sa propre individualité, mais de tous les humains. »
SRILA PRABHUPADA: Supposons que je veuille votre bien et que vous soyez libre. C’est-à-dire que vous êtes libre d’accepter ou de rejeter mes bonnes intentions. Comment serais-je responsable de vous si vous refusez d’obéir ? Comment seriez-vous responsable de moi? Sartre prétend que vous êtes responsable des autres, mais s’ils ne suivent pas vos instructions, pourquoi seriez-vous considéré responsable? Tout cela est contradictoire. En l’absence de toute norme ou critère, nous serons confrontés à quelque contradiction. Selon les Védas, Dieu est l’Être Suprême, dont nous devrions tous être les serviteurs obéissants.
Dieu nous prescrit un devoir dont nous sommes responsable. Notre véritable responsabilité est envers Dieu. Quand on rejette Dieu, la société devient anarchique. La religion revient à éviter l’anarchie ainsi qu’à assumer notre responsabilité envers Dieu en remplissant notre devoir. La responsabilité qui nous incombe est attribuée par Dieu. Si nous progressons sur le plan spirituel en accomplissant notre devoir, nous pourrons enfin vivre en la compagnie personnelle du Seigneur.
HAYAGRIVA: Sartre prétend que l’existentialiste ne désire pas vraiment nier l’existence de Dieu. Au contraire, « l’existentialiste estime qu’il est déplorable que Dieu n’existe pas, car toute possibilité de trouver des valeurs dans un paradis d’idées disparaît avec Lui… Si Dieu n’existe pas, tout est possible. Telles sont les prémices de l’existentialisme. En vérité, tout est permis si Dieu n’existe pas… »
SRILA PRABHUPADA: Ceci signifie qu’il ignore la signification du mot Dieu. Comme je l’ai répété maintes fois, Dieu est l’Être Suprême, le Père Suprême qui imprègne la Nature matérielle d’innombrables êtres vivants. Dès que nous reconnaissons la Nature matérielle pour mère, il faut également reconnaître un père. Voilà pourquoi le concept de Dieu le Père se retrouve dans toutes les sociétés humaines. C’est le devoir du père de subvenir aux besoins de ses enfants; aussi Dieu entretient-Il tous les êtres qui peuplent l’Univers. Cela ne fait aucun doute.
HAYAGRIVA: Sartre s’efforce néanmoins de nier ce fait lorsqu’il écrit : « Comme nous avons écarté Dieu le Père, quelqu’un doit inventer des valeurs. Il faut prendre les choses comme elles sont. D’ailleurs, dire qu’on s’invente des valeurs ne signifie qu’une chose : la vie n’a pas de sens a priori. Avant de vivre, la vie n’est rien; à vous de lui donner un sens. Voilà ce qu’on entend par valeur. »
SRILA PRABHUPADA: Chacun s’inventerait donc un sens? S’il en est ainsi, comment vivre dans la paix en société ? Comme chacun a sa propre façon de concevoir la vie, il ne saurait régner aucune harmonie. Quel genre de gouvernement existerait alors ?
HAYAGRIVA: Sartre s’est tourné vers le marxisme.
SRILA PRABHUPADA: Mais dans les pays communistes, les gouvernements sont très musclés. Aucun peuple ne saurait se passer de gouvernement ou de leadership.
SYAMASUNDAR: Indépendamment du gouvernement en place, Sartre croit que l’humain est fondamentalement libre.
SRILA PRABHUPADA: Qui dit liberté, dit être vivant. La matière en soi ne possède aucune liberté. C’est le principe actif qui est libre.
SYAMASUNDAR: Selon Sartre, l’homme est condamné à être libre, un sort auquel il ne saurait se soustraire.
SRILA PRABHUPADA: Qui l’a condamné ?
SYAMASUNDAR: Condamné par le hasard, l’humain est précipité dans le monde.
SRILA PRABHUPADA: Est-ce simplement par hasard qu’une personne est condamnée alors qu’une autre est bénie ? Est-ce par hasard qu’un homme se retrouve en prison pendant qu’autrui est libre ? Quelle sorte de philosophie est-ce là ? Une pseudo-philosophie qui ne peut qu’égarer les gens. Rien n’est le fruit du hasard. Nous admettons que l’être est condamné à vivre en l’Univers matériel. Mais qui dit condamnation, dit aussi félicité. En quoi consiste cette félicité ?
SYAMASUNDAR: Sartre soutient que l’homme est condamné en ce sens qu’il ne saurait se soustraire à cette liberté. Étant libre, l’humain est responsable de ses actions.
SRILA PRABHUPADA: Si vous êtes responsable, votre liberté n’est pas fortuite. Comment seriez-vous accidentellement responsible ? Si vous êtes responsable, c’est sûrement envers quelqu’un. Il doit exister quelqu’un qui vous bénit ou vous condamne. Cela ne saurait être le fruit du hasard. Sa philosophie est paradoxale.
SYAMASUNDAR: La nature humaine est un état indéterminé de liberté. L’homme ne possède aucune nature précise, car il la crée continuellement.
SRILA PRABHUPADA: Ceci signifie qu’il est éternel. Mais l’être vivant ne change pas accidentellement. Sa métamorphose s’opère selon certaines lois et il acquiert différents corps spécifiques selon son karma, et non par hasard.
SYAMASUNDAR: Mais nous n’avons pas de nature précise en ce sens que je peux être heureux aujourd’hui et malheureux demain.
SRILA PRABHUPADA: C’est vrai dans une certaine mesure. Quand on se retrouve dans la mer, on perd tout contrôle de la situation. À la merci des vagues, on est alors dominé par une puissance supérieure. Mais on reprend le contrôle dès qu’on se retrouve dans de meilleures circonstances. Comme vous vous êtes placés sous la domination de la Nature matérielle, vous agissez selon ses modes d’influence.
prakrteh kriyamânâni gunaih karmâni sarvasah
ahankâra-vimûdhâtmâ kartâham iti manyate
« Sous l’influence des trois gunas, l’âme égarée par le faux ego croit être l’auteur de ses actes, alors qu’en réalité, ils sont accomplis par la Nature. » (Gîtâ 3:27) Votre conditionnement entrave votre liberté. Précipité dans l’océan de l’existence matérielle, vous perdez essentiellement votre liberté. C’est donc votre devoir d’atteindre la libération.
SYAMASUNDAR: Comme nous changeons d’un jour à l’autre, Sartre dit que notre nature essentielle est « néant ».
SRILA PRABHUPADA: Vous n’êtes rien en ce sens que vous êtes entièrement sous le joug d’une puissance supérieure, emporté par les vagues de mâyâ. Dans l’océan de mâyâ, vous pouvez dire : « Je ne suis rien .» Mais en réalité, vous n’êtes pas rien. Ce que vous êtes se manifestera certes quand vous serez à nouveau sur le plancher des vaches. Par désespoir, vous concluez que votre nature est celle du néant. La philosophie de Sartre est celle du désespoir. Nous la disons sans intelligence, car le désespoir n’est pas une preuve d’intelligence.
SYAMASUNDAR: Quoique le néant soit le fondement de notre nature, Sartre soutient que l’être humain choisit ou crée sa propre nature.
SRILA PRABHUPADA: C’est un fait. Faites-en donc quelque chose plutôt que rien. Pour ce faire, cependant, il vous faut apprendre auprès d’un être supérieur. Avant de philosopher, Sartre aurait mieux fait de s’instruire auprès d’un érudit. Tel est l’enseignement védique.
tad-vijñânârtham sa gurum evâbhigacchet
samit-pânih srotriyam brahma-nistham
« Afin d’apprendre la science de l’Absolu, on doit approcher un maître spirituel authentique, qui appartient à la succession disciplique et qui est établi dans la réalisation de la Vérité Absolue. » (Moundaka Upanishad 1.2.12)
SYAMASUNDAR: Sartre voit notre nature comme étant en perpétuel devenir.
SRILA PRABHUPADA: Elle n’est pas en devenir, elle change. Mais l’homme peut créer sa nature en ce sens qu’il peut décider de ne pas changer. Il peut comprendre que des changements s’opèrent bien qu’il ne les désire pas. L’humain peut façonner sa nature en décidant de servir Krishna, non en écartant entièrement la question pour, par confusion et déception, prétendre qu’elle n’est que néant. Chercher à réduire la vie à néant, voilà le fruit d’un savoir déficient.
SYAMASUNDAR: Sartre note que nous créons ou choisissons constamment notre vie, mais que tout prend fin avec la mort. C’est-à-dire que l’homme est en perpétuel devenir jusqu’à la mort, qui vient tout anéantir.
SRILA PRABHUPADA: La mort se traduit par un changement de corps. Le principe actif sur lequel repose le corps ne meurt pas. La mort s’apparente à un changement d’appartement. Toute personne saine d’esprit peut comprendre cela.
HAYAGRIVA: Quoique l’homme n’ait de nature déterminée autre que le néant, Sartre voit en l’humain un être s’évertuant à devenir Dieu. Il écrit : « Être humain, c’est chercher à devenir Dieu. Ou si vous préférez, l’humain incarne fondamentalement le désir d’être Dieu. »
SRILA PRABHUPADA: D’une part, il nie l’existence de Dieu. D’autre part, il cherche à devenir Dieu. Si Dieu n’existe pas, il ne saurait être question de désirer le devenir. Comment désirer être ce qui n’existe pas ?
HAYAGRIVA: Il ne fait qu’affirmer que l’homme aspire à devenir Dieu. En ce qui concerne l’existence de Dieu, il préfère écarter cette question.
SRILA PRABHUPADA: Mais c’est pourtant la principale question philosophique! Dieu a tout créé : votre mental, votre intellect, votre corps, votre existence et votre environnement. Comment pouvez-vous nier Son existence ou l’écarter en la considérant non pertinente ? Les Védas enseignent qu’à l’origine, Dieu existait, et la Bible en dit autant. Au sein de l’Univers matériel, existence et annihilation sont toutes deux temporaires. Selon les lois de la Nature matérielle, le corps est créé un jour donné, il existe quelque temps, puis est anéanti avec le temps. L’entière manifestation cosmique a un commencement, un milieu et une fin. Mais qui existait avant la Création? Si Dieu n’existait pas, comment la Création serait-elle logiquement possible ?
HAYAGRIVA: La plupart des philosophes dont nous avons traité jusqu’ici cherchent à résoudre cette question.
SRILA PRABHUPADA: Tous les philosophes ne nient pas l’existence de Dieu, mais la plupart refusent de voir en Lui une personne. Nous pouvons toutefois comprendre que Dieu incarne l’origine de toute chose, et que le cosmos émane de Lui. Dieu existe, la Nature existe et nous de même, formant une grande famille.
HAYAGRIVA: Sartre n’admet pas l’existence d’un Créateur en qui toutes choses existent en leur essence avant la Création. Il dirait plutôt que l’humain existe simplement, qu’il apparaît soudainement.
SRILA PRABHUPADA: Une personne apparaît à cause de son père et de sa mère. Comment nierait-on cette vérité ? Dois-je comprendre que Sartre dit être tombé du ciel? Seul un insensé dirait être apparu sans parents. Nous savons par expérience que toutes les espèces se manifestent à partir d’une mère. Prise dans sa totalité, nous disons que la Nature matérielle est la mère de tous les êtres. Dès qu’on admet l’existence de la mère, il s’agit ensuite de reconnaître celle du père. Il est de la plus haute importance de savoir d’où l’on vient. Comment pourrait-on écarter cette question ?
SYAMASUNDAR: Sartre croit que le désir fondamental de l’homme est le « désir d’être ». C’est-à-dire qu’il est davantage en quête d’existence que de néant.
SRILA PRABHUPADA: C’est vrai. Étant éternel, l’être humain aspire à vivre éternellement. Hélas, il s’est placé dans une situation qui n’a rien d’éternel, c.-à-d. qu’il cherche à conserver une position précaire. Grâce à la conscience de Krishna, nous accédons à tout jamais à notre position éternelle.
SYAMASUNDAR: Sartre estime que l’humain aspire à du solide. L’être pour-soi ne le satisfaisant pas, il aspire aussi à l’être en-soi.
SRILA PRABHUPADA: Rien en l’Univers matériel n’existe de toute éternité. Même s’il vit dix mille ans, l’arbre périra un jour. Rien ne perdure en ce monde. Ce que recherche l’être humain est la véritable spiritualité. Dans la Bhagavad-Gîtâ (8:20), Krishna nous parle d’un autre monde, un monde permanent (sanâtan) :
paras tasmât tu bhâvo ’nyo ’vyakto ’vyaktât sanâtanah
yah sa sarvesu bhûtesu nasyatsu na vinasyati
« Il existe cependant une autre nature, qui est éternelle et se situe au-delà des états manifesté et non manifesté de la matière. Monde suprême, qui jamais ne périt; quand tout en l’Univers matériel est dissous, lui demeure intact. » Après l’annihilation du cosmos matériel, l’autre monde qu’on qualifie de sanâtan demeure.
SYAMASUNDAR: Cette aspiration à l’être en-soi est le désir d’être Dieu, qui selon Sartre serait l’aspiration fondamentale de l’humain.
SRILA PRABHUPADA: Voilà l’essence de la philosophie mâyâvâdî. Les Mâyâvâdîs croient qu’en accédant au parfait savoir, ils deviendront Dieu. Faisant partie intégrante de Dieu, l’homme aspire à s’unir à Lui. On peut comparer cela à la personne qui désire regagner le foyer après une longue absence.
SYAMASUNDAR: Sartre croit que ce désir d’être Dieu est voué à l’échec.
SRILA PRABHUPADA: Évidemment, car l’homme n’est pas Dieu. S’il l’était, comment serait-il devenu autre chose? L’aspiration même à être Dieu signifie qu’il ne l’est pas maintenant. L’humain ne peut devenir Dieu, mais il peut devenir divin. Vivant dans les ténèbres, nous aspirons à la lumière. Nous pouvons nous mettre au soleil, mais cela ne signifie pas pour autant que nous devenons l’astre du jour. En accédant au parfait savoir, nous devenons divins et non Dieu. Si nous étions Dieu, il ne serait pas question d’être autre chose. Pas question d’être ignorant. Krishna est également nommé Achyouta, c.-à-d. Celui qui ne choit jamais de sa position. Ce qui signifie qu’Il est toujours Dieu. On ne peut devenir Dieu grâce à quelque forme de mysticisme. Ce désir de devenir Dieu est inutile car voué à la frustration.
SYAMASUNDAR: Voilà pourquoi Sartre qualifie l’homme d’« inutile passion ».
SRILA PRABHUPADA: L’humain n’est pas inutile s’il s’efforce de devenir conscient de Krishna. Chercher à devenir conscient de Krishna et chercher à devenir Krishna, voilà deux choses diamétralement opposées. L’un est divin, l’autre est démoniaque.
SYAMASUNDAR: Sartre pense que puisqu’il s’avère impossible de devenir Dieu, tout est inutile.
SRILA PRABHUPADA: Quelle sottise! Vous n’êtes pas Dieu, mais Son serviteur. Cherchant à devenir Dieu, vous réalisez que c’est une entreprise impossible. Abandonnez donc cette idée et décidez de devenir un bon serviteur du Seigneur, au lieu de servir Mâyâ. Voilà une décision éclairée.
SYAMASUNDAR: Sartre conclut que puisque les choses n’ont aucune raison d’exister, la vie n’a donc aucun but essentiel.
SRILA PRABHUPADA: Rien ne peut exister sans but. Il existe également une cause suprême. Ces philosophes n’ont pas assez de matière grise pour voir plus loin qu’en surface. Voilà leur défaut. Ils sont incapables de comprendre la cause de toutes les causes. Plusieurs hommes de science modernes soutiennent aussi que la Nature, prakriti, représente l’unique cause de l’existence, théorie que nous ne saurions appuyer. Nous comprenons en effet que Dieu est à l’origine de la Nature, laquelle n’agit pas de façon indépendante. La Nature est phénomène, mais derrière ou au-delà de la Nature Se tient Krishna, Dieu, le noumène.
La Bhagavad-Gîtâ qualifie d’asouriques, ou démoniaques, les philosophies telle celle de Sartre. Les démoniaques ne croient pas en une cause supérieure, considérant que tout est accidentel. Ils disent qu’un homme et une femme s’unissent par hasard, et que leur enfant est le fruit du désir sexuel, et rien d’autre. Partant de telles conclusions, ils prétendent que l’existence n’a aucun but.
asatyam apratishtam te jagad âhur anîsvaram
aparaspara-sambhûtam kim anyat kâma-haitukam
« Ils prétendent que ce monde est irréel, sans fondement, qu’aucun Dieu ne le dirige; qu’il ne résulte que du désir sexuel et n’a d’autre cause que la concupiscence. » (Gîtâ 16:8) De telles philosophies sont dites asouriques, ou démoniaques, car elles relèvent des ténèbres de l’ignorance.
SYAMASUNDAR: Pour Sartre, « être pour-soi » désigne la conscience humaine, laquelle est subjective, individuelle, incomplète et indéterminée. Elle est néant en ce sens qu’elle ne possède ni masse ni densité.
SRILA PRABHUPADA: Étant trop matérialiste, ses sens ne peuvent percevoir ce qui n’est pas concret. Selon la philosophie védique, les sens et leurs objets sont créés simultanément. Car sans arôme, le sens de l’odorat n’a aucune valeur. Sans beauté, les yeux n’ont guère de valeur. Et de même les oreilles en l’absence de musique et le sens du toucher privé de douceur. Pas question donc de néant, il doit y avoir interaction.
SYAMASUNDAR: Comme la nature humaine essentielle réside dans un néant indéterminé, Sartre croit que l’humain est libre de choisir d’être soit un héros soit un lâche. Notre situation est entre nos mains.
SRILA PRABHUPADA: Si selon vous, vous avez été précipité dans ce monde par quelque puissance supérieure, ou par hasard, qu’y pouvez-vous? Comment devenir un héros ? Si vous essayez d’y parvenir, vous serez d’autant plus malmené car vous avez été mis ici-bas par une puissance supérieure. Si un accusé en état d’arrestation veut jouer les héros, il sera frappé et puni. En réalité, vous n’êtes ni un lâche ni un héros, mais un instrument entièrement sous le joug d’une puissance supérieure.
SYAMASUNDAR: Mais si on vous attaque, vous avez le pouvoir de choisir d’être un héros en vous défendant, ou de fuir.
SRILA PRABHUPADA: Il n’est pas héroïque mais naturel de se défendre. Sinon, même le chien pourrait devenir un héros lorsqu’on l’attaque. La fourmi aussi. L’héroïsme et la lâcheté ne sont que de fausses conceptions. Après tout, vous êtes sous le joug de quelqu’un qui peut faire de vous ce que bon Lui semble. Pas question donc de devenir lâche ou héros.
SYAMASUNDAR: Mais n’est-ce pas héroïque de sauver quelqu’un du danger ?
SRILA PRABHUPADA: Tout ce que vous pouvez sauver est son vêtement extérieur [le corps]. Ce n’est guère de l’héroïsme, ni même de la protection. On ne peut être un vrai héros que lorsqu’on est pleinement investi de pouvoirs ou protégé. C’est-à-dire un dévot, car seul Krishna peut entièrement protéger ou investir quelqu’un de pouvoirs.
SYAMASUNDAR: Étant libre, l’être humain est sujet à ce que Sartre appelle « mauvaise foi », c.-à-d. un certain aveuglement. La mauvaise foi prive l’humain de sa liberté comme de sa responsabilité.
SRILA PRABHUPADA: Vous êtes certes libre de choisir dans une certaine mesure, mais si vous faites le mauvais choix, vous en souffrirez. Liberté et responsabilité vont de pair. Dans un même temps, il faut faire preuve de discernement. Sans quoi, notre liberté sera aveugle. On ne pourra distinguer le bien du mal.
SYAMASUNDAR: L’homme de mauvaise foi va à la dérive de jour en jour sans s’impliquer, évitant toute décision responsable.
SRILA PRABHUPADA: Ceci signifie qu’il a décidé d’aller à la dérive. Sa dérive constitue une décision en soi.
SYAMASUNDAR: Sartre croit que la mauvaise foi doit être remplacée par un choix sérieux, et la foi en ce choix.
SRILA PRABHUPADA: Mais s’il fait un mauvais choix, que vaut son action ? Les phalènes qui se jettent courageusement dans les flammes ont-elles pris une décision éclairée ?
SYAMASUNDAR: Par mauvaise foi, les gens traitent les autres comme des objets et non comme des personnes. Sartre recommande qu’on redresse la situation.
SRILA PRABHUPADA: Il parle de mauvaise foi, mais qu’en est-il de la bonne foi ?
SYAMASUNDAR: Si le fait d’éviter les décisions est preuve de mauvaise foi, la bonne foi consiste à prendre des décisions avec courage et à les appliquer, quelles qu’elles soient.
SRILA PRABHUPADA: Et si votre décision est mauvaise ?
SYAMASUNDAR: Pour Sartre, ce n’est pas une question de bonne ou mauvaise.
SRILA PRABHUPADA: De sorte que toute décision que je prendrais serait aussi finale qu’absolue ? Ceci revient à dire que l’insecte décidant de se consumer dans le feu a pris une décision éclairée. Voilà la philosophie de l’insecte. Si l’être humain peut agir comme bon lui semble, en quoi est-il responsable ?
SYAMASUNDAR: Sartre croit que le sort du monde dépend des décisions des humains. De toute évidence, si ceux-ci prenaient des décisions éclairées, le monde s’en trouverait mieux.
SRILA PRABHUPADA: Nous cherchons par conséquent à introduire la conscience de Krishna afin de transformer le monde en Vaikountha, en un monde libre de toute anxiété. Mais cette décision n’est pas aveugle. Elle procède d’une autorité supérieure : d’où sa perfection.
SYAMASUNDAR: Plusieurs qualifient de pessimiste la philosophie de Sartre, car il soutient que l’humain est une « passion inutile », s’évertuant en vain dans un Univers sans but.
SRILA PRABHUPADA: Sartre est peut-être une passion inutile, mais pas nous. Aucun humain sain d’esprit n’est inutile, car il obéira à une autorité supérieure. Ainsi le veut la civilisation védique. La personne qui approche un maître spirituel authentique ne sera pas déconcertée. Aveugle, Sartre croit que l’Univers est sans but. Il est incapable de voir que toute chose a sa raison d’être. C’est pourquoi selon le critère de la Bhagavad-Gîtâ, sa philosophie est démoniaque. Tout en l’Univers fonctionne selon un schéma directeur. Le soleil et la lune se lèvent, et les saisons changent comme prévu.
SYAMASUNDAR: Pour Sartre, l’homme est seul au monde, à moins qu’il ne soit un « être-pour-autrui ». Il a besoin d’autrui pour se réaliser.
SRILA PRABHUPADA: Ceci signifie que l’être humain a besoin d’un guru.
SYAMASUNDAR: Sartre ne parle pas d’un guru, mais d’interaction avec autrui pour la compréhension de soi.
SRILA PRABHUPADA: S’il en est ainsi, pourquoi ne pas interagir avec la meilleure personne? Si on a besoin d’autrui pour se comprendre soi-même, pourquoi ne pas rechercher le meilleur candidat ? Nous devrions recevoir l’aide d’une personne qui s’y connaît. Si vous acceptez les conseils d’un guide compétent, votre but sera glorieux. Tel est l’enseignement védique : tad-vijñânârtham sa gurum evâbhigacchet (Moundaka Upanishad 1.2.12).
SYAMASUNDAR: Sartre estime qu’en présence d’autrui, l’humain éprouve de la honte.
SRILA PRABHUPADA: Il éprouve de la honte quand il n’est pas guidé par un supérieur. On est glorieux, et non honteux, quand un supérieur nous guide. La personne qui peut vous conduire à la gloire de la conscience de Krishna : voilà votre supérieur.