SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 4
CHAPITRE 9

Le retour de
Dhruva Maharaja.

VERSET 11

bhaktim muhuh pravahatam tvayi me prasango
bhuyad ananta mahatam amalasayanam
yenanjasolbanam uru-vyasanam bhavabdhim
nesye bhavad-guna-kathamrta-pana-mattah

TRADUCTION

[Dhruva Maharaja poursuivit en ces termes:]
O Seigneur, Toi qui es infini, veuille m'accorder la bénédiction de pouvoir vivre en la compagnie de grands bhaktas qui Te servent constamment avec un amour absolu, tout comme les vagues d'une rivière se déroulent sans interruption. D'aussi purs dévots du Seigneur sont parfaitement établis à un niveau d'existence exempt de toute souillure. En suivant la voie du service de dévotion, je serai certes en mesure de franchir l'océan d'ignorance de l'existence matérielle avec ses vagues de dangers, aussi terribles que des ouragans de feu. J'y parviendrai sans aucun mal, car je deviens fou du désir d'entendre ce qui touche à Tes Attributs et Tes Divertissements spirituels et absolus, lesquels existent de toute éternité.

TENEUR ET PORTEE

Il ressort principalement des paroles de Dhruva Maharaja qu'il désirait vivre en compagnie de purs dévots du Seigneur. Sans la compagnie des bhaktas, le service de dévotion reste nécessairement incomplet et ne peut révéler sa saveur. C'est la raison pour laquelle nous avons fondé l'Association Internationale pour la Conscience de Krsna; quiconque pratique la conscience de Krsna tout en essayant de se tenir à l'écart de ce Mouvement est en proie à une véritable hallucination, car c'est là chose impossible. Les paroles de Dhruva Maharaja montrent clairement que si l'on ne se trouve pas en compagnie de bhaktas, le service de dévotion que l'on offre au Seigneur demeure immature; il ne se distingue pas alors des activités matérielles. Le Seigneur enseigne Lui-même: satam prasangan mama virya-samvido bhavanti hrt-karna-rasayanah.(1) Ce n'est que dans la compagnie des purs dévots du Seigneur que l'on peut pleinement bénéficier de la puissance des paroles de Sri Krsna et apprécier combien elles sont agréables au coeur et à l'oreille. Dhruva Maharaja désirait expressément se trouver au contact de dévots du Seigneur. Cette vie de dévotion partagée avec les bhaktas s'apparente aux vagues d'une rivière coulant sans interruption. Les activités de notre Mouvement pour la Conscience de Krsna nous absorbent vingt-quatre heures sur vingt-quatre; chaque instant de notre vie est pleinement consacré au service du Seigneur. Voilà ce qu'on appelle le flot incessant du service de dévotion.

Un philosophe mayavadi pourrait nous poser la question suivante: "Peut-être êtes-vous très heureux en compagnie des bhaktas, mais comment pensez-vous pouvoir franchir l'océan de l'existence matérielle?" Dhruva Maharaja répond ici que cela ne présente pas vraiment de difficultés. Il déclare clairement que l'on peut sans difficulté traverser cet océan si on désire passionnément entendre louer les gloires du Seigneur. Bhavad-guna-katha: pour celui qui s'emploie assidûment à écouter les paroles divines de la Srimad-Bhagavad-gita, du Srimad-Bhagavatam et du Caitanya-caritamrta, et qui s'attache littéralement à cette voie tout comme une personne atteinte de toxicomanie, il est très facile de triompher de l'ignorance propre à l'existence matérielle. On compare cet océan d'ignorance à un feu ardent, mais pour un bhakta, ce brasier s'avère insignifiant; il est pleinement absorbé dans le service de dévotion. Bien que le monde matériel s'apparente à un feu brûlant, il revêt un caractère des plus plaisants pour un dévot du Seigneur (visvam purna-sukhayate).

Il convient de retenir principalement de ces paroles de Dhruva Maharaja que le service de dévotion effectué dans la compagnie des bhaktas conduit l'être à s'engager encore plus dans cette voie. Seul le service de dévotion permet d'atteindre la planète spirituelle de Goloka Vrndavana, et là encore, on ne se livre qu'à une seule occupation: servir le Seigneur avec amour. En effet, les activités propres au bhakti-yoga demeurent les mêmes, que ce soit ici-bas ou dans le monde spirituel. Le service de dévotion n'est sujet à aucun changement. Précisons ce point en utilisant l'exemple de la mangue. Même si on la prend verte, il s'agit d'une mangue; mais, lorsqu'elle a mûri, bien qu'il s'agisse toujours du même fruit, elle a acquis plus de saveur. Pareillement, on décrit d'une part le service de dévotion accompli sous la direction du maître spirituel ainsi que des injonctions et principes régulateurs des sastras, et d'autre part le service de dévotion offert directement au Seigneur, dans le monde spirituel; mais il n'y a pas de changement de nature, ils sont tous deux identiques. L'un n'est pas encore mûr et l'autre, étant mûr, a plus de saveur; voilà la seule différence. Quant à atteindre la maturité dans la pratique du service de dévotion, cela n'est possible qu'en vivant au contact des dévots du Seigneur.

(1) S.B., 3.25.25

VERSET 12

te na smaranty atitaram priyam isa martyam
ye canv adah suta-suhrd-grha-vitta-darah
ye tv abja-nabha bhavadiya-padaravinda-
saugandhya-lubdha-hrdayesu krta-prasangah

TRADUCTION

O Seigneur, Toi dont le nombril est pareil à un lotus, celui qui a l'occasion de se trouver au contact d'un bhakta qui, en son coeur, languit sans cesse auprès Tes pieds pareils-au-lotus et toujours recherche leur arôme, celui-là ne sera jamais attaché au corps matériel ou à tout ce qui s'y rattache —une femme, des enfants, des amis, une maison, des richesses— tout ceci étant extrêmement cher aux matérialistes. A vrai dire, il ne s'en soucie pas.

TENEUR ET PORTEE

Le service de dévotion offert au Seigneur comporte un avantage spécial: non seulement les bhaktas prennent plaisir à écouter, à chanter et à glorifier les Divertissements spirituels et absolus du Seigneur, mais en outre, ils ne sont pas très attachés à leur corps, contrairement aux yogis, qui pensent qu'en accomplissant des exercices physiques, leur conscience spirituelle se développera. En général, les yogis ne s'intéressent guère au service de dévotion; ils veulent simplement parvenir à la maîtrise de leur respiration, ce qui n'est qu'une préoccupation d'ordre physique. Or, Dhruva Maharaja dit clairement dans ce verset qu'un bhakta n'est plus concerné par ce qui touche à son corps, car il se sait différent de celui-ci. En conséquence, dès qu'il s'engage dans cette voie, sans perdre son temps à des exercices physiques, il recherche un pur dévot du Seigneur, et à son seul contact, il atteint un niveau de conscience spirituelle supérieur à celui de n'importe quel yogi. Du fait qu'un bhakta sait qu'il n'est pas le corps, les joies et les peines physiques ne le touchent jamais. Les relations matérielles, fondées sur le corps, qui l'unissent à une femme, à des enfants, à une maison, à un compte en banque, etc. ne présentent pour lui aucun intérêt —pas plus d'ailleurs que les joies et les peines qui en découlent. Tel est l'avantage particulier dont jouit un dévot du Seigneur. Or, seul peut atteindre ce niveau d'existence celui qui recherche la compagnie d'un pur bhakta et qui, toujours, se plaît à sentir l'arôme des pieds pareils-au-lotus du Seigneur.

VERSET 13

tiryan-naga-dvija-sarisrpa-deva-daitya-
martyadibhih paricitam sad-asad-visesam
rupam sthavistham aja te mahad-ady-anekam
natah param parama vedmi na yatra vadah

TRADUCTION

O Seigneur, Toi le Non-né suprême, je sais que les êtres vivants appartenant à diverses espèces, comme les quadrupèdes, les arbres, les oiseaux, les reptiles, les devas et les êtres humains, sont disséminés à travers l'univers, lequel procède de l'énergie matérielle totale; je sais également qu'ils sont tantôt manifestés et tantôt non manifestés. Toutefois, jamais je n'avais eu directement connaissance de la Forme suprême que Tu me permets maintenant de contempler en Te révélant à mes yeux. Maintenant toutes les méthodes de spéculation me sont inutiles.

TENEUR ET PORTEE

Dans la Bhagavad-gita, le Seigneur enseigne qu'Il Se diffuse à travers l'univers, mais qu'Il demeure indépendant, bien que toutes choses reposent en Lui. or, Dhruva Maharaja exprime ici la même idée lorsqu'il dit qu'avant de contempler la forme spirituelle et absolue du Seigneur, il n'avait eu connaissance que des variétés de formes matérielles qui correspondent à huit millions quatre cent mille (8 400 000) espèces d'animaux aquatiques, d'oiseaux, de quadrupèdes, etc. De fait, il est impossible de comprendre la Forme ultime du Seigneur, à moins de Le servir avec dévotion. La Bhagavad-gita (XVIII.55) le confirme, bhaktya mam abhijanati: il n'est pas d'autre voie que le service de dévotion offert au Seigneur pour accéder à une compréhension réelle de la Vérité Absolue, en tant que la Personne Suprême.

Dhruva Maharaja compare ici son ancien niveau d'entendement avec la perfection du savoir qu'il obtint en présence du Seigneur Suprême. L'être distinct, de par sa position même, est toujours occupé à servir; à moins qu'il n'en vienne à éprouver une certaine attirance pour Dieu, la Personne Suprême, il doit servir différentes sortes d'arbres, de reptiles, d'animaux, d'hommes, de devas... On peut ainsi voir que certains hommes servent un chien, d'autres des plantes, d'autres encore des devas ou l'humanité, ou même simplement leur patron au bureau —mais personne ne sert Krsna. En dehors des hommes ordinaires, même ceux qui bénéficient d'une certaine élévation dans le domaine de la compréhension spirituelle se vouent tout au plus au service de la virat-rupa; parfois encore, incapables de comprendre la Forme ultime du Seigneur, ils vouent un culte au néant par la pratique de la méditation. Mais Dhruva Maharaja, lui, avait reçu la bénédiction du Seigneur Suprême. Lorsque, de Sa conque, le Seigneur lui toucha le front, la véritable connaissance lui fut révélée de l'intérieur, et il put alors comprendre la nature transcendante de la Forme du Seigneur. Dhruva Maharaja reconnaît ici qu'il se trouvait dans l'ignorance et que, de plus, il n'était qu'un enfant. Un enfant ignorant n'aurait jamais été en mesure d'apprécier la Forme suprême du Seigneur, si Ce dernier ne lui avait point accordé Sa bénédiction, comme Il le fit pour Dhruva en lui touchant le front de Sa conque.

VERSET 14

kalpanta etad akhilam jatharena grhnan
sete puman sva-drg ananta-sakhas tad-anke
yan-nabhi-sindhu-ruha-kancana-loka-padma-
garbhe dyuman bhagavate pranato smi tasmai

TRADUCTION

O Seigneur, à la fin de chaque âge, Garhhodakasayi Visnu, la Personne Suprême, dissout et résorbe en Son abdomen toute chose manifestée dans l'univers. Il S'allonge sur Sesa Naga, et de Son nombril pousse un lotus doré sur lequel Brahma est créé. Je puis comprendre que Tu es ce même Seigneur Suprême et, avec respect, je T'offre mon humble hommage.

TENEUR ET PORTEE

Dhruva Maharaja possède une parfaite compréhension de tout ce qui touche à Dieu, la Personne Suprême. Les Vedas enseignent: yasmin vijnate sarvam evam vijnatam bhavati. La connaissance que le bhakta reçoit par la miséricorde absolue du Seigneur est si parfaite que, grâce à ce savoir, il parvient à comprendre toutes les différentes manifestations divines. Ksirodakasayi Visnu Se trouvait en personne devant Dhruva Maharaja, et celui-ci put également saisir en toute intelligence les deux autres Formes du Seigneur, soit Garbhodakasayi Visnu et Karanodakasayi Visnu (Matta-Visnu). La Brahma-samhita (5.48) consacre le verset suivant à Maha-Visnu:

yasyaika-nisvasita-kalam athavalambya
jivanti loma-vilaja jagad-anda-nathah
visnur mahan sa iha yasya kala-viseso
govindam adi-purusam tam aham bhajami

A la fin de chaque millénaire, lors de la dissolution de l'ensemble des univers matériels, tout se résorbe dans le corps de Garbhodakasayi Visnu, lequel repose alors sur Sesa Naga, une autre Forme du Seigneur.

Les abhaktas ne peuvent concevoir les différentes Formes de Visnu et leur position par rapport à la création. Parfois même, les athées s'insurgent: "Comment une fleur peut-elle pousser du nombril de Garbhodakasayi Visnu?" Pour eux, toutes les déclarations des sastras ne sont que des fables. Leur inexpérience dans le domaine de la Vérité Absolue et leur répugnance à accepter une autorité quelconque les entraînent vers un athéisme de plus en plus marqué; ils sont incapables de comprendre ce qui touche à Dieu, la Personne Suprême. Au contraire, un bhakta comme Dhruva Maharaja connaît, par la grâce du Seigneur, toutes les manifestations divines ainsi que leurs positions respectives. Il est dit qu'il suffit de recevoir la grâce du Seigneur, même en faible proportion, pour être en mesure de comprendre Ses gloires; quant à ceux qui émettent des hypothèses sur la Vérité Absolue, ils poursuivront leurs spéculations sans jamais pouvoir connaître le Seigneur tel qu'Il est. En d'autres termes, à moins d'entrer en contact avec un bhakta, il n'est pas possible de saisir la notion de forme absolue ou le monde de la transcendance avec les activités spirituelles qui lui sont propres.

VERSET 15

tvam nitya-mukta-parisuddha-vibuddha atma
kuta-stha adi-puruso bhagavams try-adhisah
yad-buddhy-avasthitim akhanditaya sva-drstya
drasta sthitav adhimakho vyatirikta asse

TRADUCTION

O Seigneur, de par Ton infaillible regard divin, Tu es le témoin suprême des diverses formes d'activités intellectuelles. Eternellement libéré, établi dans la pure vertu et immuable en tant que l'Ame Suprême, Tu es l'originelle Personne Divine, dotée des six perfections dans leur plénitude, et Tu règnes éternellement sur les trois influences matérielles. Par là, Tu Te distingues à jamais des simples êtres vivants. En tant que Sri Visnu, Tu assures le maintien de l'ordre universel, mais Tu transcendes pourtant ce monde et Tu jouis des fruits de tous les sacrifices.

TENEUR ET PORTEE

Les athées, qui contestent la suprématie de Dieu, la Personne Suprême, invoquent, entre autres arguments, que si Dieu vient en ce monde et le quitte, s'Il dort et S'éveille, rien ne Le distingue alors d'un simple être vivant. Or, pour bien montrer la différence, Dhruva Maharaja souligne ici les points suivants. Tout d'abord, le Seigneur est éternellement libéré. Même lorsqu'Il apparaît en ce monde matériel, Il ne tombe jamais sous l'emprise des trois gunas, ce qui Lui vaut le Nom de tri-adhisa (le maître des trois influences matérielles). La Bhagavad-gita (VII.14) enseigne, daivi hy esa gunamayi mama maya duratyaya: tous les êtres vivants sont enchaînés par les trois gunas. L'énergie externe du Seigneur s'avère très puissante, mais Lui, le maître des trois gunas, est éternellement libéré de l'engrenage des actes régis par ces gunas et de leurs suites. En conséquence, comme l'affirme la Sri Isopanisad, il n'existe en Lui aucune impureté. La souillure du monde matériel ne touche pas le Seigneur Suprême. Aussi Krsna déclare-t-Il dans la Bhagavad-gita que les gredins et les insensés, ignorant Sa param bhavam, Le considèrent comme un homme ordinaire. Les mots param bhavam indiquent qu'Il demeure toujours situé dans la transcendance. La souillure matérielle ne peut donc L'atteindre.

L'être vivant se distingue également du Seigneur par le fait qu'il est toujours dans les ténèbres. Même lorsqu'il se trouve situé au niveau de la vertu, bien des choses lui demeurent inconnues. Toutefois, il n'en est pas de même pour Dieu, la Personne Suprême: Il sait tout du passé, du présent et de l'avenir, et Il connaît le coeur de tous les êtres comme le confirme la Bhagavad-gita (VII.26), vedaham samatitani. Le Seigneur n'est pas partie intégrante de l'âme: Il est Lui-même l'Ame Suprême immuable, et les êtres vivants représentent des parcelles de Sa Personne. L'être distinct est contraint de venir en cet univers matériel sous la direction de daiva-maya, mais lorsque le Seigneur descend en ce monde, Il vient de par Sa propre puissance interne (atma-maya). En outre, l'être distinct subit la loi du temps (passé, présent et futur). A l'état conditionné, sa vie a un début (la naissance) et s'achève avec la mort, alors que le Seigneur est l'adi-purusa, la Personne originelle. Ainsi, dans la Brahma-samhita, Brahma offre son hommage à l'adi-purusa, Govinda, la Personne originelle, qui n'a pas de commencement, contrairement à la création de ce monde matériel. Le Vedanta ajoute, janmady asya yatah: tout naît du Suprême, mais Lui ne connaît pas la naissance. Il possède les six perfections dans leur plénitude, et nul ne L'égale en cela. Il règne en maître sur la nature matérielle; Son intelligence demeure inaltérable en toute circonstance et Il n'est nullement impliqué dans la création matérielle, bien qu'Il la soutienne tout entière. Les Vedas (Katha Upanisad, 2.2.13) soulignent que le Seigneur veille aux besoins de tous les autres êtres: nityo nityanam cetanas cetananam. Les êtres distincts ont pour fonction de Le servir par l'offrande de sacrifices, puisqu'Il est le bénéficiaire légitime des fruits de tout sacrifice. Sachant cela, chacun devrait servir le Seigneur avec dévotion, en Lui consacrant sa vie, ses richesses, son intelligence et ses paroles. Telle est la position originelle et naturelle des êtres distincts. Il convient donc de ne jamais comparer le sommeil d'un être ordinaire à celui de Dieu, la Personne Suprême, lorsqu'Il est allongé dans l'Océan Causal. L'être distinct ne peut être comparé à la Personne Suprême sous aucun rapport. Du fait qu'ils sont incapables de se faire à toutes ces vérités, les philosophes mayavadis aboutissent à une inclusion impersonnaliste ou nihiliste.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare