SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 4
CHAPITRE 9

Le retour de
Dhruva Maharaja.

VERSET 6

dhruva uvaca
yo ntah pravisya mama vacam imam prasuptam
sanjivayaty akhila-sakti-dharah sva-dhamna
anyams ca hasta-carana-sravana-tvag-adin
pranan namo bhagavate purusaya tubhyam

TRADUCTION

Ainsi parla Dhruva Maharaja:
O Seigneur, Toi qui es tout-puissant, ayant pénétré en moi, Tu as ravivé tous mes sens endormis —mes mains, mes jambes, mes oreilles, ma peau, ma force vitale et, surtout, mon pouvoir d'élocution. Avec respect, je T'offre mon hommage.

TENEUR ET PORTEE

Dhruva Maharaja put saisir sans aucun mal ce qui avait changé en lui depuis qu'il avait atteint la réalisation spirituelle et vu Dieu en personne devant lui. Il comprit que sa force vitale et ses actes étaient demeurés assoupis. Tant que l'être n'a pas atteint le niveau spirituel, les différentes parties de son corps, sa pensée et les autres fonctions de son organisme sont considérées endormies. Si l'homme n'est pas parvenu au niveau spirituel, tout ce qu'il accomplit équivaut aux activités d'un mort ou d'un fantôme. Srila Bhaktivinoda Thakura a composé un chant dans lequel il s'adresse à lui-même: "Réveille-toi, âme endormie! Jusqu'à quand dormiras-tu dans les bras de Maya? Tu as maintenant la chance de posséder une forme humaine; réveille-toi maintenant et découvre ton moi véritable." De même, les Vedas enseignent: "Réveillez-vous! Réveillez-vous! Vous avez la chance, le privilège, d'avoir la forme humaine; vous devez maintenant accéder à la réalisation spirituelle." Telles sont les injonctions védiques.

De par sa propre expérience, Dhruva Maharaja se rendit compte en vérité que l'illumination spirituelle de ses sens lui permettait de comprendre l'essence du message védique: l'aspect suprême du Divin est la Personne Souveraine; il n'est pas impersonnel. Dhruva Maharaja put comprendre sur-le-champ cette vérité. Conscient de ce que, depuis fort longtemps, il était comme endormi, il ressentit vivement le désir de glorifier le Seigneur conformément à la conclusion du savoir védique. Un profane ne saurait offrir de prières à Dieu, la Personne Suprême, ni Le glorifier, car il n'a aucune réalisation du message ultime des Vedas.

En conséquence, lorsque Dhruva Maharaja perçut le changement qui s'était produit en lui, il comprit aussitôt que cela était dû à la miséricorde immotivée du Seigneur. Aussi Lui offrit-il son hommage avec beaucoup de respect et de vénération, réalisant parfaitement que le Seigneur le bénissait de Sa grâce. Cet éveil spirituel des sens et du mental de Dhruva Maharaja était dû à l'action de la puissance interne du Seigneur, ce qu'indique ce verset par les mots sva-dhamna, signifiant "par l'énergie spirituelle". C'est par la grâce de cette énergie que l'on peut parvenir à l'illumination spirituelle. Le chant du mantra Hare Krsna s'adresse en premier lieu à l'énergie spirituelle du Seigneur, ou hare. Celle-ci agit sur l'être vivant qui s'abandonne complètement au Seigneur et accepte sa position de serviteur éternel. On appelle sevonmukha le fait de se mettre à la disposition du Seigneur Suprême, d'être prêt à faire Sa volonté; c'est alors qu'Il nous est peu à peu révélé par l'énergie spirituelle. Sans ce concours de l'énergie spirituelle, il est impossible de glorifier le Seigneur par des prières. Toutes autant qu'elles sont, les spéculations philosophiques ou les images poétiques exprimées par des profanes n'en sont pas moins toujours considérées comme relevant des causes et des effets de l'énergie matérielle. Lorsque l'être distinct se voit véritablement ravivé par l'énergie spirituelle, tous ses sens deviennent purifiés, et il se consacre exclusivement au service du Seigneur. A ce stade, ses mains, ses jambes, ses oreilles, sa langue, son mental, ses organes génitaux —bref tout son corps— participent activement au service qu'il offre au Seigneur. Ainsi illuminé, le bhakta n'a plus d'activités matérielles; il n'a pas davantage le moindre désir de se livrer à de telles activités. Cette voie par laquelle l'être distinct purifie ses sens et les utilise dans le service du Seigneur n'est autre que la bhakti, le service de dévotion. Au début, les activités de ses sens seront ainsi réglées par le maître spirituel et les sastras, et lorsqu'il sera parvenu au niveau de la réalisation spirituelle, lorsque ces mêmes sens seront purifiés, il continuera d'agir sur cette même voie. En d'autres termes, au commencement les sens sont utilisés d'une façon mécanique dans le service du Seigneur, mais après le stade de la réalisation spirituelle, ils sont utilisés en pleine connaissance de cause.

VERSET 7

ekas tvam eva bhagavann idam atma-saktya
mayakhyayoru-gunaya mahad-ady-asesam
srstvanuvisya purusas tad-asad-gunesu
naneva darusu vibhavasuvad vibhasi

TRADUCTION

O Seigneur, Tu es l'Etre Suprême, mais par Tes diverses énergies, Tu Te manifestes différemment dans les mondes matériel et spirituel. Tu crées l'énergie totale du monde matériel par Ta puissance externe et, après la création, Tu pénètres dans l'univers matériel en tant que l'Ame Suprême. Tu es la Personne Souveraine et, par l'intermédiaire des influences matérielles temporaires, Tu crées toutes les variétés de manifestations, tout comme le feu pénètre dans différents morceaux de bois et apparaît alors sous la forme de flammes variées.

TENEUR ET PORTEE

Dhruva Maharaja réalisa que la Vérité Absolue, l'Etre Suprême, agit par l'intermédiaire de Ses différentes énergies et que Son omniprésence ne signifie nullement qu'Il devient impersonnel ou Se réduit au néant. Pour les philosophes mayavadis, la Vérité Absolue, étant diffusée à travers la manifestation cosmique, n'a pas de forme personnelle. Mais dans cette prière, Dhruva Maharaja ayant réalisé la conclusion védique, dit au contraire: "Tu Te diffuses dans l'entière manifestation cosmique par Ton énergie." Celle-ci est spirituelle dans Sa nature première, mais parce qu'elle agit temporairement dans le monde matériel, elle est connue sous le nom de maya, ou énergie illusoire. En d'autres termes, l'énergie du Seigneur agit pour tous les êtres, sauf pour les bhaktas, en tant qu'énergie externe. Dhruva Maharaja saisit parfaitement cette vérité, et il put également comprendre que l'énergie et sa source sont une seule et même chose. En effet, l'énergie ne peut être séparée de sa source.

Ce verset reconnaît que l'Ame Suprême, le Paramatma, est un aspect de Dieu, la Personne Suprême. Son énergie spirituelle, originelle, anime l'énergie matérielle, et c'est ainsi que le corps matériel, inerte par lui-même, semble doué de force vitale. Les philosophes nihilistes pensent que, sous certaines conditions matérielles, les symptômes de la vie apparaissent dans le corps; mais en vérité, celui-ci ne peut agir de lui-même. Même une machine a besoin, pour fonctionner, d'une énergie extérieure à elle-même (électricité, vapeur, etc.). Ce verset explique que l'énergie matérielle agit à travers toute une variété de corps matériels, tout comme le feu revêt divers aspects selon la taille et la nature des morceaux de bois qu'il consume. Dans le cas des dévots du Seigneur, la même énergie se transforme et devient spirituelle; ceci s'explique par le fait que l'énergie est originellement spirituelle, et non matérielle. Il est dit à ce propos: visnu-saktih para prokta. L'énergie originelle inspire le bhakta, et c'est ainsi qu'il met toutes les fonctions de son corps au service du Seigneur, alors que la même énergie, en tant que puissance externe, incite les abhaktas à accomplir des actes matériels visant à la satisfaction des sens. Nous devons bien noter la différence qui existe entre maya et sva-dhama: l'énergie sva-dhama est celle qui gouverne les bhaktas, tandis que les abhaktas se trouvent sous l'influence de maya.

VERSET 8

tvad-dattaya vayunayedam acasta visvam
supta-prabuddha iva natha bhavat-prapannah
tasyapavargya-saranam tava pada-mulam
vismaryate krta-vida katham arta-bandho

TRADUCTION

O mon maître, Brahma T'est complètement soumis. Au début des temps, Tu lui donnas la connaissance, et il put ainsi voir et comprendre l'univers entier, tout comme un homme qui s'éveille et prend conscience de ses devoirs immédiats. Tu es le seul refuge de ceux qui désirent la libération et l'ami de tous les malheureux. Comment un homme instruit et qui possède le savoir parfait pourrait-il T'oublier?

TENEUR ET PORTEE

Les bhaktas, qui sont entièrement soumis au Seigneur, ne peuvent L'oublier, ne serait-ce qu'un seul instant. Ils ont conscience que Sa miséricorde immotivée va au-delà de ce qu'ils peuvent s'imaginer; ils ne peuvent savoir tout ce qu'ils doivent à la grâce du Seigneur. Plus un bhakta se donne au service de dévotion, et plus l'énergie du Seigneur lui prodigue d'encouragements. Dans la Bhagavad-gita, Krsna enseigne que, de l'intérieur, Il donne à ceux qui s'emploient continuellement à Le servir avec dévotion, l'intelligence qui leur permet de progresser dans cette voie. Ainsi encouragé, le bhakta ne peut jamais oublier la Personne Divine, même un seul instant. Il se sent toujours redevable envers Lui d'avoir atteint, par Sa grâce, une puissance accrue dans le service de dévotion. Grâce à cette connaissance du Seigneur, des êtres saints comme Sanaka, Sanatana et Brahma, furent en mesure de voir l'univers entier, par Sa miséricorde. Pour reprendre l'exemple donné dans ce verset, même si un homme semble demeurer éveillé toute la journée, tant qu'il n'a pas développé en lui-même une vision spirituelle, il ne fait en réalité que dormir. Qu'il dorme la nuit et accomplisse ses devoirs durant la journée ne change rien au fait: tant qu'il n'en vient pas à agir en pleine lumière spirituelle, on considère qu'il est continuellement endormi. Aussi un bhakta n'oublie-t-il jamais tout ce qu'il doit au Seigneur.

Le Seigneur est ici appelé arta-bandhu, ou "l'ami des malheureux". La Bhagavad-gita enseigne à ce propos qu'après avoir passé d'innombrables vies à se livrer à de rudes austérités pour obtenir la connaissance, l'homme accède au véritable savoir et atteint la sagesse réelle lorsqu'il s'abandonne à Dieu, la Personne Suprême. Quant aux philosophes mayavadis, qui ne s'abandonnent pas au Seigneur, le savoir véritable leur manque de toute évidence. Ainsi, le bhakta parvenu à la parfaite connaissance ne peut, à aucun moment, oublier ce qu'il doit au Seigneur.

VERSET 9

nunam vimusta-matayas tava mayaya te
ye tvam bhavapyaya-vimoksanam anya-hetoh
arcanti kalpaka-tarum kunapopabhogyam
icchanti yat sparsajam niraye pi nrnam

TRADUCTION

Ceux qui, en T'adorant, ne cherchent qu'à satisfaire les sens de ce sac de peau, se trouvent à coup sûr sous l'influence de Ton énergie illusoire. Bien que T'ayant à leur portée, Toi qui es comme un arbre-à-souhaits et qui peux les affranchir de la naissance et de la mort, les êtres sans intelligence dont je fais partie désirent de Toi des bénédictions liées au plaisir des sens, lequel est accessible même à ceux qui vivent dans des conditions infernales.

TENEUR ET PORTEE

Dhruva Maharaja se repent ici d'avoir approché le Seigneur pour Lui offrir un service de dévotion dans un dessein matériel, et il condamne son propre état d'esprit. Seule une ignorance grossière peut inciter un être à adorer le Seigneur en vue d'un gain matériel ou du plaisir des sens. En effet, le Seigneur est comme un arbre-à-souhaits. Mais, bien que l'on puisse obtenir de Lui tout ce qu'on désire, les hommes du commun ne savent pas quelle sorte de bénédictions ils devraient Lui demander. Même les porcs et les chiens connaissent le bonheur que procurent les contacts physiques, ou plaisirs des sens. En fait, un tel bonheur est des plus dérisoires, et si un bhakta adore le Seigneur pour une vétille de ce genre, il doit être considéré comme dénué de toute connaissance.

VERSET 10

ya nirvrtis tanu-bhrtam tava pada-padma-
dhyanad bhavaj-jana-katha-sravanena va syat
sa brahmani sva-mahimany api natha ma bhut
kim tv antakasi-lulitat patatam vimanat

TRADUCTION

O Seigneur, si grande est la félicité spirituelle qui découle de la méditation sur Tes pieds pareils-au-lotus ou du fait d'écouter Tes gloires chantées par de purs bhaktas, qu'elle dépasse de loin le brahmananda, où l'être pense se fondre dans le Brahman impersonnel pour ne plus faire qu'Un avec le Suprême. Puisque le brahmananda est, lui aussi, dépassé par la félicité transcendante que procure le service de dévotion offert à Ta Personne, que dire alors du bonheur éphémère de ceux qui accèdent aux planètes édéniques, bonheur soudainement interrompu par le glaive du temps? En effet, celui qui parvient à atteindre les planètes édéniques devra retomber tôt ou tard.

TENEUR ET PORTEE

La félicité spirituelle qui découle du service de dévotion, et principalement de l'écoute et du chant (sravanam kirtanam), ne saurait être comparée au bonheur obtenu par les karmis qui atteignent les planètes édéniques ou par les jnanis ou les yogis, qui trouvent leur bonheur dans l'union avec le Brahman impersonnel. Si les yogis méditent en général sur la Forme spirituelle de Visnu, les dévots du Seigneur, eux, ne se contentent pas de méditer sur Lui; ils Le servent directement et de façon concrète. Dans un verset précédent, les mots bhava-pyaya, se rapportant à la naissance et à la mort, indiquent que le Seigneur peut libérer l'être de l'enchaînement des morts et des renaissances. Il est erroné de penser, à la manière des partisans du monisme, que celui qui est libéré du cycle des morts et des renaissances se fond dans le Brahman Suprême. Ce verset déclare clairement que la félicité spirituelle que connaissent les purs dévots du Seigneur par la pratique du sravanam kirtanam ne saurait être comparée au brahmananda, la conception impersonnelle de la félicité spirituelle qui découle de la fusion en l'Absolu.

Quant aux karmis, leur position est encore plus dégradée. Ils cherchent à s'élever pour atteindre les systèmes planétaires supérieurs, et la Bhagavad-gita (IX.25) enseigne à ce propos, yanti deva-vrata devan: ceux qui adeorent les devas atteignent les planètes édéniques. Mais on lit également: ksine punye martya-lokam visanti,(1) ceux qui accèdent aux systèmes planétaires supérieurs doivent revenir sur terre dès que les fruits de leurs activités pieuses sont épuisés. On peut les comparer aux astronautes qui voyagent aujourd'hui vers la Lune; dès qu'ils ont épuisé leur carburant, ils sont obligés de regagner la Terre. Ainsi, ceux qui accèdent aux planètes édéniques par la force de yajnas et d'actes pieux doivent finalement retomber sur cette Terre, tout comme les astronautes qui voyagent vers la Lune ou d'autres planètes édéniques à l'aide de réacteurs doivent revenir lorsqu'ils n'ont presque plus de carburant. Anta kasi-lulitat: le glaive du temps s'abat sur les êtres et les fait tomber de leur haute position en ce monde matériel. Dhruva Maharaja sut reconnaître que les fruits du service de dévotion offert au Seigneur ont beaucoup plus de valeur que la fusion en l'Absolu ou que l'élévation aux planètes édéniques. Arrêtons-nous ici sur les mots patatam vimanat: vimana signifie "vaisseau spatial". On compare ici ceux qui atteignent les planètes édéniques à des engins spatiaux qui sont contraints de revenir sur la Terre dès qu'ils commencent à manquer de carburant.

(1) B.g., IX.21


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare